Editorial
Savoir compterJour après jour, compter les jours, sans interruption, comme s’il s’agissait d’une chose essentielle, indispensable : quelle étrange pratique ! Comment comprendre que la Torah ait ritualisé cet acte avec une insistance suffisante pour qu’il soit, aujourd’hui, une pratique suivie dans toutes les synagogues du monde pendant la période de l’Omer ? Comment comprendre que le peuple juif, sous toutes les latitudes, s’y adonne avec conviction ? Certes, la période, dans son ensemble, est d’importance : ce sont les sept semaines qui s’écoulent entre la fête de Pessa’h, anniversaire de la sortie d’Egypte, et celle de Chavouot, anniversaire du Don de la Torah. Ces sept semaines sont un temps de préparation spirituelle intense. Elles ont un objectif : permettre à chacun de passer de la situation d’homme nouvellement libre, encore marqué par la servitude égyptienne, à celle de témoin de la révélation divine au Sinaï. L’enjeu est donc loin d’être anodin et l’entreprise loin d’être facile. Dans ce contexte, les quarante neuf jours en cause ne semblent pas trop longs. Cependant, à quoi sert donc le compte du temps qui passe ?
C’est que le temps est décidément un élément bien étrange. Parfois, il paraît s’écouler avec une telle lenteur qu’elle en devient désespérante. Mais il arrive aussi que sa fluidité empêche que l’on ait sur lui la moindre emprise. Il coule alors entre les doigts comme du sable fin que l’on ne sait jamais retenir. Pourtant, dans l’un et l’autre cas, il a conservé la même nature, seule notre perception lui a donné une autre apparence. C’est dire que, d’une certaine façon, le temps n’est jamais que ce que nous en faisons, que son existence objective indéniable est d’abord faite des rêves des hommes. Le compter prend alors un autre sens. Car ce rite lui donne, tout à coup, une épaisseur peu commune. Voici qu’il acquiert une importance dans chacun des instants qui le composent. Voici que chacun d’eux devient brusquement signifiant, comme animé d’une vie propre que, jusque là, il n’avait pas eue. Le temps cesse alors d’être ce long ruban qui se déroule continûment, presque avec indifférence. Il devient une succession d’instants de merveille, comme une suite d’univers.
Ce compte de l’Omer est ainsi l’espace d’une véritable découverte. Le jour n’est pas composé de vingt quatre heures mais bien de vingt quatre fois 3600 secondes. La vie est ainsi plus riche, plus pleine. Le monde a changé dans une de ses dimensions, comme un prélude au temps d’éternité.
Etincelles de Machiah
Plus élevé que MoïseMachia’h a une certaine supériorité même sur Moïse. Commentant la phrase du début de la Torah (Gen. 1:2) «et l’esprit de D.ieu planait…», les Sages enseignent (Béréchit Rabba 2:4) : «Cela fait référence à l’esprit de Machia’h». Le verset poursuit : «…sur la surface des eaux» ; cela représente un degré supérieur à celui de Moïse, ainsi nommé (Ex. 2:10) «parce que je t’ai tiré des eaux».
C’est pourquoi cet exil est si long – pour permettre de parvenir à cette élévation.
(d’après les Maamarim de l’Admour Hazakène sur les Parchyot, p.237)
Vivre avec la Paracha
A’hareï Mot - KedochimN’y a–t-il pas de gris ?
Pour de nombreuses personnes, penser à un code religieux signifie presque automatiquement évoquer une liste d’actes à «faire» et «à ne pas faire». Définir ainsi les choses en noir et blanc fait du service divin un défi plus facile à relever. Quand un individu sait ce qui lui est enjoint de faire et ce qui lui est interdit, sa tâche est précise. En réalité, il peut rencontrer des obstacles mais la connaissance de ce qui est «juste» et «erroné» lui permet plus facilement de les surmonter et la détermination de faire ce qui est «juste» éveille des potentiels innés puissants.
Bien plus encore, même si l’on faillit, le fait de savoir ce qui est «juste» est important. Il existe toujours la possibilité de corriger sa conduite par la techouvah, le regret sincère. Quand une personne possède un code absolu de ce qui doit se faire et ne pas se faire, elle est consciente de ses transgressions. Cela lui permet de regretter sincèrement sa conduite et d’entreprendre de la rectifier.
Mais la vie n’est pas seulement en noir et blanc, pas plus que la conception juive du service divin. Pour prendre un exemple simple, le choix d’une alimentation cachère constitue simplement le commencement de notre service divin en matière de nourriture. Mais même lorsque l’aliment est cacher, il faut le consommer dans l’intention d’utiliser l’énergie divine qu’il contient pour servir le Créateur.
Il en va de même pour la vie en général. Même celui qui ne s’implique que dans ce qui est permis et prend la peine de ne violer aucune interdiction peut être trop épris de lui-même et trop égocentrique. Pour nous préserver de ces défauts, la Torah nous enjoint : «Soyez saints», c'est-à-dire conduisez-vous avec une réserve réfléchie, étant sûrs que «toutes vos actions sont motivées par le Ciel». Et à un niveau supérieur, il nous faut «connaître D.ieu dans toutes Ses voies».
Cette approche est fondamentale dans la pensée ‘hassidique. Dans le Tanya, Rabbi Chnéour Zalman identifie «chaque acte… qui ne contient aucun interdit… mais n’est pas accompli pour l’amour de D.ieu… même lorsqu’il s’agit d’un besoin du corps, [nécessaire] pour son existence même et sa vie» comme une Klipah. Ce terme qui signifie littéralement «écorce» ou «enveloppe» prend pour la Kabbale un sens péjoratif évoquant le mal. Car tout comme une personne s’intéresserait à l’écorce ou l’enveloppe du fruit au lieu du fruit lui-même, elle peut également se préoccuper des aspects superficiels, matériels du monde et ignorer son essence divine. Et puisque ainsi elle ne sert pas D.ieu, elle s’en sépare.
Implication mais non ascétisme
Ce concept jette la lumière sur ce que le Judaïsme entend par «sainteté». Le mot hébreu Kadoch, signifiant «saint» implique la séparation. C’est ce qu’exprime la fin de notre lecture hebdomadaire de la Torah : «Vous serez saints pour Moi, car Moi, D.ieu, suis saint et Je vous ai séparés des nations pour être Miens».
Une telle séparation n’est pas nécessaire en ce qui concerne les dimensions rituelles de la Torah et de ses Mitsvot. Elles sont évidemment distinctes, il n’est nul besoin pour l’homme de le marquer davantage. Par contre, la Paracha de cette semaine s’intéresse à ce qui concerne tous les mortels. Aussi, se préoccupe-t-elle des lois qui tournent autour de l’agriculture, des relations humaines, du travail et de la moralité. Car c’est dans ces sphères «profanes» que s’exprime la sainteté du Peuple Juif.
«Vous pouvez être comme Moi»
Par ailleurs, Kedouchah, «sainteté», se réfère également au niveau qui dépasse l’existence matérielle, à la lumière divine qui est, par ailleurs séparée et distincte de notre cadre humain de référence. Mais bien que cette sainteté ne puisse être perçue par nos sens mortels, elle ne nous est pas complètement inaccessible.
Ce concept se reflète dans l’interprétation ‘hassidique du passage du Midrach:
Il est écrit : « ‘Soyez saints’. Cela signifie-t-il que vous pouvez être comme Moi [D.ieu] ? Le verset poursuit : ‘puisque Moi Qui suis l’Eternel, votre D.ieu, Je suis saint’; Ma sainteté est plus grande que la vôtre. »
Cependant, la pensée ‘hassidique interprète les mots hébreux
«Ya’hol Camoni» traduits par «celui signifie-t-il que vous pouvez être comme Moi ?» comme signifiant : «Vous pouvez être comme Moi», autrement dit, chaque être humain peut parvenir à un niveau de sainteté équivalent à celui de D.ieu Lui-Même. Puisque chacun d’entre nous possède une âme qui est «une réelle partie de D.ieu» et que «Moi, l’Eternel votre D.ieu, suis saint», nous pouvons tous atteindre le plus haut niveau de sainteté.
En fait, l’humanité peut même, pour ainsi dire, «embellir» la sainteté de D.ieu, comme le déclarent nos Sages : «Si vous vous rendez saints, Je considérerai que vous Me sanctifiez».
L’intérieur à l’extérieur
Ces deux concepts sont liés. Parce que l’être humain possède une «réelle partie de D.ieu» dans son être, il lui est possible d‘apprécier et d’exprimer la sainteté à tous les niveaux, même à l’intérieur de l’existence matérielle.
Plus encore, ce potentiel intérieur pousse chaque individu à rechercher des étapes supérieures dans le domaine de la sainteté. Tout comme D.ieu est sans limite, transcendant tous les niveaux, chaque personne peut accéder à des niveaux plus élevés.
Le Coin de la Halacha
Comment se comporter à l’école ?Même et surtout à l’école – ou en tout autre endroit – on respecte la propriété d’autrui :
- on n’abîme pas et on ne salit pas le mobilier et l’établissement dans lequel on se trouve.
- on n’ «emprunte» ni livre ni cahier de ses camarades sans leur consentement : c’est considéré comme du vol sauf si on est sûr que son ami ne s’en offusquera pas. Le Talmud raconte qu’une fois, on soupçonna un voleur de se cacher dans un groupe : quand on aperçut une des personnes en question qui s’essuyait les mains sur le vêtement d’un de ses camarades, on comprit que c’était lui le voleur, car il ne respectait pas le bien d’autrui.
- il est habituel d’autoriser quelqu’un à utiliser un livre de prière ou d’autres livres d’usage courant même sans qu’il ait demandé la permission. Mais on évitera de se servir des autres livres.
- il est bien évidemment interdit de copier durant les contrôles scolaires et les examens, quelle que soit leur importance : cela s’appelle «Guenevat Daat», faire croire à des compétences qu’on n’a pas.
- de plus, si on obtient un diplôme et donc éventuellement un travail grâce à ces examens truqués, on se rend véritablement coupable de vol, ce qui est interdit aussi bien aux Juifs qu’aux non-Juifs.
- de même on n’aidera pas un camarade en lui soufflant des réponses ou en lui faisant des signes pour sous-entendre la réponse correcte. Cela s’apparente à l’interdiction : «Devant l’aveugle, tu ne placeras pas d’embûche» ou, en tous cas, à l’interdiction d’aider quelqu’un à transgresser la loi.
- on ne laissera pas non plus son camarade copier ce qu’on a écrit pendant un examen, car cela équivaudrait à l’aider à voler.
F. L. (d’après Rav Yossef Ginsburgh)
De Recit de la Semaine
De la “ Brit Mila ” au mariageDurant une joyeuse réunion, alors que les ‘Hassidim buvaient du vin au miel, Reb Moché raconta l’histoire suivante :
“ Il y a très longtemps, alors que je faisais étape à Vienne, j’envoyai un de mes domestiques m’acheter une bouteille de vin au miel dans une taverne juive des environs. Quand il me la rapporta, je goûtai à ce vin qui était le plus délicieux que j’ai jamais bu. D’ailleurs il était si bon que j’envoyai immédiatement mon serviteur m’en acheter dix autres bouteilles que je pourrais rapporter chez moi et apprécier encore durant quelques années. Mais il revint les mains vides. Je pensai qu’il n’avait pas eu assez d’argent et pensai lui en confier davantage mais il secoua la tête : “ Non, dit-il, ce n’est pas le problème. C’est tout simplement qu’il n’existe plus de ce délicieux vin au miel ! ”
Etonné, je décidai d’aller voir par moi-même. Quand j’entrai dans l’auberge, je vis qu’il s’y déroulait justement un repas de fête, en fait un repas de mariage. Je m’approchai discrètement de l’aubergiste et lui demandai s’il pouvait me procurer de ce merveilleux vin.
“ Non, répondit-il, il n’y en a plus et, en toute franchise il n’y en aura jamais plus ! ”
Et il me raconta son histoire :
“ De longues années auparavant, il avait été “Mohel” (circonciseur). Il s’était fixé comme règle de ne jamais refuser d’accomplir une telle “Mitsva” sur un enfant juif, quelles que soient les circonstances.
Une année, la veille de Yom Kippour, un fermier juif avait frappé à sa porte : il venait de loin lui annoncer que son fils venait d’atteindre l’âge de huit jours et qu’il fallait donc le circoncire le jour-même selon la loi juive. C’était la veille de Yom Kippour et ni le père ni le “Mohel” n’avaient assez d’argent pour louer un chariot : ils étaient donc obligés de s’y rendre à pied. Le paysan, plus aguerri, marchait si vite que bientôt le Mohel le perdit de vue et fut obligé de trouver son chemin tout seul.
Des heures plus tard, il arriva enfin au village, demanda aux habitants où vivait cette famille qui venait d’avoir un bébé et trouva la maman très faible, allongée avec son bébé. Le père avait disparu, pensant sans doute qu’il n’était pas indispensable pour la “Brit Mila” de son propre fils.
Le problème était sérieux : qui pourrait faire office de “Sandak”, celui qui tient sur ses genoux le bébé durant la circoncision ? Le temps pressait et, sans un “Sandak”, la procédure s’avérait très dangereuse.
Le Mohel sortit dans la rue, espérant trouver un Juif qui accepterait de remplir cette fonction, qui est d’habitude considérée comme un grand honneur. La rue était déserte ! Finalement il aperçut un vieux mendiant et il l’aborda, plein d’espoir :
- Je n’ai pas le temps, dit le mendiant avec un geste d’impatience ! Ce soir, c’est Yom Kippour et, en allant en ville, de porte en porte, je peux espérer récolter au moins un rouble en dons charitables.
Le Mohel n’eut d’autre choix que de lui promettre de lui payer un rouble s’il acceptait de servir comme “Sandak”. A ce prix, le mendiant n’hésita pas et la circoncision put s’effectuer sans incident. Le Mohel put alors reprendre la route en sens inverse pour rejoindre la ville avant la fête.
Après s’être trempé au Mikvé (bain rituel) et avoir prié “Min’ha”, le Mohel rentra chez lui pour le dernier repas avant le jeûne. A sa grande surprise, il trouva le mendiant qui l’attendait devant sa porte. Il lui donna le rouble qu’il lui avait promis mais le mendiant exigea également un verre de vin au miel. Le Mohel était maintenant vraiment très fatigué et peu enclin à recevoir un invité, mais il fit néanmoins entrer l’étranger à qui il servit un verre. Cela ne satisfaisait toujours pas le mendiant qui insista pour que le Mohel se serve également un verre de vin au miel afin qu’ils puissent se souhaiter mutuellement une bonne et douce année, selon la formule consacrée. Le Mohel n’eut d’autre choix que de se plier encore à cette exigence.
- Dites-moi, demanda le vieil homme, décidément infatigable, y a-t-il encore du vin dans ce tonneau ?
- Très peu, répondit le Mohel en étouffant un baillement.
- Il y aura toujours du vin au miel dans ce tonneau, dit le mendiant d’un ton sentencieux, jusqu’à ce que soit prononcée la dernière bénédiction lors du repas de noces de votre fils qui dort dans ce berceau !
- La bénédiction s’est accomplie intégralement, conclut l’aubergiste. Pour moi il est évident que ce vieil homme n’était autre qu’Eliahou Hanavi, le prophète Elie. Grâce à lui, ce tonneau a toujours été rempli de vin au miel, ce qui m’a permis de m’enrichir et d’acquérir cette auberge. J’avais complètement oublié cet épisode… Jusqu’à aujourd’hui, quand le tonneau est soudain tombé et s’est cassé justement quand nous récitions les bénédictions du repas de noces de mon fils.
Et c’est pourquoi je peux vous affirmer, à mon grand regret, qu’il n’y aura plus jamais un aussi bon vin au miel… ”
Traduit par Feiga Lubecki