Samedi, 29 avril 2023

  • A’hareï Mot - Kedochim
Editorial

 Des valeurs d’éternité

Le monde ne s’arrête décidément jamais. Nous sortons à peine de la fête de Pessa’h, de la libération d’Egypte, qui nous a donné une fois encore le sens de la grandeur et de la sérénité et nous nous dirigeons avec assurance vers celle de Chavouot, le Don de la Torah, qui renforce en chacun ce sentiment de plénitude. Et voici qu’entre toutes ces expériences littéralement prodigieuses le monde reprend toute sa place. C’est bien sûr là une étape nécessaire car il est le lieu de l’œuvre spirituelle qu’il nous revient éternellement d’accomplir. Pourtant, ce qui nous frappe immanquablement, c’est sans doute la violence qui paraît s’être emparée de lui. Que ce soit des pays qui retrouvent les chemins de guerre qu’on croyait abandonnés, au moins sur le sol européen, ou des opinions diverses voire des individus qui ne trouvent plus la voie du dialogue, force est de constater que les affrontements se multiplient au point de constituer peu à peu notre quotidien.

Il est clair qu’une telle évolution ne peut que nous interpeler. Le monde aurait-il perdu tout sens de l’intérêt commun, de la nécessité de rechercher le bonheur de tous au profit d’une course effrénée vers des buts que nul ne formule avec sincérité ? L’homme peut-il donc vivre ainsi, sans règle ni norme hormis celle de ses désirs et de ses passions exacerbés ? Le Peuple juif a une autre vision. Nous savons que la noblesse de la créature humaine est précisément sa capacité à mener l’ensemble de la création à son accomplissement. Pour lui, réduire l’existence à la seule défense de ses intérêts égoïstes est bien plus qu’une erreur ou une faute morale, c’est d’un véritable drame qu’il s’agit. Car l’univers entier aura à subir les conséquences d’une telle déviation. Bien entendu, la question se soulève d’elle-même : s’il en est ainsi, quelle peut bien être la portée de nos actions individuelles en la matière ? Que peut-on donc y changer alors que ces événements sont largement hors de notre portée ?

Il faut en être conscient. L’harmonie et l’unité dépendent aussi de ce dont nous sommes tous porteurs. Par l’établissement inconditionnel de ces mêmes valeurs en nous, en notre sein, nous faisons qu’elles rayonnent à l’extérieur. Par leur concrétisation dans notre vie jour après jour, nous les faisons monter comme en une marée de Bien. C’est dire à quel point la conduite de chacun est déterminante. A l’heure où bien des choses, qui, hier encore, semblaient solidement assises, paraissent en balance, la paix et l’unité doivent rester, en nous, pour nous et pour le monde, nos maîtres-mots. Ainsi en est-il de toute éternité, ainsi en sera-t-il pour garantir l’éternité à venir.

Etincelles de Machiah

 La soumission aux nations

Le Talmud (Bera’hot 34b) enseigne : « Il n’y a aucune différence entre l’époque actuelle et le temps de Machia’h sauf (notre émancipation) de la soumission aux nations ».

Le Baal Chem Tov donne une explication plus profonde de cette phrase : celui qui ne croit pas que la Providence divine pénètre chaque aspect du monde est asservi par l’impureté qui dissimule la réalité de la création. C’est le sens de la « soumission aux nations ». Mais, au temps de Machia’h, l’esprit d’impureté sera chassé de la terre. Alors, la Providence divine deviendra manifeste et chacun verra que tout provient de D.ieu.

(d’après Keter Chem Tov, sec. 607)

Vivre avec la Paracha

 A’haré Mot

Après la mort de Nadav et Avihou, D.ieu donne un avertissement interdisant l’entrée non autorisée « dans le Saint des Saints ». Une seule personne, le Cohen Gadol (le Grand Prêtre) peut, une seule fois dans l’année, à Yom Kippour, pénétrer dans la pièce la plus intérieure du Sanctuaire pour y offrir à D.ieu le sacrifice des Ketorèt (encens).

Une des autres caractéristiques du service du Jour du Pardon est le « tirage au sort » exercé sur deux boucs, pour déterminer lequel sera offert à D.ieu et lequel sera envoyé dans le désert, chargé des péchés du Peuple d’Israël.

La Paracha A’haré avertit également contre le fait de n’apporter des Korbanot (offrandes animales ou alimentaires) nulle part ailleurs que dans le Temple, interdit la consommation du sang et détaille les lois prohibant l’inceste et d’autres relations déviantes.

La lecture de la Paracha A’haré présente ce qui peut apparaître comme un paradoxe. Les passages qui ouvrent la lecture évoquent Yom Kippour, le jour le plus saint de l’année, le jour où le Peuple juif « ressemble à des anges ». Ce jour-là, « ils se purifient devant D.ieu ».

Cependant, la conclusion de la lecture de la Torah nous met en garde : « Ne révèle pas la nudité de ton père ; ne révèle pas la nudité de ta mère… Ne te livre à aucune de ces abominations ». Apparemment, il ne s’agit pas de sujets dont il faudrait prévenir des anges ! Pourquoi donc ces sujets si antithétiques sont-ils inclus dans la même Paracha ?

La réponse à cette question est donnée en allusion dans le nom de la Paracha : A’haré, qui signifie « après» et dans son premier verset : « Et D.ieu parla à Moché après la mort des deux fils d’Aharon qui s’étaient rapprochés de D.ieu et étaient morts ».

Yom Kippour est le moment où chaque Juif « se rapproche de D.ieu ». Néanmoins, cette expérience ne doit pas se suffire à elle-même. Il nous faut, au contraire, nous concentrer sur ce qui se produira après. La façon dont nous nous rapprochons de D.ieu doit être liée aux jours et aux semaines qui suivent.

Les plus profondes aspirations de notre âme et les hauteurs les plus élevées de notre expérience religieuse doivent être liées aux réalités de notre existence matérielle. La spiritualité n’est pas une dimension ajoutée, supplémentaire, détachée de notre expérience quotidienne mais un moyen grâce auquel nous pouvons transformer notre vie ordinaire et l’élever. En fusionnant nos réalités matérielles et spirituelles, nous raffinons le monde, l’imprégnons de sainteté et le transformons en une résidence pour la Présence divine.

C’est la raison pour laquelle nous lisons les passages concernant les relations interdites dans la Paracha de la Torah qui décrit le service des sacrifices de Yom Kippour et en fait, nous lisons ces mêmes passages l’après-midi-même de Yom Kippour.

Chacun de nous connaît des moments où notre cœur est bouleversé et où nous nous sentons plus en contact avec notre âme et avec D.ieu. Yom Kippour en est un exemple, c’est un jour où nous nous retranchons de toute préoccupation matérielle. Mais même alors, nos yeux doivent regarder vers le bas. La force spirituelle de ces moments et de ces jours particuliers doit être utilisée pour redonner de la vitalité à notre service divin de chaque jour et pour nous motiver à agir en accord avec les désirs divins même dans le contexte de situations où nous risquerions d’être tentés de suivre d’autres cheminements.

Kedochim

La Paracha Kedochim commence par le statut : « Vous serez saints car Moi, l’Éternel votre D.ieu, Je suis saint ». S’ensuivent des dizaines de Mitsvot (commandements divins) par l’intermédiaire desquels le Juif se sanctifie et se lie à la sainteté de D.ieu.

Elles comprennent : l’interdiction d’idolâtrie, la Mitsva de la charité, le principe d’égalité devant la loi, le Chabbat, la moralité, l’honnêteté dans les affaires, l’honneur et la crainte de ses parents et le respect de la valeur sacrée de la vie.

On peut également lire dans cette Paracha la célèbre sentence, qualifiée par le grand Sage, Rabbi Akiva, de principe cardinal de la Torah, et dont Hillel disait : « Voilà toute la Torah, tout le reste n’est que commentaire », « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

Cette Paracha renferme l’une des pierres angulaires du Judaïsme : « tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

Apparemment, cette injonction peut sembler impossible. Nous ne nous soucions réellement d’autrui que dans la mesure où nous percevons un dénominateur commun avec lui mais ce dénominateur commun n’affecte qu’une part limitée de notre personnalité. Il ne peut jamais nous pénétrer totalement car chacun d’entre nous est habité par une préoccupation personnelle fondamentale : il n’existe personne avec qui nous puissions nous identifier aussi profondément qu’avec nous-mêmes. C’est la raison pour laquelle, dans la mesure où nous maintenons cette forme d’égocentrisme, il n’y a aucun moyen d’aimer une autre personne autant que nous nous aimons nous-mêmes.

Il est possible, cependant, de redéfinir le sens de notre égo. Au lieu de nous concentrer sur notre « moi » profond, nous pouvons mettre en lumière cette étincelle divine que nous possédons, notre essence véritable et profonde. Et quand notre étincelle divine brille de toute sa lumière, elle nous permet d’apprécier qu’une même étincelle brille dans l’autre. Nous pouvons alors aimer autrui autant que nous-mêmes parce que lui et nous partageons une identité fondamentale.

Mais comment atteindre un tel niveau d’amour ? En regardant au-delà de nos préoccupations personnelles et matérielles et en nous concentrant sur le cœur spirituel qui existe en chacun. Aimer réellement l’autre signifie ne pas nous attarder sur ce qu’il peut faire pour nous ou sur la raison qui fait qu’il nous attire mais sur le potentiel divin qu’il possède.

C’est sur cette base que nous pouvons comprendre la raison pour laquelle Hillel, l’un des plus grands Sages du Talmud, déclare qu’aimer son prochain constitue « la Torah tout entière », le reste n’en étant qu’un simple commentaire.

Nos Sages réfléchissent sur cette déclaration car, bien que la Torah s’appesantisse sur les relations entre l’homme et son prochain, elle met également beaucoup de poids sur les relations entre l’homme et D.ieu.

Quel rapport peut-il exister entre aimer son prochain et l’observance du Chabbat, le respect des lois alimentaires ou de toutes les obligations rituelles du Judaïsme ?

Mais lorsque nous nous entraînons à dépasser nos préoccupations personnelles et aimons l’autre à cause de son essence divine, nous sommes alors capables d’apprécier l’enseignement d’Hillel. Car le but de chaque Mitsva de la Torah est de nous aider à voir au-delà de l’aspect matériel de notre existence et à en apprécier l’essence spirituelle.

Le Coin de la Halacha

 Qui est obligé d’étudier la Torah ?

Chaque Juif doit étudier la Torah, qu’il soit riche ou pauvre, en bonne santé ou non, jeune ou vieux, marié et occupé par sa vie de famille ou célibataire : chacun doit se fixer un temps pour l’étude de la Torah, le jour comme la nuit.

Les femmes et jeunes filles ont l’obligation d’étudier les lois qu’elles doivent appliquer, c’est-à-dire les Mitsvot positives qui ne sont pas limitées par le temps ainsi que toutes les Mitsvot négatives : elles étudieront principalement toutes les lois relatives à la Cacherout, le respect du Chabbat et de la pureté familiale. Celle qui étudie la Torah – en dehors de ce qu’elle est obligée et en plus de ce qu’elle est obligée – et celle qui permet à son mari et son fils de l’étudier sont dignes de louange. De nos jours – puisque les femmes étudient de toute manière de nombreuses sciences profanes – elles ont l’obligation d’étudier également les raisons des lois de la Torah et la ‘Hassidout qui leur donnera l’enthousiasme nécessaire pour s’imprégner de la sainteté de la vie juive et renforcer leur croyance et leur confiance en D.ieu.

Il est recommandé :

- d’étudier à voix haute afin d’améliorer sa mémoire,

- de réviser souvent afin de pouvoir retrouver facilement le point étudié,

- d’étudier dans un endroit saint (synagogue, école juive…),

- d’étudier avec un ami de niveau similaire,

- d’étudier la Michna en souvenir d’un disparu,

- de fermer le livre une fois qu’on a fini d’étudier.

(d’après Hamitsvaïm Kehala’ha)

Le Recit de la Semaine

 Un bel exemple d’amour du prochain

Rav Zalman Teibel avait déjà atteint l’âge respectable de 94 ans. Faible et diminué physiquement, il l’était aussi mentalement. Toute sa vie, il avait agi avec dynamisme au service de la communauté et au service des Rebbeim : son indisponibilité actuelle le rendait amer et le décevait au point que, dans la maison de retraite où il séjournait, il avait sombré dans une profonde dépression.

Son ami le plus proche, Rav ‘Haïm Chaikel Chanin, décida de l’emmener auprès du Rabbi pendant l’événement que constituait le « Kos Chel Bra’ha ». Après chaque grande fête, à l’issue de la cérémonie de la Havdala, le Rabbi distribuait quelques gouttes de son verre de vin aux milliers de ‘Hassidim venus de toute l’immense métropole de New York ; de temps en temps, Rav Mentlik était chargé de remplir la coupe du Rabbi avant qu’elle ne soit complètement vide. Cette distribution pouvait durer plusieurs heures tandis que, tout autour, les ‘Hassidim chantaient joyeusement. Rav ‘Haïm Chaikel se rendit donc, à l’issue de la fête, dans la maison de retraite et entraîna son ami dans cette cohue que constituait le « Kos Chel Bra’ha ». Quand les ‘Hassidim massés dans la grande synagogue du 770 Eastern Parkway aperçurent ces deux vieillards qui courbaient l’échine et qui avançaient avec peine en direction du Rabbi, ils s’écartèrent respectueusement pour leur laisser le passage. Rav Chanin avançait à reculons car il devait tenir son ami par les deux mains puis il se tourna vers le Rabbi en annonçant : « Rav Zalman est très triste, il a besoin qu’on lui redonne de la joie ».

C’est alors que se passa quelque chose de totalement inattendu : le Rabbi posa son verre sur la table et, si je me souviens bien, prit les deux mains de Rav Zalman et se mit à chanter « Ana Avda deKoudcha Beri’h Hou… », ce chant en araméen qu’on murmure lors de l’ouverture de l’Arche Sainte, avant d’en sortir le rouleau de la Torah (« je suis le serviteur du Saint béni soit-Il et je m’incline devant Lui et Sa glorieuse Torah, à chaque instant »). Stupéfaits, les ‘Hassidim s’empressèrent d’approcher un micro pour que tous puissent entendre le Rabbi tandis que le brouhaha et les chants s’arrêtèrent instantanément. Un grand silence régna : tous purent distinctement discerner le Rabbi chanter, depuis le début jusqu’à la fin, cet hymne à la gloire de D.ieu. Le visage du Rabbi rayonnait d’un éclat particulier ; plusieurs fois, il passa délicatement sa main devant le visage du vieux ‘Hassid afin d’attirer son attention et de le rendre joyeux.

Quand il eut terminé le chant, le Rabbi lui versa un peu de vin de sa coupe et lui souhaita : « Vous chanterez cela le jour du jeûne de Guedalya, le jour de Kippour, lors de la fête de Souccot, à Hochaana Rabba, à Sim’hat Torah et vous continuerez toute l’année ! ». Ce n’est qu’après que les deux vieux ‘Hassidim se soient éloignés que la queue reprit et que le Rabbi continua de verser du vin à tous les autres fidèles.

Vous comprenez ce que cela signifie ? Pendant les deux jours de Roch Hachana, le Rabbi avait prié, pleuré, intercédé auprès du Tout-Puissant en faveur du Peuple juif, il avait parlé en public durant de longues heures sur l’importance de la fête et la nécessité de répandre les enseignements de la ‘Hassidout qui coulaient du plus profond de son cœur puis il s’était tenu debout durant des heures pour verser le « Kos Chel Bra’ha » en souhaitant à chacun individuellement les bénédictions espérées. Mais quand il avait vu que son vieux ‘Hassid avait besoin d’être stimulé et encouragé, il avait tout stoppé et plus rien n’existait si ce n’est la nécessité d’apporter de la joie à cet homme qui avait tant œuvré pour les autres mais qui, maintenant, n’était plus que l’ombre de lui-même.

Une autre fois, Rav Zalman passa devant le Rabbi pour la distribution du « Leka’h », le gâteau au miel distribué traditionnellement la veille de Yom Kippour, en guise de présage pour une bonne et douce année. Cette fois, Rav Zalman était en chaise roulante et, quand le Rabbi lui tendit un morceau de gâteau enveloppé dans une serviette en papier, l’homme ne réagit pas. Le Rabbi commença alors doucement à chanter « Ana Avda », ce chant que Rav Zalman avait lui-même enseigné des années auparavant (lors de la fête de Chavouot en 1969) dans la synagogue du Rabbi, un chant dont on faisait remonter l’origine à l’Admour Haemtsaï.

Le Rabbi frappa alors des mains et, soudain, le vieil homme se réveilla : « Où suis-je ? ». Doucement, le Rabbi expliqua : « Aujourd’hui, c’est la veille de Yom Kippour, Rav Zalman et vous êtes venu demander du Leka’h ! ». Petit à petit, Rav Zalman se joignit au chant, tendit la main et prit le morceau de gâteau qu’il serra précieusement contre lui.

Quand il retourna à la maison de retraite, il avait repris des forces et se comporta avec gaieté comme s’il était redevenu un jeune homme en pleine santé…

Rav Shimon Eisenbach – Kfar Chabad N° 2002

Traduit par Feiga Lubecki