Semaine 42

  • Noa’h
Editorial
Retour au monde

Nous voici donc de retour ! Le mois de Tichri nous a entraînés dans une sorte d’au-delà du temps et du monde. Il nous a fait vivre des expériences inconnues jusque là. Il nous a emportés en un royaume où seule la préoccupation du spirituel importe. C’est ainsi qu’il nous a donné des forces nouvelles et que nous nous sentons aujourd’hui pleins d’une énergie que rien ne pourrait dompter. Pourtant tout cela doit prendre fin. Le cycle des choses a repris son cours pour ainsi dire naturel et le texte de la Torah même semble nous rappeler comme tout décidément recommence. Cet instant est, dès lors, crucial : saurons-nous passer d’un temps de merveilles à ce qui paraît n’être comparativement que routine quotidienne ? En d’autres termes, peut-on garder en cœur et en tête le sens du prodige quand la matérialité du monde fait sentir tout son poids ? Décidément, y a-t-il un avenir après les fêtes de Tichri et alors que le mois s’est bien achevé ?
Une telle question est loin d’être purement rhétorique. C’est que la vie ne peut se dispenser d’un projet, d’une direction qui permette de savoir comment la construire jour après jour. Les fêtes que nous venons de vivre ne peuvent donc rester de simples et agréables souvenirs ; elles doivent être des composants majeurs de notre nouvelle conscience, jusqu’à nous donner les moyens et nous indiquer les chemins d’une avancée infinie.
On a raison de dire que le texte de la Torah et le défilement de son cycle annuel nous donnent toujours de précieuses leçons. On a sans doute également raison de penser que, si l’occurrence de telle histoire dans ce cycle semble parfois le pur effet du hasard, cela n’est vrai qu’à nos yeux qui ont bien du mal à voir la réalité profonde des choses. C’est justement cette semaine que retentit dans toutes les synagogues l’épopée de Noé : le Déluge. Une histoire fantastique : l’immoralité, la perte de soi et la disparition de l’humanité dans les eaux déchaînées du ciel et de la terre pour faire place à un nouveau commencement. Mais le Déluge n’est pas seulement la narration d’un événement antique, il est aussi histoire de notre temps. Le Déluge qui emporte tout sur son passage n’est-il pas ainsi la figure du vacarme du monde qui efface l’essentiel, comme les eaux recouvrirent la création ? Le Déluge n’est-il pas une image de la fin de la sérénité rayonnante qui a marqué le mois de Tichri ? Si c’est bien le cas, le remède est connu : l’arche. En hébreu, cela se dit «Téva», un terme qui peut aussi se traduire par «mot». Entrer dans l’arche n’est plus simplement trouver refuge dans un bateau, c’est aussi embarquer dans les mots : ceux de la prière et de l’étude.
Au-dehors, le déluge gronde ? Le monde refuse de faire silence ? Il entend réoccuper la place dont les fêtes l’avaient chassé ? C’est dans les mots que tient notre réponse, celle de l’éternel Peuple du Livre.
Etincelles de Machiah
La matérialité de l’homme

A l’époque du Beth Hamikdach, les Juifs, par nature, éprouvaient le désir profond et sincère de servir D.ieu. Pour eux, les affaires de ce monde n’étaient que nécessité, ils ne les recherchaient que de manière superficielle, sans ardeur particulière.
En temps d’exil, c’est l’inverse qui est vrai. L’homme, par nature, ressent une attirance pour l’aspect matériel du monde tandis que le service divin, l’amour de D.ieu n’aboutissent qu’au terme d’un effort intense.
C’est la situation antérieure que le Machia’h rétablira.
(d’après Likoutei Torah, Ki Tétsé, p.40a)
Vivre avec la Paracha
Noa’h : Voir ou ne pas voir

«Et Noa’h, l’homme de la terre, s’avilit et planta une vigne. Il en but son vin et s’enivra et il se dénuda dans sa tente. Et ‘Ham, le père de Canaan, vit la nudité de son père et en parla à ses deux frères, à l’extérieur. Et Chem et Yaphèt prirent une couverture, la mirent sur leurs deux épaules et ils marchèrent à reculons et couvrirent la nudité de leur père ; leurs visages étaient détournés et ils ne virent pas la nudité de leur père.» (Beréchit 9 : 20-24)

Ce qui interpelle dans ce récit est l’apparente redondance du dernier verset : «leurs visages étaient détournés et ils ne virent pas la nudité de leur père». N’est-il pas évident, à moins de posséder des yeux derrière la tête, que si «leurs visages étaient détournés», «ils ne virent pas la nudité de leur père» ?
Si l’on prend compte de l’utilisation méticuleuse que fait la Torah pour chacun des mots qu’elle emploie, nous ne pouvons que conclure que ces mots, apparemment superflus, sont là pour nous indiquer quelque chose d’important.

Le miroir
Le saint Baal Chem Tov enseigne : «si tu vois du mal chez ton prochain, c’est ton propre mal que tu es en train d’observer». Comme un miroir qui ne réfléchit rien d’autre que ce que l’on met devant, ce que l’on perçoit chez l’autre ne fait que réfléchir ce que l’on possède en soi-même.
En d’autres termes : les gens tendent à projeter leurs propres problèmes, leurs propres défauts, déficiences et insécurités chez les autres, les considérant exactement comme ils devraient le faire pour eux-mêmes et y travailler.
Mais est-ce toujours le cas ? Voir un défaut chez l’autre signifie-t-il toujours que c’est soi-même que l’on regarde ?
Le fondement de cette idée est simple.
Le principe de la Providence Divine veut que non seulement chaque rencontre soit orchestrée par D.ieu mais que cette rencontre précise doit apporter un bienfait à celui qui l’expérimente. Car s’il n’avait rien à en apprendre, dans quel intérêt D.ieu l’aurait-Il organisée ?
Ainsi, tout ce qui vient à nous, quoi que ce soit, à quelque moment que ce soit, de quelque manière que ce soit et chez qui que ce soit, fait partie intégrante d’une conversation qui se mène entre D.ieu et nous. Nous pouvons trouver une réponse à nos questions, une solution à nos difficultés lorsque, tout simplement, nous marchons dans la rue, empruntons le métro ou nous promenons dans un parc.
Il suffit de prêter attention.
Cela revient donc à dire que, si le Ciel nous a conduits à une situation où nous observons un défaut chez quelqu’un, il s’agit d’une gentille manière de nous dire qu’il est temps pour nous de regarder à l’intérieur de nous-mêmes.
Mais pourquoi l’exprimer de façon détournée, par le biais de la révélation des manquements d’autrui ? Pourquoi ne pas s’adresser à nous directement ?
Malheureusement, cela ne fonctionnerait pas très bien car nous, humains, ne sommes pas naturellement enclins à accepter les critiques de bon cœur. Si nous ne le discernions pas chez autrui, jamais ne verrions-nous le mal en nous-mêmes.

Un reproche amical
Cependant une question se pose encore.
Nous l’avons vu, le principe de base du Baal Chem Tov est la Providence Divine. Si cela ne me concernait pas, D.ieu ne me donnerait pas l’occasion de l’observer. Mais, le fait de voir le défaut de mon ami ne peut-il pas simplement signifier que je peux l’aider à se corriger ? Peut-être est-ce là la raison pour laquelle D.ieu m’a mis face à ce manquement ?
C’est une idée réconfortante car tout le mal que j’observe chez les autres n’existerait pas alors nécessairement chez moi…
Mais ce n’est pas le cas. En effet, si les points négatifs que je constate chez autrui avaient pour seul but que je l’aide à se ressaisir, je n’en viendrais pas à mal le considérer mais seulement au besoin de l’aider. Il n’y aurait pas de jugement de ma part mais seulement la conscience du besoin d’aide.

Miroir ou fenêtre
Imaginons que nous voyons quelqu’un aller au-delà d’une pancarte indiquant en lettres rouges : ATTENTION DANGER. NE DEPASSEZ PAS CETTE LIMITE. Et sous les yeux horrifiés des témoins, cet homme se retrouve en situation de danger.
Dans ce moment critique, quand quelque chose peut encore être fait pour le sauver, allons-nous nous plonger dans nos pensées et réfléchir à sa stupidité ? N’a-t-il pas vu la pancarte ? S’est-il cru plus intelligent que les experts qui l’ont placée ? Se prend-il pour un héros ?
N’allons-nous pas plutôt nous jeter dans l’action avec l’espoir de le sauver ?
Ces différentes réactions et attitudes indiquent clairement si ce que nous voyons chez les autres est ou n’est pas un reflet de ce que nous sommes.
Si nous jugeons, c’est nous qui méritons d’être jugés. Si nous considérons notre proche comme un accusé dans un procès, c’est nous qui sommes les accusés de ce procès. Notre ami n’est rien de plus qu’un miroir qui nous renvoie une image objective de ce que nous sommes. En fait, il mérite notre gratitude pour nous avoir permis de découvrir une partie de nous-mêmes.
Mais si, nous voyons en lui un blessé qui a besoin d’être secouru, quelqu’un que nous pouvons aider, nous regardons alors à travers une fenêtre et non un miroir.
«Et Noa’h, l’homme de la terre, s’avilit et planta une vigne. Il en but son vin et s’enivra et il se dénuda dans sa tente.»
Il ne fait aucun doute que Noa’h commit une erreur, tout comme il ne fait aucun doute qu’il avait besoin d’aide.
«Et ‘Ham, le père de Canaan, vit la nudité de son père et en parla à ses deux frères, à l’extérieur.»
‘Ham choisit de juger et de colporter. Il ne choisit pas d’agir.
Pour lui, Noa’h servit de miroir, clair comme le cristal.
«Et Chem et Yaphèt prirent une couverture, la mirent sur leurs deux épaules et ils marchèrent à reculons et couvrirent la nudité de leur père.»
Chem et Yaphèt choisirent d’agir.
«Leurs visages étaient détournés et ils ne virent pas la nudité de leur père.»
Ils ne jugèrent pas. Ils ne virent pas, c’est-à-dire ne s’attardèrent pas sur le fait que leur père était nu. Pour eux, Noa’h était une «fenêtre».
Le Coin de la Halacha
En quoi consiste l’interdiction de retarder le salaire de l’employé?

Nul ne doit engager un employé s’il n’a pas les moyens de payer son salaire au jour prévu. C’est une Mitsva (obligation) de donner le salaire à l’employé en temps voulu comme il est écrit : «Tu ne retiendras pas le salaire de l’employé… Tu lui donneras son salaire en son temps et le soleil ne se couchera pas pour lui (sans que tu lui aies donné sa paie) car il est pauvre et il attend avec angoisse (son salaire). Ainsi, il n’invoquera pas contre toi le Nom de l’Éternel et tu serais trouvé fautif» (Deutéronome 24 : 14-15). Dès la fin de la journée (ou de la nuit) où s’est achevée sa période de travail (quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle) et si l’employé a réclamé, le patron transgresse cette interdiction de retarder le salaire – s’il dispose de la somme nécessaire.
Cependant, si le patron ne dispose pas de tout l’argent nécessaire, il devra au moins donner dans l’immédiat ce qu’il peut en s’engageant à payer le solde au plus vite.
Même si l’employé est riche, le patron n’a pas le droit de retarder son salaire. Cependant, s’il a deux employés et ne peut en payer qu’un seul, il donnera en priorité sa paie à l’employé pauvre.
Même dans le cas où le patron n’a pas de quoi payer ses employés, il est recommandé qu’il n’hésite pas à s’endetter pour payer les salaires. (Le saint Ari Zal - Kabbaliste du 16ème siècle vivant à Safed - retardait parfois la prière de Min’ha afin de trouver l’argent nécessaire pour payer ses employés avant le coucher du soleil).
Si le fait de payer les employés causerait une crise sérieuse pour les finances de l’entreprise, le patron n’est pas obligé de s’endetter. Cependant, si l’entreprise est vraiment au bord de la faillite, le patron est obligé de s’endetter et de payer ses employés coûte que coûte. Si, après discussion, les employés acceptent d’attendre le paiement de leurs salaires afin de sauver l’entreprise et leurs emplois, le patron ne transgresse pas l’interdiction.

F. L. (d’après Rav Yosef Ginsburgh – Sichat Hachavoua n°1338)
De Recit de la Semaine
La lettre qui ne fut jamais envoyée

Les spécialistes de l’aviation en France connaissent bien M. Mickaël Allouche, ingénieur expert dans la construction d’avions et lauréat du prestigieux prix international UVS. Depuis de nombreuses années, M. Mickaël Allouche s’est rapproché du mouvement Loubavitch et, suite au décès de Rav Yossef Wineberg, il raconte comment il a été personnellement touché par la personnalité de ce ‘Hassid hors du commun.
«Je suis arrivé de France à Johannesburg en Afrique du sud en hiver 1988 avec ma femme et mes enfants. Pour cela, j’avais reçu en son temps l’accord et la bénédiction du Rabbi. On m’avait proposé, de façon tout à fait inattendue, ce poste d’ingénieur conseil dans les industries locales et c’était une opportunité à ne pas laisser passer.
Le 13 Tévet, nous avons emménagé dans un quartier à forte population juive ‘hassidique. L’ancien propriétaire nous a fait visiter la maison en nous expliquant qu’il était essentiel de bien fermer la maison chaque soir : non seulement les portes qui donnaient vers l’extérieur mais même les portes qui séparaient les chambres à coucher de la salle à manger. Il insista : «Si vous entendez que quelqu’un a fait irruption dans la maison pendant la nuit, ne tentez pas de vous approcher ! Restez bien enfermés dans les chambres à coucher et faites semblant que vous continuez à dormir. Dans ce pays, les voleurs ne se contentent pas de voler, ils n’hésitent pas à tuer !»
Bien que nous soyons arrivés là avec la bénédiction du Rabbi, il est évident qu’une telle «réception» nous fit froid dans le dos : nous ne pouvions plus nous sentir en sécurité ! Je me suis immédiatement assis pour écrire une lettre au Rabbi : je racontai combien nous nous sentions angoissés et je demandai une bénédiction «pour parvenir à surmonter notre peur».
Une heure plus tard, un des Loubavitch qui avait entendu parler d’une famille juive qui venait d’arriver de l’étranger pour s’installer dans la ville nous a téléphoné pour nous inviter : «Rav Yossef Wineberg, Chalia’h (émissaire) personnel du Rabbi se trouve actuellement dans notre ville ! Il va animer un Farbrenguen, une réunion ‘hassidique, chez moi avec quelques personnes ! Venez vous joindre à nous !»
Cette invitation me réjouit, c’était pour moi l’occasion de faire connaissance avec ma nouvelle communauté.
Rav Wineberg commença par expliquer pourquoi la date du 13 Tévet était particulièrement importante pour lui personnellement : c’était l’anniversaire de la dernière entrevue qu’il avait eue en 1950 avec le Rabbi Précédent, Rabbi Yossef Yits’hak Schneersohn de mémoire bénie, quelques semaines avant son décès. Il raconta tout ce que le Rabbi lui avait affirmé alors sous l’emprise d’un Roua’h Hakodèch, une inspiration sainte évidente, prédisant même des événements qui ne devaient lui arriver effectivement que vingt ans plus tard.
Puis Rav Wineberg se mit à chanter des Nigounim, des mélodies ‘hassidiques poignantes ; toute sa personnalité reflétait une croyance profonde, une assurance parfaite dans les paroles des Rebbeim. Ceci m’impressionna profondément. A la fin de la soirée, Rav Wineberg qui avait compris que je venais d’arriver de France et qui craignait que je ne comprenne pas l’anglais me demanda dans un français hésitant : «Vous avez compris tout ce que j’ai raconté ?» Je répondis timidement : «Je crois que oui !»
En vérité, non seulement j’avais très bien compris mais j’avais retiré de cette réunion une assurance renouvelée : avec tous mes membres, j’avais déduit le point essentiel de son message ! Je partis de là le cœur léger : j’avais reçu une bénédiction du Rabbi pour m’installer en Afrique du sud, je n’avais rien à craindre !
Quand je rentrai plus tard à la maison, j’eus un peu honte de moi : comment pouvais-je envoyer au Rabbi une lettre en demandant «une bénédiction pour me rassurer» alors que son émissaire personnel venait de nous parler d’une façon aussi impressionnante ? Je décidai de ne pas envoyer la lettre ! Je considérai que j’avais déjà reçu la réponse du Rabbi par l’intermédiaire de son Chalia’h !
J’ai conservé cette lettre «qu’apparemment» je n’avais pas envoyée au Rabbi mais je n’avais jamais raconté cette histoire à qui que ce soit.
Quelques années plus tard, après que nous ayons fait notre Alya et que nous nous soyons installés en Israël, ma fille aînée partit étudier au séminaire Beth Hanna de Melbourne. Elle me téléphona un jour en racontant que Rav Wineberg allait donner une conférence devant toutes les élèves : je lui demandai de raconter au Rav la profonde impression qu’il m’avait faite un certain 13 Tévet à Johannesburg. Elle transmit mon message et Rav Wineberg remarqua alors, étonné et comme soulagé d’avoir enfin compris un mystère : «Le fait est que je voulais arriver en Afrique du Sud déjà au mois d’Elloul. Maintenant que j’entends cette histoire, je comprends enfin pourquoi le Rabbi m’avait demandé plusieurs fois de repousser mon voyage !»
La force de l’émissaire (que lui-même ne soupçonne pas) !

Aharon Dov Halperin – Kfar Chabad n°1469
Traduit par Feiga Lubecki
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