Un texte pour le meilleur de l’homme
Un texte pour le meilleur de l’homme Lorsque la nature retrouve ses forces, que les arbres se gonflent de sève et que tout ce qui touche au monde matériel et à ses désirs présente une vigueur redoublée, les Sages ont commandé d’étudier chaque semaine un texte : les Pirkeï Avot ou Maximes des Pères. Vision du monde, mode de vie, morale lumineuse et chemin du lien avec D.ieu, les Pirkeï Avot sont tout cela à la fois. C’est qu’ils ont une ambition affirmée : changer le monde et notre manière de le considérer. Si l’on voulait le dire en d’autres termes : les Pirkeï Avot sont un texte de civilisation. Il est vrai que l’homme n’a guère de choix que de s’inscrire dans un tel projet. Il est habituel de dire qu’il est une créature constituée de deux pôles. D’un côté, il incarne un potentiel de spiritualité infinie. D’un autre côté, son aspect physique l’ancre dans la matérialité, voire une certaine grossièreté. Selon qu’il suive l’un un ou l’autre, il prend une dimension différente et entraîne avec lui l’ensemble de l’univers. C’est là la puissance particulière qui lui a été confiée. Son rôle est donc essentiel. Si cette idée est vraie en tout temps et en tout lieu, elle l’est sans doute encore plus lorsqu’une époque semble oublier ces règles de morale qui ont toujours fait la grandeur et la pérennité des civilisations. Lorsque le temps permet que, ici où là sur la planète, le quotidien se remplisse souvent du massacre de gens innocents, lorsque les mots ne font plus sens et que la parole prononcée n’engage plus que celui qui l’entend, lorsque l’honnêteté semble avoir parfois déserté le monde des puissants, lorsque tout cela finit par être ressenti comme une violence insupportable à même de ruiner les rapports sociaux, les textes de civilisation sont plus précieux qu’on ne saurait le dire. Ils réaffirment une vision, désignant une direction plus claire aux choses du monde. Les remettant à leur véritable place, ils donnent enfin à vivre pleinement la condition humaine. En une époque troublée, c’est peut-être aussi avec ce regard qu’il faut les lire. Ils sont porteurs d’une sagesse ancienne et nouvelle à la fois. L’homme est décidément capable du meilleur même s’il n’en choisit pas toujours le chemin. Comprendre que c’est pourtant là le but, c’est, pour tous, avancer vers l’ultime bonheur.
Haim Nisenbaum
La fin complète de l’exil
Lorsque Machia’h viendra, aucun Juif ne restera en exil. Le texte de la Torah (Deut. 30:3) déclare ainsi « D.ieu ramènera ta captivité », ce que Rachi commente : « De Ses mains, Il prendra concrètement chacun de son endroit, comme dit le verset ‘Et vous serez rassemblés un par un, enfants d’Israël’. » Par ailleurs, on sait que le retour à D.ieu est le facteur qui amènera la venue de Machia’h. Il est donc clair que, de même que la Délivrance atteindra chacun individuellement, ainsi le retour sincère à D.ieu doit aussi être l’œuvre de chacun. (D’après Likoutei Si’hot, vol. XI, p. 2) H.N.
A’haré Kedochim : Une énigme biblique
L’une des plus mystérieuses morts que relate la Bible est celle qui mit fin à la vie des deux fils d’Aharon : Nadav et Avihou, alors qu’ils faisaient l’offrande d’encens dans le Temple. «Un feu descendit et les consuma et ils moururent devant D.ieu». Si la manière dont ils moururent est claire, la cause, elle, ne l’est pas. La logique divine qui se cache derrière cette tragédie a interpelé de nombreux commentateurs, à toutes les époques. Ils ont offert un certain nombre d’explications s’appuyant, en grande partie, sur le langage et le contexte du récit biblique. Entre autres : ils avaient pénétré le Saint des Saints du Tabernacle, sans permission divine, ils ne portaient pas les vêtements adéquats pour le service sacerdotal, ils ne s’étaient jamais mariés etc. Mais n’existe-t-il pas une approche des faits qui pourrait jeter une autre lumière sur leurs actions ? Un portrait contradictoire Ecoutons la conversation qui se tint entre Moché et Aharon, tout de suite après qu’Aharon eut subi cette immense perte. Moché s’adressa ainsi à Aharon : «Mon frère, au mont Sinaï, D.ieu m’a dit : «Je sanctifierai cette Maison et c’est par l’intermédiaire d’un grand homme que Je la sanctifierai». J’ai alors pensé que ce serait par ton intermédiaire ou par le mien que cette Maison serait sanctifiée. Mais maintenant je vois que tes deux fils sont plus grands que toi et moi. » C’est là un éloge surprenant : il semble donc qu’avec toutes les raisons invoquées pour la mort de Nadav et Avihou, nous n’ayons qu’une explication partielle du récit. Le baiser de la mort Rabbi ‘Haïm Benattar, le Or Ha’haïm, commentateur du XVIIème Siècle, propose une explication qui nous permet d’entrevoir la mort des deux frères dans une vision sainte de leur dernier acte. «Ils approchèrent la lumière surnaturelle, mus par leur immense amour pour le Saint et ils en moururent donc par un ‘baiser divin’ comme celui qu’expérimentent les justes parfaits… Tel est le sens du verset : ‘Ils se rapprochèrent de D.ieu et ils moururent’.» Le Or Ha’haïm suggère ainsi que les fils extraordinaires d’Aharon moururent d’une trop grande dose de spiritualité. En d’autres termes, ils moururent pour D.ieu. Religion et non spiritualité Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi, fondateur de la ‘Hassidout ‘Habad, dit un jour à l’un de ses disciples, centré sur lui-même, qui lui demandait une bénédiction : «Jusqu’à maintenant, tu t’es concentré sur ce dont tu as besoin de la part de D.ieu. Il est temps que tu te demandes : ‘Qu’a-t-on besoin de ma part ?’». C’est une question fondamentale. Une question qui va jusqu’au cœur de la différence entre deux mots et deux mondes que l’on lie souvent : religion et spiritualité, extrêmement différents l’un de l’autre. Ce qui anime ceux qui sont en quête de spiritualité est la recherche de signification et de transcendance, quête qui se présente de plus en plus comme un besoin humain. Ce n’est pas le désir de trouver et de vivre une vérité ultime qui anime la plupart des quêtes spirituelles mais le désir de ressentir de la spiritualité au-delà de la matérialité. Il s’agit souvent de satisfactions personnelles. La religion, par contre, peut être définie dans sa forme idéale comme la recherche de la Vérité et un engagement absolu, sans compromis pour elle, quels que soient les défis à surmonter et les difficultés rencontrées. Le thème central dans la religion est la notion de «service». «Je suis ici pour servir et non pour être servi» est la devise de l’homme religieux. Et c’est précisément là que faillirent Nadav et Avihou. Ces âmes supérieures étaient réellement animées d’un amour intense pour leur Créateur. Mais ils échouèrent dans la question religieuse essentielle : non «que peut faire D.ieu pour moi ?» mais «que puis-je faire pour D.ieu ?». D.ieu les avait créés comme des êtres humains physiques pour qu’ils élèvent leur environnement et leur existence matériels, dans leur corps et pas seulement dans leur esprit. Mais leur désir était autre : ils voulaient échapper à la matérialité et disparaître dans l’au-delà. C’est la raison pour laquelle ils s’aventurèrent jusqu’au point de non retour. Comme l’exprime le Or Ha’haïm : «Bien qu’ils pressentissent leur propre disparition, cela ne les empêcha pas de s’approcher de D.ieu dans l’attachement, le délice, la délectation, l’amour, les baisers et la douceur, au point que leur âme les quitta. » En somme : le religieux et le spirituel peuvent tous deux s’engager dans le même rite ou le même rituel, prier et méditer sur le même psaume, chanter, danser au son de la même mélodie céleste, et pourtant, l’un sert et l’autre est servi. Le premier se perd dans le Divin, le second s’y retrouve. La leçon Un homme profondément immergé dans le monde de la drogue rendit, un jour, visite au Rabbi. Il lui décrivit avec excitation l’un de ses «voyages» comme ayant été une expérience profondément émouvante. «Vous avez bien nommé la chose, lui répondit le Rabbi, après avoir écouté patiemment son récit. Ce que vous m’avez décrit est exactement cela : juste une expérience…» Le judaïsme n’est pas une religion qui propose une échappatoire, du sensationnel mais de l’action dans le présent immédiat. Nous n’avons pas été mis sur cette terre pour vivre une expérience mais pour agir. Ressentir est agréable mais agir est juste. C’est la raison pour laquelle c’est le triste récit de la mort de Nadav et Avihou qui introduit les lois de Yom Kippour. En ce jour, nous nous sentons purs et saints, comme des anges. Mais lors d’un jour de semaine ordinaire, en sanctifiant l’existence matérielle qui est la nôtre, nous atteignons un niveau supérieur à celui des anges : nous touchons D.ieu Lui-même. Car selon Son plan propre, c’est là qu’on peut Le trouver : caché sous les épais voiles du lendemain.
Pourquoi lit-on Pirké Avot, les « Maximes de nos Pères », chaque samedi après-midi, entre Pessa’h et Chavouot ?
Entre Pessa’h et Chavouot, nous nous préparons à revivre le don de la Torah au mont Sinaï. Pirké Avot est un traité talmudique qui contient des recommandations éthiques et morales. Grâce à ces paroles de nos Sages, nous pouvons raffiner notre personnalité et notre comportement, de façon à mériter de recevoir la Torah. Dans de nombreuses communautés, on continue la lecture de ces six chapitres tout au long de l’été jusqu’au Chabbat qui précède Roch Hachana. En effet, durant l’été, certains ont tendance à se montrer moins stricts dans leur observance des commandements : il convient donc de se renforcer spirituellement pour éviter tout relâchement. F. L.
Le témoin du mariage
Rav Kasriel Kastel est une des figures marquantes de la communauté ’hassidique de Crown Heights à Brooklyn. Connu de tous, il ne perd pas une occasion pour faire le bien autour de lui ; un de ses «protégés» allait se marier et, bien entendu, Rav Kastel se devait d’assister à la célébration. Le marié avait une cinquantaine d’années ; la mariée était veuve. Tous deux retournaient à un mode de vie juive authentique et commençaient maintenant un nouveau chapitre de leur vie. Bien que joyeux, un mariage juif est aussi une expérience sérieuse et parfois compliquée. De nombreux détails, s’ils ne sont pas étudiés attentivement, peuvent partiellement ou entièrement annuler toute la procédure, surtout s’il s’agit des témoins ou de la Ketouba (le contrat de mariage rédigé en araméen). Les mariés étaient prêts, le rabbin qui devait présider aux festivités aussi ; les témoins se préparaient. Rav Kastel bavardait avec les invités quand un des témoins pressentis le tira par la manche pour lui parler en privé. Rav Kastel le suivit dans un coin plus silencieux et l’homme âgé d’une quarantaine d’années rajusta sa Kippa blanche, se racla la gorge et murmura : « Vous savez, Monsieur le rabbin, je ne connais pas grand-chose au judaïsme bien que j’aie étudié il y a très longtemps dans une école juive. Je voudrais vous dire… je ne sais pas très bien comment interpréter ce qui m’arrive mais, l’autre nuit, j’ai rêvé du Rabbi de Loubavitch. Je ne suis pas superstitieux ou porté sur la mystique et d’habitude je ne fais pas attention à cela ; bref j’ai rêvé que le Rabbi de Loubavitch m’avertissait tout simplement : « Ne signez pas la Ketouba ! ». J’ai voulu oublier ce rêve mais quand le marié m’a demandé d’accepter le grand honneur d’être témoin, j’ai pris peur et… enfin vous me comprenez, je ne sais pas si je dois accepter ou non ! » Rav Kastel l’écoutait attentivement. Il lui demanda avec tact s’il avait un quelconque lien familial avec les mariés (ce qui le disqualifierait pour ce rôle) et d’autres questions semblables. Non, ce n’était pas le cas. - Si le Rabbi apparaît en rêve à quelqu’un, cela doit être pris au sérieux. Ne vous inquiétez pas, je vais parler au marié et lui proposerai d’être moi-même son témoin ! Nous sommes de bons amis et il ne refusera pas. Effectivement, le marié accepta avec empressement. Le rabbin qui présidait à la cérémonie rédigea le document, le premier témoin signa le papier, les flashs des photographes crépitèrent. On passa le stylo à Rav Kastel qui se pencha pour examiner le texte et, étonné, demanda au marié : « Comment vous appelez-vous au juste ? » - Moi ? Vous le savez bien ! Je m’appelle Its’hak ! - C’est bien ce que je pensais ! Alors pourquoi est-il écrit ici Naftali ? - Naftali ? Mais non ! C’est le nom du père de ma fiancée ! Gêné, le rabbin tenta de sourire en expliquant qu’il avait mal compris ce que lui disait le fiancé etc. et se mit à rechercher dans sa mallette un autre exemplaire de Ketouba. Mais il n’en trouva pas. - Pas de problème ! déclara Rav Kastel. Il y a une librairie juive à dix minutes d’ici, je vais y aller en voiture, j’arrive ! Mais le rabbin ne l‘entendait pas ainsi. Il avait un programme chargé pour la journée et n’était pas prêt à attendre vingt minutes supplémentaires. Il décida de barrer le nom litigieux et d’inscrire à la place le vrai nom du marié ; les témoins signeraient et tout serait en ordre selon lui. Rav Kastel n’était vraiment pas content de cette solution mais l’autre rabbin n’en démordait pas. Il procéda aux corrections et présida la cérémonie ; après les bénédictions d’usage, le marié brisa le verre à ses pieds, tout le monde s’écria Mazal Tov ! Et l’orchestre se mit à jouer les airs joyeux de circonstance. Mais Rav Kastel était inquiet : oui, le mariage était valide mais mari et femme n’ont pas le droit de vivre ensemble si la Ketouba n’est pas cachère à 100 % ; or celle-ci était loin d’être satisfaisante ! On entend souvent des récits de couples souffrant de manque d’harmonie simplement parce que la Ketouba contient des erreurs… Durant le festin qui suivit, un Rabbi ‘hassidique – qui connaissait bien le marié – entra avec quelques-uns de ses fidèles. Rav Kastel en profita pour lui demander son avis à propos de la Ketouba : ce Rabbi examina attentivement la Ketouba et déclara qu’il fallait absolument en rédiger une autre. C’était un homme d’action : il envoya un de ses ‘Hassidim à la librairie juive la plus proche et, vingt minutes plus tard, celui-ci revint avec le précieux document. - Oh… s’exclama le Rabbi ! Cette Ketouba aussi n’est pas valable, elle est destinée à un premier mariage et non à une seconde union ! expliqua-t-il en pointant une ligne problématique sur le texte en araméen. Sans hésiter une seconde, le ‘Hassid reprit sa voiture et, vingt minutes plus tard, revint avec un troisième document qu’il avait obtenu juste avant la fermeture du magasin ! Entre-temps, le jeune couple suivait avec angoisse les détails de cette aventure mais Rav Kastel les rassura : « Tout ceci prouve qu’au ciel, ce mariage est considéré comme très important ! Sinon, il n’y aurait pas eu tant de péripéties ! » La « Ketouba » fut alors réécrite et signée comme il convenait. Après le repas et les danses, on prononça les bénédictions d’usage et les invités quittèrent un à un la salle. L’homme qui avait presque signé la Ketouba s’approcha à nouveau de Rav Kastel avec des larmes de gratitude dans les yeux : « Avez-vous réalisé ce qui est arrivé ? Si le Rabbi de Loubavitch ne m’était pas apparu en rêve, j’aurais signé et jamais personne n’aurait mis en doute la validité du document ! Ce mariage aurait pu être une catastrophe pour toute leur vie ! Qui sait combien de disputes auraient pu être imputables à cette Ketouba mal rédigée ? Le Rabbi a protégé ces mariés ! Leur union est maintenant vraiment bénie ! » « Qu’il en soit de même pour tout le peuple juif ! » murmura, pensif, Rav Kastel. Rav Tuvia Bolton Traduit par Feiga Lubecki