L’éternelle victoire
Vive la liberté ! C’est cette exclamation qui peut retentir en cette nouvelle semaine qu’éclaire les 12 et 13 Tamouz, dates de la libération de Rabbi Yossef Its’hak Schneersohn, le précédent Rabbi de Loubavitch, des prisons puis de l’exil soviétiques. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, d’une liberté retrouvée qui ne concerna pas seulement son bénéficiaire, le Rabbi Précédent, mais qui fit souffler un vent nouveau dont les effets se firent encore sentir bien longtemps plus tard. A cette époque, le pouvoir stalinien avait imaginé que la violence pouvait venir à bout de l’éternel judaïsme. Il avait rêvé d’anéantir une vision par la force de l’arbitraire et le terrorisme des hommes sans morale. De fait, beaucoup crurent que la réussite de son entreprise était inévitable. Beaucoup se dirent qu’une poignée d’hommes ne peut résister durablement à un tel écrasement et que toute la grandeur du Rabbi Précédent ne pourrait rien y faire. Certes, il avait tenu tête à l’intimidation et, malgré la férocité de ses ennemis, avait réussi à maintenir un réseau clandestin d’écoles juives, de bains rituels etc. Mais pour combien de temps ? Son emprisonnement était la conséquence logique de cet entêtement irrationnel, pensa-t-on sans doute.
Le 12 Tamouz apporta sa réponse éclatante. Rien ne résiste à la justice, à la vérité, à la confiance en D.ieu et à l’assurance que tout cela donne. Pas plus que l’obscurité, aussi profonde soit-elle, ne peut espérer vaincre la lumière, la force et la violence ne peuvent espérer l’emporter sur de telles notions. Ce recul de l’immense puissance soviétique d’alors, la reconnaissance des implications de ce recul manifestèrent qu’une nouvelle époque était en train de naître. De fait, le Rabbi Précédent fut libéré de prison, relâché de son exil et autorisé à quitter le pays aux conditions que lui-même posa. Il continua son œuvre outre-atlantique et on sait aujourd’hui les résultats qu’elle produisit.
Cette histoire n’est pas seulement celle d’un héroïsme ancien ou d’une victoire du passé, qui nous intéresserait, au mieux, au titre d’une nostalgie de grandeur. Elle est d’abord, plus qu’un exemple, une leçon pour notre temps. Nous savons que, dans bien des endroits du monde, et particulièrement dans ces régions si chères au cœur du peuple juif, la violence, la barbarie aveugle, l’oppression sont les moyens choisis pour faire entendre leur voix – celle de la terreur – par ces hommes qui renient tout sentiment humain. Parfois on peut légitimement s’interroger : est-il possible de continuer d’être des porteurs de lumière parmi les serviteurs de l’obscurité ? Alors, ne l’oublions pas : la lumière vainc toujours et pour l’éternité.
Une œuvre parfaite
Pendant le temps de l’exil, l’offrande de sacrifices est impossible du fait de l’absence de Beth Hamikdach. Certes, les Sages ont instauré les prières en remplacement de ces cérémonies. Cependant, un tel remplacement est, semble-t-il, imparfait comme l’exprime la liturgie : “Et là, (dans le Beth Hamikdach, après la venue de Machia’h) nous ferons devant Toi…. Selon l’ordre de Ta volonté”.
C’est précisément cette idée qui pose question. L’œuvre spirituelle accomplie par la prière est supérieure à celle des sacrifices, la première s’attachant à l’âme de l’homme tandis que la seconde porte sur son aspect animal. Pourquoi, dès lors, souligner l’importance primordiale des sacrifices ?
En fait, l’impossibilité d’offrir un sacrifice en temps d’exil a également un sens spirituel : comme l’homme est attaché “en bas”, il n’a pas la force d’élever “l’animal” et doit se contenter d’agir sur l’âme par la prière. En revanche, lorsque le Machia’h viendra, l’homme parviendra à la plénitude et son œuvre pourra englober tous les aspects.
(D’après Torah Or, Vaye’hi 46b)
Balak
Balak, roi de Moav, engage le prophète Bilaam pour maudire le Peuple juif. Incapable d’y parvenir, ce sont des paroles de bénédictions qui sortent de sa bouche ainsi que la prédiction de la venue de Machia’h.
Le peuple faute avec les filles de Moav qui les poussent à pratiquer l’idolâtrie. L’un des princes de tribu conduit publiquement une princesse Midianite dans sa tente. Pin’has les tue alors tous deux, ce qui met immédiatement fin à la plaie qui s’était abattue sur le peuple.
Un Sage et sa conduite
Le Talmud relate (Sanhédrin 63b) :
Quand Oula vint (à Babylone, en provenance d’Erets Israël)… Rava lui demanda : « Où as-tu passé la nuit ? »
(Oula) lui dit : « A Kalnebo ».
(Rava) répondit : « N’est-il pas écrit : ‘Et tu ne mentionneras pas le nom d’autres dieux ?’»
(Oula) répondit : « Rabbi Yo’hanan a enseigné ce qui suit : ‘(Le nom de) n’importe quel faux dieu rappelé dans la Torah peut être mentionné’ ».
Apparemment, une question se soulève : bien qu’il soit permis de mentionner le nom d’un faux dieu rappelé dans la Torah, il ne semble pas désirable de le faire. Plus encore, nos Sages indiquent l’importance d’un discours raffiné, soulignant comment, dans plusieurs exemples, la Torah ajoute des mots supplémentaires plutôt que de citer le mot Taméh, « impur ». Il est sûr qu’Oula aurait pu trouver le moyen de répondre à la question de Rava, sans évoquer le nom d’un faux dieu.
La puissance de la Torah
La difficulté que l’on vient de souligner peut se résoudre en observant l’explication de l’enseignement de Rabbi Yo’hanan proposée par le Yeréim.
« A partir du moment où la Torah mentionne (le nom d’un faux dieu), il est d’ores et déjà annihilé. C’est pour cette raison même que si la Torah l’a mentionné, nous pouvons le mentionner ».
Le statut du Yeréim ne peut pas se comprendre dans son simple sens littéral. Car il existe de fausses déités auxquelles la Torah se réfère, comme Baal Péor, cité à la fin de la Paracha de cette semaine, dont le service s’est perpétué bien longtemps après.
L’interprétation semble plutôt souligner que la mention que fait la Torah d’un faux dieu annihile son importance aux yeux de celui qui étudie cette partie de la Torah. Les mots de la Torah l’imprimeront de la futilité du service d’autres idoles, prouvant que ces déités n’apportent rien à ceux qui les révèrent et que, lorsque les Juifs ont erré et les ont adorés, ils en ont été sévèrement punis.
Pour aller plus loin, chaque Juif désire observer la Torah et ses Mitsvot et méprise les faux dieux. Le fait même d’étudier la Torah réveille en lui ce désir profond et inspire à chacun le désir de se consacrer à la Torah et de rejeter toute autre forme de service.
Et « c’est pour cette raison même que si la Torah l’a mentionné, nous pouvons le mentionner ». Quand un Juif étudie la Torah et s’y identifie, il fait jaillir le potentiel Divin qui y est contenu. Cela lui donne de la force, lui permettant de mentionner un faux dieu pour annihiler son influence.
Une transition spirituelle
Nous pouvons désormais comprendre la conduite d’Oula. Nos Sages statuent (Avoda Zara 8a):
« Un Juif vivant en Diaspora sert de fausses divinités dans la pureté ». Car en Erets Israël, la Providence Divine se dévoile de façon plus visible alors qu’en Diaspora, l’influence Divine se cache dans l’ordre naturel. Tout comme le service des idoles implique de baisser la tête devant elles, ainsi, lorsque l’on vit en Diaspora, on subjugue son processus intellectuel aux forces qui contrôlent l’ordre naturel.
Au moment de quitter la sainteté d’Erets Israël et de pénétrer en Babylonie, Oula sentit la transition spirituelle et ressentit le besoin d’insister sur l’annihilation des faux dieux. Faisant appel à la force de la Torah qu’il avait acquise par son étude, en Erets Israël, il mentionna le nom de ce faux dieu, dans l’intention de détruire son influence.
Annihiler et transformer
La discussion que l’on vient d’évoquer apporte un éclaircissement sur une question que soulève le nom de la Paracha de cette semaine : Balak. Balak était un homme impie, un roi immoral qui haïssait le Peuple juif et voulait le détruire. Pourquoi son nom a-t-il donc été immortalisé par le nom de cette Paracha ? Nous Sages déclarent que l’on ne doit pas nommer quelqu’un sur le nom d’un impie. Il est donc évident que cela s’applique a fortiori pour le nom d’une section de la Torah.
Mais ce que l’on a dit précédemment apporte une explication. Nommer la Paracha Balak est un moyen de détruire les forces qui lui sont associées. Et comme le relate la Torah, le dessein de Balak fut totalement renversé. Le nom Parachat Balak est une source éternelle d’influence positive, démantelant toute force qui tente de nuire au Peuple juif.
Et comme nous pouvons le lire dans le récit de la Torah, non seulement le projet de Balak fut-il détourné mais Bilaam, que Balak voulait utiliser pour maudire le Peuple juif, le bénit-il, ajoutant également des bénédictions qui seront manifestes avec la venue de Machia’h. Le nom Balak sert-il donc non seulement à la destruction du mal mais également à sa transformation en une influence positive.
Qu’est-ce que le 17 Tamouz ?
Cette année, le jeûne du 17 Tamouz tombe le mardi 11 juillet 2017.
On ne mange ni ne boit depuis le matin (à 3h 29, heure de Paris) jusqu’à la tombée de la nuit (22h 43 à Paris).
C’est en ce jour que Moché Rabbénou (Moïse notre Maître) brisa les premières Tables de la Loi, suite au péché du Veau d’or. Bien plus tard, le sacrifice quotidien fut interrompu lors du siège de Jérusalem. Une première brèche apparut ce jour-là dans les murailles de la ville sainte. Enfin, Apostomos brûla un rouleau de la Torah et une idole fut déposée dans le Temple, toujours un 17 Tamouz.
Durant les trois semaines suivantes, jusqu’au 9 Av (mardi 1er août 2017), on augmente les dons à la Tsedaka. On évite d’acheter de nouveaux vêtements et on ne prononce pas la bénédiction « Chéhé’héyanou » (par exemple sur un fruit nouveau). On ne se coupe pas les cheveux, on n’écoute pas de musique joyeuse et on ne célèbre pas de mariage. On évite de passer en jugement.
Suite à l’appel du Rabbi, à partir du 17 Tamouz, nous intensifions l’étude des lois de la construction du Temple (dans le livre d’Ezékiel, le traité Talmudique Midot et le Rambam – Maïmonide).
Durant les neuf jours qui précèdent le 9 Av (à partir du dimanche soir 23 juillet 2017), on ne mange pas de viande et on ne boit pas de vin. Par contre, on assistera à un Siyoum (ou on l’écoutera sur radio J à partir du lundi 24 juillet à 14h 30), ce qui est une joie permise durant cette période.
Qui donne à qui ?
Notre histoire nous transporte à Szerdahely, alors en Hongrie (maintenant Dunajska Streda en Slovaquie…).
Kalman, le responsable de la synagogue locale, était un homme honnête, sincère, respecté et aimé de tous. Parmi ses nombreuses occupations au service de la communauté, il prenait surtout à cœur l’allumage des bougies pour éclairer les fidèles durant la prière. Pour cela, il se préparait mentalement et prenait soin d’ajuster sa ceinture de prière. Tout en allumant les mèches, il priait dans ses mots simples : « Puisse D.ieu apprécier l’œuvre de mes mains comme lorsque Aharon le Grand-Prêtre allumait la Menorah dans le Sanctuaire ».
Un jour, Barou’h le boucher, un homme simple lui aussi, entra et observa avec quelle conviction Kalman s’activait en allumant les bougies. Comme il aurait voulu lui aussi effectuer cette belle action ! Soudain il eut une idée :
- Je te propose une pièce d’or si tu me laisses le mérite d’allumer les bougies dans la synagogue !
- L’argent ne m’intéresse pas ! s’indigna Kalman, je préfère la Mitsva elle-même !
Mais le boucher persista : chaque jour, il suppliait Kalman de lui céder le droit de le remplacer jusqu’à ce que, lassé, Kalman décide de solliciter l’arbitrage de Rav Aszod. Très étonné par ce litige, le vénérable rabbin réfléchit puis trancha :
- Si vraiment toi, Kalman, tu estimes n’agir que pour le compte du Ciel et que tu ne veux recevoir aucune récompense pour cela, alors sache que c’est aussi une grande Mitsva que d’aimer son prochain ! Je te conseille donc de céder à Barou’h le droit d’allumer les bougies. Cependant, puisqu’il convient qu’il paie pour la Mitsva, tu devras aussi accepter la pièce que le boucher te donnera. Mais ne dépense pas l’argent ! Mets les pièces de côté et, un jour, tu sauras comment les utiliser !
Bien que Kalman ressente un pincement de cœur, il accepta docilement la suggestion du Rav. C’est ainsi que, chaque jour, Barou’h le boucher se rendait à la synagogue, donnait une pièce d’or à Kalman puis allumait les bougies avec ferveur – ignorant le rôle du Rav dans ce soudain revirement de Kalman.
Fidèle à sa parole, Kalman mettait de côté ces pièces.
Les années passèrent et le vent tourna : le boucher toujours si prospère connut des difficultés financières au point qu’au moment de marier sa fille, il n’eut même pas les moyens de payer le mariage et d’honorer sa promesse de subvenir aux besoins du jeune couple. Désespéré, le boucher se rendit chez le Rav pour exposer son problème. Celui-ci ne répondit pas mais convoqua Kalman, en précisant qu’il devait apporter la caisse avec les pièces d’or. Les deux hommes furent très surpris de se retrouver face à face :
- Ouvre la boîte et compte les pièces, ordonna le Rav.
Kalman s’exécuta, sous l’œil vigilant du Rav et du boucher. La boîte contenait exactement la somme que le boucher avait promise aux futurs beaux-parents de sa fille !
- L’heure de ces pièces d’or est arrivée, commenta le Rav. Elles ont été utilisées pour la Mitsva d’allumer les bougies de la synagogue, elles apporteront maintenant la lumière dans un nouveau foyer juif ! Kalman, donne ces pièces à Barou’h afin que sa fille puisse se marier !
Et Kalman s’exécuta, heureux.
En racontant cette histoire, Rav Aszod remarquait : « Combien d’enseignements pouvons-nous retirer de ces deux Juifs simples ! On peut admirer la droiture de Kalman qui accepta de céder la Mitsva qu’il chérissait tant. Deuxièmement : Barou’h avait toujours pensé qu’il donnait de l’argent à Kalman alors qu’en fait, la Mitsva lui rendit un bien immense à lui-même plus tard. Mais surtout : le fait d’allumer des bougies pour la synagogue apporta la lumière aux âmes de Kalman et de Barou’h ! ».
Elchonon Isaacs – chabad.org
Traduit par Feiga Lubecki