Samedi, 23 novembre 2024

  • Hayé Sarah
Editorial

 Une histoire juive

Le monde vit à l’évidence des temps de bouleversement, et cela nous bouscule tous. Nous nous étions habitués à une certaine stabilité après toutes les horreurs des époques passées et nous nous prenions à croire que les hommes avaient évolué dans le bon sens, que la tolérance, la compréhension mutuelle ne pouvaient à présent que remporter la victoire attendue depuis si longtemps face à la désespérance. Il nous a fallu déchanter. Des événements que l’on croyait reléguer aux placards de l’histoire se reproduisent sous nos yeux. De propos antisémites en attaques anti-juives, jusqu’à des pogroms revisités, bien des ignominies refont surface et endeuillent le tissu aux couleurs déjà maussades de l’actualité.

La question se pose à nouveau avec acuité : pourquoi ? Pour quelle raison le Peuple juif est-il toujours un objet de haine pour les barbares de tous bords ? Pourquoi constitue-t-il la cible majeure pour tous ceux qui ne vivent que par la détestation de ce qui ne leur correspond pas ? Cette interrogation lancinante a traversé les siècles. Elle porte en elle bien plus que l’inquiétude qu’elle incarne. D’une certaine manière, en saisir la portée, c’est prendre conscience de ce que nous sommes. Aussi faut-il tenter d’en comprendre le fondement.

Le peuple juif a toujours assumé une différence profonde avec les nations qui se sont constituées au gré de l’histoire. Il a toujours vécu et agi avec la vision de son destin particulier. Même chassé de sa terre par l’envahisseur romain il y a près de deux mille ans, il n’a jamais oublié. Ce choix du souvenir et de la poursuite d’un chemin éternel est une idée rare. D’autres peuples anciens ont vécu, construit des sociétés organisées et parfois des civilisations brillantes mais, une fois conquis, ayant perdu leur puissance, ils ont oublié ce qu’ils étaient et, aujourd’hui, seuls les musées rappellent leur ancienne gloire. Le Peuple juif a suivi une autre voie. Par sa morale, son mode de vie, ces concepts donnés par D.ieu, il a changé le monde des hommes.

Peut-être est-ce justement ce que certains ont du mal à lui pardonner ? Voilà donc un bien petit peuple qui, loin de s’effacer comme tant d’autres, maintient ce qu’il a toujours été et sait toujours dire les mots de l’espoir. Il sait toujours, où qu’il vive, penser et annoncer pour tous la liberté, le bien et la noblesse de l’humanité. Nous sommes les héritiers de tout cela et, à notre tour, nous faisons face à des ennemis qui voudraient effacer ce que nous sommes. L’histoire l’a déjà montré : ils ne réussiront pas et rejoindront ceux qui, depuis les époques lointaines, ont fait les mêmes tentatives. Quant à nous, il nous appartient de rester attachés à ce que nous sommes, fermes et fidèles en dépit de tout. Le jour se lève, nous sommes là pour l’accueillir.

Etincelles de Machiah

 Machia’h en chacun

La capacité de Machia’h à délivrer tout le Peuple juif vient du fait qu’il possède un lien avec le peuple tout entier c’est-à-dire qu’il existe une partie de lui en chaque Juif.

C’est ainsi qu’il faut comprendre la déclaration de Moïse (Bamidmar 11 : 21) : « Le peuple au sein duquel je suis est constitué de six cent mille hommes ». Il signifie, par ces mots, qu’une parcelle de lui-même se trouve littéralement dans chacun des individus concernés.

C’est grâce à cela qu’il put tous les libérer d’Egypte.

(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch, Pessa’h 5743)

Vivre avec la Paracha

 ‘Hayé Sarah

Sarah meurt à l’âge de 127 ans et est enterrée dans la Cave de Ma’hpéla à ‘Hévron qu’Avraham a achetée à Ephron le Hittite pour quatre cents chékels d’argent.

Le serviteur d’Avraham, Eliézer, est envoyé à ‘Haran, avec de nombreux cadeaux, afin de trouver une femme pour Yits’hak. Au puits du village, Eliézer demande à D.ieu un signe : quand les jeunes filles arriveront au puits, il demandera de l’eau pour boire. Celle qui proposera d’abreuver également ses chameaux sera celle qui est destinée au fils de son maître.

Rivkah, la fille du neveu d’Avraham, Bethouel, apparaît au puits et réussit le « test ». Eliézer est invité dans sa maison où il relate à nouveau les événements du jour. Rivkah revient avec Eliézer en terre de Canaan où ils rencontrent Yits’hak, priant dans un champ. Yits’hak épouse Rivkah, l’aime et est consolé de la perte de sa mère.

Avraham prend une nouvelle épouse, Ketoura (Hagar) et engendre six autres fils mais Yits’hak est désigné comme son seul héritier. Avraham meurt à l’âge de 175 ans et est enterré dans la Cave de Ma’hpéla, à côté de Sarah, par ses deux fils aînés, Yits’hak et Yichmaël.

Le prototype du mariage

Le mariage entre Yits’hak et Rivkah, décrit dans la Paracha de cette semaine, constitue le premier mariage juif mentionné dans la Torah. Ce mariage est considéré comme le modèle de tous les mariages ultérieurs, y compris du mariage cosmique entre D.ieu et le Peuple juif réalisé au Mont Sinaï. 

Les commentateurs soulèvent une interrogation relative à la légalité des deux mariages : lorsque Yits’hak épousa Rivkah, il le fit par l'intermédiaire d'un mandataire. Avraham envoya son serviteur de confiance, Eliézer, agir en tant qu'intermédiaire pour fiancer Rivkah à son fils. Selon le Midrach, lorsqu’Eliézer offrit des bijoux à Rivkah, cela ne se limitait pas à un simple présent ; cela remplaçait l'alliance que nous utilisons aujourd’hui pour formaliser un mariage légal. Ainsi, Yits’hak était marié à Rivkah sans même être présent lors de sa propre cérémonie nuptiale ! 

La loi juive permet la possibilité d'exécuter un mariage par procuration. Toutefois, elle n’autorise cette forme de mariage que dans des circonstances exceptionnelles. La principale objection repose sur le risque qu'un homme découvre quelque chose d'indésirable ou de répugnant chez sa femme (ou vice versa). 

Sur la base de ce postulat juridique, une question émerge : comment Avraham - que nos Sages affirment avoir anticipé et observé les commandements de la Torah - pouvait-il enfreindre la loi qui interdisait à son fils d'épouser une femme sans l'avoir vue préalablement ? Pourquoi a-t-il choisi d’envoyer son serviteur pour procéder au mariage par procuration ?

Une question similaire

La réponse à cette question peut être trouvée en se référant à une problématique analogue concernant le Don de la Torah, qui, comme il a précédemment été indiqué, symbolisait le mariage de D.ieu avec sa fiancée, le Peuple juif. 

Ici aussi, les commentateurs s'interrogent sur la manière dont D.ieu a pu initier ce mariage par l'intermédiaire de Moché, qui a agi en tant que Son mandataire pour transmettre la Torah au Peuple juif.

Pour appréhender cette question de manière approfondie, il est essentiel d'observer que D.ieu, Qui voit tout, était assurément bien familiarisé avec le Peuple juif avant de lui donner la Torah. L’interrogation des commentateurs repose sur l'idée que les méthodes employées par D.ieu pour établir son mariage avec le Peuple juif devraient refléter les pratiques que nous sommes censés appliquer dans nos propres mariages. D.ieu nous montre comment nous devons nous comporter dans des situations analogues. Ainsi, si D.ieu a choisi d’utiliser un mandataire pour S’unir à Son peuple, cela suggérerait qu'il n'y a rien de répréhensible dans cette démarche. En revanche, on pourrait argumenter que tout comme nous ne tolérons pas un mariage réalisé par l'intermédiaire d'un mandataire sans connaître la personne concernée, il serait également attendu que l’alliance entre D.ieu et nous ne se soit pas réalisée par l’entremise d’un intermédiaire. 

La réponse à cette question permettra donc de mieux comprendre comment Eliézer a pu agir comme mandataire pour le mariage entre Yits’hak et Rivkah.

La Justification

Comme il a été souligné, la justification de la loi interdisant le mariage sans une rencontre préalable repose sur l'appréhension que le mari puisse trouver sa femme peu attrayante et en être rebuté. La simple éventualité d'une telle situation rend le mariage par procuration fondamentalement défectueux. 

Apportons une clarification : un mariage ne se réduit pas à un simple contrat entre deux parties. Au-delà des considérations juridiques inhérentes au mariage - telles que le soutien financier - cet acte représente l’engagement inconditionnel de deux demi-âmes, d'une manière qui transcende la logique et la raison. La motivation d'un individu pour se marier dépasse son appréciation des talents et des vertus de l'autre. Dans le cadre du mariage, on accepte pleinement l'autre dans son intégralité et pas seulement les qualités spécifiques qu’il ou elle apporte à la relation. Néanmoins, un mariage ne peut s’épanouir sans une période préalable de rencontres durant laquelle chacun peut observer les vertus et les qualités de l’autre. On choisit un partenaire en fonction des aspects chez l’autre jugés attrayants. Plus précisément, on recherche une compatibilité mutuelle. Toutefois, il est pertinent de considérer que l’effort nécessaire pour identifier une personne, possédant ces vertus tout en étant compatible, doit être perçu comme un processus d’élimination des obstacles à surmonter avant de découvrir celui ou celle qui lui est destiné(e), en d’autres termes, sa moitié.

De surcroît, en tant qu'êtres humains limités, nous éprouverions des difficultés à accepter un mariage si notre unique lien à autrui reposait sur une connexion spirituelle alors que tous les autres aspects sont incompatibles. Un mariage exige une connexion à tous les niveaux avec l'autre, allant du plus spirituel au plus extérieur et physique. Pour établir cette connexion au niveau le plus élevé et le plus profond, il est également nécessaire d’être capable de se relier aux dimensions inférieures et extérieures.

Si dès le commencement, le mariage présente un risque d’altération parce que le mari finira par trouver sa femme peu attrayante, cela indique une faille intrinsèque dans l’union. Leur lien doit transcender leurs défauts respectifs superficiels. Pour ce faire, il doit initialement exister un sentiment authentique de compatibilité.

Un Mariage éternel

Lorsque D.ieu S’est uni à nous au Mont Sinaï, Il nous a acceptés sans condition préalable. Son lien avec nous transcende les manifestations spécifiques de loyauté et de dévotion que nous Lui avons témoigné. Contrairement aux relations humaines, peu importe à quel point un Juif s'éloigne de D.ieu, Il ne pourra jamais véritablement nous mépriser ni nous considérer avec dédain. Cette idée est largement attestée dans de nombreux versets de la Torah. Un exemple en est donné dans le passage même où D.ieu exprime Son mécontentement face à notre comportement répréhensible et menace de répercussions sévères pour nos égarements. Néanmoins, à la fin de ce passage (Vayikra 26 : 44), D.ieu déclare : « Mais malgré tout cela (la punition mentionnée précédemment), alors qu'ils se trouvent sur la terre de leurs ennemis, Je ne les mépriserai pas et Je ne me dégouterai pas d'eux pour les anéantir, rompant ainsi Mon alliance avec eux. » En d'autres termes, l'alliance établie par D.ieu avec nous est indissoluble. D.ieu n'avait pas besoin de « nous voir » avant le mariage car cette étape préliminaire était superflue pour Lui, étant donné qu'Il ne nous abandonnera jamais quelles que soient les circonstances.

La montagne de l'amour Inconditionnel

Nos Sages affirment que D.ieu a élevé le Mont Sinaï au-dessus de nos têtes et a menacé de le laisser tomber sur nous si nous refusions d'accepter la Torah. La pensée ‘hassidique explique que cela ne constitue pas une coercition au sens traditionnel du terme. En réalité, cela signifie que D.ieu nous a enveloppés d'un amour d’une intensité telle que notre relation avec Lui ne pourra jamais être rompue, tout comme Il a promis de ne jamais rompre Sa relation avec nous. Cette montagne d'amour suspendue définit notre union avec D.ieu.

Lorsqu'un individu s'engage dans une relation aussi fondamentalement solide qu'aucune force ne saurait la déchirer, il n'existe aucun risque qu'un des conjoints trouve l'autre repoussant.

La phase finale du mariage

Comme il a été précédemment souligné, ce mariage idéal préfigure et sert de modèle au lien entre D.ieu et Israël au Mont Sinaï.

Le Don de la Torah est comparé à un mariage, car, à l’instar de celui-ci, l'objectif de la Torah est d'établir une union entre D.ieu et le Peuple juif, entre le physique et le spirituel, entre le corps et l'âme, ainsi qu'entre tous les habitants du monde qui se rassemblent pour servir D.ieu en tant qu’unité.

Ce mariage ne sera pleinement réalisé qu'à l'avènement du Machia'h et notre Rédemption finale de l'exil.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que le Kaddich ?

Le Kaddich est une prière rédigée en araméen (et non en hébreu comme la plupart des textes juifs) mais qui ne mentionne nullement la mort - bien qu’on la récite surtout pendant l’année de deuil.

Celui qui récite le Kaddich exprime la croyance dans la Justice divine. D.ieu est le Créateur du monde et c’est Lui qui décide comment le diriger. Le croyant accepte le joug divin, glorifie le Nom de D.ieu et reconnaît qu’avec la venue du Machia’h (le Messie), la maladie et la famine, la souffrance et la mort disparaitront : Celui qui établit la paix dans les mondes supérieurs fera régner la paix sur nous et sur tout le Peuple juif.

Quand l’endeuillé récite le Kaddich, il ajoute des mérites au défunt. Les bonnes actions et prières des enfants bénéficient à leurs parents dans l’autre monde.

Si le défunt n’a pas de fils qui puisse réciter le Kaddich, les héritiers désigneront une personne qui se chargera de cette Mitsva : de nombreuses institutions éducatives et cultuelles proposent ce service à l’année.

Le Kaddich comporte dix termes de louange, en rapport avec les dix Sefirot (sphères kabbalistiques qui révèlent la Volonté de D.ieu et avec lesquelles Il a créé le monde). Le vivant a la capacité de contribuer au perfectionnement de ce monde.

 (d’après « Le Guide Juif de l’Endeuillé » - Rav Zalman Goldstein)

Le Recit de la Semaine

J’attendais votre appel…

En ma qualité de rabbin, je suis aussi aumônier des hôpitaux.

Un jour, je reçus un appel d’une femme juive, Claudia qui était très malade. Elle n’avait fréquenté aucune synagogue et n’était affiliée à aucune organisation juive : personne ne lui rendait visite et je me rendis donc à son chevet.

J’étais un jeune rabbin, sans aucune expérience des choses de la vie (et de la mort). Pour recevoir mon diplôme, j’avais répondu à des questions pointues de cacherout ou de Chabbat mais comment ma science de la cachérisation de la viande avec de l’eau et du gros sel pourrait-elle aider cette pauvre femme ? Tout ce que je savais, c’est qu’avant de mourir, un Juif devrait réciter la prière la plus importante : je prononçai donc avec ferveur et à haute voix le Chema Israël en espérant qu’elle le répéterait avec moi.

Malheureusement, il n’y avait plus grand-chose à faire pour elle si ce n’est la préparer pour la fin. Elle avait un fils de deux ans, Greg et je promis à Claudia que je m’occuperai de lui pour le préparer à sa Bar Mitsva. Elle décéda quelques jours plus tard et j’officiai à son enterrement, un enterrement juif à mon grand soulagement : j’avais réussi après maintes négociations à éviter qu’elle soit incinérée.

Le père de Greg n’était pas juif bien qu’il ait accepté d’inscrire son fils à un jardin d’enfants de la communauté. Cependant, quand il se remaria avec une femme chrétienne, ce fut la fin de l’éducation juive de Greg qui fut inscrit dans une école baptiste, fut baptisé et élevé comme chrétien.

Malheureusement, le temps passa, j’étais si occupé avec ma communauté qui se développait rapidement que j’en oubliai ma promesse à Claudia.

Trente ans plus tard, alors que je donnai un cours à des prisonniers, l’un d’eux mentionna qu’il m’avait déjà vu une fois, lors de l’enterrement de sa belle-sœur, Claudia. Je me souvins alors à ma grande honte de ma promesse non-tenue et lui demandai les coordonnées de Greg qu’il me donna volontiers.

Penaud à vrai dire pour ma négligence, je téléphonai donc à Greg et, quand il m’entendit me présenter comme le « rabbin de sa défunte mère », il s’écria avec soulagement :

- J’attendais votre appel depuis si longtemps !

Il me raconta son enfance. Quand il était enfant, son grand-père maternel lui rendait parfois visite. Un jour, il remarqua que Greg portait un petit crucifix et fut choqué. Gentiment, il demanda à Greg de l’accompagner pour une promenade au cours de laquelle il lui expliqua calmement qu’il était juif puisque sa mère l’avait été et que le christianisme et les croix n’étaient pas pour lui. Greg l’écouta avec respect mais avait du mal à comprendre pourquoi il ne pouvait pas adhérer à ce qu’il avait toujours pratiqué toute sa vie.

A l’âge de 14 ans, Greg avait été préparé pour l’étape marquant sa « confirmation » ; à l’église, le prêtre le présenta, mentionnant devant l’assemblée le nom de sa mère. Quand Greg entendit le nom de sa mère, cela lui rappela aussi son grand-père et le bouleversa : il ressentit que tout ceci n’était pas pour lui. Greg avait toujours su qu’un rabbin avait promis à sa mère qu’il l’aiderait à célébrer sa Bar Mitsva. Il avait tenté de me retrouver mais sans succès. Depuis, il attendait mon appel !

A l’âge mûr de 32 ans, Greg mit les Téfilines pour la première fois, apprit à lire en hébreu et célébra enfin la Bar Mitsva qu’il avait attendue depuis si longtemps.

Maintenant, il fréquente régulièrement notre Beth ‘Habad, avec sa femme et leurs enfants, qui sont heureux de bénéficier, eux aussi, d’une bonne éducation juive.

Rav Anchelle Perl

Mineola, New York - COLlive

Traduit par Feiga Lubecki