Plus grand que soi
Lorsque l’on traverse les jours de l’Omer, entre ces deux grandes balises que constituent les fêtes de Pessa’h et de Chavouot, on ne peut pas ne pas noter la connotation de tristesse qui s’y attache et vient comme doubler la signification naturelle de ces jours, toute d’attente et de progrès constant. La raison de cette tristesse est connue : la mort des milliers de disciples de Rabbi Akiba, hommes d’une stature spirituelle élevée qui, à l’époque romaine, en un temps tragique, incarnaient l’espoir renaissant du peuple juif. Ce drame a une cause explicitée par les sages : un manque d’amour et d’unité entre les disciples. Certes, ce manque n’était pas motivé par un sentiment d’égoïsme ou d’orgueil, les disciples de Rabbi Akiba étaient bien au-dessus de telles pensées. C’est même, nous est-il précisé, le souci bien intentionné de l’autre qui, paradoxalement, en fut à l’origine. Mais, appliquant ces principes à nous-mêmes, la seule idée d’une défaillance apparaît ici dans toute ses conséquences.
Il s’agissait de disciples dont on a souligné la grandeur, qui les rendait dignes d’être les élèves de Rabbi Akiba. On a dit que leur motivation était pure. Pourtant le drame surgit. C’est que l’unité et l’amour sont des notions précieuses. De fait, les hommes sont tous différents ; ils ne pensent ni ne ressentent de façon identique. De plus, la condition humaine nous conduit à privilégier notre propre pérennité, notre prospérité personnelle de préférence à celles d’autrui, comme une sorte d’instinct de conservation généralisé. Justement, cette histoire nous le rappelle : pour atteindre la qualité spirituelle attendue, il nous faut aller au-delà. Il nous faut, en quelque sorte, nous oublier, presque nous effacer, pour laisser place à l’autre. Comment y parvenir ? peut-on légitimement se demander. Nous sommes ainsi invités à prendre conscience d’une réalité plus profonde. Membres d’un peuple unique, nous constituons essentiellement une seule grande entité et les différences qui paraissent nous séparer ne sont pas plus importantes que celles qui distinguent les membres d’un même corps l’un de l’autre.
Il nous appartient de réaliser concrètement cette unité. L’autre n’est pas plus loin de soi qu’une partie de soi-même. Et même si matériellement cela semble difficile à entrevoir, c’est pourtant ainsi qu’il faut vivre et se percevoir. L’individualité est évidemment fondamentale mais, précisément pour cette raison, elle ne doit pas conduire à oublier l’appartenance parallèle à un plus grand tout. Unité, amour, qui qu’on soit, quel que soit notre mode de vie, ce sont les maîtres-mots de la période et sans doute ceux de toute une vie d’harmonie, de bonheur et de progrès.
Le baiser du secret
Le Machia’h enseignera à tous le sens profond de la Torah ainsi que les raisons des Mitsvot qui seront révélées alors. C’est ce que déclare le Cantique des cantiques (1:2) : « Embrasse-moi des baisers de ta bouche. » Rachi commente ce verset ainsi : « Et nous avons Son assurance qu’Il leur apparaîtra pour leur expliquer le sens profond et caché. »
Lors de la résurrection des morts, Moïse et tous les Sages ressusciteront et Machia’h leur enseignera également.
(D’après Likoutei Torah Vayukra p.17a)
A’haré - Kedochim
A’haré
Après la mort de Nadav et Avihou, D.ieu donne un avertissement interdisant l’entrée non autorisée « dans le Saint des Saints ». Une seule personne, le Cohen Gadol (le Grand Prêtre) peut, une seule fois dans l’année, à Yom Kippour, pénétrer dans la pièce la plus intérieure du Sanctuaire pour y offrir à D.ieu le sacrifice des Ketorèth (encens).
Une des autres caractéristiques du service du Jour du Pardon est le « tirage au sort » exercé sur deux béliers, pour déterminer lequel sera offert à D.ieu et lequel sera envoyé dans le désert, chargé des péchés du Peuple d’Israël.
La Paracha A’haré avertit également contre le fait de n’apporter des korbanot (offrandes animales ou alimentaires) nulle part ailleurs que dans le Saint Temple, interdit la consommation du sang et détaille les lois prohibant l’inceste et d’autres relations déviantes.
Kedochim
La Paracha Kedochim commence par le statut : « Vous serez saints car Moi, l’Éternel votre D.ieu, Je suis saint ». S’ensuivent des dizaines de mitsvot (commandements divins) par l’intermédiaire desquels le Juif se sanctifie et se lie à la sainteté de D.ieu.
Elles comprennent : l’interdiction d’idolâtrie, la Mitsva de la charité, le principe d’égalité devant la loi, le Chabbat, la moralité, l’honnêteté dans les affaires, l’honneur et la crainte de ses parents et le respect de la valeur sacrée de la vie.
On peut également lire dans Kedochim le célèbre commandement, qualifié par le grand Sage, Rabbi Akiva, de principe cardinal de la Torah, et dont Hillel disait : « Voilà toute la Torah, tout le reste n’est que commentaire », « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
A’haré : le foyer du Cohen Gadol
Dans la description du service du Cohen Gadol (le Grand Prêtre) lors de Yom Kippour, la Paracha A’haré indique que le Cohen Gadol « se repentira pour lui-même et pour son foyer ». Nos Sages expliquent que « son foyer » signifie « sa femme ».
En statuant que le Cohen Gadol doit se repentir pour lui et sa femme, le verset implique qu’il doit être marié. Cependant, cette exigence ne s’applique qu’à Yom Kippour. Durant le reste de l’année, il peut accomplir son service, quand bien même il est célibataire.
Yom Kippour représente le paroxysme du service spirituel. C’est en ce jour que l’homme le plus saint du Peuple juif, le Cohen Gadol, effectuait son service dans le lieu le plus saint : le Kodèch Hakodachim (le Saint des Saints), le jour le plus saint de l’année.
Pourquoi donc était-il impératif qu’il soit marié pour se livrer à ce service si sacré ? Cela est d’autant plus étonnant qu’il était nécessaire qu’il se sépare de sa femme durant la semaine précédant Yom Kippour.
Le fait que la Torah se réfère à l’épouse du Cohen Gadol par l’expression « son foyer » plutôt que par « sa femme » prouve que non seulement il devait être marié mais également qu’au moment du service de Yom Kippour, il devait avoir une femme qui était « son foyer ».
Quelle est la qualité supérieure de la femme qui en fait son « foyer » ? En outre, que signifie le fait que la femme du Cohen Gadol est son « foyer » ?
Le célèbre Sage, Rabbi Yossi, dit un jour : « Je ne me suis jamais référé à mon épouse comme à « ma femme » mais comme à « mon foyer ».
Il s’agissait ici l’une des nombreuses déclarations qu’il fit concernant sa conduite qu’il s’efforçait d’être exemplaire. Qu’avait donc de particulier cette référence à son épouse ?
Il cherchait à indiquer sa prise de conscience que le but du mariage est d’accomplir le commandement : « croissez et multipliez-vous », de construire un foyer juif rempli d’enfants. Il considérait donc son épouse comme « son foyer ».
Cependant, le degré de sainteté de Rabbi Yossi était tel que pour lui, la vie mariée se concentrait sur le fait qu’elle permettait d’avoir des enfants. En évoquant sa femme, il envisageait donc le résultat de son mariage : un foyer juif plein d’enfants.
A Yom Kippour, le Cohen Gadol était investi de l’impressionnante responsabilité d’obtenir le pardon pour lui-même, pour son « foyer » et surtout pour tout Israël.
On comprend donc aisément que pour y parvenir, il devait s’élever au plus haut niveau spirituel. Une partie de ce processus résidait dans le fait de se sanctifier au point où il considérait sa femme comme « son foyer ».
Kedochim : deux formes d’Ahavat Israël
L’un des commandements que l’on rencontre dans la paracha Kedochim est Ahavat Israël : le fait d’aimer son prochain comme soi-même. Deux célèbres commentaires s’appliquent à cette Mitsva, celui de Rabbi Akiva : « C’est un principe important de la Torah » et celui d’Hillel : « C’est là toute la Torah, tout le reste n’est que commentaire. »
Hillel vivait de nombreuses générations avant Rabbi Akiva. Puisque sa déclaration avait déjà désigné Ahavat Israël comme « la Torah toute entière », que cherchait à souligner Rabbi Akiva en le qualifiant de « [simplement] un principe important de la Torah » ?
Comment concilier ces deux déclarations apparemment contradictoires ?
L’explication en est la suivante : les âmes du Peuple juif, comme elles existent dans leur source, sont véritablement supérieures à la Torah. Cependant, quand les âmes juives descendent dans ce monde, la Torah leur est supérieure. Leur réunification avec D.ieu ne peut se produire que par l’intermédiaire de la Torah.
Cela donne naissance à deux extrêmes dans la personnalité juive : d’une part, quels que soient ses péchés, le Juif garde sa Judaïté intacte car son lien éternel avec D.ieu transcende le service de la Torah et des Mitsvot.
Par ailleurs, étant donné la profondeur de sa relation avec D.ieu, même celui qui s’est rendu coupable des plus grands péchés est assuré qu’il finira par retrouver le chemin de la droiture.
Ce qui précède suscite deux approches totalement opposées concernant Ahavat Israël.
L’essence de l’amour du Juif pour son prochain juif découle de l’unité essentielle dans la racine et la source éternelle des âmes : un lien qui transcende les stipulations et les restrictions de la Torah. Gardant en mémoire cette unité essentielle, tous les Juifs doivent aimer du même amour même ceux qui se sont éloignés de D.ieu et du service spirituel.
On comprend ainsi aisément que cet amour est sujet aux lois de la Torah. C’est pourquoi la Michna affirme : « Aime les créatures et rapproche-les de la Torah ». Aimer son prochain s’exprime par le fait de le ramener à la Torah et non d’abaisser la Torah à son niveau.
Les expressions différentes de Rabbi Akiva et d’Hillel à ce sujet se comprennent dans la même perspective.
Rabbi Akiva parle du niveau pratique d’Ahavat Israël, le niveau lié aux exigences de la Torah. Il ne peut donc dire qu’Ahavat Israël est « toute la Torah » car alors la Torah pourrait être échangée avec Ahavat Israël. Il s’agit donc d’un « principe important » de la Torah, sujet à ses lois et ses régulations.
Par contre, Hillel parle d’Ahavat Israël en relation avec la source du Juif, le niveau où chaque Juif précède la Torah. A ce niveau, toute la Torah existe pour le bien du Peuple juif car son observance révèle les qualités uniques de notre nation.
Et puisque la qualité essentielle du Peuple juif se révèle par Ahavat Israël, il en découle que « c’est là toute la Torah, tout le reste n’est que commentaire ».
Peut-on retarder un mariage ?
Il convient tout d’abord de rappeler qu’un mariage n’est pas obligatoirement un événement qui doit être éblouissant du point de vue du luxe déployé. C’est la consécration d’un lien qui aboutit à la construction d’un nouveau foyer juif. L’élément principal doit être la confiance en D.ieu Qui bénira le couple pour lui assurer une vie heureuse, dans la joie, avec la naissance d’enfants dans l’abondance matérielle et la satisfaction spirituelle.
Quand un couple se marie, il associe D.ieu dans la formation de cette nouvelle famille et s’engage à respecter les lois de la Torah.
Selon la Torah, il convient d’avancer au maximum la date du mariage - surtout avec les épreuves de la vie moderne d’aujourd’hui.
Tout au long de son histoire, le peuple juif a connu persécutions et guerres mais a continué de célébrer des mariages même en tout petit comité - sans attendre des temps meilleurs.
Ces mariages n’en étaient pas moins joyeux malgré le nombre restreint de convives. Les repas et la musique n’étaient peut-être pas impressionnants, il n’y avait souvent même pas de photos pour immortaliser la journée mais ces mariages se sont caractérisés par leur solidité à toute épreuve.
Quelles que soient les conditions (maladie du fiancé ou de la fiancée etc.), on ne retardera un mariage que pour un temps minimum et on ne prendra pas en compte d’autres considérations (plus d’argent, disponibilité d’une salle, difficulté de trouver un logement etc.). Le mariage est la bénédiction qui apportera la solution.
(d’après Rav Yossef Ginsburgh – Si’hat Hachavoua N° 1752
Tout s’arrange…
La proposition fut acceptée à une forte majorité. Quatorze voix pour, deux voix contre. Le comité décida donc d’accepter de vendre le bâtiment au Beth ‘Habad (centre communautaire) local.
Rav Yossi Marozov et son épouse étaient les émissaires du Rabbi dans la ville de Cleveland, Ohio (États-Unis). Quatre ans après l’ouverture de leur Beth ‘Habad, ils avaient ouvert un Centre appelé Friendship Circle pour « enfants remarquables » et leurs parents. Très vite, ce Centre s’était développé et avait offert ses services à de nombreuses familles, reconnaissantes qu’on prenne en compte leurs difficultés et les challenges auxquels elles devaient faire face.
En 2006, Rav Marozov avait appris que le bâtiment contigu à son Beth ‘Habad était mis en vente : aussi bien la construction que son emplacement convenaient parfaitement pour les activités de son Centre et il proposa de l’acheter. Le propriétaire était une organisation juive dont le but était de développer la culture yiddish ainsi que les droits des travailleurs. Rav Marozov connaissait bien plusieurs des notables de cette organisation : il avait déjà participé à des activités dans l’école et, comme il parlait couramment le yiddish, il avait tissé des liens étroits avec quelques membres du comité. Sa proposition avait été étudiée et acceptée presqu’à l’unanimité, à sa grande satisfaction.
Qui étaient les deux opposants ?
Il s’agissait d’un couple âgé, Ari et Marlène Keygan. Ils étaient tellement opposés à la transaction qu’ils menacèrent de quitter leurs fonctions dans le comité directeur.
Après une rapide enquête, Rav Marozov comprit d’où venait leur opposition : d’abord ils estimaient qu’on pouvait obtenir un meilleur prix pour le bâtiment. De plus, ils ne pouvaient pas admettre qu’il soit vendu au mouvement Loubavitch dont le style de judaïsme était absolument opposé à leur idéologie.
La décision avait été prise mais ce couple était décidé à s’y opposer de toutes ses forces et ceci avait créé une très mauvaise atmosphère parmi les membres de l’organisation.
Rav Marozov était par ailleurs confronté à un autre grand défi : il avait soixante jours pour trouver 235 000 dollars pour le premier paiement, ce qui lui apparaissait comme impossible. Il décida de se rendre à New York pour aller prier auprès du Ohel du Rabbi, au cimetière Montefiore de Queens et demander l’aide du Rabbi pour parvenir à amasser la somme nécessaire. Assis dans la tente avant d’entrer au Ohel, il écrivit dans sa lettre le problème qui le préoccupait. Dans quelques heures, il devait reprendre l’avion pour retourner chez lui, il se hâta, parvint à attraper le dernier avion de la journée et fut d’ailleurs le dernier passager admis dans l’appareil.
Il chercha le siège qui lui était attribué, à côté du hublot. Les deux premiers sièges étaient occupés par un homme et une femme âgés : il devait donc leur demander de se lever pour le laisser atteindre sa place.
Puis il s’aperçut qu’en fait, l’avion était presque vide et il signala à ces deux personnes qu’il irait s’assoir ailleurs et qu’il n’était pas nécessaire qu’ils se dérangent.
- A dank (merci)! répondit l’homme en yiddish.
Rav Marozov saisit immédiatement que la Providence Divine l’avait mis en contact avec un couple juif et qu’il ne devait pas rater l’occasion. Il murmura quelques excuses pour s’asseoir finalement sur le siège qui lui avait été attribué et demanda si cela ne les dérangeait pas qu’il prenne place à côté d’eux durant le trajet.
- Mit Fargueniguen (Avec plaisir) ! répondit l’homme, de nouveau en yiddish.
Après quelques paroles de courtoisie, Rav Marozov demanda leurs noms :
- Ari Keygan ! répondit l’homme.
- Alors vous, Madame, vous êtes sans doute Mme Marlène Keygan, n’est-ce pas ?
Sans attendre leur réponse, il se présenta :
- Je suis Rav Yossi Marozov, du Friendship Circle qui œuvre pour les enfants handicapés…
Maintenant c’était au tour des deux passagers d’être abasourdis. Ils réalisaient que, pendant tout le vol, ils seraient « coincés » avec ce rabbin qui, somme toute, n’était pas aussi antipathique qu’ils l’avaient pensé. Petit à petit, la tension initiale s’estompa. Quant à Rav Marozov, il voyait là la Main de la Providence Divine qui se manifestait justement alors qu’il revenait du Ohel du Rabbi où il avait prié pour le bon déroulement de toute l’opération. Il n’allait certainement pas laisser passer l’occasion.
Il énuméra devant ses « voisins » les buts de son organisation, les différents problèmes que rencontraient ses protégés et le réconfort que ces activités leur apportaient. Telle était la raison pour laquelle il avait absolument besoin de ce bâtiment : élargir ses activités et aider ces enfants à développer toutes leurs capacités. M. et Mme Keygan l’écoutaient attentivement et finirent par se demander - sans l’exprimer bien sûr - pourquoi ils avaient fait preuve de tant d’entêtement. Puis ils évoquèrent des sujets touchant à la foi et au judaïsme : les Keygan prétendirent être sceptiques et même athées mais la conversation était agréable et sincère.
Alors que l’avion approchait de sa destination, Rav Marozov précisa pourquoi il avait entrepris ce voyage aller-retour à New York le même jour et demanda tout de go à Ari :
- A votre avis, qui nous a fait nous rencontrer ?
- Ess Is G.ott, c’est D.ieu ! répondit spontanément Ari, réalisant en même temps combien il était, au fond, profondément croyant.
Avant de se séparer, Ari nota son nom et son adresse sur un papier qu’il donna à Rav Marozov en l’invitant à venir lui rendre visite dès qu’il en aurait l’occasion.
Depuis cette rencontre dans l’avion, les relations se détendirent et se transformèrent même en une solide amitié. Non seulement Ari et Marlène ne s’opposèrent plus à l’achat du bâtiment mais ils s’engagèrent même à en financer une part non négligeable !
Très rapidement, Rav Marozov réussit à récolter miraculeusement les fonds manquants et put installer dans un bâtiment spécialement aménagé ses protégés et toute l’équipe dévouée à leur service. Par la suite, son Friendship Circle s’élargit tellement qu’il acheta un bâtiment encore plus grand.
« Telle est la force de la prière auprès du Ohel du Rabbi ! ».
Si’hat Hachavoua N° 1785
Traduit par Feiga Lubecki