Champ de « vision »
Au cours de sa longue et tumultueuse histoire, le peuple juif a mérité bien des titres et des qualificatifs, certes pas toujours bien intentionnés. Dans la période que nous vivons, où souvenir rime avec tragédie, relevons ces appellations-là qui enferment un destin en quelques lettres. Comme ne pas redire que les Juifs constituent le « peuple du Livre » tant il est vrai qu’ils ont construit leur vie, la réalité de leur foi – et, d’une certaine manière, l’ensemble de la société des hommes – autour de ce Texte donné par D.ieu, il y a si longtemps mais de telle façon que le temps n’a aucune prise sur lui ? Comment oublierait-on la révolution qu’ils apportèrent au monde, spirituellement, moralement et intellectuellement, quand ils lui enseignèrent l’existence absolue d’un Créateur unique ? Comment alors ne pas retenir une désignation simple : peuple de la vision ?
Car, de manière presque paradoxale, la vision est bien souvent ce qui est le plus proche du réel, peut-être à son avant-garde. Elle donne un sens, conduit, suscite les avancées et prévient les erreurs. Le Chabbat que nous vivons cette semaine en porte le nom. Il est le « Chabbat de la vision ». Bien sûr, cela renvoie au texte des prophètes lu à la synagogue. Il s’agit d’Isaïe et c’est à sa « vision » qu’il est ici fait référence. Mais, cette appellation résonne haut et fort en dehors de son contexte. La vision, nous est-il enseigné ainsi, c’est celle que D.ieu accorde à chacun en ce jour, dernier Chabbat avant le jeûne du 9 Av : celle du troisième Temple, qui réapparaîtra au temps messianique. Il nous est donc donné de le voir dès à présent, comme un espoir et un encouragement.
La question se soulève d’elle-même : l’image est belle, voir le Temple comme en avant-goût de la Délivrance tant attendue. Mais, au-delà de l’affirmation des commentaires, qui peut prétendre avoir vu tout cela ? Est-ce donc bien d’une vision qu’il est question ? Peut-être est-ce justement là que s’exprime la grandeur d’un peuple visionnaire. Nous sommes profondément conscients que la vision est ici, présente, devant nous. De ce fait, elle nous pénètre de sa puissance et, même si elle n’est pas, pour le moment, dans notre champ – justement – de vision, son rayonnement est inestimable. Ce Chabbat, faisons une de ces choses que nous savons faire : entrons dans cette vision. La vie en sera différente
Parachever l’œuvre
En notre temps, après toutes les épreuves traversées, ce temps qui est celui de la génération des « talons de Machia’h », selon le mot du Rabbi Précédent, Machia’h « se tient derrière notre mur » et n’attend que l’achèvement de l’œuvre confiée à notre génération.
Si on la compare à celle des générations qui nous ont précédés, cette œuvre est relativement facile. Il appartient donc à chacun de réaliser concrètement les termes du verset : « Le faible dira ‘je suis fort’ ». La seule décision ferme dans ce domaine fait apparaître les forces les plus profondes. Chacun peut donc agir bien plus qu’en des temps ou dans des conditions plus ordinaires.
(D’après les Iguerot Kodech du Rabbi de Loubavitch, vol. VIII, p. 353)
Devarim
Devant l’assemblée des Enfants d’Israël, Moché répète la Torah ainsi que les événements qui se sont produits au cours du voyage de quarante années. Il leur adresse des reproches pour leurs iniquités et les enjoint de rester fidèles à leur héritage éternel. Moché rappelle qu’il a nommé des juges et des magistrats pour le seconder, le voyage depuis Sinaï dans le désert, l’épisode des explorateurs, le décret de D.ieu Qui attendra quarante ans avant de permettre au peuple d’entrer en Israël.
Moché évoque également quelques événements plus récents : les querelles avec Moav et Amon, les guerres contre les rois Emorites, l’installation des tribus de Réouven, Gad et une partie de Ménaché, le message qu’il a adressé à son successeur Yehouchoua, pour ses futures batailles dans la reconquête d’Israël : « Ne les crains pas car l’Eternel ton D.ieu combattra pour toi ».
De la bouche de D.ieu à Moché
Au début du livre de Devarim, le verset déclare : « A la quarantième année, le premier du onzième mois, Moché parla aux Enfants d’Israël à propos de tout ce que D.ieu lui avait ordonné les concernant » (Devarim 1 :3).
Que dit exactement Moché ?
Le Sforno (un commentateur) explique que Moché répéta toute la Torah révélée jusqu’à ce moment. En fait, c’est l’une des raisons pour laquelle le livre de Devarim est également connu sous le nom de Michné Torah, « la répétition de la Torah ».
Nos Sages notent que le livre de Devarim diffère des quatre premiers livres de la Torah dans la mesure où les premiers émanent de « la bouche de D.ieu » alors que Devarim vient de « la bouche de Moché ».
Cela ne signifie pas, à D.ieu ne plaise, que les mots du Michné Torah ne viennent pas de D.ieu. Il s’agit plutôt, comme l’explique Rachi, du fait que « Moché ne prononça pas le Michné Torah, pour les Juifs, de sa propre initiative mais qu’il le recevait de D.ieu et le répétait aux Juifs ».
Puisque les mots du Michné Torah ne sont pas ceux de Moché mais ceux de D.ieu, pourquoi les quatre premiers livres sont-ils considérés comme issus de la « bouche de D.ieu » alors que le quatrième est le produit de la « bouche de Moché » ? Quelle différence y a-t-il entre les quatre premiers livres et le cinquième ?
La sainteté inhérente à la Torah est telle qu’elle transcende complètement le monde matériel. Pour qu’elle puisse se révéler dans ce monde, un intermédiaire est nécessaire, un intermédiaire qui soit à la fois supérieur à ce monde mais qui lui appartienne malgré tout. Cet intermédiaire établit un pont entre la Torah sacrée et ce monde matériel.
Moché était cet intermédiaire dans la mesure où s’alliaient en lui des éléments de ce monde et des niveaux supérieurs. Il est évident que son humilité n’était pas de ce monde. Mais en même temps, il avait atteint la perfection la plus absolue possible pour un être humain.
L’information qui est diffusée par le biais d’un intermédiaire peut se manifester de deux manières : soit elle passe à travers l’intermédiaire mais elle ne pénètre pas son être, tout ce qu’il fait étant de permettre sa révélation, soit la communication imprègne si totalement son être qu’il en est refaçonné, que sa personnalité est transformée par cette transmission. Cela a alors pour conséquence que chacun la reçoit en fonction de son propre niveau intellectuel.
Donnons une illustration : quand la pensée se traduit dans les doigts, par exemple quand on griffonne une idée ou que l’on fait une peinture, les doigts ne refaçonnent pas la pensée. Mais quand une pensée se transmet par l’émotion, cette émotion donnera de la couleur à cette pensée et en suscitera une transformation.
C’est là que réside la différence entre le cinquième livre de la Torah et les quatre qui le précèdent.
Dans les quatre premiers livres, Moché servit de canal, comme dans la première forme de transmission et la Torah resta une communication qui émanait de la « bouche de D.ieu », alors que dans le Michné Torah, les mots de D.ieu étaient « habillés » dans l’intellect de Moché et sont donc considérés comme venant de la « bouche de Moché ».
Quel est l’avantage de cette seconde forme de communication ? Il semblerait qu’elle implique une certaine chute dans la sainteté !
Quand un flux de connaissance divine ne s’habille pas dans l’intellect d’un intermédiaire humain, il est difficile de l’appréhender totalement car une telle connaissance est, par définition, au-delà de la faculté intellectuelle de celui qui la reçoit et l’intermédiaire n’a rien fait pour la rendre plus accessible.
C’est ainsi que si la Torah n’avait été transmise que par le biais des quatre premiers livres (c’est-à-dire par la « bouche de D.ieu »), il aurait été impossible pour les Juifs de la comprendre véritablement. Mais quand Moché leur répéta la Torah dans ses propres mots (c’est-à-dire de la « bouche de Moché »), elle devint compréhensible.
Qu’est-ce que le 9 Av ?
Le 9 Av commémore de tristes dates de l’histoire juive, comme l’épisode des explorateurs, l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492, de nombreux pogromes mais surtout la destruction du saint Temple de Jérusalem par les Romains en l’an 70 de l’ère commune.
Les garçons à partir de treize ans et les filles à partir de douze ans doivent jeûner depuis la veille (cette année lundi 31 juillet 2017 à partir de 21h 30, horaire de Paris) jusqu’au soir (cette année mardi soir 1er août 2017 à 22h 15). En cas de maladie ou de faiblesse, on consultera un Rabbin compétent à propos du jeûne.
On mange un repas normal avant le début du jeûne. Puis un repas comportant uniquement du pain trempé dans de la cendre et un œuf dur.
Le 9 Av, on ne se lave pas, sauf les mains le matin, ou pour des raisons d’hygiène.
Au matin, on ne récite pas la bénédiction : « Chéassa Li Kol Tsorki » (« Qui veille pour moi à tous mes besoins ») car on ne porte pas de vraies chaussures en cuir.
On n’étudie pas la Torah, (sauf certains passages de Jérémie par exemple), et on assiste à un « Siyoum », à la conclusion du traité Talmudique Moèd Katane (qu’on peut aussi écouter sur Radio J dimanche à 14h 30).
Jusqu’au milieu de la journée de mardi (environ 13h 30, 14 h) on ne s’assoit pas sur une chaise mais seulement sur un petit tabouret, en signe de deuil. On évite de dire bonjour, sauf aux personnes qui ont oublié qu’on ne se salue pas le 9 Av.
Lundi soir, on lit les Lamentations de Jérémie (Meguilat E’ha). Mardi matin, on fait la prière sans Talit ni Téfilines, ni Ta’hanoun et on lit les « Kinot ». Mardi après-midi, on met Talit et Téfilines pour la prière de Min’ha et on rajoute les passages « Na’hem » (« Console les endeuillés de Sion ») et « Anénou » (« Répond-nous »).
Mardi soir, à l’issue du jeûne, on se lave les mains rituellement (sans bénédiction) et on se rince la bouche. On enlève les chaussures en toile et on remet les chaussures en cuir. On prononce la bénédiction de Kiddouch Levana pour la lune.
On peut s’occuper du linge (lessive…) et se couper les cheveux à partir de mercredi 2 août 14h.
On ne mange pas de viande et on ne boit pas de vin jusqu’au milieu de la journée du mercredi 2 août.
Examen de Guemara
En 1973, j’avais huit ans et j’étudiais dans la classe de Reb Yeshayahu Weber, un véritable ‘Hassid, dans le ‘Héder situé à côté de la Yechiva Loubavitch Torat Emet à Jérusalem. En décembre, mon frère Rav Nachman Yossef se maria à New York. Je ne saurais jamais assez remercier mes chers parents qui, malgré mon jeune âge, m’ont emmené aux Etats-Unis et m’ont ainsi fait entrer en Ye’hidout (entretien privé) chez le Rabbi (à l’époque, seuls quelques élèves de notre école avaient eu ce privilège car il était très rare d’entreprendre un voyage si long et si cher avec de jeunes enfants). Je me souviens très bien de l’ambiance festive de ces quelques jours passés sur place ; je n’étais pas à même de comprendre les discours et les longs développements ‘hassidiques mais je garde un souvenir très vivace de l’allumage de la grande ‘Hanoukia dans la synagogue, en présence du Rabbi.
Bien entendu, le moment le plus intense de ce séjour fut la Ye’hidout. Nous avons tous revêtu nos vêtements de Chabbat pour la circonstance, mes parents, ma sœur et moi. Le Rabbi s’est longuement intéressé à moi et m’a fait subir un examen sur ce que j’étudiais à l’époque au ‘Héder. Grâce à mes frères, j’ai compris dès ma sortie de Ye’hidout l’importance de ce que je venais de vivre et ils ont consigné par écrit toute cette conversation.
Le Rabbi me parlait en yiddish et je répondais en yiddish. En voici le compte-rendu :
- Qu’étudies-tu actuellement ?
- Le traité (talmudique) Baba Metsia.
- Comment s’appelle ton professeur ?
- Reb Yeshayahu Weber.
- Quelle est la loi si on trouve un objet sans aucun signe distinctif ?
- On n’est pas obligé de proclamer (qu’on l’a trouvé pour retrouver le propriétaire).
- Pourquoi ? Voici quelqu’un qui a travaillé… qui a dépensé de l’argent etc. Cela lui appartenait. Pourquoi n’est-on pas obligé de proclamer (et de tenter d’identifier le propriétaire) ?
Je balbutiai. Puis je répondis :
- Parce qu’il n’y a pas de signe distinctif ! (Mon père vint à mon aide et rajouta que, certainement, le propriétaire avait abandonné tout espoir de retrouver l’objet).
Le Rabbi désigna de sa main droite le Sirtouk (redingote noire portée par les ‘Hassidim) qu’il portait puis me demanda :
- Comment agirais-tu si tu trouvais mon Sirtouk ? Proclamerais-tu (que tu l’as trouvé) ?
- Oui, répondis-je, car chaque personne porte un vêtement d’une taille différente (qui lui confère donc un signe distinctif).
- Quelle est la loi si on trouve des « filets de poissons » ou des « ronds de figues » ? (exemples cités dans la Guemara).
- Ils lui appartiennent.
- Pourquoi ?
- Parce que tout le monde les attache de la même façon. Ce n’est donc pas un signe distinctif.
- Qu’apprends-tu dans le Na’h (les Prophètes) ?
- (Le livre de) Yehochoua (Josué).
- Pourquoi n’a-t-on pas tué la famille de Ra’hav (la femme qui avait caché les espions envoyés par Yehochoua pour déterminer comment conquérir la ville de Jéricho) ? (Cette famille) faisait-elle partie de la tribu de Réouven, Chimone ou Lévi ?
- Parce que Ra’hav avait sauvé les espions envoyés par Yehochoua (et j’ai raconté toute l’histoire).
Ensuite le Rabbi posa quelques questions à ma sœur puis prit dans un des tiroirs de son bureau un petit verre (qui était ébréché sur un côté) qui contenait deux pièces d’un dollar. Sur l’une, il y avait une silhouette d’homme et sur l’autre une silhouette de femme. Le Rabbi fit passer les pièces d’une de ses mains à l’autre, plusieurs fois, puis m’offrit la pièce avec la silhouette d’homme et expliqua :
- Puisque je t’ai « fatigué », je te donne un dollar. Quand tu retourneras en Erets Israël, tu raconteras cette entrevue à ton professeur ainsi qu’à tous les élèves de ta classe.
Puis le Rabbi donna l’autre pièce à ma sœur.
Bien entendu, dès mon retour en Israël, j’ai tout raconté à mon professeur ainsi qu’aux élèves de ma classe comme le Rabbi me l’avait spécifié.
Des dizaines d’années sont passées depuis et ce n’est que récemment que j’ai saisi combien cette entrevue avait eu des répercussions considérables. Lors d’une réunion, j’ai eu l’occasion de m’asseoir à côté de mon ancien professeur et nous avons échangé des souvenirs avec, entre autres, le récit de ma Ye’hidout. Reb Weber me confia alors :
- Tu n’étais qu’un enfant de huit ans mais tu ne peux pas savoir combien ta Ye’hidout a tout changé pour moi ! Je n’étais alors qu’un jeune homme ; j’aimais enseigner et je m’efforçais de remplir au mieux mes obligations dans ce domaine mais je n’étais pas vraiment satisfait. De plus en plus de jeunes ‘Hassidim partaient s’installer dans des endroits reculés, dans le monde entier, afin de disséminer le judaïsme et je n’arrêtais pas de penser que je devais peut-être agir de même plutôt que de rester « cloué » avec un groupe d’enfants dans une école de Jérusalem… Je serais peut-être plus utile à la cause du judaïsme si je m’occupais d’une communauté, ailleurs dans le vaste monde…
J’avais écrit plusieurs fois au Rabbi à ce sujet mais n’avais jamais reçu de réponse de sa part. De ce fait, bourré de doutes, je vivais dans l’expectative. Puis tu es revenu de chez le Rabbi qui t’avait demandé de rapporter le contenu de l’entrevue à ton professeur et tes camarades. Je n’avais besoin de rien d’autre ! J’ai compris que c’était là une réponse claire du Rabbi : ma mission dans la vie était de m’occuper d’éducation.
De plus, en réfléchissant aux questions posées et à la façon dont le Rabbi les avait posées, j’ai compris plusieurs messages quant à la façon d’enseigner…
Effectivement, Rav Weber a continué à enseigner et a exercé une très bonne influence sur des centaines d’élèves, bien davantage que tout autre professeur. Il a développé une façon originale enseigner la Guemara aux élèves qui avaient du mal à s’y intéresser et ses compétences éducatives sont absolument considérables. La façon dont le Rabbi m’avait « forcé » à mieux comprendre et expliquer la loi de l’objet perdu pour m’obliger à réfléchir plutôt que d’ânonner des mots appris par-cœur l’avait interpelé. Je me souviens aussi comment, face à mon bouleversement, le Rabbi m’avait regardé avec le sourire d’un père et avait attendu patiemment que je reprenne mes esprits.
Il est possible que les élèves de ma classe aient également été favorablement impressionnés par tout ceci – par la toute première mission que le Rabbi m’avait confiée personnellement… Ce fut la première fois que je parlais « en public » et cela m’a « ouvert le tuyau » puisque je suis devenu un conférencier presque professionnel.
Lors d’une réunion ‘hassidique, dernièrement, j’ai raconté cette Ye’hidout à Nahariya, la ville dont je m’occupe et quelqu’un m’a fait remarquer à propos d’une des questions posées par le Rabbi : « Il est vrai que le Rabbi possède de nombreux « Sirtouks perdus », des Juifs disséminés ici et là… Il nous appartient de les transformer en Juifs conscients de leur judaïsme. Nous devons proclamer que nous sommes déterminés à les rendre à leur juste propriétaire, à D.ieu qui ne désespère d’aucun Juif… ».
Rav Baruch Wilhelm – Kfar Chabad N° 1712
Traduit par Feiga Lubecki