Samedi, 2 mai 2020

  • A’hareï Mot - Kedochim
Editorial

 Après la crise…

Annonces de déconfinement, espoir renaissant… A l’heure où j’écris ces lignes, nul ne sait avec précision de quoi l’avenir sera fait. Nous attendons tous, avec une impatience sans doute grandissante, la suite des événements et le retour intégral de la vie telle que nous l’avons connue avant… Avant ? Avant que l’unique sujet de préoccupation générale soit le coronavirus ! Mais il existe une chose qu’il ne faut surtout pas perdre : le peuple juif possède une autre manière de voir. Est-ce dû à son histoire tourmentée, à son sens de l’éternité, à sa force spirituelle particulière ? En tous cas, il sait que le pire n’est jamais sûr et que, après l’épreuve, vient le réconfort. Et surtout, il sait aussi sortir renforcé de tout ce que la vie lui fait traverser. Aujourd’hui ce sont là des dons bien précieux.

De fait, quelle que soit la situation à l’heure où ces lignes paraîtront, c’est littéralement à l’orée d’un monde nouveau que nous nous trouvons. Cette longue période de crise, d’isolement forcé, a conduit chacun à faire un véritable retour sur soi. Tout à coup, chacun s’est pris à considérer qu’il avait du temps, probablement la chose la plus précieuse dans nos sociétés, et qu’il pouvait l’employer à sa guise. De fait, les cours de Torah via internet sous toutes ses formes se sont multipliés. Tout cela a conduit aussi à regarder le monde autrement. Les aspirations routinières, la volonté de posséder/consommer toujours plus ont montré à présent leurs limites. Ainsi, il est donc possible de rechercher des choses différentes, plus profondes.

Sans doute est-ce là que nous intervenons. Nous connaissons la réponse aux questions posées ici. Cela fait quelque 3000 ans que nous en parlons et y réfléchissons. Voici que, brutalement, le monde ancien a perdu de son attrait et qu’un nouveau monde, peut-être, peut émerger. Car, sachons-le, cette crise, aussi grave soit-elle, passera à son tour mais il nous reviendra d’assumer notre rôle : être les vigies des terres spirituelles à découvrir. Lorsque tout cela ne sera plus que de l’histoire, nous serons présents avec cette force que seules donnent la conscience et la fidélité. Et, tous ensemble, nous ouvrirons un temps nouveau.

Etincelles de Machiah

 Le baiser du secret

Le Machia’h enseignera à tous le sens profond de la Torah ainsi que les raisons des Mitsvot qui seront révélées alors. C’est ce que déclare le Cantique des cantiques (1:2) : « Embrasse-moi des baisers de ta bouche. » Rachi commente ce verset ainsi : « Et nous avons Son assurance qu’Il leur apparaîtra pour leur expliquer le sens profond et caché. »

Lors de la résurrection des morts, Moïse et tous les Sages ressusciteront et Machia’h leur enseignera également.

(D’après Likoutei Torah Vayukra p.17a)

Vivre avec la Paracha

 A’haré Kedochim

A’haré

Après la mort de Nadav et Avihou, D.ieu donne un avertissement interdisant l’entrée non autorisée « dans le Saint des Saints. Une seule personne, le Cohen Gadol (le Grand Prêtre) peut, une seule fois dans l’année, à Yom Kippour, pénétrer dans la pièce la plus intérieure du Sanctuaire pour y offrir à D.ieu les Ketorèt (encens).

Une des autres caractéristiques du service du Jour du Pardon est le « tirage au sort » exercé sur deux boucs, pour déterminer lequel sera offert à D.ieu et lequel sera envoyé dans le désert, chargé des fautes du Peuple d’Israël.

La Paracha A’haré avertit également contre le fait de n’apporter des Korbanot (offrandes animales ou alimentaires) nulle part ailleurs que dans le Temple, interdit la consommation du sang et détaille les lois prohibant l’inceste et d’autres relations déviantes.

Kedochim

La Paracha Kedochim commence par le statut : « Vous serez saints car Moi, l’Eternel votre D.ieu, Je suis saint ». S’ensuivent des dizaines de commandements par l’intermédiaire desquelles le Juif se sanctifie et se lie à la sainteté de D.ieu.

Elles comprennent : l’interdiction de l’idolâtrie, la Mitsva de la charité, le principe d’égalité devant la loi, le Chabbat, la moralité, l’honnêteté dans les affaires, l’honneur et la crainte de ses parents et le respect de la valeur sacrée de la vie.

On peut également lire dans Kedochim la célèbre sentence, qualifiée par le grand Sage, Rabbi Akiba, de principe cardinal de la Torah, et dont Hillel disait : « Voilà toute la Torah, tout le reste n’est que commentaire » : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

Le bouc émissaire

Dans le Temple, à Yom Kippour, jour le plus saint de l’année, les prêtres accomplissaient un service apparemment étrange : ils conduisaient un bouc dans le désert et le jetaient dans un précipice. La Torah explique que ce rituel, à l’origine de l’expression « bouc émissaire », faisait office d’expiation pour le Peuple juif. Avant que le bouc soit amené dans le désert, « Aharon le Grand Prêtre plaçait ses mains sur sa tête et confessait toutes les fautes du Peuple Juif » (Vayikra 16 :21).

Nous pouvons observer ici que le mot utilisé pour « ses mains » présente une différence entre la façon dont il est écrit : Yado, en hébreu, qui signifie « sa main », et la façon dont il est prononcé lors de la lecture de la Torah : Yadav qui veut dire « ses mains ».

Le Talmud déduit, de ce passage de la Torah, un principe : chaque fois que nous rencontrons le mot Yado, dans le contexte de « placer ses mains », cela signifie toujours les deux mains.

Surgissent alors deux questions :

Pourquoi la Torah utilise-t-elle le terme singulier Yado, « sa main », alors que le sens est pluriel ?

Pourquoi le Talmud déduit-il ce principe de ce passage précisément ? Dans de nombreux autres endroits de la Torah est utilisée la même formulation.

La transmission et la transformation

La ‘Hassidout nous enseigne la raison pour laquelle une personne doit placer ses deux mains sur son sacrifice. Tout un chacun possède à la fois une âme divine et une âme animale. L’âme divine veut se consacrer à toutes les activités divines, c’est-à-dire la prière, l’étude de la Torah, les actes de bonté. L’âme animale désire se livrer à des activités animales comme manger, dormir, etc. Les dix doigts des « deux mains » font allusion aux dix sefirot ou facultés de l’âme. En plaçant les mains sur la tête de l’animal, on transmet les dix facultés de l’âme divine aux dix facultés de l’âme animale. Ainsi on élève l’âme animale à un plus haut niveau spirituel et on transforme les activités comme « manger et boire » en une offrande à D.ieu. Dans le cérémonial du bouc émissaire, Aharon plaçait ses mains sur l’animal pour que les fautes de tout le Peuple juif soient transformées en Mitsvot.

Par ailleurs, la valeur numérique du mot Yado est de 20 : nous devons transmettre nos dix facultés Divines de telle façon qu’elles transforment nos dix facultés animales.

La main droite

Pourquoi la Torah utilise-t-elle donc le terme singulier : Yado ?

La main droite représente le ‘Hessed, la bienveillance, alors que la main gauche représente la Guevoura, la sévérité. La Torah laisse ici entendre qu’en donnant, nous devons transmettre nos dix facultés, exclusivement par le côté droit : la bienveillance et la sensibilité. Il ne faut pas impliquer le côté gauche : la restriction et la critique.

C’est la raison pour laquelle ce principe est tiré d’un passage qui évoque le service d’Aharon le Grand Prêtre. Aharon est le modèle vivant de la bonté et de l’amour, comme cela est clairement enseigné dans les Maximes de nos Pères : « Soyez parmi les élèves d’Aharon, aimant la paix, recherchant la paix, aimant les créatures (de D.ieu) et les rapprochant de la Torah. » Il est sûr qu’Aharon donnait tout ce qu’il possédait pour aider celui qui était dans le besoin.

Sur la tête

Nous apprenons du rituel du bouc émissaire que chaque Adam, chaque homme, est obligé d’utiliser ses deux mains pour aider et élever ceux qui sont dans le besoin. Nous pourrions penser qu’il est suffisant de ne donner qu’une part de nous-mêmes, une part de notre temps, une part de notre argent. C’est pour cela que le Talmud nous dit que Yado, « sa main », fait en réalité référence aux deux mains. Donner avec la moitié de son cœur ne suffit pas. Nous devons utiliser tous nos dix doigts, toutes nos facultés intellectuelles et émotionnelles, dans de généreux dons.

Comme le dit le Baal Chem Tov : « il se peut qu’une âme ne descende dans ce monde et vive soixante-dix ou quatre-vingts ans, que pour accomplir une faveur matérielle à l’égard d’un autre Juif. Il est sûr que c’est également vrai pour une faveur spirituelle. »

Mais en outre, cette faveur doit être faite de telle manière qu’elle est « sur » ou « au-dessus de sa tête », c’est-à-dire bien au-delà de ce que cet individu semble mériter ou a l’habitude d’obtenir.

La Sefira

Cette leçon de générosité est particulièrement appropriée durant les jours qui précèdent la fête de Chavouot, pendant lesquels nous comptons l’Omer. Durant cette période, 24 000 élèves de Rabbi Akiva périrent. Le Talmud dit qu’ils ne se respectaient pas mutuellement et donc, comme des boucs émissaires, ils succombèrent pour expier leur faute. Il se peut qu’ils se soient réciproquement transmis leurs dix facultés mais cette transmission ne s’accomplit pas dans le mode Yado, par la main droite de la bienveillance.

Le Temple fut détruit à cause de la haine gratuite. La réparation de ce traumatisme cosmique se produira par la Ahavat Israël, l’amour inconditionnel de son prochain. Quand nous donnons tout notre être par amour pour l’autre, nous méritons de voir le Troisième Temple que D.ieu construira de Ses propres mains, ainsi qu’il est écrit : « Le Sanctuaire, D.ieu, que Tes mains ont établi ».

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce qu’un Cohen ?

Un Cohen est un descendant du Grand-Prêtre Aharon, frère de Moché (Moïse).

Le statut de Cohen se transmet de père en fils (alors que le statut de Juif se transmet par la mère).

Le Cohen se distingue par des droits mais aussi des devoirs particuliers :

1) Les droits :

A) Le Cohen est appelé en premier pour la lecture de la Torah

B) Il est le premier à être honoré pour la récitation du Birkat Hamazone (prière après le repas) ou pour tout discours.

C) On évite de lui demander de rendre des services.

D) Il est appelé à bénir les mariés sous la ‘Houpa (dais nuptial) et les fidèles les jours de fête.

E) C’est à lui qu’on demande de procéder au rachat du fils premier-né.

2) Les devoirs :

A) Le Cohen ne doit pas se rendre impur au contact des morts. Il n’entrera pas dans une maison où se trouvent des personnes à l’agonie, il n’entrera pas dans un cimetière et ne participera que de très loin aux enterrements. Il peut rendre des visites de condoléances.

B) Le Cohen ne peut pas épouser une femme divorcée ou convertie. Les enfants issus d’une telle union ne seront pas considérés comme Cohanim.

Les filles de Cohanim n’ont pas d’obligation particulière. Néanmoins, celui qui s’apprête à épouser une fille de Cohen doit s’efforcer d’étudier davantage de Torah.

(d’après le Kitsour Choul’hane Arou’h)

Le Recit de la Semaine

 « Le coussin de l’ange »

Dans ma jeunesse, j’ai habité dans le quartier de Crown Heights, sur Brooklyn Avenue, une rue qui était sur le chemin du Rabbi, de son domicile sur President Avenue à la synagogue du 770 Eastern Parkway. Le jour de Roch Hachana 1956, ma mère se trouvait dehors avec nous, les enfants ; ma petite sœur Kraindi tomba des escaliers et ma mère, qui était dans le dernier mois de grossesse, se précipita pour l’aider à se relever.

Ce soir-là, après la prière, le Rabbi fit signe à mon père d’entrer dans son bureau. Mon père fut très surpris, c’était sans doute une erreur car il n’avait rien demandé au Rabbi en ce jour si spécial. Cependant, le Rabbi insista et lui expliqua qu’il devait rassurer son épouse (ma mère) : la petite fille ne s’était pas blessée parce que, quand un enfant tombe, un ange place ses mains sous lui comme un coussin pour le protéger… Mais par contre, ma mère devait prendre soin d’elle durant sa grossesse et essayer de ne pas courir si vite !

C’est ainsi que j’appris, dès mon plus jeune âge, que le Rabbi prenait soin de nous.

Après mon mariage, j’étudiai à la Yechiva à Montréal et j’eus ma première expérience d’animateur à la radio. Le mouvement ‘Habad avait acheté dix minutes dans un programme appelé « Une heure juive » (qui, de fait, durait deux heures…). On me demanda d’y donner un cours de Tanya et d’annoncer les activités du mouvement dans la ville, partiellement en yiddish et partiellement en anglais. Au début, j’étais un peu intimidé à l’idée de parler tout seul dans un micro tout en étant entendu par des milliers d’auditeurs mais cette expérience m’a bien servi par la suite.

En 1976, j’ai été envoyé par le Rabbi pour servir de rabbin en Afrique du sud. La première chose que je demandai fut : « Existe-t-il chez vous un programme à la radio ?». Et, comme il n’y en avait pas, j’ai décidé de le commencer ; c’est ainsi que, chaque dimanche, j’animai « The Jewish Sound » - pendant 24 ans. Cette idée de disséminer le judaïsme sur les ondes plut au Rabbi et, chaque fois que je me rendais par la suite à New York, le secrétaire du Rabbi me demandait (certainement à l’instigation du Rabbi) comment cela se passait. Les ondes de la radio pénétraient dans des endroits isolés d’Afrique du sud où il n’y avait peut-être que peu de Juifs qu’on n’aurait pas pu joindre autrement.

Durant les dernières années du régime d’apartheid en Afrique du sud, les Juifs paniquaient, sûrs qu’une révolution sanguinaire se préparait : grâce à la radio, je pus relayer le message du Rabbi : « Il ne fallait ni paniquer ni quitter le pays ! Tout se passerait bien ». Effectivement, la transition démocratique se déroula paisiblement. Ce message du Rabbi rassura les Juifs d’Afrique du sud et aucun mouvement de panique ne fut observé.

D’ailleurs le Rabbi donna le même avis lors de la guerre du Golfe en 1990. Le dictateur Saddam Hussein avait lancé des missiles Scuds contre Israël mais le Rabbi affirma de façon claire en citant le verset biblique : « C’est le pays vers lequel les yeux de D.ieu sont fixés du début de l’année à la fin de l’année », c’est le pays le plus sûr du monde. Le Rabbi encourageait les gens à se rendre là-bas, à ne pas annuler mariages et autres réjouissances. Personnellement, j’avais tellement confiance dans les paroles du Rabbi qu’avec Rav Mendel Lipsker, je me suis joint à un voyage organisé par la Fédération sioniste d’Afrique du sud pendant cinq jours - avec ma fille de douze ans : aucun missile n’y est tombé pendant ce séjour.

De la même façon que le Rabbi avait rassuré ma mère pour ma petite sœur, il avait rassuré les Juifs d’Afrique du sud, les Israéliens pendant la guerre du Golfe ainsi que mon épouse Ra’hel alors qu’elle allait donner naissance à notre 10ème enfant en 1991.

Durant l’accouchement, le docteur ‘Haïm Neifeld, un obstétricien expérimenté, recommanda de procéder en urgence à une césarienne : l’enfant se présentait à l’horizontale au lieu d’avoir la tête en bas. Il tenta des manipulations pour mettre le bébé en bonne position mais en vain. Cependant, mon épouse refusait l’opération de la césarienne. Le docteur appela un confrère, Dr Ronnie Klein qui ne put que confirmer son diagnostic. Mais comme mon épouse ne voulait absolument pas en entendre parler, Dr Klein suggéra que je téléphone à New York pour demander l’avis du Rabbi. Je trouvai un peu ironique que ce soit un docteur peu pratiquant qui me conseille à moi, émissaire du Rabbi, de téléphoner à New York : il faut dire qu’à cette époque, les téléphones portables n’existaient pas, qu’il était une heure du matin et qu’il n’y avait pas de téléphone dans la salle d’accouchement. Ce fut plutôt compliqué mais finalement, je parvins à appeler New York. La réponse du Rabbi ne tarda pas : « Puisque le docteur lui-même a suggéré d’appeler ici, j’ai confiance qu’il ne m’en voudra pas s’il écoute la maman qui accouche et qu’on attende la suite des événements ».

Ce fut incroyable mais le bébé se tourna de lui-même de façon à se présenter la tête la première - le docteur déclara que cela n’était pratiquement jamais arrivé à un stade aussi avancé du travail ! D.ieu merci, la naissance se passa normalement.

J’ai appris plus tard que le docteur fut tellement impressionné par ce qui était arrivé qu’il en devint croyant et pratiquant.

Nous avons nommé ce bébé Nissan (qui signifie miracle) – d’après un de mes oncles décédés – mais aussi parce qu’il était arrivé au monde d’une façon tellement miraculeuse.

 

Rav Yossi Goldman - Johannesburg - JEM

Traduit par Feiga Lubecki

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