Semaine 42

  • Noa’h
Editorial

Au delà et en deçà

Les fêtes qui se sont achevées si récemment qu’elles sont encore puissamment présentes dans nos consciences et nos mémoires nous ont rappelé une idée essentielle : l’homme est une créature unique, dotée de l’immense pouvoir de s’élever au-dessus de soi. C’est ainsi que nous avons vécu les grands moments spirituels de la période, passant de l’austérité et de la solennité de Roch Hachana et Yom Kippour à l’allégresse infinie de Souccot et Sim’hat Torah.
A chacune de ces étapes, nous avons laissé le monde en arrière, nous avons échappé à ses limites et à ses contraintes et découvert une autre manière de vivre, porteuse d’espoir, de joie, de liberté, de lien avec D.ieu. Il est clair qu’une telle expérience est chargée d’enseignements précieux. Quand la vie quotidienne reprend son cours routinier, nous savons garder en tête et en cœur que l’élévation est possible dans toute la mesure de nos désirs.
Pourtant, l’homme n’est pas que cet être d’au-delà, il peut choisir de ne vivre que comme une créature d’en-deçà. Il peut, au lieu de dépasser les limites du monde pour atteindre une harmonie supérieure, choisir de se détacher de l’univers des hommes, des lieux de raison et de civilisation pour retrouver un stade où la condition et la pensée humaine n’ont pas encore de place tant elles sont réduites à l’état d’ambition inassouvable. C’est ainsi que, alors que la joie des fêtes emplissait l’horizon de sa musique surhumaine , le fracas des combats et des menaces donnait à entendre au monde les échos sourds des nouvelles barbaries. Tandis que les tenants de la première s’élevaient au-dessus d’eux-mêmes, les partisans des secondes choisissaient cet ancien chemin qui, d’abaissement en abaissement, conduit au-dessous de soi.
Cette obscurité nouvelle n’a pourtant pas assombri la lumière du temps. Les fêtes ont conduit le monde plus que la fureur et la folie des hommes. Puissance de l’espoir, de la joie et du lien avec D.ieu. Décidément, c’est là une règle de nature : l’obscurité, aussi profonde soit-elle, ne résiste pas à l’avancée de la lumière. Au seuil de la nouvelle année, n’est-ce pas là une découverte encourageante ?

Etincelles de Machiah

Décrivant l’époque de Machia’h, le prophète Jérémie (31:33) assure: “Et l’homme n’enseignera plus à son prochain ni à son frère disant “connaissez D.ieu”, car tous Me connaîtront, des petits jusqu’aux grands” . La connaissance à laquelle cette phrase fait référence est extrêmement précise. Il ne s’agit pas d’un simple acquis intellectuel, qui ne peut être que relativement extérieur. Au contraire, c’est d’une véritable connaissance de l’essence qu’il est question, comparable à celle que possède un homme sur son ami qu’il voit constamment.
C’est précisément pour cette raison que plus personne n’enseignera à quiconque. En effet, une telle approche ne peut concerner qu’une démarche strictement intellectuelle et non le type de connaissance directe et profonde définie dans ce cadre.
C’est aussi la raison pour laquelle “tous connaîtront D.ieu” au même degré “des petits aux grands”. Dans la mesure où c’est d’une approche directe qu’il s’agit, aucune différence n’existe entre les uns et les autres.
Dans sa prophétie, Isaïe (11:9) souligne cette même idée en affirmant qu’alors “la terre sera pleine de la connaissance de D.ieu comme l’eau recouvre le fond des océans”. C’est à ce nouveau temps qu’il convient de se préparer. (D’après Chaar Haémounah p. 61) H.N.

Vivre avec la Paracha

La pureté de la parole et de la vue
A propos du verset de la Sidra de cette semaine : “ ...des animaux purs et des animaux qui ne sont pas purs (ils vinrent vers Noa’h et dans l’Arche, deux par deux) ”, le Talmud commente : “ un mot sans raffinement ne devrait jamais passer par les lèvres des hommes, car la Torah sort de son habitude et utilise huit lettres supplémentaires pour éviter un mot déplaisant ”.
Rachi explique que le mot (unique) “ Taméh ” aurait évité huit lettres dans la phrase hébraïque : “ qui ne sont pas purs ”. Et puisque la Torah est toujours aussi concise que possible, le message de cette expression élaborée est que le discours prononcé par tout homme devrait toujours être débarrassé d’expressions inappropriées.
Outre cette leçon sur la parole, la Sidra comporte une leçon sur la vue.
Chem et Yaphet furent si attentifs à ne pas regarder la nudité de leur père qu’ “ ils marchèrent à reculons et leurs visages étaient détournés et ils ne virent pas la nudité de leur père ”. La récompense qu’ils obtinrent accentue cette qualité : “ Béni soit l’Eternel, D.ieu de Chem et que Canaan soit leur serviteur. Que D.ieu agrandisse Yaphet et qu’il réside dans les tentes de Chem ”.
Mais cette histoire présente quelques aspects étonnants. Il est clair, du fait que Chem et Yaphet marchèrent à reculons, qu’ils ne virent pas l’état de leur père. Pourquoi la Torah ajoute-t-elle alors les mots apparemment redondants : “ et ils ne virent pas la nudité de leur père ” ?
Une parole du Baal Chem Tov nous enseigne que si l’on voit quelque chose de mal chez l’autre, c’est là un signe que ce mal existe en nous-mêmes. On se voit, pour ainsi dire, comme dans un miroir : si le visage réfléchi n’est pas propre, c’est sur le nôtre qu’il y a des impuretés.
Mais nous pourrions demander : “pourquoi ne sommes-nous pas capables de voir véritablement le mal chez l’autre sans être nous-mêmes porteurs de cette faute ? ”
La raison en est que la Providence Divine est présente dans chaque événement. Si nous voyons le mal chez quelqu’un, cela aussi répond à un objectif divin et cela vient nous montrer ce qui en nous doit être corrigé. Nous avons besoin que nos propres fautes nous soient montrées d’une manière indirecte car “l’amour couvre tous les défauts” et l’amour-propre est toujours très fort.
L’homme est aveugle à ses propres manquements. Aussi faut-il qu’ils lui soient représentés chez quelqu’un d’autre pour le forcer à réfléchir sur lui-même et en voir la contrepartie dans sa vie propre.
Mais la tâche du Juif n’est pas seulement la perfection personnelle mais aussi l’aide à l’amélioration de son prochain : “ tu corrigeras ton ami, même cent fois ”.
Il est donc sûr que lorsqu’il voit les erreurs de son ami, la Providence veut de lui qu’il l’aide à les corriger et pas seulement à s’interroger sur ses propres faiblesses.
Pour l’exprimer avec plus de force, un Juif est une fin en soi et pas seulement un moyen pour l’utilité des autres ! Comment donc peut-on nous demander d’utiliser un ami pour notre propre intérêt et sans qu’il n’y ait de bienfait concret pour l’ami concerné ? S’il en est ainsi, peut-être que la raison pour laquelle on remarque la faute n’est que pour en faire bénéficier l’ami et pas parce que l’on possède soi-même le défaut ?

Remarquer et corriger
Pour comprendre, il faut nous référer à la suite de la citation déjà évoquée du Talmud : “ un homme doit toujours parler en utilisant des expressions adéquates ”.
Le Talmud, après avoir répondu à un problème relativement incident demande : “ mais ne trouvons-nous pas dans la Torah l’expression “Taméh ” (c’est-à-dire le terme même qu’il nous est demandé d’éviter)?
Et même cela est étrange. Car le mot “ Taméh ” est utilisé dans la Torah à plus de cent reprises! C’est une question si évidente qu’elle aurait dû être posée immédiatement par le Talmud et pas après qu’un point mineur eut été abordé. Par ailleurs, le ton étonné de la question ne semble pas non plus approprié à une objection aussi importante!
L’explication en est que dans les contextes légaux (hala’hiques), l’impératif de clarté domine sur la considération de raffinement de la langue ; et c’est alors dans ces cas que “Taméh” est utilisé.
Mais dans les contextes narratifs, le souci de la délicatesse dans l’expression compense l’expression plus longue de ces euphémismes.
C’est pourquoi le fait que la Torah utilise des mots comme “Taméh” ne contredit pas le principe selon lequel chaque fois que c’est possible, il faut utiliser la terminologie la plus délicate. Et le Talmud soulève cette objection comme il le fait, parce que “Taméh” n’est utilisé que rarement dans les séquences narratives de la Torah.
En fait, même dans les parties hala’hiques, quand la loi n’a pas de lien direct avec l’impureté mais ne la mentionne qu’en passant, la Torah préfère là encore l’euphémisme.
Cette approche ne s’applique pas seulement au discours mais aussi à la vue. Quand on voit un Juif mal se comporter, notre premier souci doit être de rechercher la “Hala’ha” (c’est-à-dire le devoir) requise, c’est-à-dire lui faire des remontrances et tenter, avec tact et gentillesse, de le corriger. Mais quand l’on se prend à voir ce mal non comme quelque chose dirigé vers lui-même (c’est-à-dire un défaut qu’il doit corriger) mais comme un manque chez l’autre (c’est-à-dire que notre attitude est critique sans être constructive), cela est la preuve même que c’est un “ miroir ” et que la faute est en nous.

La qualité de Chem et de Yaphet
Cela explique pourquoi la Torah, après avoir dit que Chem et Yaphet détournèrent leurs visages de Noa’h, ajoute “ et ils ne virent pas la nudité de leur père”. Cela vient souligner que non seulement ils ne le virent pas (physiquement), mais qu’ils ne furent pas même conscients de sa faute, leur seul souci étant de faire ce qu’il fallait (le couvrir avec un manteau). ‘Ham, le troisième frère, quant à lui, regarda son père et trahit donc ses propres défaillances.
Cet épisode nous apporte donc la leçon suivante : non seulement devons-nous nous taire à propos des défauts des autres (contrairement à ‘Ham qui vint rapporter à ses frères ce qui était arrivé à leur père), mais nous ne devrions pas même y penser sauf s’il nous revient d’aider à les corriger. Celui qui suit cet enseignement prend part à la récompense “Béni soit l’Eternel, D.ieu de Chem” et “Que D.ieu élargisse Yaphet” et contribue à l’amour unitaire et fraternel d’Israël qui fera venir le Machia’h dans le monde.

Le Coin de la Halacha

Comment se conduire quand éclate une dispute ?

Il est interdit par la Torah non seulement de commencer une controverse mais aussi de l’entretenir et de la renforcer. Il vaut mieux pardonner une offense à son honneur et entamer le dialogue avec les opposants, comme l’a fait Moché Rabbénou (Moïse notre maître) avec Kora’h et son assemblée.
S’il y a parfois des différences d’usages (Minhaguim) entre les communautés, elles ne doivent pas devenir prétexte à des controverses. Rabbi Chnéour Zalman écrivait dans ses lettres que " la plupart des problèmes et des crises proviennent de disputes qui se veulent " pour la gloire de D.ieu " (que D.ieu nous en protège) ! "
Celui qui s’indigne et entame une controverse doit sincèrement se demander :
1) Est-il vraiment intéressé à la découverte de la vérité même si elle se retourne contre lui ?
2) La dispute est-elle fondée sur l’amitié et le respect de l’autre ou sur la haine ?
La Guémara raconte de nombreux cas de différences entre l’école de Chamaïe et celle d’Hillel. Néanmoins ces controverses ne les empêchaient pas d’avoir des relations normales et plusieurs mariages furent célébrés entre ces deux communautés qui s’appréciaient mutuellement.
Celui qui a un reproche à adresser à son ami doit en discuter avec lui : les faits devront être établis clairement comme devant un tribunal, avec des témoins et des preuves. On évitera de s’enflammer et on manifestera une volonté sincère de renouer de bonnes relations.

F. L. (d’après Rav Yossef Ginzburg

De Recit de la Semaine

UN JUIF A CURAÇAO

Dans les Antilles néerlandaises, il n’y a pas d’école juive. La loi du pays oblige tous les enfants à fréquenter soit l’école catholique soit l’école protestante. Et il fallait assister à tous les cours et toutes les activités y compris les cours de religion et les offices religieux.
Nous n’étions que quelques enfants juifs et la plupart suivaient le mouvement. Mais moi, je n’étais pas d’accord. Avec un entêtement surprenant pour un garçon élevé dans une famille laïque, je résistais à toutes les tentatives pour me faire participer. Cela me coûtait cher. Chaque jour, j’étais la proie des autres élèves qui, avec l’accord tacite du directeur et du corps enseignant, m’attaquaient physiquement par tous les moyens possibles. D’ailleurs même le directeur me menaçait parfois.
Dans le secondaire, cette haine empira : les combats étaient de plus en plus fréquents et violents. Le directeur ne cachait pas qu’il trouvait que je les méritais puisque je ne me pliais pas aux règles de l’établissement. Je réalisai que cela ne s’arrangerait pas. Je me suis mis à faire l’école buissonnière. Je passais ma journée à jouer au club de golf, m’arrangeant pour retourner à l’école juste à temps pour y retrouver mon père qui me ramenait à la maison en voiture.
Mais un jour, le directeur téléphona à mon père pour savoir pourquoi je ne m’étais pas présenté aux cours ces dernières semaines. Etonné, mon père décida d’en avoir le cœur net. Quand il me récupéra ce jour-là, il me demanda : « Comment était-ce à l’école aujourd’hui ? »
« Comme d’habitude ! » répondis-je.
« Dis-moi la vérité : étais-tu à l’école aujourd’hui ? Et hier ? Et la semaine dernière ? »
Je ne voulais plus mentir et j’admis que non.
Mon père me plaça alors devant l’alternative suivante : soit je me soumettais au règlement de l’école, soit je quittais l’école et me mettrais à travailler avec lui – durement – chaque jour. Je n’eus pas besoin de réfléchir longtemps : j’entrai dans le bureau du directeur, posai sans un mot mes livres de classe sur sa table et courus rejoindre mon père.
Le gouvernement menaça mes parents : tous les enfants devaient fréquenter l’école et participer à toutes les activités. Ma famille fut pratiquement excommuniée par nos voisins, mais mes parents ne plièrent pas.
Un jour, mon père qui était terriblement affecté par cette situation, eut un rêve. Il se revoyait, âgé d’un peu moins de trois ans, quand il avait encore les cheveux longs et qu’il était assis sur les genoux de sa grand-mère : « Liouvou » (« mon enfant chéri » en russe), quand tu auras un problème, tourne-toi vers celui qui peut t’aider : le Rabbi de Loubavitch ». C’était la toute première fois qu’il entendait parler du Rabbi.
Le lendemain, mon père se rendit à la synagogue, un petit bâtiment tout simple près de notre maison. Il demanda au gardien de lui ouvrir la porte : il s’approcha du Arone Hakodech (l’arche sainte où se trouve le Séfer Torah), il pria avec ferveur et s’apprêta à sortir.

* * *

Un jour de janvier 1984, Rav Moché Kotlarsky, assistant de Rav Hodakov (le secrétaire principal du Rabbi) reçut un coup de téléphone : « Lave-toi les mains » lui dit Rav Hodakov (sous-entendu : le Rabbi écoute notre conversation…) « Le Rabbi te demande de te rendre immédiatement à Curaçao ».
Quand le Rabbi demande à un ‘Hassid d’agir, celui-ci ne pose pas de question, il agit. Rav Kotlarsky se choisit un compagnon de voyage, Lévi Krinsky, un étudiant de Yechiva âgé de dix-sept ans ; tous deux se dirigèrent vers l’aéroport et prirent le premier avion en partance pour Curaçao. Arrivés là-bas et ne sachant que faire, ils prirent un taxi et demandèrent à se rendre à la synagogue.
Au lieu de les amener à la grande synagogue Mikva Israel Emmanuel (connue pour être la plus ancienne dans l’hémisphère occidental et qui est aussi un musée), le chauffeur de taxi les conduisit à une petite synagogue de quartier. En sortant du taxi, Rav Kotlarsky aperçut un homme quittant la synagogue. Pensant que cet homme pourrait l’informer de la situation des Juifs locaux, il s’approcha et se présenta : « Nous avons été envoyés par le Rabbi de Loubavitch. Nous voulons faire connaissance de la communauté. Nous avons pris une chambre à l’hôtel Plaza. Pouvez-vous nous parler de la communauté ici ? »
L’homme n’était autre que mon père qui venait de prier de tout son cœur : il faillit s’évanouir… Des envoyés du Rabbi dont sa mère lui avait parlé dans son rêve…
Il raconta à Rav Kotlarsky le problème qui rendait si amère la vie de toute la famille. Il me présenta. La première question que je posais à Rav Kotlarsky fut : « A-t-on le droit de se défendre quand on reçoit des coups ? » J’avais eu l’impression, d’après les films projetés à la télévision sur la Shoah, que les Juifs étaient faibles et ne rendaient pas les coups quand ils étaient attaqués. Il répondit : « C’est un devoir de se défendre et de faire comprendre à l’adversaire qu’il n’a pas intérêt à recommencer ». Ce Rav me plut immédiatement.
Par la suite, il m’invita à New York ; je me rendis au camp Gan Israël dans les montagnes Catskills en été puis à la Yechiva en septembre. Nos prières avaient été entendues !

* * *

Nous devrions tous prendre exemple sur le Rabbi, comment il s’occupe de chaque Juif. On n’est pas obligé d’aller jusqu’à Curaçao, cela peut être juste au coin de la rue. En suivant l’exemple du Rabbi et de ses ‘Hassidim, nous mériterons très bientôt la révélation du Machia’h.

Eli Groisman
www.chabad.org
traduit par Feiga Lubecki

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