Samedi, 6 mai 2017

  • A’hareï Mot - Kedochim
Editorial

 L’avenir frappe à la porte !

Notre rapport au temps est sans doute très révélateur de ce que nous sommes. Ainsi, on peut voir des hommes qui perçoivent le passé et les événements qu’il contient – positifs ou négatifs – comme des éléments à jamais gravés dans la pierre la plus dure, comme des choses que l’on peut oublier mais qui resteront, malgré tout, présentes au plus profond de la conscience et, par conséquent, au cœur des jours à venir. D’autres hommes font un choix différent : celui de considérer que le passé se limite à lui-même, qu’il est, par nature, enfoui bien loin en arrière et que, par conséquent, il ne peut avoir la moindre influence sur nos décisions futures ou notre vie présente. Faut-il donc vivre avec le passé chevillé à nous ou avec le seul souci de l’éphémère ? C’est une manière de se demander ce qui fait l’homme : sa capacité à assumer sa propre histoire ou son aptitude à l’oublier ?

Lorsque le jour de Pessa’h Cheni – le deuxième Pessa’h – revient, il nous apporte aussi une réponse. Souvenons-nous : D.ieu avait ordonné de célébrer la fête de Pessa’h, d’offrir le sacrifice voulu, un événement spirituel essentiel. Et certains n’avaient pas pu le faire pour diverses raisons, dont ils étaient eux-mêmes souvent responsables. Puis ils vinrent voir Moïse. « Pourquoi cela nous serait-il retiré ? » supplièrent-ils. Leur demande était d’une sincérité absolue, elle s’éleva avec force jusqu’au Trône céleste et la réponse retentit : « Ils auront une deuxième chance. » Le deuxième Pessa’h – un mois après le premier – était né. Ce jour, qui tombe dès la semaine prochaine, nous livre ainsi une clé. Le passé existe bien et nous n’avons d’autre choix que de l’assumer mais ses conséquences ne sont jamais inébranlables. Il est, de fait, entre nos mains et nous avons le pouvoir de lui donner un autre sens. Les défaillances ne sont pas irréversibles. Elles peuvent être un nouveau point de départ, comme une base pour une nécessaire reconstruction, plus grande, plus belle, plus solide.

Tout cela est vrai pour chacun. L’insatisfaction est bien souvent le lot de celui qui choisit la conscience de préférence à l’illusion. Le deuxième Pessa’h relève que ce sentiment peut et doit être positif. Car il détient une puissance immense. Recommencer, refaire, rectifier, pour un avenir meilleur. A présent, tout est possible.

Etincelles de Machiah

 « En son temps, Je le hâterai »

Le Talmud (Sanhédrin 98a) enseigne : « Il est écrit (Isaïe 60 : 22) ‘[le Machia’h viendra] en son temps, Je le hâterai’ ». Ces deux termes semblent contradictoires. Viendra-t-il quand son époque sera enfin venue – « en son temps », ou D.ieu choisira-t-Il de rapprocher cet avènement tant attendu – « Je le hâterai » ? Le Talmud résout cette apparente contradiction : « S’ils le méritent, ‘Je le hâterai’ ; s’ils ne le méritent pas, ‘en son temps’».

Il faut ici relever une idée importante. Le temps de la Délivrance arrivera dans tous les cas. Certes, chacun souhaite que ce soit le plus rapidement possible. Toutefois, même s’il était retardé, lorsque le moment arrivera, l’impureté, le mal ne pourront que disparaître d’eux-mêmes pour laisser place à cette nouvelle et grande lumière.

(d’après Chaarei Orah, p.87

Vivre avec la Paracha

 A’haré –Kedochim

A’haré

Après la mort de Nadav et Avihou, D.ieu donne un avertissement interdisant l’entrée non autorisée dans le Saint des Saints. Une seule personne, le Cohen Gadol (« le Grand Prêtre ») peut, une seule fois dans l’année, à Yom Kippour, pénétrer dans la pièce la plus intérieure du Sanctuaire pour y offrir à D.ieu le sacrifice des Ketorèt (« encens »).

Une des autres caractéristiques du service du Jour du Pardon est le « tirage au sort » exercé sur deux béliers, pour déterminer lequel sera offert à D.ieu et lequel sera envoyé dans le désert, chargé des péchés du Peuple d’Israël.

La Paracha A’haré avertit également contre le fait de n’apporter des korbanot (offrandes animales ou alimentaires) nulle part ailleurs que dans le Saint Temple, interdit la consommation du sang et détaille les lois prohibant l’inceste et d’autres relations déviantes.

Kedochim

La Paracha Kedochim commence par la déclaration : « Vous serez saints car Moi, l’Eternel votre D.ieu, Je suis saint ». S’ensuivent des dizaines de commandements par l’intermédiaire desquels le Juif se sanctifie et se lie à la sainteté de D.ieu.

Elles comprennent : l’interdiction de l’idolâtrie, la Mitsva de la charité, le principe d’égalité devant la loi, le Chabbat, la moralité, l’honnêteté dans les affaires, l’honneur et la crainte de ses parents et le respect de la valeur sacrée de la vie.

On peut également lire dans Kedochim la célèbre sentence, qualifiée par le grand Sage, Rabbi Akiba, de principe cardinal de la Torah, et dont Hillel disait : « Voilà toute la Torah, tout le reste n’est que commentaire », « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

 

« Malade d’amour »

Au début de la Paracha A’haré nous lisons : « D.ieu dit à Moché après la mort des deux fils d’Aharon… parle à ton frère Aharon. (Dis-lui qu’) il ne doit pas pénétrer constamment dans le Saint des Saints… »

Quel enseignement pouvons-nous tirer d’une loi qui ne semble s’appliquer qu’au Grand Prêtre ?

Dans son explication de la raison pour laquelle l’exhortation adressée à Aharon suit immédiatement la mort de ses deux fils, Rachi explique : « Cela est similaire à une personne malade qui reçoit la visite d’un médecin. Ce dernier lui ordonne : ‘Ne mange pas d’aliments froids et ne dors pas dans un endroit humide’. Vient alors un autre (médecin) qui lui enjoint : ‘Ne mange pas d’aliments froids et ne dors pas dans un endroit humide, pour ne pas que tu meures, comme l’a fait cet autre individu’ ». Le second l’a rendu plus attentif que le premier. C’est pourquoi le verset précise « après la mort des deux fils d’Aharon ».

Il s’agit donc d’intimer à Aharon de se conformer au commandement de D.ieu, pour éviter de subir le même sort que ses deux fils lorsqu’ils pénétrèrent dans le Saint des Saints, sans y avoir été autorisés.

Mais cela demande une explication. Quelqu’un de la stature d’Aharon aurait compris, sans qu’il ne soit nécessaire de le menacer de conséquences aussi terribles. Par ailleurs, pourquoi ce commandement devrait-il être différent de tous ceux qui lui ont été adressés ainsi qu’au Peuple juif, où n’était évoqué aucun effet dramatique, en cas de désobéissance ?

La mort de ses deux fils survint en conséquence du fait qu’ils « se rapprochèrent tant de D.ieu qu’ils en moururent ». Bien qu’ils aient réalisé qu’en se comportant           ainsi, ils risquaient de périr, cela ne les empêcha pas d’aspirer à atteindre un attachement si grand et une extase si puissante que leur âme quitta littéralement leur corps.

En d’autres termes, la disparition des deux fils d’Aharon n’était pas (seulement) une punition. C’est également le sens du terme « malade », dans un sens positif, comme l’indique le verset : « Je suis malade d’amour pour Toi » (D.ieu) (Chir Hachirim 2 :5). Aharon et ses fils étaient « malades d’amour » tant ils aspiraient à s’approcher de D.ieu. Il s’agissait d’un amour qui ne pouvait être étanché.

Il fut donc nécessaire que non seulement D.ieu empêche Aharon de pénétrer dans le Saint des Saints, chaque fois qu’il le désirait mais aussi qu’il soit averti des conséquences.

D.ieu savait que l’amour que lui portait Aharon était si grand qu’il voulait sans cesse pénétrer dans le Saint des Saints. Cependant, le laisser faire aurait eu pour résultat que son âme quitte son corps, comme cela s’était produit pour ses fils. D.ieu l’informa donc de la nécessité de garder son âme dans son corps, pour qu’il puisse accomplir sa mission dans le monde : celle de le transformer en résidence pour D.ieu.

La leçon que nous pouvons tirer de ce commandement adressé à Aharon est que chaque Juif possède la capacité d’aimer D.ieu, et, en fait, est enjoint de le faire, comme l’indique le verset : « Tu aimeras D.ieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Devarim 6 :5).

Plus encore, chacun a l’aptitude de faire grandir son amour au point qu’il devienne positivement « malade d’amour ». Mais chacun doit aussi être mis en garde pour que son âme ne quitte pas son corps et qu’il accomplisse sa mission dans ce monde.

Ce point est à nouveau mis en lumière dans Kedochim, la seconde section de la Torah qu’on lit ce Chabbat et qui commence par les mots que D.ieu adresse au Peuple juif, leur disant qu’ils doivent être saints car « Moi, l’Eternel leur D.ieu, Je suis saint ». Ce verset nous informe que la sainteté de chaque Juif doit être d’une telle ampleur qu’elle en vient à ressembler à celle de D.ieu.

C’est aussi pourquoi, avant de donner la Torah, D.ieu dit au Peuple juif : « Vous serez pour Moi un royaume de prêtres et une nation sainte ». En d’autres termes, chacun a la capacité d’atteindre le niveau de sainteté d’un « Grand Prêtre », ressentant le même amour que celui d’Aharon et de ses fils. Plus encore, le potentiel que possède l’être humain pour la sanctification est tel qu’il peut même être comparé, à un certain niveau, à celui de D.ieu.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que Pessa’h Chéni ?

Le 14 Iyar (cette année mercredi 10 mai 2017) est un jour de « réparation ». En effet, la Torah stipule que tout Juif qui n’avait pas pu offrir le sacrifice Pascal la veille de Pessa’h (donc le 14 Nissan) pouvait le faire un mois plus tard. Le texte (Bamidbar – Nombres 9 : 10 et suivants) précise : « Des Juifs qui n’avaient pas pu offrir le sacrifice demandèrent : « Pourquoi serions-nous diminués ? »… Celui qui serait impur au contact d’un mort ou qui se trouverait loin (le 14 Nissan) offrira le sacrifice le 14 Iyar au soir… ».

En souvenir de ce commandement, on ne récite pas ce jour-là le Ta’hanoun (prières de supplication) et, dans de nombreuses communautés, on mange un peu de Matsa.

De cette Mitsva, on apprend d’une part qu’il ne faut pas hésiter à exiger de D.ieu la possibilité d’accomplir une Mitsva (« Pourquoi serions-nous diminués ?... »). D’autre part, Rabbi Yossef Its’hak (le précédent Rabbi de Loubavitch) insistait : « Il n’existe pas de cause perdue ! Même celui qui est impur ou celui qui est « loin » ou qui a délibérément choisi de se trouver « loin » peut réparer ce manque ! ». On peut toujours rectifier et se rapprocher de D.ieu d’une manière ou d’une autre. 

Le Recit de la Semaine

 Ressentir la peine de l’autre - réellement !

Mes parents n’avaient pas été déportés eux-mêmes mais avaient perdu tous les membres de leurs familles pendant la Shoah. Ils se rencontrèrent après la guerre, se marièrent à Vienne où je suis né en 1951. Mais craignant la résurgence de l’antisémitisme, ils émigrèrent aux États-Unis.

En 1967, ma mère qui n’avait que 42 ans, découvrit qu’elle était atteinte d’une grave maladie – incurable à l’époque. Comme j’étais plutôt indiscipliné, elle suggéra que je passe une année dans une Yechiva en Israël afin que je me calme. J’aurais fait n’importe quoi pour ma mère et j’acceptai. Je me suis donc retrouvé à Keren BeYavné où j’étudiais intensément le Moussar (l’éthique, présentée dans les écrits de Rav Eliahou Dessler). Je fus pris en amitié par le directeur de la Yechiva, Rav ‘Haïm Goldvitcht et, par la suite, quand il se rendait aux États-Unis, je me proposais à chaque fois pour devenir son chauffeur personnel.

Un jour, en 1969, il me téléphona pour me demander si je pouvais l’accompagner à un rendez-vous avec le Rabbi de Loubavitch. « Bien sûr ! » répondis-je comme à l’accoutumée. « A quelle heure ? » continuai-je innocemment. Je dois avouer que quand il répondit : « Deux heures du matin ! », j’ai ravalé ma salive d’étonnement mais, puisque j’avais promis, je m’exécutai. Quand nous sommes arrivés devant le 770 Eastern Parkway, il entra dans le bureau tandis que je l’attendais à l’extérieur.

Ma mère était de plus en plus malade. Un des médecins proposait de tenter une opération tandis qu’un autre préconisait de fortes séances de radiothérapie. Tous deux se montraient très pessimistes. Toute la famille était bouleversée et ni mon père ni ma mère n’étaient en mesure de prendre une décision aussi cruciale. Je me dis que je pouvais peut-être profiter de l’entrevue de Rav Goldvitcht pour demander un conseil au Rabbi. Quand mon Rav sortit du bureau, je me faufilai et demandai au Rabbi si je pouvais lui parler moi aussi. Il était 3 heures trente du matin et je pensais qu’il répondrait : « Je suis maintenant fatigué, demandez un rendez-vous à mon secrétaire ! » mais, bien au contraire, il me fit entrer dans son bureau.

Je dois préciser que mon père avait déjà demandé une bénédiction à un autre Rabbi ‘hassidique : celui-ci avait recommandé de changer le prénom de ma mère et nous avait donné une liste de Tehilim (Psaumes) à réciter. Je supposais que le Rabbi me donnerait le même genre de directives. Ce ne fut pas le cas. Il commença par me demander comment je m’appelais, où j’habitais et quelle était la situation médicale exacte de ma mère. Il s’avéra qu’il connaissait les médecins qui la soignaient et, quand il entendit leurs sombres pronostics, il se montra très en phase avec ma peine et m’aida à me préparer au pire. Il ne chercha pas à me consoler en prédisant un miracle éventuel et, justement à cause de son réalisme, il parvint à capturer mon cœur. A ce moment, je réalisai qu’il était certainement l’homme le plus intelligent sur terre. A la fin de l’entrevue, il me demanda : « Je vous en prie ! Tenez-moi informé de ce qui va arriver ! ». Je n’avais que dix-huit ans et, du haut de ma ‘Houtspa bien américaine, je rétorquai instinctivement : « Vous me dites cela par politesse ? Ou souhaitez-vous réellement entendre de mes nouvelles ? ». Et il me répondit : « Je ne dirai jamais quelque chose que je ne ressens pas ! ».

En sortant, bien que le Rabbi m’ait fait comprendre que je devais me préparer pour le pire, je ne me sentis pas triste. Au contraire : j’avais l’impression qu’un lourd fardeau avait été retiré de mes épaules. Comme si le Rabbi m’avait annoncé : « Quoi qu’il arrive, cela sera pour le bien ! ». Le résultat fut que je pus aider ma mère à choisir le traitement qui l’aiderait à garder une certaine qualité de vie au lieu de la tourmenter physiquement alors qu’il n’y avait pas de chance réelle de succès. Elle décida de rejeter les deux options qu’on lui avait proposées et de se contenter de soins palliatifs qui lui permirent de vivre au mieux le peu de temps qui lui restait. Elle vécut relativement sereinement deux mois puis tomba dans le coma dont elle ne se réveilla pas.

Après son décès, je retournai voir le Rabbi pour discuter d’autres problèmes. Je ressentais que je pouvais avoir confiance en lui. Je pouvais lui avouer : « Rabbi ! Je suis en crise, je ne crois plus vraiment en D.ieu ! J’aime le judaïsme, j’aime beaucoup certains rituels mais ils ne sont pas partie intégrante de ma vie ! ». A chaque fois, les réponses du Rabbi étaient absolument profondes et incroyables – taillées pour moi sur mesure.

Un jour, il me demanda : « Gardez-vous la cacherout ? Mettez-vous les Téfilines ? Respectez-vous le Chabbat ? ». Je répondis honnêtement : « Non ! ». Il continua, sans paraître offusqué par ma franchise : « Si je vous demande quelque chose sans condition préalable, me promettrez-vous de l’accomplir ? ». Confiant, je déclarai : « Oui ! Vous pouvez me demander ce que vous voulez, je l’accomplirai ! ». Il me regarda droit dans les yeux et demanda : « Accepterez-vous, vous et votre épouse, d’allumer les bougies de Chabbat chaque vendredi soir ? ». J’acceptai.

Et, à partir de ce jour, nous n’avons jamais raté une seule fois l’allumage des bougies de Chabbat. Le vendredi soir devint sacrosaint pour toute la famille. Quand nos enfants étaient adolescents, ils ne se rendaient à aucune sortie le vendredi soir. Bien que mon travail au laboratoire pour développer de nouveaux médicaments soit très prenant, j’ai toujours réussi à rentrer à l’heure à la maison le vendredi soir.

Allumer les bougies de Chabbat à l’heure requise peut sembler être une Mitsva très simple mais, pour notre famille, ce fut un changement radical. Les repas de Chabbat devinrent spéciaux, ouvrir notre maison pour des invités le Chabbat devint évident et toute l’atmosphère devint différente.

Pour moi, tel fut le génie du Rabbi : s’il m’avait demandé de devenir pratiquant à 100 %, j’aurais pu essayer mais cela n’aurait pas duré. Avec cette unique Mitsva, il a maintenu notre famille dans le chemin du judaïsme et mes filles l’ont aussi incorporé pleinement dans leurs vies.

Professeur Charles Samuel Ramat – Neurotrop BioScience - JEM

Traduit par Feiga Lubecki