L'élan
Ces dernières semaines, nous avons constaté l'avancée à la fois du temps – celui de l'Omer – et celle de chacun d'entre nous, attentif au chemin d'élévation. Mais, si le progrès est par nature une voie généralement lente et sans rupture, tout à coup un éclat peut y apparaître, comme l'éclair qui embraserait un horizon autrement trop prévisible. C'est ainsi que vient Pessa'h Chéni – le deuxième Pessa'h – au premier jour de la semaine prochaine. Et au rythme tranquille que nous avions suivi, il donne un nouvel élan.
D'une certaine façon, ce jour-là incarne comme un rêve. Et il en a toute l'ardente obligation. Certains n'avaient pas pu offrir leur sacrifice au moment de Pessa'h et ils avaient pris conscience de la signification d'une telle absence, même justifiée. Et leur cri était monté jusqu'à D.ieu. Et une seconde chance leur avait été donnée : un deuxième Pessa'h, un mois plus tard. Au cœur d'une période de progrès en marche, un jour pour l'irremplaçable élan était né. Certes, ses rites sont aujourd'hui limités par la situation d'exil, cependant le poids spirituel de ces vingt-quatre heures différentes reste présent. Et si l'avancée continue pas à pas, c'est une force venue d'ailleurs qui, ici, nous envahit.
Est-ce à dire que cette révolution interrompt l'évolution entamée ? Est-ce à dire qu'à force de bouleversements on aurait remis en cause de subtils équilibres ? Pour le judaïsme, la rupture est aussi une manière d'avancer. Et ce n'est qu'en apparence qu'elle s'oppose à la continuité. Car nous savons que l'objectif est encore au devant de nous. Bientôt nous verrons poindre la grande lumière de Chavouot, nous saurons alors que nos efforts n'auront pas été vains. Jusque-là, notre esprit est entièrement tourné vers la nécessité de poursuivre notre ascension spirituelle. Parfois, les degrés en sont visibles et définis. A d'autres moments, c'est comme un vent puissant qui nous emporte mais le sens est toujours le même : pénétrés d'une volonté ferme, nous nous dotons de tout ce qui nous permet de poursuivre le chemin.
Alors que le deuxième Pessa'h va venir nous redire comme la réparation est toujours possible, comme rien n'est jamais définitivement perdu, c'est là un message qu'il faut savoir entendre et conserver en soi. L'histoire ne s'arrête pas là et c'est à chacun de la conduire.
Le baiser du secret
Le Machia'h enseignera à tous le sens profond de la Torah ainsi que les raisons des Mitsvot qui seront révélées alors. C'est ce que déclare le Cantique des cantiques (1:2) : «Embrasse-moi des baisers de ta bouche.» Rachi commente ce verset ainsi : «Et nous avons Son assurance qu'Il leur apparaîtra pour leur expliquer le sens profond et caché.»
Lors de la résurrection des morts, Moïse et tous les Sages ressusciteront et Machia'h leur enseignera également.
(D'après Likoutei Torah Vayukra p.17a)
A'haré- Kedochim : Retrait et retour
La mort de Nadav et Avihou
Notre Paracha commence par le verset : «Et l'Eternel parla à Moché après la mort des deux fils d'Aharon, lorsqu'ils s'approchèrent de l'Eternel et qu'ils moururent» (Vayikra 10). Pourquoi la Torah ajoute-t-elle: «ils moururent» alors qu'il a déjà été mentionné : «après la mort des deux fils d'Aharon» ?
Le Midrach cite les explications suivantes : ils avaient pénétré le Saint des Saints ; ils ne portaient pas les habits sacerdotaux nécessaires pour leur service, ils n'avaient pas d'enfants et n'étaient pas mariés. Se soulève donc une seconde question: où le Midrach prend-il sa source ? Où dans la Torah ces fautes sont-elles évoquées ?
Bien plus encore: comment supposer que les deux fils d'Aharon, Nadav et Avihou, aient pu se rendre coupables d'un péché ? Le Midrach relate que Moché dit à Aharon : «Aharon, mon frère, je savais que le Sanctuaire serait sanctifié par ceux qui sont les bien-aimés et les proches de D.ieu. Maintenant je sais qu'ils (Nadav et Avihou) sont plus grands que nous deux». Comment donc ces mêmes hommes ont-ils pu pécher?
Une extase fatale
Une explication 'hassidique avance que les deux fils d'Aharon ne péchèrent pas, au sens littéral. Leur «péché» fut celui de désirer s'approcher de D.ieu au point d'en mourir. Leur corps ne pouvait plus contenir leur âme. C'est pourquoi la Torah nous dit que «ils s'approchèrent de D.ieu (avec une telle passion) qu'ils moururent». Et c'est cela qui est considéré comme une faute! Car de même qu'un Juif doit se débarrasser de ses préoccupations matérielles au moment où il se tient plongé dans l'extase de son âme, il doit aussi revenir au travail que l'âme doit accomplir dans une existence matérielle.
Il est écrit dans l'Ethique de nos Pères(4 :22) «Contre ta volonté tu vis». Face au désir de l'âme de s'élever au-dessus du monde, s'impose la tâche de créer une résidence pour D.ieu à l'intérieur du monde. Nadav et Avihou parvinrent à l'extase mais non au retour. C'était là leur faute et la raison de leur mort. Ils «s'approchèrent de D.ieu et moururent». Ils permirent à leur passion spirituelle de l'emporter sur leur mission dans ce monde. Ils dépassèrent le monde et la vie elle-même.
Cet acte réside dans le cœur de chacune des quatre fautes évoquées par le Midrach.
Ils «pénétrèrent le Saint des Saints», les profondeurs les plus extrêmes de l'esprit, sans penser à leur retour dans le monde extérieur.
Ils ne «portaient pas les habits sacerdotaux», c'est-à-dire qu'ils étaient préoccupés par le fait de se dévêtir de l'habit du monde et de devenir purement spirituels. Ils avaient abandonné les vêtements nécessaires dans lesquels est vêtu le monde de D.ieu: les Mitsvot, les actions physiques qui sanctifient un environnement matériel.
«Ils n'avaient pas d'enfants et n'étaient pas mariés», ils n'accomplissaient donc pas le commandement de D.ieu de croître et de multiplier et de faire ainsi venir de nouvelles âmes dans le monde. Ils firent tout le contraire. Ils retirèrent leur propre âme de ce monde.
Toutes leurs fautes proviennent d'une erreur unique: croire que le Juif doit s'approcher de D.ieu par le retrait du monde plutôt qu'en s'y investissant. Or les deux attitudes sont nécessaires. Et c'est la raison pour laquelle, le jour de l'année où nous sommes le plus éloigné des préoccupations matérielles, Yom Kippour, nous commençons la lecture de la Torah par ces versets, pour nous rappeler notre tâche ultime.
De l'expérience à l'action
Tous les récits de la Torah ont un enseignement qui s'applique à chaque Juif et pas seulement à ceux d'entre nous qui ont atteint une grandeur extraordinaire. Quelle est donc alors la portée universelle de l'histoire de Nadav et Avihou? Il est sûr que tout le monde ne peut atteindre un niveau d'extase qui met sa vie en danger. Très peu ont besoin de cet avertissement mais qu'en est-il de tous les autres ?
Mais une chose est sûre, chaque Juif se trouve parfois réveillé par une expérience religieuse intense, le Chabbat ou les Fêtes, tout particulièrement pendant les jours solennels qui précèdent les fêtes de Tichri et plus encore à Yom Kippour. Pendant un certain temps, il se trouve porté en dehors de sa routine quotidienne, de ses anxiétés habituelles et il s'élève intérieurement en dehors des confins de son mode de pensée ordinaire.
C'est à ce moment-là qu'il doit se rappeler que quelle que soit son expérience spirituelle de ce moment privilégié, il doit la ramener avec lui lorsqu'il revient dans son monde quotidien. Il ne doit pas rechercher l'extase ou l'inspiration en elles-mêmes mais pour le retour qui les suivra. Une expérience religieuse ne doit pas rester un souvenir ; elle doit rester active et animer l'ensemble de sa vie. Il doit rapprocher D.ieu et le monde dans une synthèse harmonieuse.
La bénédiction de D.ieu
Le lien entre la manière d'entrer et de sortir du royaume de la sainteté ne s'applique pas uniquement au service du Juif mais aussi au monde matériel lui-même. Car tous les besoins du Juif, qu'ils soient matériels ou spirituels, émanent directement de D.ieu: «si tu marches selon Mes statuts et que tu gardes Mes commandements et les accomplis, Je te donnerai la pluie en son temps et la terre donnera ses produits... (Vayikra 26: 3-4)». Ce n'est que par l'intermédiaire d'une solide attache avec D.ieu que le Juif se trouve comblé matériellement. Celui qui dit: «il me conviendra de marcher selon l'entêtement de mon cœur» est toujours, en dernière analyse, dans l'erreur.
Et c'est ce que nous intime notre Paracha par la description de la procédure du service du Grand Prêtre. Ce n'est qu'après être entré dans le Saint des Saints qu'il avait la possibilité de prier pour la subsistance du Peuple et l'assurer.
C'est donc que le monde public que le Juif habite et le monde privé de son expérience religieuse sont intrinsèquement liés. Car s'il transfère cette expérience dans le monde, ce dernier s'en trouve sanctifié par l'homme et béni par D.ieu.
Qu'est-ce que Lag Baomer (cette année jeudi 7 mai 2015) ?
Le 33ème jour du compte de l'Omer rappelle la Hiloula (décès) de Rabbi Chimone Bar Yo'haï qui avait demandé que cette date soit célébrée comme un jour de joie (puisqu'il y avait achevé de façon parfaite sa mission sur terre). Ce jour marque une pause dans la période de deuil instituée à cause d'une terrible épidémie qui avait frappé les disciples de Rabbi Akiva).
- La veille et le jour de Lag Baomer, on ne récite pas les prières de Ta'hanoune (supplications).
- Nombre de gens ont la coutume de se rendre au tombeau de Rabbi Chimone Bar Yo'haï à Méron, près de Tibériade en Galilée ; on y procède à la première coupe de cheveux des garçons qui ont atteint l'âge de 3 ans depuis Pessa'h.
- On organise des réunions 'hassidiques joyeuses.
- On a la coutume de manger des caroubes, en souvenir de ces fruits dont se nourrissaient Rabbi Chimone et son fils Rabbi Eléazar quand ils se cachaient dans une grotte à cause des Romains. Certains ont aussi la coutume de manger des œufs durs dont la coquille serait devenue marron durant la cuisson.
- On donne davantage de Tsedaka (charité).
- Les enfants sortent et défilent tous ensemble fièrement dans la rue avec des drapeaux et des pancartes les encourageant à étudier la Torah et accomplir les Mitsvot : le but de la descente de l'âme dans le corps est de «marcher», d'avancer dans la vie. Ces défilés donnent chaleur et vitalité à l'étude formelle et prolongent l'enthousiasme des enfants dans leur éducation.
- Lag Baomer est un moment propice pour prier pour la naissance d'enfants et leur bonne éducation.
Psychologie ou poterie ?
C'était une jeune Américaine typique de la génération des baby-boomers. Sa famille revendiquait son appartenance au judaïsme et ne s'en cachait pas. Cependant, la pratique religieuse était inexistante.
Attirée par la spiritualité, elle devint hippie comme nombre de jeunes dans les années 60. Elle errait sur les routes, découvrait de nouvelles façons de vivre, s'ouvrait à d'autres cultures et arriva un jour à New York pour y étudier.
Quelqu'un lui proposa de se rendre auprès du Rabbi de Loubavitch à Crown Heights, Brooklyn :
- Tu devrais vraiment voir le Rabbi de Loubavitch ! C'est tout autre chose, tu verras !
Elle se dit que cela pourrait être profitable et fut invitée à se rendre au 770 Eastern Parkway en février 1973. Justement, le Rabbi prononçait un discours devant des femmes et des jeunes filles. Puis il resterait assis tandis que chaque femme ou jeune fille qui le souhaiterait pourrait s'approcher et lui demander une bénédiction ou lui poser une question.
Cette jeune fille décida de profiter de l'occasion :
- Je veux que vous sachiez, Monsieur le Rabbi, que je ne suis pas venue ici parce que je crois en vous et en toutes les histoires qu'on raconte sur vous. D'ailleurs, je ne crois pas dans tous ces récits miraculeux. Pour ne rien vous cacher, je ne suis pas loin de penser que vous dirigez une secte...
Le Rabbi écouta en souriant et rétorqua calmement :
- Alors expliquez-moi pourquoi vous êtes venue ?
Elle décrivit les études qu'elle suivait à l'Université puis posa sa question :
- Je termine bientôt mon cursus de psychologie. Mes parents voudraient que je me spécialise encore davantage mais, personnellement, je préférerais voyager en Extrême Orient et y apprendre l'art de la poterie. Que me conseillez-vous ?
- Je pense que les deux options sont louables et intéressantes. La psychologie et la poterie sont toutes les deux des vocations dignes et utiles. Et je ne peux pas vous indiquer laquelle serait la meilleure. Mais j'ai une troisième idée, ajouta le Rabbi, les yeux brillants. Pourquoi ne prendriez-vous pas un peu de temps pour vous connaître vous-même ? Pour découvrir et comprendre ce que signifie le fait d'être un être humain et d'être une fille juive ?
La réponse du Rabbi lui plut. Elle avait apprécié le fait que sa remarque préliminaire ne l'avait pas choqué, qu'il avait pris le temps de réfléchir à sa question, qu'il avait approuvé les deux options et avait été ouvert à ses aspirations. Elle avait été touchée par le respect qu'il lui avait manifesté et la finesse avec laquelle il avait présenté son idée : il avait senti qu'elle recherchait la vérité et qu'elle avait soif d'idéal.
Quelque temps plus tard, on lui suggéra de se rendre pour l'été au Séminaire Beth Hanna dans le Minnesota ; là elle pourrait approfondir ses connaissances juives et sans doute trouver des réponses à nombre de ses questions.
Elle sollicita alors une entrevue privée avec le Rabbi. Quand elle entra dans le bureau – cette fois-ci avec beaucoup plus de respect que la fois précédente – elle demanda au Rabbi s'il était judicieux pour elle d'aller étudier le judaïsme au Minnesota.
- Vous me demandez ce que j'en pense ? s'étonna le Rabbi avec un grand sourire. Vous savez certainement ce que j'en pense ! Bien sûr, je pense que vous devriez aller étudier au Beth Hanna !
Cet été, elle quitta Pittsburgh et se rendit à St Paul pour s'inscrire au Séminaire et tout le reste, vous l'avez deviné : elle étudia, observa, réfléchit et décida. Décida d'avancer dans la voie de la Torah.
Mais voici le message à retenir ici : il y avait donc là une personne qui, tout de go, déclarait qu'elle ne croyait en rien et se montrait ostensiblement dédaigneuse du mouvement et de l'idéal auxquels le Rabbi consacrait toute sa vie. N'importe quel autre interlocuteur l'aurait remise à sa place, peut-être même avec colère et lui aurait demandé de mieux se conduire en exigeant davantage de respect.
Mais alors, quel aurait été le résultat ?
Il l'aurait peut-être éduquée mais il ne l'aurait pas rapprochée, ne lui aurait pas fait connaître la beauté du judaïsme et de la Torah. Le Rabbi souhaitait offrir à cette jeune fille en qui il voyait la descendante de Sarah, Rivka, Ra'hel et Léa le cadeau de son identité juive, lui faire connaître son âme et parlait donc un langage qu'elle pouvait comprendre.
Et Rav Yossef Is'hak Jacobson conclut ainsi son histoire :
«Je connais bien cette histoire parce que cette jeune fille est devenue ma belle-mère, Madame Ra'hel Chlomo...».
Et l'auteur de ce récit ajoute : «Quant à moi, Y.T. je connais presque aussi bien cette histoire puisque cet été là, au Minnesota, celle qui allait devenir mon épouse partageait la même chambre que la future belle-mère de Rav Jacobson...».
Y.T. rapportant Rav Yossef Its'hak Jacobson
Traduit par Feiga Lubecki