Samedi, 4 juillet 2020

  • Houkat
  • Balak
Editorial

 12 Tamouz : le sens d’une victoire

Il existe des dates qui changent le monde et dont l’effet se ressent encore aujourd’hui malgré l’écoulement du temps. De telles dates ne sont pas de simples accidents de l’histoire, elles touchent à la structure des choses et l’observateur sait qu’après leur passage, c’est une transformation profonde que l’on peut relever. Peu importe l’importance, apparente ou non, reconnue ou pas, de l’événement, c’est sa simple occurrence qui opère le changement.

C’est ainsi qu’il faut voir le 12 Tamouz, qui intervient, cette année, en ce Chabbat. Ce jour-là, en 1927, le précédent Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak Schneersohn, fut libéré. Cela se passait en URSS. Il avait été arrêté par la police de Staline pour son activité de diffusion du judaïsme, avait été condamné à mort pour finalement être envoyé en relégation dans une petite ville de l’Oural. Au moment de partir pour cet exil, qui avait été prononcé pour de longues années, Rabbi Yossef Its’hak affirma de la fenêtre du train qui devait l’emmener, devant tous les ‘hassidim héroïquement assemblés sur le quai de la gare : « Seul notre corps est en exil, notre âme est éternellement libre. ». Miraculeusement, la peine fut annulée et l’exil ne dura concrètement que quelques jours. Rabbi Yossef Its’hak libéré, son action allait se démultiplier partout dans le monde. L’oppression et la dictature avaient reculé devant la conscience, la grandeur et l’obstination de la liberté.

Ceci n’est pas qu’une histoire de combat victorieux. Rabbi Yossef Its’hak sut le dire : « Ce n’est pas seulement moi qui ai été libéré mais tous… » C’est dire que le 12 Tamouz n’est pas une simple journée d’histoire glorieuse. C’est un jour qui concerne chacun. Cette liberté retrouvée est aussi la nôtre. A tous ceux qui voudraient voir s’éteindre la lumière du judaïsme, à tous ceux qui voudraient que cesse de retentir notre voix, à tous ceux qui nous menacent, dans notre chair ou dans notre esprit, il faut savoir dire que nous sommes éternellement libres et que rien ne nous contraindra jamais.

Cette liberté chante, cette semaine, dans notre cœur et notre âme. Et ce chant monte comme le prélude au cantique majeur, celui de la venue de Machia’h.

Etincelles de Machiah

 La manière juive

Un jour, alors que le Tséma’h Tsédèk – le troisième Rabbi de Loubavitch – était encore un jeune homme, il s’assit parmi un groupe de ‘hassidim qui discutaient de la question : « Qui sait quand Machia’h va venir ? »

Il commenta : « Ce type de discours rappelle la manière de Bilaam, le prophète non-Juif qui déclara à propos de Machia’h : ‘Je le vois mais il n’est pas proche ; je le perçois mais pas dans l’avenir immédiat’ – comme si la Délivrance était lointaine. Un Juif, lui, doit espérer et attendre chaque jour que Machia’h arrive ce jour même. »

(d’après la tradition orale)

Vivre avec la Paracha

 ‘Houkat-Balak

‘Houkat

D.ieu enseigne à Moché les lois de la « Vache Rousse ».

Après quarante ans d’errance dans le désert, le Peuple juif arrive dans le désert de Tsin. Miryam quitte ce monde et le peuple, privé du puits de Miryam, réclame de l’eau. C’est alors que Moché va frapper le rocher pour qu’en jaillisse de l’eau (au lieu de lui parler). L’eau jaillit mais ni Moché ni Aharon ne pourront entrer en Terre Sainte.

Aharon meurt et son fils Eléazar lui succède. Le peuple parle encore une fois contre D.ieu et Moché et une épidémie le frappe, enrayée par un serpent d’airain brandi par Moché.

Moché mène des batailles contre les rois Si’hon et Og, conquiert leurs terres, à l’est du Jourdain.

Balak

Balak, roi de Moav, engage le prophète Bilaam pour maudire le Peuple juif. Incapable d’y parvenir, ce sont des paroles de bénédictions qui sortent de sa bouche ainsi que la prédiction de la venue de Machia’h.

Le peuple faute avec les filles de Moav qui les poussent à pratiquer l’idolâtrie. L’un des chefs de tribu conduit publiquement une princesse Midianite dans sa tente. Pin’has les tue alors tous deux, ce qui met immédiatement fin à la plaie qui s’était abattue sur le peuple.

Chabbat Paracha ‘Houkat-Balak, Youd Beth Tamouz

Ce Chabbat, le 12 Tamouz, nous célébrons la libération des prisons soviétiques du précédent Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak.

Cette libération partage un lien très particulier avec la Délivrance ultime qui sera conduite par le Machia’h. Nos Sages expliquent que toutes les délivrances, même celles qui n’impliquent pas une libération totale de l’exil, sont connectées les unes aux autres.

Cela s’applique tout spécialement à celle d’un Nassi (dirigeant) d’une génération.

Dans son commentaire de l’un des versets de la Paracha de cette semaine, Rachi déclare : « le Nassi de la génération est équivalent à toute la génération ».

Dans la lettre qu’il envoya en relation avec sa libération, le Rabbi précédent souligne ce point dans ces termes : « Youd Beth (12) Tamouz, D.ieu ne m’a pas libéré moi seul ; ceux qui chérissent notre sainte Torah, ceux qui observent les Mitsvot et quiconque appelé Israël l’ont été également. »

En d’autres termes, sa libération affecta le Peuple juif tout entier.

L’on peut encore aller plus loin : la libération de Youd Beth Tamouz instaura le commencement d’une nouvelle phase dans « la diffusion des sources de la ‘Hassidout vers l’extérieur. » Elle apporta la ‘Hassidout en Amérique, « la moitié inférieure du monde », c’est-à-dire là où le mode de vie était le plus bas, et la transforma en source d’influence qui diffuse ces sources dans le monde entier. Tout cela est donc lié au but ultime de la diffusion de ces enseignements : la venue du Machia’h.

La date du 12 Tamouz fait également allusion à la venue de Machia’h parce qu’alors les 12 tribus seront toutes libérées.

Le Rabbi précédent fut informé de sa libération le 12 Tamouz mais elle ne fut véritablement effective que le 13. Ce chiffre a aussi un lien avec l’ère messianique puisqu’il a la valeur numérique du mot E’had, « un » et qu’alors, l’Unité de D.ieu sera révélée dans l’univers entier.

Cette année, différents facteurs intensifient encore la relation entre Youd Beth Tamouz et la Délivrance par Machia’h.

Parmi eux, citons le fait que tout d’abord, Youd Beth Tamouz tombe Chabbat. Or Chabbat lui-même évoque l’ère de Machia’h. Ainsi à propos du verset « un Psaume, un chant du jour du Chabbat », nos Sages commentent : « un chant pour l’ère qui est entièrement Chabbat et un repos éternel. » Chabbat est un microscosme du monde futur. Si cela est vrai de n’importe quel Chabbat de l’année, a fortiori cela l’est-il d’un Chabbat où l’on célèbre Youd Beth Tamouz.

D’autre part, la Paracha de cette semaine, et comme le souligne Rabbi Chnéor Zalman, « nous devons vivre avec la Paracha », contient des références explicites à la Délivrance par Machia’h.

Dans Hil’hot Mela’him, le Rambam (Maïmonide) écrit : « celui qui ne croit pas (dans le Machia’h) ou n’attend pas son arrivée, ne dénie pas seulement les prophéties des autres prophètes mais (il dénie) également la prophétie de Moché… La portion de Bilaam parle et prophétise sur deux rois oints : le premier roi oint, David… et le dernier roi oint, (le Machia‘h) qui se lèvera et sauvera Israël… »

Le Rambam explique ensuite comment les prophéties qui commencent dans Bamidbar (24 :17) se divisent en deux parties : la première se référant à David et la seconde à Machia’h. Ainsi, quand nous lisons cette Paracha en public, que nous récitons des bénédictions avant et après cette lecture, ces concepts reçoivent davantage d’emphase.

En outre, lors de la prière de Min’ha, nous commençons à lire la Paracha Pin’has qui, elle-aussi, annonce la venue de Machia’h. Nos Sages assimilent en effet Pin’has au prophète Eliyahou qui annoncera la venue de Machia’h.

Il est donc approprié de souligner l’importance de renforcer la foi en la venue de Machia’h et l’impatience avec laquelle nous devons l’attendre. Le Rambam indique l’importance de souhaiter la venue de Machia’h, déclarant que nous devons « attendre sa venue chaque jour ». Pour nous préparer à cet événement, nous devons augmenter notre étude de la Torah et tout particulièrement des sujets qui parlent de la Délivrance messianique, par exemple les chapitres qui clôturent Hil’hot Mela’him, (les lois des rois), appelé également Hil’hot Mélè’h HaMachia’h (les lois du Roi Machia’h). L’étude de ces sujets hâtera la venue du temps où les prophéties se matérialiseront.

Il est également adéquat de continuer à répandre les enseignements de la ‘Hassidout, et en particulier de mettre l’accent sur les enseignements du Rabbi Précédent.

Il est évident que les jours qui viennent : les 13, 14 et 15 Tamouz seront l’occasion de célébrations de la libération du Rabbi Précédent. Il convient que, dans chacun de ces trois farbrenguen (célébration ‘hassidique), l’on prenne trois résolutions positives (une dans chacune des sphères de la Torah, la prière et les actes de bienfaisance).

Que ces activités conduisent à la transformation du jeûne du 17 Tamouz en un jour de célébration, avec la venue du Machia’h. Que cela se produise immédiatement !

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que le 17 Tamouz ?

Cette année, le jeûne du 17 Tamouz tombe le jeudi 9 juillet 2020.

On ne mange ni ne boit depuis le matin à 3h 25, jusqu’à la tombée de la nuit à 22h 45 (heure valable pour l’Ile-de-France). On récite la prière « Avinou Malkenou » le matin et l’après-midi.

C’est en ce jour que Moché Rabbénou (Moïse notre Maître) brisa les premières Tables de la Loi à la suite du péché du veau d’or. Bien plus tard, le sacrifice quotidien fut interrompu lors du siège de Jérusalem. Une première brèche apparut ce jour-là dans les murailles de la ville sainte. Enfin, Apostomos installa une idole dans le Temple et brûla un rouleau de la Torah, toujours un 17 Tamouz.

Durant les trois semaines suivantes, jusqu’au 9 Av (jeudi 30 juillet 2020), on augmente les dons à la Tsedaka. On évite d’acheter de nouveaux vêtements et on ne prononce pas la bénédiction « Chéhé’héyanou » (par exemple pour un fruit nouveau). On ne se coupe pas les cheveux et on ne célèbre pas de mariage. On évite de passer en jugement.

Cette année, le 17 Tamouz, les Juifs du monde entier célébreront le 39ème Siyoum (fin de l’étude) du Michné Torah du Rambam (Maïmonide) selon le cycle de trois chapitres par jour et le 13ème Siyoum selon le cycle d’un chapitre par jour puis entameront avec enthousiasme le 40ème (14ème) cycle le lendemain.

Suite à l’appel du Rabbi, à partir du 17 Tamouz, nous intensifions l’étude des lois de la construction du Temple (dans le livre d’Ezékiel, le traité Talmudique Midot et le Rambam – Maïmonide).

Durant les neuf jours qui précèdent le 9 Av (à partir du mardi soir 21 juillet 2020), on ne mange pas de viande et on ne boit pas de vin. Par contre, on assistera à un Siyoum (ou on l’écoutera à la radio), ce qui est une joie permise durant cette période.

Le Recit de la Semaine

 « Le Rabbi a dit… »

Le Rabbi était une personnalité tout-à-fait inhabituelle : calme, pondéré, réfléchi, héritier d’une remarquable dynastie ‘hassidique. Un ingénieur éduqué à la Sorbonne. Maitrisant une douzaine de langues. Père sans enfants d’un demi-million de disciples.

Ma propre relation avec le Rabbi avait connu des hauts et des bas, parfois plus proches, parfois plus distants mais, d’une manière ou d’une autre, j’avais toujours été attiré vers lui comme par un aimant. Je me sens toujours redevable envers le Rabbi, non pas tant pour son influence globale sur les Juifs du monde entier que pour ma rencontre personnelle avec lui, moins de trois ans avant son décès.

J’avais eu la chance de connaître Rav Yossi Groner, son émissaire en Caroline du nord. C’est le fils du regretté Rav Leib Groner qui fut pendant des dizaines d’années le secrétaire personnel du Rabbi.

Cette rencontre avec le Rabbi eut lieu juste quelques mois après mon deuxième divorce qui avait terni ma carrière rabbinique et m’avait plongé dans un trou noir de dépression et de dépendance. Accompagné par le père et le fils Groner, j’avais eu droit à une entrevue d’à peine une demi-minute :

- Parfois, remarqua le Rabbi en yiddish, un profane dévoué peut être incomparablement plus efficace qu’un rabbin !

- C’est-à-dire… balbutiai-je.

- Vous devriez enseigner, peut-être le Talmud, même si ce n’est qu’à une ou deux personnes dans votre salon…

Puis le Rabbi me surprit encore davantage :

- On dit que vous aviez été une fois un étudiant de Rav Aharon Soloveitchik (le professeur de la Yechiva où j’avais étudié et dont j’avais pris congé en très mauvais termes, vingt ans plus tôt. Comment le Rabbi le savait-il ? Je l’ignore !). Voici : je vais donner de l’argent à la Tsedaka (charité) dans l’espoir que vous rétablirez la paix avec lui !

Bien que cette entrevue m’ait fortement impressionné sur le moment, une année passa et je n’avais rien fait pour suivre les conseils du Rabbi. Ce fut une année dysfonctionnelle, sombre et pénible, débordant d’ennuis de santé et surtout de récriminations et de rage. Comme je retournai à New York, je me retrouvai assis à la table de Chabbat des Groner :

- Avez-vous enseigné ? s’intéressa Rav Groner.

- Euh… Ce n’était pas vraiment faisable… Vous comprenez, dans ma situation…

- Le Rabbi a dit ! insista-t-il…

- Oui mais…

- Il n’y a pas de « mais » ! Le Rabbi a dit !

Comment aurais-je pu concrétiser tout cela ? Où ? Quand ? Je ne voyais pas le début d’une solution. Mais « le Rabbi a dit »… Confus et déstabilisé, j’étais de plus en plus misérable : par où commencer ? A la sortie du Chabbat, j’écoutais mon répondeur téléphonique… D.ieu m’est témoin : j’entendis la voix d’un ami oublié depuis longtemps, un rabbin d’une banlieue d’Atlanta : « Marc ! J’ai réfléchi pendant tout Chabbat : quel dommage que tu sois de retour dans la ville et que tu n’enseignes pas ! Pourrais-tu donner un cours, de Talmud par exemple, pour ma communauté ? ».

Un cynique pourrait ricaner. Pour moi, ce fut un miracle absolument inexplicable. Je date le début de mon retour à la normalité et ma confiance en moi à ce merveilleux Chabbat à Crown Heights, chez les Groner. Et je suis conscient que le premier pas pour me sortir de cette terrible dépression fut l’idée d’un homme qui, avec une incroyable intuition et foi en l’humanité, opéra une intervention altruiste, précise et thérapeutique dans mon esprit. Et il ne demanda ni mon adhésion à son mouvement ni ma contribution financière comme récompense : retrouvez la paix avec vous-même. Mettez de côté colère et frustration. Réconciliez-vous avec les autres.

A-t-il été un « sauveur » ? Si on définit le Rabbi en termes d’influence sociale, politique ou spirituelle, on risque de passer à côté des milliers d’interventions précises qu’il a pratiquées dans la vie de tant d’êtres, des âmes qu’il a sauvées du désespoir et à qui il a redonné vie.

Qu’en est-il de la réconciliation avec mon professeur d’antan ? Je dois avouer que je ne me suis pas empressé de la mettre en œuvre et je repoussai continuellement cette requête qui me coûtait énormément tant la rancœur était tenace.

Mais quand j’ai appris que le Rabbi avait quitté ce monde pour un monde plus juste et vrai, ce fut la première initiative que je réalisai enfin.

Après tout… « Le Rabbi a dit ! ».

Marc Wilson

The Charlotte Observer

chabad.org

Traduit par Feiga Lubecki