En avant !
« Allons, voilà qui est fait ! » dira le pragmatique. « Il est temps de se remettre au travail » dira le matérialiste. « Une de plus et rien de changé ! » dira le cynique. Les fêtes sont passées, l’année est à présent bien engagée et le retour au monde peut sembler difficile. Toutes ces réactions sont, de fait, bien compréhensibles à défaut d’être totalement légitimes. Nous venons de vivre un mois différent des autres. Chargé de célébrations et surtout d’expériences spirituelles exaltantes, il a été comme un grand voyage. Et ce long parcours nous a sortis de l’espèce de grisaille ouatée qui, trop souvent, finit par constituer le quotidien. Mais voici que tout cela s’efface peu à peu à l’horizon. Voici qu’au mois de Tichri succède celui, sans fêtes, de ‘Hechvan. Et ce brutal contraste crée une pesanteur presque inquiétante. « Tout ça pour ça ? » a-t-on envie de dire. Tout cet effort et toutes ces grandeurs, tout ce vécu enthousiaste pour revenir, par la force des choses, à une morosité oubliée ? Et si une autre voie était possible ?
Une ancienne coutume veut que, lorsque les fêtes s’achèvent, on proclame dans la synagogue le verset : « Et Jacob partit sur son chemin ». Etonnant comme de simples phrases peuvent en dire long… Jacob, notre ancêtre, le Juif emblématique, reprend son voyage dit-on. Il s’est arrêté un moment mais, conscient de la nécessité de le poursuivre, il a repris la longue route. Il sait qu’elle pourra être difficile, semée d’embûches mais qu’il lui faut l’emprunter. Car elle est LE chemin, et surtout le sien. C’est ainsi qu’au sortir des fêtes nous avançons. Après la pure joie du spirituel, ce sont tous les chemins du monde qui s’ouvrent devant nous et il nous faut y revenir, les suivre car ils sont notre chemin. Par eux, nous élevons tout ce qui nous entoure. Par notre contact avec la matière, nous en faisons, au travers de la pratique des commandements de D.ieu, un lieu où la Divinité devient perceptible.
Alors, tel Jacob, nous pouvons nous interroger : d’où prendre une telle force ? Qui nous donnera l’assurance indispensable au voyage, la patience et la sûreté pour le vivre ? A Jacob, D.ieu dit : « N’aie pas peur Jacob, Mon serviteur ». Et cette phrase chante à nos oreilles. Certes, le monde a de quoi impressionner. Certes, nous y voyons, et parfois y vivons, des événements qui vont de l’incompréhensible à l’inacceptable. Pourtant, nous ne connaissons pas la peur. Nous avançons sur notre chemin, pénétrés de la force donnée par les fêtes de Tichri, toujours en nous, à notre portée dès que nous le souhaitons. Nous n’avons pas peur et ce courage seul est, en soi, un signe de victoire. Le monde est grand, le quotidien puissant mais nous savons qu’il ne demande qu’à être illuminé. L’année a commencé ; la vie est en nous et la Délivrance à notre porte.
L’esprit et le cœur
La ‘Hassidout explique les gains spirituels immenses de notre descente en exil. C’est ainsi qu’il est écrit (Isaïe 12 : 1) : « Je Te remercierai D.ieu car Tu as été en colère contre moi ». Lorsque Machia’h viendra, les Juifs remercieront D.ieu de les avoir envoyés en exil car, alors, ils verront toutes les élévations spirituelles que cela aura permis.
Cependant, en même temps, cette conscience ne doit pas atténuer notre profond désir de quitter cet exil. Pour cela, il faut proclamer, avec la plus grande sincérité, « car dans Ton salut nous espérons tout le jour ».
En fait, ce sont ces deux attitudes, l’une de conscience et l’autre d’émotion, qu’il nous faut avoir en parallèle constamment.
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch,veille d’Hochaana Rabba 5744)
Noa’h : La vie dans une boîte
D.ieu dit à Noa’h : « Viens dans la Téva. » (Beréchit 7 :1)
D.ieu parla à Noa’h en ces termes : « Sors de la Téva. » (Béréchit 8 :15-16)
Le sens littéral du mot hébreu Téva est « conteneur » ou « boîte ». La Téva dont on parle ici est l’arche que Noa’h construisit pour se protéger avec sa famille, durant douze mois, des eaux du Déluge qui ravageaient la terre.
Téva signifie également « monde ». Les mondes sont des conteneurs. Les mondes emmagasinent des idées, des sentiments et des convictions. Les mots abritent des personnalités et des communautés, définissant leurs qualités et délimitant leurs projets.
Et c’est là que réside l’intérêt contemporain du commandement divin à Noa’h : « Viens dans la Téva. » Les eaux du Déluge représentent les soucis et les tribulations qui traversent notre vie, menaçant d’engloutir notre âme et de la détourner de ses aspirations spirituelles. Ainsi la Torah s’adresse-t-elle à chacun d’entre nous : « Viens dans la Téva ! » Entre dans le monde ; là tu trouveras un refuge contre les déluges de la vie.
Lorsque l’on se réveille chaque matin, nous nous entourons de mots : « Modé Ani Lefané’ha… » : « je T’offre mes remerciements, à Toi, Roi Divin et Éternel, Qui a restauré en moi mon âme… » Ces premiers mots du jour seront suivis par beaucoup d’autres, des paroles de prière, des paroles d’étude de la Torah, qui vont amplifier la vérité simple mais puissante du « Modé Ani » : le fait que D.ieu est la source et l’objectif de notre vie et que chaque matin, Il restaure notre âme, renouvelée, fortifiée, pour faire face à tous les défis du jour. Abrités dans cette prise de conscience, nous sommes protégés des courants de peur, de doute et de désespoir qui menacent d’engloutir le nageur sans Téva qui nage dans la vie.
L’Arche flottante
A un niveau plus profond, notre Téva est maintenue à flots par les eaux du Déluge tout en nous en abritant.
Cela est également dit en allusion dans le récit que fait la Torah du Déluge de Noa’h :
« Les eaux augmentèrent et elles surélevèrent la Téva et elle s’éleva au-dessus de la terre… et la Téva se déplaça au-dessus de la surface des eaux. » (Beréchit 7 :17-18)
Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi explique le sens profond de ces versets. Il est courant pour un homme d’affaires de penser que sa prière est moins importante que celle d’un érudit dans la Torah. La vérité est que bien au contraire, « il y a une supériorité à la lumière qui vient de l’obscurité. » Quand les soucis et les préoccupations de l’existence matérielle sont sublimés à travers la prière, le résultat est bien plus élevé que la prière d’une personne qui passe sa journée entière dans des occupations spirituelles. Les eaux du Déluge de la vie matérielle élèvent en quelque sorte les paroles de prière et d’étude de la Torah à un niveau supérieur.
Peupler la Téva
La Téva était plus qu’un sanctuaire personnel pour Noa’h. Il avait reçu l’instruction d’entrer dans l’Arche avec sa famille (« toi, tes fils, ton épouse et les femmes de tes fils ») et de rassembler des espèces de toutes les créatures vivantes (« et de chaque chose vivante de toutes les chairs, deux de chaque, mâle et femelle… et de chaque aliment comestible… pour les graines vivantes sur la terre. »
Dans le même esprit, la Téva que nous créons ne doit pas seulement servir d’arche personnelle. Nous devons inviter nos « familles », nos frères humains que nous connaissons, à pénétrer dans les paroles de sainteté et de sens grâce auxquelles nous naviguons dans les eaux hasardeuses de la vie matérielle. Plus encore, notre Téva doit également recevoir les éléments non humains de notre environnement. Chaque fois que nous ajoutons l’une des ressources de notre monde dans un but divin, nous la faisons appartenir à ce monde protégé, sanctifié par les paroles de la Torah et de la prière. Les aliments qui procurent l’énergie pour prier, le papier et l’encre qui facilitent notre étude de la Torah, les ressources et les talents que nous mettons en œuvre et qui nous permettent de gagner de l’argent pour donner de la Tsédaka (charité), tous sont les spécimens sauvés du déluge de la matérialité et apportés dans le sanctuaire du monde divin dans lequel nous enveloppons notre vie.
« Entre, sors »
L’appel divin : « Viens dans la Téva » fut suivi du commandement « Sors de la Téva. » Quand les eaux du Déluge baissèrent, D.ieu ordonna à Noa’h de sortir de la Téva et de recréer un monde nouveau à partir du micro univers qu’il y avait abrité.
Nous aussi sommes appelés à « sortir de la Téva. » Une fois que nous avons créé un sanctuaire de Divinité dans le monde de la matérialité, nous devons le transplanter en dehors des murs de notre Téva.
Cela s’applique à la fois au niveau personnel et au niveau universel. Dans notre propre vie, l’heure inviolable de la prière du matin doit exercer un effet sanctificateur sur notre journée de travail qui lui fait suite. Le temps que nous réservons à l’étude de la Torah doit imprégner notre processus intellectuel et les décisions que nous prenons, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. L’argent que nous donnons à la charité doit influencer la manière dont nous considérons toutes nos possessions et nos richesses.
Au niveau communautaire et universel, la sainteté de notre Téva, de notre vie protégée, doit s’étendre au-delà des limites de notre propre vie et exercer un impact sur notre communauté et sur la société en tant qu’entité.
En dernier ressort, nos efforts individuels et collectifs se traduiront par l’harmonie et la perfection universelles de l’Ère Messianique.
Dans ce domaine également, la Téva de Noa’h est notre prototype et notre modèle. L’Arche de Noa’h constitue un précédent microcosmique de l’ère du Machia’h. Toutes les espèces animales, y compris celles qui sont ordinairement des proies les unes pour les autres, coexistaient en harmonie, à l’intérieur de ses murs, annonçant l’ère où « le loup résidera avec l’agneau et le léopard sera allongé près du chevreau… ils ne se feront pas de mal et ne s’entretueront pas sur toute Ma montagne sainte, car le monde sera rempli de la connaissance de D.ieu comme les eaux recouvrent la mer. »
Le commandement divin fait à Noa’h « sors de la Téva, » était également l’instruction de commencer à réaliser cet idéal à l’échelle universelle. Pour nous, il exprime l’impératif de transplanter la sainteté et la sérénité de notre propre sanctuaire de la Téva dans le monde, en général, dans l’attente du monde divin parfait de Machia’h, un monde libéré de la cupidité, de la jalousie et de la haine et rempli de la connaissance et de la bonté de Son Créateur.
Quelles sont les « Sept Lois des Enfants de Noé » ?
Après le déluge, Noé et ses enfants reçurent de D.ieu sept lois à appliquer universellement afin que plus jamais le monde ne connaisse pareille catastrophe.
Lors du don de la Torah sur le mont Sinaï, D.ieu répéta ces lois que les Juifs ont donc l’obligation d’enseigner aux non-Juifs quand ceux-ci manifestent le désir de les connaître. Si un non-Juif apprend les détails de ces lois et les applique, non pas parce qu’il les trouve logiques et bénéfiques mais pour obéir à D.ieu, il est considéré comme un « Juste des Nations ».
1) Croire en D.ieu, placer sa confiance en Lui et ne pas adorer d’idoles.
2) Ne pas blasphémer le Nom de D.ieu, Le respecter et Le louer.
3) Ne pas tuer, respecter la sainteté de la vie humaine.
4) Ne pas commettre d’adultère ou toute autre relation interdite ; respecter la sainteté du mariage.
5) Ne pas voler, respecter les droits et la propriété d’autrui.
6) Ne pas consommer la chair d’un animal vivant : éviter la cruauté envers les animaux.
7) Etablir des cours de justice et respecter leurs décisions.
Par ailleurs, au cours des générations, les nations ont adopté d’autres lois :
- Respecter les parents.
- Donner la charité.
- Prier.
Ces lois comportent de multiples détails qu’il convient d’étudier minutieusement et de réviser souvent, en particulier à la fin du Michné Torah du Rambam (Maïmonide).
Si toutes les nations du monde se conformaient strictement à ces lois, le monde se porterait beaucoup mieux. Nombre de non-Juifs s’y sont déjà engagés.
(d’après « The Path of the Righteous Gentile » - Clorfene et Rogalsky)
La maman, le révolutionnaire, le président et le rabbin
« Monsieur le rabbin, je suis sûre que vous êtes la seule personne qui puisse sauver mon fils d’une mort certaine ! Je vous en supplie ! » sanglotait la femme désemparée qui surgit un jour dans les bureaux de la synagogue de Donetsk, en Ukraine.
Rav Pin’has Vishedsky et son épouse Ne’hama avaient l’habitude d’aider les autres Juifs mais cette requête-là était… disons plus compliquée que les autres. Entre deux crises de larmes, Rav Vishedsky finit par comprendre de quoi il s’agissait.
On était en 1998 : une révolution avait éclaté en Géorgie ex-soviétique, fomentée par des partisans de l’ancien président déchu, Zviad Gamsakhourdia afin de tenter de renverser l’actuel gouvernement, dirigé par le Premier Ministre Edouard Chevardnadze. Le fils de la dame – qui avait effectué son service militaire dans une unité d’élite de l’armée ukrainienne – avait été enrôlé par les rebelles de la Géorgie voisine. On lui avait promis de fortes sommes d’argent pour d’éventuelles activités de guérilla contre l’armée officielle de Géorgie. Attrapé en flagrant délit, il était maintenant détenu dans une prison en Géorgie et risquait la peine de mort. Sa mère insistait pour que le rabbin intervienne et sauve son fils.
On peut imaginer les difficultés : Rav Vishedsky vivait en Ukraine et n’avait aucun lien avec la Géorgie et encore moins avec son gouvernement, ancien ou actuel. Il n’avait aucune envie de s’impliquer d’un côté ou de l’autre, désapprouvait évidemment l’usage de la force et de la terreur et, surtout, n’avait aucune idée de comment il pourrait aider qui que ce soit dans ce conflit.
Mais la femme insistait : « Je suis sûre que vous pouvez écrire une lettre au président Chevardnadze pour qu’il gracie mon fils ! ».
Le rabbin réfléchissait : « C’est totalement irréaliste ! Cependant, même s’il est absolument immoral d’user de terreur, son fils est un Juif et je dois agir ! ». Il demanda à la dame tous les détails et promit d’écrire une lettre. La femme était soulagée et le remercia comme s’il avait déjà réussi à obtenir la libération de son fils.
Mais quoi écrire ? Et surtout, à qui et à quelle adresse ?
Finalement, il décrivit le prisonnier comme un jeune homme naïf, victime d’une bande de truands. Il avait été bien élevé par sa mère, avait servi loyalement son pays mais s’était laissé persuader par des gens sans foi ni loi qui lui avaient fait miroiter toutes sortes d’arguments humanitaires… « Si vous accordez une seconde chance à ce jeune homme, ajouta-t-il à la fin de sa missive, et si vous acceptez de le libérer, je prends personnellement la responsabilité de m’occuper de lui, de lui enseigner les fondamentaux de la morale universelle afin qu’il devienne un citoyen stable, honnête et travailleur ».
A la fin de la lettre, il multiplia les bénédictions de santé et de succès pour le Premier Ministre par le mérite de la grâce présidentielle qu’il accorderait à ce jeune homme naïf.
Envoyer la lettre en la glissant dans la boîte devant le bureau de poste ne servirait à rien : ce ne serait qu’un autre papier sur des montagnes de courrier et cela n’attirerait jamais l’attention de l’homme politique. Rav Vishedsky procéda à une petite enquête et apprit que l’ambassade britannique en Géorgie œuvrait activement en faveur des prisonniers. Il fit donc parvenir sa lettre à l’ambassade britannique en Ukraine en précisant qu’il fallait la transmettre à celle de Géorgie : l’ambassadeur anglais devrait alors la remettre en mains propres au président Chevardnadze.
« Ce fut une longue entreprise, se souvient Rav Vishedsky et, en toute franchise, je n’y croyais pas vraiment moi-même. Mais il y avait là une femme juive seule et un jeune Juif dont la vie était en danger : je devais tout mettre en œuvre pour leur venir en aide.
Durant deux mois, je n’eus aucune nouvelle – comme je m’y attendais en fait. Puis, un jour, un jeune homme frappa à notre porte en demandant à me parler de toute urgence. C’était le fils de cette dame qui venait me remercier de lui avoir sauvé la vie !
J’étais complètement abasourdi ! Cette initiative totalement surréaliste avait donc porté ses fruits ! Après une nouvelle enquête discrète, j’appris que le Premier Ministre Chevardnadze avait été impressionné qu’un rabbin prenne la responsabilité de remettre sur le droit chemin un jeune délinquant et il avait donc signé le décret de grâce présidentielle ! Fidèle à ma parole, je pris ce jeune homme sous mes ailes pour ainsi dire. Bien vite, je réalisai que, comme je l’avais écrit dans ma lettre, c’était effectivement un jeune homme droit et capable d’améliorer sa conduite et sa vie. Il n’avait jamais participé à des actions terroristes mais on l’avait menacé s’il refusait de coopérer avec les révolutionnaires.
Il se mit à fréquenter assidument notre Yechiva et, maintenant, avec sa femme et ses enfants, participe à toutes nos activités et est même devenu un pilier de notre communauté ».
Malka Touger – N’shei Chabad Newsletter N° 6605
Traduit par Feiga Lubecki