Semaine 47

  • Hayé Sarah
Editorial
La bourse ou la vie ?

N’est-ce pas un monde prodigieux ? Par les temps qui courent, chaque jour, ou presque, s’ouvre sur des visions apocalyptiques de monnaies chancelantes, d’économies trébuchantes, de dettes florissantes et de budgets vacillants. Jour après jour, c’est comme un murmure incessant qui monte : le pire est à venir et l’avenir incertain. Et la souffrance des peuples de grandir avec la tension des nations. Tout se passe comme si le monde avait perdu son rythme si rassurant, celui d’une longue marche, parfois saccadée mais fondamentalement régulière, vers une situation meilleure, plus de bonheur et plus d’espoir. Tout se passe comme si cette belle et ancienne mécanique s’était, en quelque sorte, grippée, comme si l’existence n’avait plus contact avec son centre. C’est sans doute en de telles périodes que les questions émergent car n’est-ce pas quand la réalité remet en cause la stabilité des choses que, toutes certitudes affaiblies, on se prend à porter un autre regard sur ce qui nous entoure ?
Certes, l’homme est un être toujours porté vers une aspiration nouvelle. Quoi qu’il possède déjà, il souhaite davantage et c’est là le ressort même du progrès. Cette attitude nécessaire présente évidemment un danger : le risque existe de voir l’homme mal définir son but. Ou plutôt, il peut prendre comme point de référence un élément qui ne le conduira pas à une réussite pleine mais seulement à une fuite en avant. Ainsi, si le seul critère retenu est le plus aisément quantifiable, la réussite matérielle mesurable en termes financiers, il est à craindre que, ignorant la globalité de la vie, il ne comprendra le bonheur qu’en termes si réducteurs que le moindre souffle pourra le faire chanceler. Peut-être alors les difficultés permettent-elles de se découvrir une nouvelle conscience.
Il faut se garder d’oublier que D.ieu créa le monde pour que l’homme y réalise Sa demeure, le lieu où Il se révèlera dans son Essence. Cela signifie que la matérialité même a un sens. Elle porte en elle le projet Divin qu’il nous appartient de révéler. C’est dire qu’elle n’est pas intrinsèquement négative, qu’elle peut être utilisée pour le meilleur d’elle-même. Si l’on sait remettre le centre des choses à sa place, si l’on sait retrouver la notion première du bonheur, alors le matériel ne contredit pas ce qui le dépasse. C’est justement là l’enjeu : face au déferlement du monde, il revient à chacun de choisir la vie. Et c’est un choix qui, fait jour après jour, conduit, ici-bas, à l’éternité.
Etincelles de Machiah
Une nouvelle Torah?

Le Midrach (Vayikra Rabba 13, 3) paraphrasant la prophétie d’Isaïe (51,4) déclare que, lors de la venue de Machia’h, “une nouvelle Torah sortira de Moi”. Il est cependant clair que la Torah présente un caractère d’éternité absolue. Dès lors, que cela signifie-t-il?
Aujourd’hui, la Torah se présente sous l’apparence de récits tels que ceux de Lavan, de Bilam etc. En revanche, lorsque Machia’h viendra, les mystères qui s’y trouvent cachés apparaîtront. Il deviendra manifeste que ces histoires font référence à D.ieu, à l’édification des mondes supérieurs. C’est pourquoi D.ieu annonce qu’alors la Torah sortira “de Moi”: la manière dont la Torah tout entière parle de D.ieu deviendra évidente à tous.

(D’après Kéter Chem Tov, sec. 84 et 242)
Vivre avec la Paracha
‘Hayé Sarah : Un voyage de mille kilomètres commence avec un pas

Notre Paracha renferme la description la plus sereine du vieil âge et de la mort qu’on peut rencontrer dans la Torah. «Alors Avraham poussa son dernier souffle et mourut à un bon âge avancé, un vieil homme, rempli d’années ; et il fut rassemblé avec son peuple» (Béréchit 25 : 8). Plus tôt, on a pu lire un verset non moins émouvant : «Avraham était vieux, bien avancé dans les années et D.ieu avait béni Avraham en tout» (Béréchit 24 : 1).
Cette sérénité ne fut pas exclusivement l’apanage d’Avraham. Rachi manifeste son étonnement devant la description de Sarah : «Sarah vécut jusqu’à cent vingt-sept ans : [C’était] les années de la vie de Sarah» (Béréchit 23 : 1). Les derniers mots paraissent totalement superflus. Pourquoi ne pas nous dire simplement que Sarah vécut jusqu’à l’âge de cent vingt-sept ans ? Qu’ajoute le fait de préciser «c’était les années de la vie de Sarah» ? Rachi est donc forcé de conclure que la première moitié du verset concerne la longueur de sa vie, combien d’années elle atteignit, et la seconde partie nous indique sa qualité : «elles (les années qu’elle vécut) étaient toutes égales en bien».
Cependant, comment tout cela est-il concevable ? Avraham et Sarah avaient reçu l’ordre de D.ieu de quitter tout ce qui leur était familier : leur pays, leur maison, leur famille et de voyager vers un pays étranger. A peine étaient-ils arrivés qu’ils avaient dû s’enfuir à cause d’une famine. A deux reprises, la vie d’Avraham avait été menacée, quand, poussé à l’exil, il craignit d’être tué pour que le dirigeant local puisse s’emparer de Sarah et la conduire dans son harem. Sarah elle-même avait du prétendre être la sœur d’Avraham et subir le déshonneur d’être enlevée et conduite dans la maison d’un étranger.
Et puis, il y avait eu la longue attente d’un enfant, rendue encore plus douloureuse par la promesse divine qu’ils auraient une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et la poussière de la terre. Survint alors le drame de la naissance d’Ichmaël chez Hagar, la servante de Sarah. Cela rendit difficile la relation entre les deux femmes et finalement Avraham dut renvoyer Hagar et Ichmaël. En tout état de cause, ce fut une source de souffrance pour les quatre personnes impliquées.
Ce fut enfin la terrible épreuve du sacrifice d’Its’hak. Avraham dut affronter la perspective de perdre la personne qui lui était la plus précieuse, l’enfant qu’il avait attendu si longtemps.
Ni Sarah ni Avraham n’avaient eu une vie facile. Ils avaient subi des épreuves dans lesquelles leur foi n’avait cessé d’être éprouvée. Comment Rachi peut-il donc affirmer que toutes les années de Sarah avaient été égales en bien ? Comment la Torah peut-elle déclarer qu’Avraham avait été béni en tout ?
La réponse à ces questions est donnée par la Torah elle-même et de façon très inattendue.
A sept reprises, Avraham reçut la promesse de la terre d’Israël. Et pourtant, au moment de la mort de Sarah, Avraham ne possédait aucune terre et il fut forcé de se prosterner devant les Hittites locaux pour les supplier d’obtenir la permission de leur acheter un simple champ avec un caveau dans lequel il pourrait enterrer sa femme. Et même alors, il dut payer ce qui était clairement un prix exorbitant.
A quatre reprises, il reçut une promesse concernant les enfants. Et pourtant, il dut attendre si longtemps un fils unique de Sarah que lorsque D.ieu affirma qu’ils auraient un fils, à la fois Avraham et Sarah rirent. (Nos Sages différencient ces deux épisodes, expliquant qu’Avraham rit de joie et Sarah d’incrédulité. En général, dans Beréchit, le verbe ts‘hak : «rire» est teinté d’ambigüité).
D’une façon ou d’une autre, que nous pensions aux enfants ou à la terre, les deux promesses divines capitales, la réalité semblait bien éloignée de ce qu’ils auraient pu être tentés d’espérer.
Et c’est là précisément le sens et le message de ‘Hayé Sarah. Avraham y accomplit deux choses : il acheta le premier lot de la terre de Canaan et il organisa le mariage d’Its’hak. Un champ et un caveau étaient suffisants pour que le texte puisse dire d’Avraham que «D.ieu avait béni Avraham en tout». Un enfant, Its’hak, alors marié et avec des enfants (Avraham avait cent ans à sa naissance, Its’hak avait soixante ans quand les jumeaux Essav et Yaakov naquirent et Avraham avait cent soixante-quinze ans à sa mort) suffisait à Avraham pour mourir en paix.
Un dicton dit qu’un voyage de mille kilomètres commence avec un pas. Le Judaïsme ajoute : «Il ne te revient pas d’achever le travail mais tu n’es pas libre de t’en désister» (Avot 2 : 16). D.ieu Lui-même dit d’Avraham : «Car Je l’ai choisi pour qu’il dirige ses enfants et sa maisonnée après lui pour qu’ils gardent la voie de l’Eternel en faisant ce qui est droit et juste, pour que l’Eternel réalise pour Avraham ce qu’Il lui a promis» (Béréchit 18 : 19)
Le sens de tout cela est clair. Si nous faisons que nos enfants continuent à vivre ce pour quoi nous avons vécu, alors nous pouvons avoir confiance qu’ils continueront notre voyage jusqu’à finalement atteindre la destination. Avraham et Sarah n’avaient pas besoin de voir toute la terre entre les mains des Juifs, pas plus qu’ils n’avaient besoin de voir le Peuple Juif devenir nombreux. Ils avaient fait le premier pas. Ils avaient commencé la tâche et ils savaient que leur descendance continuerait. Ils pouvaient mourir sereinement car ils avaient foi en D.ieu, foi que les autres achèveraient ce qu’ils avaient commencé. «Les Justes, même dans la mort, sont considérés comme s’ils étaient toujours vivants» (Bra’hot 18a) parce que les Justes laissent une trace vivante à ceux qui viennent après eux. Cela suffisait à Avraham et à Sarah. Cela doit nous suffire.
Le Coin de la Halacha
Qui allume les bougies de Chabbat ?

. Dans notre Paracha, ‘Hayé Sarah, Rachi commente le verset : «Il (Its’hak – notre patriarche Isaac) l’amena (Rivka – Rebecca son épouse) vers la tente de Sarah sa mère : elle est devenue semblable à Sarah sa mère. Tant que Sarah vivait, une bougie brûlait d’un vendredi à l’autre, la bénédiction résidait dans la pâte et un nuage planait sur sa tente. A sa mort, (ces signes) disparurent. Quand Rivka arriva, ils réapparurent» (Genèse 25. 67).
. De là, on voit que, déjà avant son mariage, à l’âge de trois ans, Rivka allumait la bougie de Chabbat.
. Il convient d’éduquer la petite fille, dès qu’elle sait parler, à allumer une bougie avant l’heure d’entrée du Chabbat. Elle glisse une pièce dans sa boîte de Tsedaka (charité) personnelle et allume avant sa mère, dans un chandelier qui lui est propre.
. La petite fille qui allume sa bougie de Chabbat méritera d’épouser un érudit en Torah.
. Une femme mariée allume deux bougies et apporte ainsi la paix dans son foyer. Elle méritera d’avoir des enfants qui illumineront le monde avec la lumière de la Torah, elle apportera la paix au monde et méritera pour elle et sa famille une longue vie.
. Le Rabbi a expliqué que les bougies de Chabbat (Nerot Chabbat Kodech : NeChek) sont la meilleure arme (NeChek) pour lutter contre l’obscurité ambiante. Quelle que soit la coutume de sa famille, il est recommandé que chaque fille juive allume une bougie avant Chabbat car un peu de lumière repousse beaucoup d’obscurité. Et une Mitsva entraîne une autre Mitsva.
. Ce n’est que lorsque Its’hak a vu Rivka allumer la bougie de Chabbat qu’il l’épousa.
. L’expérience a prouvé que le fait que la fille allume sa bougie avant sa mère renforce les liens entre les deux.
- Grâce à l’allumage des bougies de Chabbat, le « Mazal » de tous les Juifs alentour et du monde entier brillera.
. Il convient de glisser des pièces à la Tsedaka (charité), d’allumer les bougies de Chabbat, de se couvrir les yeux, de prononcer la bénédiction.
« Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vétsivanou Léhadlik Nèr Chel Chabbat Kodech » et de prier pour soi-même, sa famille et tout le peuple juif.

F. L. (d’après Rav Shmuel Bistritzky – Hamitsvaïm Kehala’ha)
De Recit de la Semaine
Née au théâtre…

Rima naquit en 1935 à Odessa en Ukraine et fut élevée avec ses quatre frères et sœurs plus jeunes qu’elle. Aussi loin que remontent ses souvenirs, elle avait remarqué que sa mère la traitait différemment, lui accordait moins d’attention et d’affection qu’à ses autres enfants : on la servait en dernier, ce qui signifiait qu’elle ne recevait que les restes ; quand on envisageait une sortie ou une visite aux grands parents, Rima était rarement choisie. Il devenait de plus en plus évident pour Rima que sa mère aimait ses frères et sœurs bien plus qu’elle. Pourtant c’était Rima qui se trouvait souvent en charge des petits, qui devait les surveiller, leur donner à manger, faire la cuisine, le ménage et la lessive. Mais pour une raison mystérieuse, quoi qu’elle fasse pour se rendre utile et même indispensable, sa mère ne l’aimait pas et cela, Rima en était certaine.
Un jour, Rima décida d’en parler à son père : «Pourquoi Maman est-elle une bonne mère pour tous ses enfants sauf pour moi ?» Mais à chaque fois qu’elle posait cette question, son père éludait la question, prétendait que, puisqu’elle était l’aînée, elle pouvait supporter plus de charge de travail… Rima comprit qu’en fait, on lui cachait un secret…
En 1977, Rima avait quarante-deux ans ; elle s’était mariée et avait deux enfants. Son père tomba gravement malade : la tuberculose. Les médecins ne pouvaient plus rien faire pour lui et le renvoyèrent chez lui. Durant les deux mois qui suivirent, il resta au lit, entouré de ses enfants qui savaient – comme lui d’ailleurs – que ses jours étaient comptés.
Un jour, alors que Rima se tenait seule près de lui, il lui demanda de fermer la porte à clé : «Je suis sur le point de mourir et je veux te confier un secret, pour que tu saches la vérité. Je veux enfin répondre à ta question que j’ai toujours éludée jusqu’à présent.
En 1943, j’ai épousé une belle jeune fille juive. Nous étions heureux. Au bout d’un an, elle est tombée enceinte. Ses parents travaillaient tous les deux au théâtre principal d’Odessa. Ces années-là étaient dangereuses pour les Juifs. Un jour, ma femme entendit qu’on rassemblait les Juifs, sans doute pour les jeter en prison ou, pire encore, les exiler en Sibérie. Ma femme était en fin de grossesse mais elle se précipita au théâtre pour avertir ses parents. Elle arriva trop tard, ses deux parents avaient été raflés. Sous l’effet du choc en entendant la terrible nouvelle, elle fut prise de contractions et accoucha d’une petite fille, dans le théâtre ! Cette adorable petite fille, c’était toi, Rima. Les responsables du théâtre m’informèrent que mon épouse avait donné naissance à une fille puis s’était enfuie pour échapper à l’avance nazie. Le bébé se trouvait là, j’étais invité à le récupérer !
Je suis allé te chercher. Mais comment pouvais-je m’occuper d’un nourrisson alors que je n’avais aucune expérience ? C’était au-delà de mes forces ; j’ai essayé de retrouver ta mère mais je ne l’ai plus jamais revue : je suppose que, comme ses parents, elle a été assassinée par les nazis. Je t’ai confiée à un orphelinat sous condition : s’il m’arrivait de me remarier, je te récupérerais. C’est ce que j’ai fait, ma seconde femme était d’accord de t’adopter et de s’occuper de toi comme si tu étais son enfant. Je pensais qu’il valait mieux ne pas te révéler la vérité, qu’elle n’était pas ta vraie mère mais l’expérience a prouvé que mon plan n’était pas le meilleur…»
Peu de temps après, le père de Rima décéda et elle resta seule avec ce terrible secret.
Dès qu’elle en eut l’occasion, elle se rendit à Odessa pour voir de ses propres yeux le théâtre où elle avait vu le jour. Elle fut stupéfaite de le trouver exactement à l’adresse que son père lui avait indiquée. Elle y trouva un banc et, submergée par l’émotion, mit son visage dans ses mains et éclata en sanglots. Elle pleurait pour cette mère qu’elle n’avait jamais connue, pour ses grands-parents qui avaient disparu, pour le vide qu’elle avait toujours ressenti et pour la vérité qu’elle avait enfin comprise.
De loin, une vieille femme l’observait, c’était la directrice du théâtre ; elle s’approcha de Rima, lui demanda si elle pouvait l’aider. Séchant ses larmes, Rima lui raconta ce qu’elle savait de sa naissance et la femme la regarda pendant un long moment. Elle prit une profonde inspiration et murmura : «C’était donc vous ! Je me trouvais là quand vos grands-parents ont été raflés et c’est moi qui ai aidé votre mère pendant l’accouchement imprévu ici, dans le théâtre. C’est moi qui me suis occupée de vous quand votre mère s’est enfuie jusqu’à ce que votre père vienne vous chercher !»
Les deux femmes s’embrassèrent. La directrice du théâtre enlaçait Rima comme elle l’avait tenue exactement quarante-deux ans plus tôt, jusqu’à ce que Rima fut capable de se remettre de ses émotions.
Trente ans avaient passé depuis. Rima savait seulement que sa mère était juive mais elle ne connaissait rien du judaïsme et n’avait évoqué son identité juive devant personne, sauf devant moi, un certain vendredi après-midi alors qu’avec mon mari, je venais de m’installer à Oulyanovsk, en tant qu’émissaire du Rabbi.
Son histoire m’avait laissée sans voix.
Finalement, je l’ai prise par la main : «Rima ! C’est l’heure d’allumer les bougies de Chabbat ! Certainement vos grands-parents seraient heureux de vous voir retrouver la tradition et le judaïsme !»
C’est ainsi qu’à l’âge de soixante-seize ans, Rima alluma pour la première fois de sa vie les bougies de Chabbat…

Suri Marozov
N’shei Chabad Newsletter n°7201
traduite par Feiga Lubecki
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