Samedi, 4 juillet 2015

  • Balak
Editorial

 La brèche

Inexorable. C’est ainsi que l’avancée des jours apparaît à nos yeux résignés. Et c’est aussi pourquoi cette semaine débouche sur le 17 Tamouz, le jeûne qui commémore notamment le jour où la première brèche fut faite dans la muraille de Jérusalem par l’ennemi venu de Babylone. Jour terrible, étape dramatique d’une chute dont toute l’ampleur apparaît trois semaines plus tard, avec le 9 Av, date de la destruction du Temple. Il est vrai que le peuple juif a une longue mémoire. Il est vrai aussi que, sans passé, l’avenir reste bien souvent dépourvu de sens. Pourtant, de tels événements ont-ils encore vraiment leur place dans notre vie ? Celui-ci est si ancien qu’il nous ramène au temps de Nabuchodonosor, à cette antiquité dont ne subsistent que quelques reliques conservées par les musées, faut-il qu’on lui accorde encore une si grande place ? Ou peut-être, justement, cette brèche ouverte dans la muraille de la Ville nous livre-t-elle aussi un message ?
A l’époque où cette histoire arriva, aucune cité ne pouvait vivre durablement sans muraille. Sans cette protection, elle se trouvait à la portée de tous ses ennemis et elle ne tardait pas à disparaître sous leurs coups. A l’abri, elle pouvait, au contraire, se développer. C’est pourquoi une brèche faite par l’ennemi était clairement une tragédie. La muraille n’était cependant pas une séparation radicale d’avec le monde extérieur. Des portes y étaient ouvertes afin de permettre l’entrée et la sortie, l’échange. Mais ces portes jouaient également un rôle éminent de régulation. Elles étaient closes ou ouvertes selon les besoins et selon la volonté de ses habitants qui en gardaient ainsi la maîtrise. Du reste, dans l’histoire des hommes, les monarques absolus, ceux qui ne supportaient pas que leur pouvoir soit le moins du monde contesté, prirent toujours grand soin d’araser les murailles des villes car l’indépendance que cela représentait ne pouvait leur convenir.
Matériellement, nous sommes évidemment loin de telles préoccupations et, lorsqu’elles subsistent autour des villes anciennes, les murailles ne sont plus que vestiges historiques. Mais l’évolution du monde a aussi tendance à effacer les particularités des cultures et des modes de vie, à briser la diversité pour y substituer une sorte d’uniformité mondialisée, en affirmant qu’il s’agit là d’un progrès : n’abat-on pas des « murailles » ? Et pourtant, conserver une part de soi-même, fidèle, au fond de son âme, hors de toute atteinte, en avoir conscience, n’est-ce pas la clé de tout échange ? Car, si les hommes sont tous identiques, que pourrait-on voir en l’autre sinon une reproduction de soi ? La muraille nous murmure qu’il est beau de rester ce que l’on est et qu’il est nécessaire de protéger cela. La brèche nous crie que l’unité et la conscience peuvent être remises en cause par une pression agressive. Sachons donc en être les défenseurs. Comme nous savons maintenir ouvertes les portes.

Etincelles de Machiah

 Sur le mont des Oliviers

Le prophète Zacharie (14 : 4), parlant de la venue de Machia’h, déclare : «Et Ses pieds se tiendront en ce jour sur le mont des Oliviers». «L’huile», qui signifie généralement «huile d’olive», représente traditionnellement la sagesse. Cela fait référence au service de D.ieu fondé sur l’intellect et renforcé par le plaisir qui découle de la compréhension. Les «pieds», inversement, font allusion au service divin fondé sur la soumission à D.ieu. Ainsi le verset cité, «les pieds se tiendront... sur le mont des Oliviers», manifeste la supériorité du service de D.ieu fondé sur la soumission, le don de soi sur celui qui a la compréhension pour base. En effet, le premier est infini alors que le deuxième est limité à la portée de l’intellect humain, aussi grand soit-il. Au temps de Machia’h, l’infini montre sa grandeur.
(d’après Likoutei Si’hot, vol. I, p. 103)

Vivre avec la Paracha

 Balak

C’est une histoire étrange. Bilaam était un prophète et D.ieu lui donna le pouvoir de maudire. Balak, le roi de Moav, lui envoya des messagers pour lui demander de venir à lui et de maudire le Peuple juif. Bilaam haïssait les Juifs et voulait bien obtempérer mais il réalisa que sa malédiction ne serait efficace qu’avec le consentement de D.ieu.
C’est pourquoi il consulta D.ieu dans l’espoir qu’Il le laisserait partir avec les messagers de Balak. Mais D.ieu refusa.
Bilaam Lui demanda :
- Puis-je les maudire d’ici ?
D.ieu répondit par la négative.
- Devrais-je les bénir ?
A nouveau, la réponse fut négative.
Balak envoya un second groupe de messagers et Bilaam s’adressa une nouvelle fois à D.ieu.
D.ieu est-il inconstant ? S’Il devait laisser faire Bilaam, pourquoi ne pas lui faire savoir dès la première fois qu’il l'avait demandé ?
L’histoire se poursuit. Bilaam se rend auprès de Balak et tente à trois reprises de maudire les Juifs. Mais chaque fois, il est forcé de faire le contraire, leur octroyant de généreuses bénédictions.
Pourquoi D.ieu changea-t-Il d’avis et quelles leçons peut-on tirer de ces événements pour les appliquer dans notre vie quotidienne ?
Cette histoire apporte un enseignement sur le fait de nous conformer à la volonté de D.ieu.
A de très nombreuses occasions, nos propres désirs ne vont pas dans le sens de la Volonté Divine. Tout comme Bilaam savait que D.ieu ne maudirait pas les Juifs, nous savons, dans notre for intérieur, que ces comportements sont inacceptables. Mais cela ne nous empêche pas d’essayer de biaiser. Peut-être que, pour cette fois-là, D.ieu laissera faire ?
Et puis nous obtenons une réponse. D.ieu possède Ses moyens pour nous informer de ce qu’Il désire.
Et nous comprenons clairement Sa réponse : «Telle n’est pas ce que Je veux». Mais cela ne nous arrête pas. Nous persistons. Nous voulons faire ce que nous voulons faire.
D.ieu répond alors comme Il le fit à Bilaam. Comme l’affirment nos Sages : «De la façon dont il veut aller, l’homme est dirigé». Au lieu de devenir sensible à la Volonté de D.ieu et de modifier sa conduite dans ce sens, il agit comme il le veut et résiste au changement. D.ieu dit alors (pour ainsi dire) : «Très bien, si c’est ce que tu veux, alors fais-le. Je ne vais pas t’arrêter».
Est-ce à dire que D.ieu veut qu’il continue dans cette voie ? Certes non, mais combien de fois faut-il qu’Il fasse savoir à cet individu qu’Il n’est pas d’accord avec ses actions ? Au bout d’un certain temps, D.ieu le laisse tout simplement agir à sa guise.
Cet homme réussira-t-il ? En dernier ressort, il est évident que non. Tout comme Bilaam, il peut avoir l’occasion d’essayer de faire ce qu’il veut pendant un certain temps. Mais à long terme, D.ieu a Sa manière.
Mais si, en tout état de cause, cela se vérifie à long terme, à quoi cela sert-il d’attendre le long terme ? Pourquoi ne pas simplement comprendre d’emblée et se conformer à la volonté Divine ?
En fin de compte, nous venons dans ce monde pour donner des bénédictions et non l’inverse, c’est-à-dire que chacun d’entre nous a une mission à accomplir. Et chacun de nous finira, en toute certitude, par accomplir son but, tout comme Bilaam finit par donner ces bénédictions. La question est de savoir si nous nous identifions à cette mission et si nous l’accomplissons volontairement et joyeusement.

Perspectives
L’une des bénédictions de Bilaam «une étoile brillera de Yaacov et un bâton se lèvera dans Israël» est comprise comme une référence à Machia’h. Et de fait, les commentateurs l’interprètent comme la référence à Machia’h la plus précise de toute la Torah.
Pourquoi Machia’h est-il symbolisé par un bâton ? D’ordinaire, on utilise un bâton pour obliger quelqu’un à agir contre son propre gré.
Cependant, le concept de «contrainte» se trouve intrinsèquement lié avec Machia’h. En fait, lorsque Maïmonide énumère les différentes qualifications par lesquelles identifier Machia’h, il déclare qu’ «il obligera Israël à renforcer (les brèches dans l’observance de la Torah)». Pourquoi donc Machia’h est-il associé à l’idée de contrainte ?
Parce qu’il introduira le Peuple juif à un sens de la réalité plus élevé et plus profond que ce qu’ils peuvent percevoir par eux-mêmes. Ils ne sont pas à même d’atteindre seuls ce niveau de compréhension, quels que soient les efforts qu’ils investissent en ce sens. C’est tout simplement hors de leur portée. Mais D.ieu veut que les Juifs atteignent également ces summums. C’est pourquoi Il envoie Machia’h pour les obliger et les encourager, pas à pas, à atteindre un niveau de connexion avec D.ieu qu’ils n’auraient jamais pu atteindre autrement.

* * *

Le 12 Tamouz

Cette Paracha tombe fréquemment aux environs du 12 Tamouz, date de l’anniversaire de la naissance du Rabbi Yossef Its’hak Schneersohn et de sa libération des prisons soviétiques, en 1927.
Le Rabbi passa les dix dernières années de sa vie, de 1940 à 1950, aux Etats-Unis. Mais il avait déjà visité le pays en 1929. Il s’était alors rendu, entre autres villes, à Philadelphie.
Quand on sut que le Rabbi recevrait des visiteurs dans cette ville et que de nombreux habitants étaient intéressés à le voir, quelques jeunes gens juifs en furent perturbés. Ils ne supportaient pas l’idée qu’un vieux Rabbin puisse susciter tant d’attention et ils décidèrent d’observer les choses par eux-mêmes.
Ils sonnèrent à la porte de la maison où le Rabbi résidait et furent accueillis par un vénérable ‘hassid. Ils ne savaient pas exactement ce qu’ils feraient là mais quand ils virent que des gens faisaient la queue pour voir le Rabbi, ils demandèrent également à être introduits auprès de lui.
Le ‘hassid qui les avait reçus leur demanda d’écrire ce dont ils désiraient discuter avec le Rabbi. Ils notèrent donc qu’ils voulaient savoir comment le Rabbi pouvait espérer qu’ils observent une religion démodée dans un monde moderne.
Le ‘hassid apporta leur note au Rabbi qui demanda à ce qu’ils soient conduits auprès de lui avant tous ceux qui faisaient la queue. Quand ils pénétrèrent dans sa chambre, il se leva et arrangea des sièges pour qu’ils s’installent.
Il faut savoir qu’à l’époque, le Rabbi était en partie paralysé, suite aux maltraitances qu’il avait subies en Russie, sous les communistes.
L’observer arranger les chaises extirpa toute l’assurance et l’arrogance du cœur des garçons.
«Vous vous demandez certainement pourquoi je vous ai fait entrer avant tous ceux qui font la queue. C’est à cause du sujet dont vous voulez parler. La plupart des gens qui attendent veulent me demander des bénédictions. L’un a sa fille malade. Suis-je un médecin pour savoir comment la guérir ? Mais par amour pour mon prochain, je prierai pour elle. En vérité, cependant, son père pourrait le faire lui-même.
Un autre est un homme d’affaires venu demander la réussite dans ses investissements. Est-ce que j'y connais quelque chose ? Mais par amour pour mon prochain, je prierai pour lui.
Et il en va de même pour tous ces gens qui sont préoccupés par un problème personnel mais qui n’est pas dans le champ de mes compétences.
Par contre, vous, vous venez m’interroger sur le Judaïsme. Il s’agit là de ma spécialité. C’est pour cela qu’il vous a été accordé de rentrer avant les autres».
Ils parlèrent pendant un moment. Alors qu’ils se préparaient à quitter les lieux, le Rabbi leur dit : «Vous vous demandez comment être Juifs en Amérique. Apprenez de moi.
Il y a 613 Mitsvot et je ne les accomplis pas toutes mais je fais du mieux que je peux et une fois que j’ai avancé d’un pas, je ne recule pas».
Le Rabbi obtint ensuite de chacun d’entre eux qu’il prenne des résolutions pour des Mitsvot qu’ils accompliraient.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que le 17 Tamouz ?

Cette année, le jeûne du 17 Tamouz est repoussé au dimanche 5 juillet 2015.
On ne mange ni ne boit depuis le matin (à 3h 15, heure de Paris) jusqu’à la tombée de la nuit (22h 48 à Paris).
C’est en ce jour que Moché Rabbénou (Moïse notre Maître) brisa les premières Tables de la Loi à la suite du péché du veau d’or. Bien plus tard, le sacrifice quotidien fut interrompu lors du siège de Jérusalem. Une première brèche apparut ce jour-là dans les murailles de la ville sainte. Enfin, Apostomos installa une idole dans le Temple et brûla un rouleau de la Torah, toujours un 17 Tamouz.
Durant les trois semaines suivantes, jusqu’au 9 Av (dimanche 26 juillet 2015), on augmente les dons à la Tsedaka. On évite d’acheter de nouveaux vêtements et on ne prononce pas la bénédiction « Chéhé’héyanou » (par exemple pour un fruit nouveau). On ne se coupe pas les cheveux et on ne célèbre pas de mariage. On évite de passer en jugement.
Suite à l’appel du Rabbi, à partir du 17 Tamouz, nous intensifions l’étude des lois de la construction du Temple (dans le livre d’Ezékiel, le traité Talmudique Midot et le Rambam – Maïmonide).
Durant les neuf jours qui précèdent le 9 Av (à partir du samedi soir 18 juillet 2015), on ne mange pas de viande et on ne boit pas de vin. Par contre, on assistera à un Siyoum (ou on l’écoutera à la radio), ce qui est une joie permise durant cette période.

Le Recit de la Semaine

 Le secret du succès du boucher

C’est toujours une bonne surprise quand quelqu’un vous annonce : «Je veux vous raconter une histoire de votre Rabbi». Donc la voici :

C’est au milieu des années soixante qu’Ezra Berkowitz décida de quitter le quartier de Bedford Stuyvesant, agité par d’importantes tensions raciales ; la plupart de ses clients en firent d’ailleurs de même. Il pensait installer sa boucherie cachère à Long Island quand un de ses amis, Loubavitch, lui suggéra de prendre conseil auprès du Rabbi dont le bureau était situé dix blocks plus loin, au 770 Eastern Parkway. «Pourquoi pas ? Je n’ai rien à perdre !» se dit-il et, quelques jours plus tard, il se retrouva dans le bureau du Rabbi tandis que son ami l’attendait dans le couloir, très tard le soir.

Quand Ezra raconta son projet, le Rabbi sortit d’un tiroir une carte de Westchester et montra un important carrefour à White Plains en suggérant à Ezra d’y installer sa nouvelle boucherie (plutôt qu’à Long Island) car une nouvelle communauté juive s’y développait et avait besoin d’une boucherie cachère.

En sortant du bureau du Rabbi, Ezra ne savait que penser. Il expliqua à son ami qu’il était simplement venu demander une bénédiction et non pas un conseil. Il avait prévu de s’installer à Long Island et maintiendrait son projet. Son ami proposa d’aller néanmoins visiter ce carrefour de White Plains, ne serait-ce que par politesse et par respect pour avoir pris du temps du Rabbi.

Tous deux se rendirent donc à White Plains et eurent la joie d’y trouver une belle communauté qui se développait harmonieusement et, de plus, avec un emplacement idéal pour une boucherie. Cependant, quand Ezra entendit que le loyer était de 300 dollars par mois (une jolie somme à l’époque), il abandonna l’idée. Mais son ami ne l’entendait pas ainsi et le supplia d’aller informer le Rabbi des résultats de leur expédition. Il accepta.

Le Rabbi insista : il était très important qu’une boucherie cachère s’ouvre dans ce quartier et le Rabbi était prêt à en payer le loyer pendant les deux premières années ! Ezra qui était un homme d’affaires avisé accepta cette proposition et s’installa à White Plains.

Deux ans plus tard, l’affaire avait prospéré mais avait toujours besoin de l’aide financière du Rabbi. C’est ainsi qu’un beau jour de printemps, Ezra retourna au 770 pour un rendez-vous nocturne afin de solliciter le prolongement de l’aide ; son ami l’attendait à nouveau dans le couloir.

Après avoir entendu l’exposé de la situation, le Rabbi demanda au boucher s’il pouvait savoir quand un de ses clients célébrait la fête de Pessa’h et organisait un Séder chez lui. Ezra répondit que si un client achetait habituellement un seul poulet mais en achetait deux la semaine avant Pessa’h, cela signifiait qu’il célébrait sans doute la fête avec un Séder à la maison. Le Rabbi suggéra alors à Ezra de distribuer une boîte de Matsot Chmourot (rondes, faites à la main, confectionnées avec de la farine spécialement préservée de tout contact avec l’humidité) à ces clients qui respectaient la fête de Pessa’h et prenaient le repas du Séder ; il lui souhaita aussi beaucoup de succès dans son affaire.

Ezra sortit très préoccupé du bureau du Rabbi : non seulement il n’avait pas obtenu une extension de l’aide du Rabbi mais, de plus, le Rabbi l’avait chargé d’un autre poids financièrement très lourd à supporter puisqu’il devrait distribuer gratuitement des paquets de Matsot qu’il devrait se procurer de son propre argent. Excédé, il apostropha son ami : «Qu’est-ce que le Rabbi veut de moi ? Pourquoi m’en veut-il ainsi ?».

Trois semaines plus tard, Ezra reçut un gros colis de Matsot Chmourot faites à la main depuis le 770 Eastern Parkway, sans un mot d’explication. Mais il avait déjà compris comment il devait en disposer.

J’avais rencontré M. Berkowitz en 2002, lors d’une Bar Mitsva à White Plains. Après m’avoir raconté son histoire, il me regarda droit dans les yeux et ajouta :

- Rabbi Teldon ! La nouvelle que je distribuai ce cadeau de Matsot Chmourot à toute personne qui, apparemment, préparait le Séder, se répandit rapidement dans la ville ; si bien qu’après Pessa’h, mon affaire avait non pas doublé de taille, non pas triplé mais plus que quadruplé ! L’année suivante, je vendis 100 pounds de Matsot Chmourot et, quand je revendis mon affaire pour prendre ma retraite l’année dernière, je vendais 1000 pounds de Matsot chaque année ! C’est cela, la force de votre Rabbi !

Non, M. Berkowitz ! Ce n’est pas mon Rabbi ! C’est notre Rabbi à tous !

Rav Tuvia Teldon – Chabad.org

Traduit par Feiga Lubecki