Le droit au bonheur
Parfois des périodes se rencontrent presque abruptement tant elles semblent avoir, en première analyse, des tonalités bien différentes. Mais le judaïsme sait nous l’enseigner : rien n’est simplement le fait du hasard, ce vocable commode qui, bien souvent, ne sert qu’à masquer l’ignorance du ressort profond des choses. C’est ainsi qu’au moment où nous venons de vivre le 3 Tamouz – jour où, il y a vingt ans, le Rabbi quitta ce monde – nous entrons de plain-pied dans le mois de juillet, le mois des centres aérés Gan Israël.
Tant a été dit sur ces centres. Ils sont, tout à la fois, les lieux de la joie des enfants et de l’éducation juive, ceux de la vie, de la conscience et du bonheur. Il n’est que de voir sortir des centres – ou y vivre – ceux qui y participent pour se rendre compte du prodige qui s’y déroule et de la merveille qui s’y développe. Partout en France, et ailleurs dans le monde, ils ouvrent leurs portes et donnent ainsi aux enfants un mois entier différent des autres, où tout fait sens jusqu’aux jeux. Nul ne saurait décrire suffisamment les effets durables que le Gan Israël a. Aujourd’hui, alors qu’une génération est passée depuis le début de ces centres aérés, on voit des parents venir inscrire leur enfant en expliquant qu’eux-mêmes y participaient fidèlement chaque été et qu’ils en ont gardé un souvenir si chargé de force et d’émotion qu’ils ne voudraient en priver leurs enfants pour rien au monde !
Le 3 Tamouz, c’est toute l’œuvre du Rabbi qui a pris une encore plus grande expression. Car c’est bien dans son enseignement et grâce aux forces qu’il y a investies que tout cela est né. Il faut se rappeler ce temps où l’idée même de centre aéré juif était totalement inexistante. Il faut se rappeler cette époque – si proche et si lointaine – où la vie juive peinait à trouver ses repères. Le Gan Israël fut une belle et puissante réponse. Il continue de l’être dans une communauté en perpétuel devenir. Et si on en ressent la grandeur avec toujours autant d’intensité, c’est d’abord parce que l’enseignement du Rabbi nous accompagne et que cela ouvre le chemin, celui qui mène au meilleur de nous-mêmes et au meilleur du monde. Car l’enjeu est bien là : réaliser ici-bas, selon la formule classique, «la demeure de D.ieu» – cet aboutissement que la venue de Machia’h nous apportera.
La grandeur de la génération
Le Talmud (Sanhédrin 38b) rapporte que Moïse vit le livre d’Adam, le premier homme, et il y découvrit toutes les générations à venir. Entre autres, il vit notre génération, celle qui précède la venue de Machia’h.
Il nota alors que ce serait une génération où la compréhension de D.ieu serait à un niveau très bas et que le service de D.ieu n’y serait ni profond ni authentique. Pourtant, constata-t-il, la pratique concrète des commandements de D.ieu continuerait avec don de soi et en dépit de toutes les difficultés.
Considérant tout cela, Moïse se sentit très humble : il vit et ressentit la grandeur des gens de cette génération et la perçut comme plus haute que la sienne propre.
(D’après Likoutei Dibourim vol.1 p. 220)
Balak
Le nom de cette Paracha, Balak, soulève une question : Balak était un homme méchant, un roi immoral qui haïssait les Juifs et voulait leur destruction. Nos Sages statuent qu’on ne doit donner à personne le nom d’un impie. Il est sûr que ce principe s’applique également au nom d’une Paracha ! Pourquoi donc cet homme fut-il immortalisé par le titre de cette portion de la Torah ?
Tâchons de résoudre cette problématique. La Torah relate comment Balak loua les services de Bilaam, un mystique pervers et lui demanda de maudire le Peuple Juif. Cependant, D.ieu déjoua le plan de Bilaam. Chaque fois qu’il tenta d’invoquer les malédictions divines sur le Peuple Juif, D.ieu le força à déverser des bénédictions extraordinaires qui se manifesteront à la venue de Machia’h.
Nommer la Paracha de la Torah Balak est un moyen de nier et de transformer les forces qui lui sont associées. Le nom Balak sert de ressource éternelle pour exercer une influence positive, annihilant toute force qui cherche à nuire au Peuple Juif et à lui montrer comment elle peut être transformée en bénédiction et en bien.
Cela reflète le but ultime de la Torah : non seulement nous protéger et nous préserver des influences indésirables mais également transformer ces influences en forces positives, leur permettant de jouer leur rôle dans l’intention divine.
Cependant, cette réponse soulève une nouvelle interrogation. En effet, il aurait dès lors semblé plus approprié de nommer la Paracha Bilaam et non Balak. Après tout, Bilaam était aussi un être vil et c’est lui et non Balak qui prononça effectivement les bénédictions à l’égard du Peuple Juif. Pourquoi donc est-ce le nom de Balak qui est immortalisé ?
C’est ici que nous pouvons apprendre un enseignement important. Sans Balak, Bilaam n’aurait rien fait. Il est vrai qu’il haïssait les Juifs mais, sans l’invitation de Balak, il ne se serait pas risqué à tenter de les maudire. Nous savons d’ailleurs qu’au préalable, il déclina la demande de Balak. Ce n’est que l’insistance de ce dernier, qui lui renvoya des messagers avec une offre à laquelle il ne put résister, qui le motiva à entreprendre de maudire les Juifs. En termes simples, Balak fut le catalyseur. Sans lui, l’histoire ne se serait jamais produite.
Donner son nom à la Paracha nous enseigne que nous devons tous utiliser tous nos potentiels pour nous lancer dans des activités positives. Il ne suffit pas d’attendre qu’on nous demande une contribution, un don de notre personne. Tout comme Balak, pour être immortalisés dans notre héritage juif, nous devons faire le premier pas.
Il est difficile de commencer quelque chose. Il nous faut combattre l’inertie. C’est pour cette raison que la Torah utilise cet exemple qui éveille notre prise de conscience qu’il faut agir. Non seulement devons-nous répondre à notre environnement selon les normes désirées par la Torah mais nous devons nous engager à changer cet environnement en respectant les lignes directrices de la Torah.
Perspectives
Selon la loi juive, la Haftara de la semaine est un écho de la lecture de la Torah elle-même. Le lien entre la Paracha Balak et la Haftara est évident. La Haftara relate la manière dont D.ieu enjoint au Peuple Juif : «Mon peuple, rappelle-toi le conseil donné par Balak, roi de Moav, et la réponse que Bilaam, le fils de Béor, lui donna à Chittim.»
Aussi évident qu’il paraisse, ce parallèle peut également sembler superficiel parce que le seul point commun entre les deux est le nom du principal protagoniste. Le thème général ne semble pas concorder.
En fait, la relation entre les deux lectures tient au fait que toutes deux évoquent une transition imminente. La lecture de la Torah Balak, parle du moment où les Juifs sont «dans les plaines de Moav, en face de Jéricho, au Jourdain», prêts à entrer en Israël. La Haftara, quant à elle, renvoie au temps, au commencement de la Rédemption, où seront effectués les derniers préparatifs pour son avènement complet.
Cette période de transition sera parsemée de défis à relever. C’est pourquoi la Haftara nous dit : «pas d’espoir en l’homme, pas d’attente d’un mortel.» Mais il faut se concentrer sur la foi et la confiance.
Cela nous permet de comprendre le lien avec l’entrée du Peuple Juif en Israël. Dans le désert, le peuple était nourri par la Manne, c’est-à-dire qu’ils devaient leur existence à un mode miraculeux. Il était impossible de se tromper et penser qu’un être humain pouvait faire une différence. Plus encore, chaque jour, ne tombait qu’une quantité suffisante de Manne pour le jour-même, ce qui mettait l’accent sur le fait que l’on doit avoir une foi absolue en D.ieu et dans le fait qu’Il subvient à nos besoins, jour après jour.
Par contre, l’entrée en Israël initia le début d’une nouvelle ère dans l’activité humaine des Juifs. Ils allaient devoir semer et ramasser leurs propres récoltes, gagner leur subsistance par leurs efforts personnels. Dans un tel contexte, l’homme peut se tromper et penser que celle-ci dépend d’autres facteurs et qu’il peut «croire en l’homme». Nous ne parlons pas ici de quelqu’un transgressant un interdit, mais simplement de celui qui pense que s’il travaille plus dur et qu’il investit du temps, de l’énergie et des moyens, de façon adéquate, il prospérera. En termes clairs, c’est une pensée erronée. Il faut au contraire faire preuve de la même confiance absolue en D.ieu que celle qui dominait dans le désert.
Cela voudrait-il dire qu’il suffit de patienter et d’attendre les miracles ? Non. La Torah nous enseigne : «D.ieu te bénira dans tout ce que tu feras», c’est dire que l’homme doit «faire». Il doit créer un moyen pour que se manifestent les bénédictions de D.ieu. Mais pourquoi doit-il «faire» ? Certainement pas parce que l’ordre naturel possède une signification quelconque. Il n’est rien de plus qu’ «une hache entre les mains du bucheron», l’intermédiaire qu’utilise D.ieu pour donner Ses bénédictions. En réalité, nous devons utiliser cet intermédiaire, travailler, et véritablement travailler dur, mais prendre conscience que la source de notre succès n’est certainement pas nos propres efforts mais les bénédictions divines.
La transition à laquelle nous devons faire face, dans notre cheminement vers la Rédemption ultime, sous la conduite de Machia’h, est un renversement de la nature. A l’époque, les Juifs durent abandonner un mode de vie miraculeux et pénétrer dans un mode de vie «naturel». Nous, à l’opposé, allons quitter cet exil où la Providence Divine n’est pas visible et pénétrer dans une ère où «la terre sera remplie de la connaissance de D.ieu comme les eaux couvrent le lit de l’océan». Il n’y aura ni famine ni guerre, ni envie ou compétition, car le bien coulera en abondance et tous les délices seront aussi facilement accessibles que la poussière».
Au moment de leur entrée en Israël, la confiance en D.ieu générée durant le périple dans le désert devait réellement influencer la conduite des Juifs prenant possession de la terre. Par le même biais, la connaissance de la nature divine de l’existence qui dominera à l’époque de Machia’h devrait influencer notre vie présente. Car nous pouvons, au présent, ressentir un avant-goût de l’ère future lorsque nous réalisons que nous avons été dotés de bénédictions uniques et de prospérité, grâce à la générosité de D.ieu.
Les femmes sont-elles astreintes à l’étude de la Torah ?
Tous les décisionnaires s’accordent pour affirmer que les femmes sont exemptes de la Mitsva d’étudier la Torah. La Guemara affirme (Sotah 20 a) : «Quiconque enseigne la Torah (orale) à sa fille est considéré comme s’il lui enseignait des frivolités».
Dans les générations précédentes, on préférait enseigner aux filles la tradition familiale, à la maison. On ne s’approfondissait pas dans l’étude pour les filles. Il existait des exceptions et on connaît des noms de femmes remarquables par leur piété qui étudiaient la Torah, apportant ainsi bénédiction et bénéfice à leur famille et la communauté.
Une génération entière se distingua particulièrement : celle du roi ‘Hizkiya : les filles comme les garçons étaient imbattables dans leur connaissance des lois les plus compliquées - apparemment par crainte que la Torah ne soit oubliée comme cela avait été imposé du temps de son prédécesseur, le roi A’haz.
Le même problème se pose dans notre génération menacée d’oubli ; donc la solution doit être semblable. Voici les arguments qui plaident en faveur de l’étude de la Torah par les filles et femmes :
- De nos jours, il n’est possible de saisir correctement les lois juives que par une étude approfondie : la création d’écoles pour filles a sauvé l’éducation dans le peuple juif.
- Une grande partie de l’éducation dans le domaine de la loi juive – même pour les garçons – passe par les femmes. De plus, l’enfant pose d’habitude ses questions à sa mère et il faut donc qu’elle possède des connaissances même dans des domaines qui ne la concernent pas directement, comme par exemple les Tsitsits.
- La femme qui aide son mari et ses enfants à étudier la Torah est considérée comme si elle avait elle-même l’obligation d’étudier et s’en acquittait (Metsouva Veossa).
- Les filles sont constamment soumises à l’étude des « frivolités » quand elles étudient les matières profanes : il est donc nécessaire de les munir d’arguments et de matières à réflexion du domaine de la Torah.
- Les femmes et filles ont la Mitsva de croire en D.ieu, d’aimer D.ieu et de Le craindre etc. Or, pour cela, il est nécessaire – surtout dans notre génération – d’étudier profondément les textes fondamentaux de l’éthique juive, en particulier de la ‘Hassidout, de la pensée juive et de la morale, de la foi et de l’importance des Mitsvot.
F.L. d’après Rav Yossef Ginsburgh (Sichat Hachavoua N° 1430)
Le rôle du Rabbi
En 1963, le professeur Velvel Green de l’université de Minnesota était une étoile montante dans le domaine de la science, la bactériologie plus précisément. La Nasa le contacta pour étudier avec d’autres scientifiques les possibles effets des voyages dans l’espace. Il recevait des centaines d’invitations à s’exprimer dans des conférences, forums et colloques des universités les plus prestigieuses d’Amérique.
C’est aussi en 1963 que les Green entrèrent en contact avec Rav Moshe Feller, l’émissaire du Rabbi à Minneapolis et son épouse. Jusqu’à cette période, les Green comme la plupart des Juifs américains manifestaient peu d’intérêt pour le Chabbat, la Cacherout et les Téfilines qu’ils considéraient – s’ils en avaient entendu parler ! – comme des traditions anciennes sans aucune importance dans leur vie quotidienne. Mais leur relation avec ce jeune couple ‘hassidique leur fit comprendre qu’il existait un style de vie différent, enthousiaste et vivant qui leur manquait – malgré leur réussite professionnelle indéniable mais coupée de toutes racines.
A la suggestion de Rav Feller, le Professeur Green écrivit au Rabbi qui lui répondit : ce fut le début d’une correspondance passionnante qui se poursuivit durant de longues années : le jeune savant fut bien vite captivé par l’ampleur des connaissances du Rabbi et son analyse intelligente du monde contemporain. Avec chaque lettre, le Rabbi encourageait le professeur et son épouse à avancer dans le chemin du judaïsme : c’est ainsi que le couple Green décida de cachériser sa cuisine et, petit à petit, progressa dans l’observance des règles du Chabbat.
Au cours d’une discussion avec Rav Feller, le problème de la théorie de l’évolution face à l’affirmation de la Création surgit. Là, le professeur redevint le professeur, ironisant du haut de sa science : «J’ai beaucoup de respect pour la Torah ; ses enseignements et ses prescriptions tiennent une place de plus en plus importante dans ma vie. Mais à propos de la science, je regrette de constater que vous êtes encore au Moyen-âge ! Je suis stupéfait que des gens aussi intelligents que vous preniez pour argent comptant le récit biblique de la Création en six jours alors que les récentes découvertes scientifiques sur l’âge de l’univers et son développement contredisent tout à fait cette perception ! ».
- Je dois reconnaître que mes connaissances scientifiques sont limitées, concéda (pour une fois !) Rav Feller et je suis incapable de discuter de cela à votre niveau. Mais le Rabbi a écrit une longue lettre à ce sujet : il démontre comment la théorie de l’évolution n’est que cela, une théorie, bien pauvre d’ailleurs, emplie de contradictions et manquant de toute base scientifique sérieuse !
- Je ne peux pas le croire, réfléchit Professeur Green. La théorie de l’évolution est acceptée par pratiquement tous les scientifiques sérieux vivants. Mais montrez-moi cette lettre, je suis curieux de connaître l’opinion du Rabbi sur ce sujet.
Après avoir lu ou plutôt étudié la lettre, Velvel était toujours sceptique. Quand il expliqua ses objections à la thèse du Rabbi devant Rav Feller, celui-ci protesta encore une fois de son incapacité à répondre : «Écrivez donc vous-même au Rabbi !».
C’est ce que fit le Professeur Green. Il ne ménagea pas sa critique des arguments que le Rabbi avait exposés dans sa lettre : «Comme je respectai beaucoup le Rabbi, je m’abstins de tenir le langage condescendant que tiennent habituellement les scientifiques qui s’abaissent à exposer leurs découvertes devant les profanes, m’adressant au Rabbi sur le ton que l’on adopte quand on discute avec un collègue dont on réfute les arguments. Je déclarai cependant qu’il se trompait en relevant ce que je percevais comme incohérences dans ses arguments. Je concluais ma lettre avec cette phrase teintée de bons sentiments et de bon sens : le Rabbi ferait mieux de se cantonner à son domaine d’expertise (la Torah) et de laisser la science aux scientifiques !».
La réponse du Rabbi ne tarda pas, reprenait la correspondance qu’ils avaient tenue auparavant, discutant les progrès de Velvel dans sa découverte et son observance de la Torah. Mais pas un mot sur la théorie de l’évolution. Le professeur estima que le Rabbi lui donnait sans doute raison et comprenait que, dans le domaine des faits concrets, la Torah cédait le pas devant les théories élaborées par les scientifiques. Le professeur Green estima que la discussion était close et continua, par la suite, d’informer le Rabbi de ses progrès aussi bien dans le domaine des Mitsvot que dans le domaine professionnel. Le Rabbi répondait avec des mots d’encouragement, des bénédictions et même en envoyant une paire de Téfilines au professeur : celui-ci s’était en effet engagé à les mettre régulièrement.
Puis arriva la lettre dans laquelle Velvel annonça au Rabbi que lui et son épouse avaient décidé d’inscrire leurs enfants dans une école juive afin de leur assurer une éducation juive complète. Le Rabbi exprima sa grande satisfaction devant cette étape importante en les encourageant dans cette décision cruciale. Puis, à la fin de la lettre, le Rabbi ajoutait comme en post-scriptum : «Au fait, à propos de ce que vous m’avez écrit au sujet du point de vue de la Torah sur le récit de la Création…» : le Rabbi continuait en réfutant point par point les objections de Professeur Green quant au traitement soi-disant peu scientifique du Rabbi sur la question.
- Vous vous demandez probablement, concluait le Rabbi, pourquoi j’ai attendu si longtemps pour vous répondre à ce sujet. Mais mon rôle n’est pas de gagner une polémique. Mon rôle est de rapprocher les Juifs de l’étude de la Torah et de la pratique des Mitsvot.
Yanki Tauber – www.chabad.org
Traduit par Feiga Lubecki