Editorial
Invitation au voyageL’événement a déjà une semaine mais il est, sans aucun doute, trop important et nécessaire pour qu’on n’en évoque pas la portée, ne serait-ce que le temps d’un éditorial. En effet, la semaine dernière a vu la conclusion du cycle annuel de l’étude du Michné Torah, l’œuvre centrale de Maïmonide. Pour la 26ème fois, des milliers de Juifs, dans le monde entier, ont achevé l’étude quotidienne de cet ouvrage qui regroupe et développe l’ensemble des lois édictées par la Torah pour recommencer au début immédiatement. Au bout de 26 ans, c’est un fait devenu habituel et justement, l’habitude, si elle n’a rien retiré à la puissance de l’événement, nous a peut-être fait perdre une certaine capacité d’émerveillement qui, ici, a toute sa place.
Il faut mesurer de quoi il est question. Il y a 26 ans, le Rabbi de Loubavitch instaura cette étude régulière. Il était ainsi demandé à chacun d’étudier ces textes quotidiennement sur un rythme qu’il pouvait choisir : un chapitre du Michné Torah par jour, de manière à terminer l’ouvrage en trois ans, trois chapitre par jour pour le conclure en un an ou quelques commandements tirés du Séfer Hamitsvot, également de Maïmonide, concernant le sujet abordé dans le cycle annuel du Michné Torah. Chacun put alors se déterminer selon sa disponibilité ou son degré de connaissance. Et on assista à un véritable prodige. Des hommes, des femmes, des enfants entreprirent cette étude comme on entreprend un voyage au long cours. Alors que cette intimité avec Maïmonide, que seule peut donner l’étude assidue de son œuvre, paraissait jusqu’ici réservée à une élite restreinte d’érudits, elle devint le privilège de tous. Des dizaines de milliers de personnes, dans tous les pays, ajoutèrent à leur étude de la Torah déjà existante et bien d’autres connurent, à cette occasion, pour la première fois, le bonheur de la fréquentation des livres. Plus encore, suivant le calendrier d’étude fixé, ils étudièrent, dans le même temps, les mêmes sujets, réalisant, par delà les frontières, les mers ou les montagnes, une prodigieuse unité de l’âme et de l’esprit.
Cela fait 26 ans que tout commença et, depuis, cela ne s’est pas interrompu. La célébration en avait lieu la semaine dernière. Depuis 26 ans, bien des choses ont changé et, sans doute, le monde n’est-il plus le même. Mais le changement le plus profond est celui de cette étude. Sa lumière ne cesse de grandir ; elle rend notre vie toujours plus lumineuse. Aujourd’hui, le Michné Torah, le Séfer Hamitsvot existent en français, ils sont accessibles à tous. Le grand voyage de l’étude de Maïmonide a certes commencé il y a 26 ans mais chacun peut s’y joindre quand il le souhaite, pour le prix d’une décision. C’est là le voyage d’une vie.
Etincelles de Machiah
Machia’h maintenant !Rachi écrit (sur Béréchit 49 : 1) : «Jacob voulut révéler la fin (de l’exil)». De même un Juif doit désirer et demander que la Délivrance se concrétise enfin. Plus encore, cette demande même – et la réflexion qui l’accompagne – lui apporte aide et encouragement dans son service de D.ieu. Quand un Juif apprend que «Machia’h est au coin de la rue» ou que «nous voulons Machia’h maintenant», cela intensifie son effort spirituel et le conduit à veiller davantage à ce que rien ne retarde cette venue.
(d’après Likoutei Si’hot, vol. XX, p. 234) H.N.
Vivre avec la Paracha
Kora’h :Kora’h, dont la rébellion mal intentionnée contre la position de Moché et d’Aharon est relatée dans notre Paracha, constitue l’exemple absolu de la discorde et du conflit. De fait, selon le Talmud, lorsque la Torah désire nous prévenir contre les dangers de la disharmonie et du manque d’unité, elle s’exprime en ces termes : «ne te comporte pas comme Kora’h…»
Le Talmud relate que le grand Sage, Rabbi Méir, déduisait du nom de l’individu quelle était sa nature. Les Kabbalistes affirment qu’il en va de même pour chaque créature, chaque objet et chaque phénomène. Cela tient au fait que les lettres du Aleph-Beth (alphabet hébraïque) sont la pierre angulaire de la création, leur association pour former un mot en langue sainte définissant la «forme» et le caractère de son âme pour lui donner existence et vitalité.
Il en va ainsi pour le nom «Kora’h». L’association des trois lettres qui constituent ce nom marquent les contours de ce qu’est un conflit, des différentes manières de détourner et de corrompre l’harmonie divine de la Création.
Le monde : un «Hé»
Si l’âme de chaque création individuelle est codifiée par les lettres qui forment son nom, le cœur de la réalité envisagée comme une entité est renfermée dans la lettre «Hé». Elle est formée de trois lignes : une ligne horizontale supérieure qui forme le «toit» de la lettre, et deux lignes verticales, l’une à la droite de la ligne supérieure et l’autre à sa gauche, formant ses «jambes». La ligne de droite est attachée à la partie droite du «toit» tandis que celle de gauche laisse un petit espace entre la ligne horizontale supérieure et la ligne verticale.
Les trois lignes du «Hé» représentent trois dimensions de notre réalité : la pensée, la parole et l’action. La ligne supérieure représente le monde de la pensée, la ligne à droite, la parole et la ligne à gauche, l’action.
Nous avons tous à l’esprit la vision d’un monde idéal, d’un monde défini par nos instincts les plus purs et par notre connaissance du potentiel de perfection et de bonté qu’y a investi notre Créateur. C’est là la dimension «pensée» de la réalité, représentée par cette ligne supérieure.
La «parole», qui représente la tentative d’articuler cette pensée pour nous-mêmes et pour nos prochains, est la «jambe» droite du «Hé». En étudiant, enseignant et communicant les idéaux contenus dans le monde de la «pensée», nous créons un monde de mots qui permet aux idées supérieures mais abstraites du «Hé» de s’exprimer dans la dimension plus concrète de la parole.
La «jambe» gauche du «Hé» représente le monde de l’action. C’est le lieu de notre interaction avec le monde matériel pour le façonner et le transformer selon la vision que nous en avons dans notre esprit. Tout comme la parole, l’action est une extension vers le bas, vers une expression plus concrète du royaume de la pensée. Cependant, il existe une différence marquée entre la parole et l’action.
Par la parole, nous pouvons forger une réalité qui est l’extension directe de notre pensée. Nous pouvons exprimer une idée, communiquer notre vision et notre foi. Mais quand nous tentons d’appliquer nos idéaux au monde de l’action, nous nous trouvons face à un fossé, une incohérence entre l’idéal et le réel. Nous agissons dans le monde mais tôt ou tard, nous rencontrons une résistance, une barrière entre ce que nous désirons profondément et la réalité qui nous fait face.
Ce fossé entre la pensée et l’action fait partie intégrante du monde réel. C’est ce qu’expriment nos Sages quand ils disent que le monde fut créé à partir du «Hé» : ce fossé est réel. Il n’est pas une illusion, il a été mis en place par le Créateur Qui désirait qu’il fasse partie de notre existence. Car c’est cette dichotomie, cette tension entre l’idéal et le réel qui conduisent au sens et à l’accomplissement et en dernier lieu, à l’harmonie réelle dans notre vie.
Le réaliste
Les trois lettres qui forment le nom «Kora’h» : «Kouf», «Réch» et «’Hèt» ressemblent toutes au «Hé». le «Kouf» est un «Hé» dont la jambe droite descend plus bas, le «Réch» est un «Hé» auquel il manque la jambe droite et le «‘Hèt» est un «Hé» sans l’espace, dont la jambe droite est collée au toit. Apparemment, ce sont des lettres plus harmonieuses : la dissonance entre la pensée et la parole, d’une part, et la pensée et l’action, de l’autre est résolue ou pour le moins peut suivre son cours naturel. Mais en réalité, il s’agit de tout le contraire et ces lettres sont le symbole de la discorde. Car chacune de ces lettres est une distorsion du «Hé», une corruption de la manière dont D.ieu désire que nous percevions Sa création et agissions.
Le premier de ces détournements se retrouve chez l’ultra réaliste. C’est une personne qui non seulement reconnaît le fossé entre la pensée et l’action mais qui, de surcroît, l’accepte. Pour elle, le monde est un «Kouf», un monde dont le côté gauche n’est pas seulement séparé des deux autres lignes mais descend également plus bas que la ligne qui les délimite. Dans un tel monde, les règles qui dirigent l’action ne sont pas les mêmes que celles qui dirigent la pensée et la parole. «Bien sûr, j’ai mes idéaux, je sais faire la différence entre le bien et le mal. C’est là le monde de ma pensée, ce sont les vérités que j’enseigne à mes enfants ! Mais je ne suis pas naïf au point de croire que ces vérités peuvent être appliquées telles quelles et sans compromis dans le monde de l’action, dans un monde de matérialité. Ce sont deux domaines différents. Je ne ferai jamais de compromis dans mes convictions mais la façon dont nous pensons le monde, dont nous en parlons sera toujours d’un niveau plus élevé que la façon dont nous devons y agir.»
Deux idéalistes
A l’autre extrême, nous rencontrons l’ultra idéaliste. C’est celui qui, ne pouvant affronter le fossé qui sépare le monde matériel de ses pensées et de ses paroles, préfère ne pas du tout affronter le monde. Pourquoi me frotter à un monde qui me salira ou tout au moins corrompra mes idéaux les plus hauts ? Sa réponse est d’éliminer entièrement la deuxième jambe du «Hé», celle de l’action et d’investir toute son énergie dans la pensée et la parole, de vivre dans un monde de théorie, vidé de tout investissement dans la réalité.
La troisième corruption du «Hé» est le «‘Hèt» qui représente une forme plus subtile mais pas moins destructrice d’idéalisme. Plutôt que de désavouer la jambe gauche, elle désavoue le fossé la séparant du toit, proclamant qu’il n’existe pas de séparation entre les différents règnes de la création de D.ieu. Le matériel, affirme le tenant d’une telle conception, n’est pas moins sacré que le spirituel, les actions ne sont pas moins pures que les paroles, les deux jambes ont le même lien avec le toit et peuvent identiquement traduire les idéaux dans la réalité.
Le problème de cette vision de la réalité est qu’elle manque de clairvoyance sur la réalité du monde de l’action et qu’elle apporte une satisfaction trop facile.
La tension
Parce qu’elles refusent d’accepter le monde comme il a été créé par D.ieu, ces trois approches de Kora’h aboutissent à un conflit chaotique.
Par contre, la perspective du «Hé» est la formule pour parvenir à une harmonie réelle et durable. Elle définit le monde de l’action comme séparé des mondes de la pensée et de la parole mais confiné dans les frontières qu’ils délimitent. En d’autres termes, le fossé entre la pensée et l’action est bien réel mais cela ne signifie pas pour autant que nous ne pouvons transformer le monde matériel par nos actions et le mettre en accord avec les idéaux qui sont les nôtres et que nous tentons de propager.
Ce fossé est source de tension et de dissonance, mais elles sont constructives dans la mesure où elles nous poussent à relever les défis pour défendre et réaliser nos aspirations dans la vie.
Le Coin de la Halacha
Question : Est-il permis de vendre un terrain, une maison ou toute autre propriété dont la possession est contestée au tribunal (par exemple un litige à propos d’un héritage, d’une créance etc…) sans en informer l’acquéreur potentiel ?Réponse : Non ! Il est interdit de proposer un achat sans informer le client qu’il fait l’objet d’un litige devant les tribunaux. Et ceci, même si on a l’intention de dédommager éventuellement le client si l’objet lui est retiré. En effet, nul ne veut débourser de l’argent pour subir par la suite un procès.
Question : Peut-on entrer dans un magasin, s’intéresser au prix d’un objet alors qu’on n’a pas l’intention de l’acheter ?
Réponse : Si on a l’intention d’acheter plus tard ou si on s’informe pour le compte d’un ami par exemple, c’est permis. Mais il est interdit de s’enquérir du prix juste pour faire croire au vendeur qu’on va l’acheter et pour lui causer de la peine.
F. L. (d’après Rav Ehoud HaCohen Kavine – Brésil - Michpa’ha ‘Hassidit)
De Recit de la Semaine
Le mystèreTous s’étonnaient de ces fiançailles inattendues. On lui avait proposé les meilleurs «partis» pour sa fille mais Rabbi Baroukh de Medziboz les avait tous refusés poliment. Cependant, quand on lui avait parlé du fils d’un riche notable de Zhitomir – un homme riche, certes, mais peu instruit - il l’avait accepté sans hésitation. Toute la communauté s’étonna : le fiancé avait des qualités effectivement, mais pas autant que les jeunes gens suggérés jusqu’à présent par le Chad’hane, l’entremetteur.
La semaine du mariage arriva et un cortège de ‘Hassidim accompagna le Rabbi et sa famille vers la ville de Zhitomir. La joie était palpable jusqu’à ce que…
Jusqu’à ce quelqu’un se souvint d‘un scandale qui avait éclaté une trentaine d’années auparavant et qui avait gravement éclaboussé le père du fiancé dans sa jeunesse. La rumeur circula vite et l’horreur suscitée par ce qu’on racontait frappa de stupeur les ‘Hassidim.
«Comment était-ce possible ?» se demandèrent les invités. Il était de leur devoir – n’est-ce pas – d’informer le Rabbi le plus délicatement possible, avant la cérémonie plutôt qu’après ! On se concerta et, finalement, on convint de demander à Reb Hershel d’Ostropol, connu pour son sens de l’humour, de trouver le moyen le plus judicieux.
Le matin du mariage, Reb Hershel s’arma de courage et frappa à la porte de la chambre de Rabbi Baroukh. Le sourire aux lèvres, Reb Hershel entra et s’écria : «Mazal Tov, Rabbi, Mazal Tov !»
La Rabbi le regarda avec étonnement et Reb Hershel continua : «Nous venons d’apprendre une nouvelle union ! Vraiment conclue par la Providence Divine ! Le bon D.ieu qui décide des mariages a associé le long «Vehou Ra’houm» (la longue prière de supplication récitée les lundis et jeudis) avec le «Al ‘Heth» la prière de confession des fautes de Yom Kippour !
Et pourquoi ne pas informer le Rabbi de cette grande joie ? »
Rabbi Baroukh comprit le sous-entendu mais intima à son ‘Hassid l’ordre de révéler tout ce qu’il savait. Prudemment celui-ci répéta – avec de grandes précautions oratoires – «l’affaire» telle qu’il l’avait entendue de la bouche de plus anciens ‘Hassidim.
«Quand on apprit la terrible faute dont s’était rendu coupable le père de votre futur-gendre, il fut puni en public, humilié au point qu’il fut obligé par la suite de s’enfuir de la ville. Ce n’est que des années plus tard qu’il revint, une fois que le scandale s’était apaisé».
Le front du Rabbi se couvrit de plis tandis que son regard se perdait au loin. Reb Hershel attendait avec angoisse une réaction plus énergique. Mais, soudain, le Tsadik se secoua de sa rêverie apparente et déclara d’une voix ferme : «Cette union a été décidée au ciel et puisque telle est la volonté de D.ieu, le mariage sera célébré ce soir comme prévu, de façon très joyeuse. Que D.ieu fasse que tout se passe en son temps et que le jeune couple puisse construire dans la sérénité un foyer fidèle sur les bases éternelles de la Torah ! Que ce soit une réussite ici et dans les sphères supérieures !»
Effectivement le mariage fut célébré avec une joie particulière ; les sept jours de «Cheva Bra’hot» des «sept bénédictions» se déroulèrent dans l’allégresse ‘hassidique typique puis les ‘Hassidim s’apprêtèrent à rentrer chez eux.
Avant le départ, on annonça à Rabbi Baroukh la venue d’un messager spécialement envoyé par la Rabbanit, l’épouse déjà bien âgée de Rabbi Zeev Wolf de Zhitomir, un des disciples les plus distingués du Maguid de Mézeritch. Elle exprimait le désir que Rabbi Baroukh s’arrête chez elle lors de son retour : à cause de son grand âge et d’une certaine faiblesse, elle ne pouvait pas se rendre chez lui comme cela aurait convenu.
Rabbi Baroukh accepta de s’arrêter devant chez elle pour rendre visite à cette personne respectable.
Accompagné de quelques uns de ses proches, il entra.
«Soyez les bienvenus ! s’exclama la veille dame. D.ieu soit loué, j’ai eu le privilège d’accueillir un des Grands de notre génération !»
Rabbi Baroukh comprit qu’elle pesait chacun de ses mots et il demanda : «Et comment savez-vous qui figure parmi les Grands de notre génération ?»
La Rabbanit réfléchit et déclara : «C’est une longue histoire ! Qui s’est produite il y a bien longtemps mais je m’en souviens comme si c’était aujourd’hui. Un jour, on entendit dans la rue un grand vacarme. Je me suis approchée de la fenêtre et j’ai aperçu un spectacle effrayant : un jeune homme, entouré d’une foule en colère, était abreuvé d’injures et traité de façon humiliante par tous, jeunes et vieux. On lui lança même de la boue et des ordures… J’ai bien regardé cet homme et j’ai aperçu un visage aux traits distingués qui reflétait une grande conscience de la Présence de D.ieu. Je ne pouvais pas admettre qu’un homme si pur soit ainsi traîné dans la boue !
Soudain, j’ai réalisé que mon mari – que D.ieu bénisse sa mémoire – contemplait lui aussi avec effroi cette scène et soupirait : «Si seulement je méritais d’être aussi pur et saint que ce jeune homme si remarquable ! Il ne peut pas prouver son innocence face à cette foule furieuse, influencée par de la médisance et des mensonges aussi grossiers !»
Puis il ajouta : «Je suis persuadé que ce jeune homme a un mérite extraordinaire puisqu’il est écrit : «Heureux celui que l’on soupçonne pour rien !» A la suite de cette terrible humiliation, il méritera un grand privilège : son fils épousera la fille d’un Grand de la génération !»
Et la Rabbanit âgée conclut : «Sachez, Rabbi, que ce jeune homme n’est autre que le père de votre gendre ! La prophétie de mon défunt mari s’est donc réalisée. Vous comprenez maintenant comment j’ai pu affirmer que vous étiez l’un des Grands de la génération !»
Le mystère de cet étrange mariage était enfin résolu !
Sichat Hachavoua n°1115
traduit par Feiga Lubecki