Samedi 2 aout 2014

  • Devarim
Editorial

 Des questions et une réponse

Quand les rues de grandes villes de France résonnent de cris qu’on croyait ne plus jamais entendre, quand les pires formes de haine se donnent en spectacle sans honte, il y a sans doute quelques questions à se poser. Et celles-ci portent certes sur la sérénité de la vie juive mais aussi, plus globalement, sur le destin d’une société dont de tels faits menacent les fondements mêmes. Bien sûr, les responsables ont condamné en termes forts et justes toutes ces exactions. Cela est nécessaire et doit être salué. Cependant, le peuple juif, au cours de son histoire, a hélas bien souvent connu la haine, l’a vécue dans sa chair, et la période que nous vivons avec sa commémoration de la destruction du Temple de Jérusalem par le jeûne si proche du 9 Av est là pour nous le rappeler, s’il en était encore besoin. Pour cette raison, il nous appartient aussi d’y apporter notre réponse particulière.

La première est celle, incontournable, de la conscience de ce que nous sommes et de la décision ferme de ne pas céder. Cela signifie que nos modes de vie, de comportement, nos pratiques ne peuvent être remis en cause par de tels événements. Si nous avons des ennemis, ils doivent savoir qu’ils n’ont aucune prise sur nous et qu’aucune victoire n’est pour eux envisageable. Ils doivent savoir que nous venons de plus loin qu’ils ne peuvent l’imaginer et que nous irons plus loin que leurs rêves les plus ambitieux. La seconde est ce qui a toujours fait le peuple juif : l’espoir. Ce sentiment qui, même dans les pires moments, ne disparaît jamais, comme un refrain entêtant qui monte jusqu’au cœur des drames. L’espoir est une chose précieuse. Quand la nuit semble tomber sur le monde, il fait naître un rayon de lumière. Et, même si celui-ci ne suffit pas à chasser l’obscurité, sa seule présence en annonce déjà la fin.

C’est aussi cela qu’il nous revient de porter. Demain, le monde sera meilleur et cet avenir, nous sommes capables de le penser – et donc de le construire – dès à présent. Il nous faut être aujourd’hui les acteurs de ce nouveau temps de paix et de bonheur. Cela commence en nous, par nous, dans nos maisons et dans la cité au travers de nos actions de tous les jours. Loin d’une utopie, beaucoup plus qu’une image fantasmée, c’est un projet qui s’ouvre ici devant chacun de nous. Encore une victoire.

Etincelles de Machiah

 Notre génération

Le principal est notre génération, la génération des «talons de Machia’h». Les talons maintiennent l’ensemble du corps et notre génération maintient toutes celles qui l’ont précédée.

Mais c’est aussi au talon que se raccrochent les salissures, la sueur etc. C’est pourquoi, il y a aujourd’hui une force plus grande du mal. Il faut donc faire monter la lumière, automatiquement elle repoussera le mal.

D’après Séfer Hasi’hot 5689 p. 50

Vivre avec la Paracha

 Le Livre de Devarim

Intégrer son identité personnelle

Nos Sages établissent que Moché livra le livre de Devarim «de sa propre initiative» (Meguila 31b). Le Tossafot ajoute qu’il fut «inspiré par roua’h hakodech» (esprit prophétique émanant de D.ieu).

Il existe de nombreux niveaux de roua’h hakodech. Toutefois, en ce qui concerne Moché, la Torah statue clairement : «Aucun prophète comme Moché ne se lèvera dans Israël», indiquant ainsi que la prophétie de Moché se situait au niveau le plus élevé possible.

C’est pour cette raison que le livre de Devarim est considéré comme faisant partie intégrante de la Torah Ecrite. Que Moché ait délivré ces enseignements «de sa propre initiative» n’altère pas le fait qu’ils furent donnés par D.ieu. Cela se perçoit dans la loi qu’énonce le Rambam selon laquelle celui qui dit qu’un seul mot de la Torah a été prononcé par Moché, de façon personnelle, est considéré comme niant la Torah tout entière. Il est bien évident qu’a fortiori cette règle s’applique à l’un des cinq livres dans son intégralité.

Ainsi, quand Moché donna le livre de Devarim, la Divinité s’unit-elle avec son être, au point que «la Présence Divine s’exprima par la gorge de Moché».

C’est pour cette raison que lorsque Moché prononça : «Je donnerai la pluie… Je donnerai la végétation», le pronom «Je» se référait à D.ieu. C’est la Présence Divine qui s’exprimait.

La différence entre le livre de Devarim et les quatre livres précédents de la Torah implique donc seulement un mode de communication dissemblable. Les quatre premiers livres avaient également été transmis par Moché. Seuls les deux premiers des Dix Commandements : «Je suis l’Eternel ton D.ieu…» et «Tu n’auras pas d’autres dieux…» furent directement émis par D.ieu. En ce qui concerne les 611 autres, nos Sages appliquent le verset : «la Torah (mot dont la valeur numérique des lettres est équivalente à 611) que Moché nous ordonna…», c’est-à-dire que ce fut lui qui nous la communiqua. Cependant, pour les quatre autres livres, Moché est considéré comme un intermédiaire alors que le livre de Devarim fut récité «de sa propre initiative».

La Présence Divine se revêtit dans son processus conceptuel au point qu’il Lui fut uni dans un lien si profond que «la Présence Divine s’exprima par [sa] gorge».

Un concept similaire s’applique aux perspectives que développèrent nos Sages du Talmud, et aux géants de la Torah dans les périodes suivantes. L’on se réfère métaphoriquement à tous ces hommes par le nom «Moché» et il est dit : «Chaque concept nouveau développé par un sage érudit a été donné à Moché à Sinaï» (‘Houlin 93a).

Ainsi, chaque concept novateur de la Torah est-il «la parole de D.ieu». C’est tout simplement que D.ieu s’est habillé dans l’esprit du Sage qui a développé cette idée. Il est inutile de dire qu’il existe différents niveaux et de types d’«habits» mais dans leur essence, tous ces enseignements sont la parole de D.ieu.

Le livre de Devarim n’introduit pas seulement plusieurs nouveaux concepts de la Torah mais il en renouvelle et clarifie de nombreux, déjà introduits dans les livres précédents. La même idée s’applique aux lois nées de «l’extension de Moché dans chaque génération», les dirigeants du Peuple Juif au cours des siècles. Les lois qu’ils ont promulguées sont «la parole de D.ieu». Celui qui les déconsidère faillit, non seulement dans l’observance de la loi particulière que les Sages ont instituée plus tard, mais également dans son adhérence à la Torah tout entière.

Par le même biais, la Me’hilta interprète le verset «Et ils eurent foi en D.ieu et en Moché Son serviteur» comme indiquant que la foi des Juifs en Moché est équivalente à leur foi en D.ieu Lui-même. Celui qui réfute l’autorité de Moché est considéré comme ayant réfuté l’autorité de D.ieu.

Des habits «sur mesure»

Moché communiqua le livre de Devarim aux Juifs avant qu’ils ne pénètrent en Israël. Cela implique que pour qu’ils puissent le faire, une nouvelle phase de la révélation était nécessaire. Tout ce qui précédait était insuffisant et Moché devait transmettre la Torah «de sa propre initiative», c’est-à-dire qu’elle devait passer par un intermédiaire. Cela ne créa pourtant pas de distance. Car Moché était un mimoutséh hame’haber, «un intermédiaire qui connecte».

La raison en est que l’entrée en Israël impliquait un nouvel aspect dans le Service Divin, qui devait bénéficier d’  «une terre d’installation». En Israël, la mission du Peuple Juif allait être d’élever l’existence matérielle. Dans le désert, le Service Divin se concentrait sur le spirituel, il n’était donc pas nécessaire qu’il y ait un intermédiaire. Mais après l’entrée en Israël, quand ils allaient devoir se consacrer à des préoccupations matérielles, les Juifs ne seraient plus aptes à recevoir directement la lumière Divine.

Ce mode se perpétua dans les générations suivantes. Le niveau spirituel s’abaissant, il devint nécessaire que «la parole de D.ieu» soit revêtue de plus en plus de vêtements. Cela explique la différence entre la Loi Ecrite et la Loi Orale, et au sein de la Loi Orale elle-même, la différence entre les Sages de la Michna, ceux de la Guemara, les Richonim, les A’haronim. Pour que la Torah puisse atteindre un peuple d’un niveau spirituel inférieur, elle devait être davantage «enveloppée».

Ce processus implique simplement la quantité de «vêtements». Mais l’essence de la Torah reste inchangée. Cela s’applique aux différences entre les quatre premiers livres de la Torah et le livre de Devarim, et, à une plus grande échelle, aux différences entre la Torah Ecrite et les concepts de la Torah développés par les Sages des générations présentes et acceptés par le Peuple Juif dans le monde entier. Tous constituent la parole de D.ieu «donnée par un Berger».

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que le 9 Av ?

Le 9 Av commémore de tristes dates de l’histoire juive, comme l’épisode des explorateurs, l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492, de nombreux pogromes, et en particulier la destruction du premier et second Temples de Jérusalem.

Les garçons à partir de treize ans et les filles à partir de douze ans doivent jeûner depuis la veille (cette année lundi 4 août 2014 à partir de 21h 24, horaires de Paris) jusqu’au soir (cette année mardi soir 5 août 2014 à 22h 08). En cas de maladie ou de faiblesse, on consultera un Rabbin compétent à propos du jeûne. On ne se lave pas, sauf les mains le matin, ou pour des raisons d’hygiène. On ne récite pas la bénédiction : «Chéassa Li Kol Tsorki» («Qui veille pour moi à tous mes besoins») car on ne porte pas de vraies chaussures. On n’étudie pas la Torah, (sauf certains passages de Jérémie par exemple), et on assiste à un «Siyoum», à la conclusion du traité Talmudique Moèd Katane (qu’on peut aussi écouter sur Radio J à 14h 30).

Jusqu’au milieu de la journée de mardi (environ 13h 30, 14h) on ne s’assoit pas sur une chaise mais seulement sur un petit tabouret, en signe de deuil. On évite de dire bonjour, sauf aux personnes qui ont oublié qu’on ne se salue pas le 9 Av.

Lundi soir, on lit les Lamentations de Jérémie (Meguilat E’ha). Mardi matin, on fait la prière sans Talit ni Téfilines, et on lit les «Kinot». Mardi après-midi, on met Talit et Téfilines pour la prière de Min’ha et on rajoute le passage «Na’hem» («Console les endeuillés de Sion») et «Anénou» («Répond-nous»). On ne mange pas de viande et on ne boit pas de vin jusqu’au milieu de la journée du mercredi 6 août. On fera lessive, couture et repassage et on pourra se couper les cheveux à partir du mercredi après-midi 6 août à 14h 00.

Le Recit de la Semaine

 Rester vivant

Durant notre voyage en Europe, nous avions une liste d’adresses à visiter en Belgique. L’une d’entre elles était celle d’un homme riche qui n’était pas Loubavitch ; nous avions peu d’espoir qu’il nous reçoive de façon chaleureuse ou même courtoise. Mais, à notre grande surprise, l’homme semblait très heureux de nous accueillir : «C’est un honneur pour moi que de recevoir des émissaires du Rabbi de Loubavitch !», dit-il.

Quand nous lui avons demandé quels étaient ses liens avec le Rabbi et le mouvement Loubavitch, il nous invita à nous asseoir confortablement et nous raconta son histoire :

Durant la guerre, il avait été étudiant de Yechiva dans un ghetto en Pologne. Il s’était caché à l’intérieur d’un bunker et, toute la journée, il restait penché sur les grands volumes de Guemara tandis qu’un homme les protégeait et cherchait pour eux de la nourriture à l’extérieur. Cet homme aimait visiblement étudier les textes sacrés. Quand les étudiants de Yechiva lui demandaient quelles étaient les nouvelles de la guerre ou du ghetto, il répondait invariablement : «Ce n’est pas important ! Tout ce qui compte, c’est que vous étudiez la Torah !».

Tel était leur emploi du temps quotidien jusqu’à ce qu’arrive un jour sombre : leur cachette avait été découverte, les soldats nazis firent irruption dans leur bunker et ils furent tous déportés dans des trains en partance pour Auschwitz. L’homme qui leur avait procuré du pain en restant aux aguets à l’extérieur fut assassiné sur place.

Un jour, alors que notre étudiant de Yechiva avec un de ses compagnons d’étude – devenu maintenant compagnon d’infortune – travaillaient dans le camp, ils formèrent des plans pour s’échapper de cet enfer. Tout à coup, ils s’aperçurent avec horreur qu’un gardien allemand avait suivi toute leur conversation.

Celui-ci leva lentement son fusil.

Terrifiés, les deux Juifs tentèrent de changer de sujet de conversation mais le gardien n’en avait cure :

- Ne tentez pas de me faire croire à autre chose que des projets d’évasion. Mais… Si vous parvenez à répondre à ma question, je vous laisserai tranquilles. Sinon…

Il les tenait en joue, prêt à tirer.

- Comment se fait-il que tous les livres juifs regorgent de louanges pour les Juifs par rapport aux autres nations alors que, maintenant, j’ai la possibilité de vous tuer si j’en ai envie ? Votre vie dépend de moi, qui ne suis pas juif !

Le futur philanthrope se tut, que pouvait-il répondre à cette question des questions ? Mais son ami répondit :

- Le Tout Puissant a créé le monde et il existe une Terre Sainte avec une Ville sainte ; sur une montagne sainte de cette ville, le Temple a été construit.

Il continua en décrivant de façon vivante et enflammée, sur un ton presqu’enthousiaste, les sacrifices quotidiens, le faste du Temple mais aussi la mauvaise conduite de certains rois juifs, la destruction et le long exil si amer et si dur.

Il conclut : «Ceux qui étaient justes et pieux sont morts immédiatement ; les autres restèrent en vie et souffrirent !».

D’où avait-il inventé pareille réponse ? Nul ne le saura jamais puisqu’il n’existe aucune réponse et que nous ne devons pas chercher de réponse à ce décret terrible qu’est l’exil avec ses souffrances intolérables.

Toujours est-il qu’interloqué et même impressionné par cette réponse prononcée sur le ton de l’évidence et avec une telle conviction, le Nazi baissa lentement son fusil. De sa poche, il tira un morceau de pain qu’il leur lança. Ce morceau de pain reçu de façon totalement inattendue et inespérée leur sauva la vie.

Après la guerre, les deux survivants retournèrent dans leur pays, la Pologne qui, bien que vidée de ses Juifs, était encore violemment antisémite et l’accueil qu’ils reçurent leur fit comprendre qu’ils devaient bien vite partir ailleurs. Mais où ? Où qu’ils aillent, ils étaient indésirables et on leur faisait comprendre qu’on ne voulait pas d’eux. Désespérés, ils envisageaient sérieusement de mettre fin à leurs jours.

- C’est alors, conclut le philanthrope, que nous avons trouvé un journal avec une lettre du précédent Rabbi de Loubavitch. Une lettre destinée à nous, les survivants de l’horreur. Quand nous avons compris que cet homme extraordinaire pensait à nous, nous avons décidé que la vie valait la peine d’être vécue !

Rav Zalman Posner – Avner Institute

Traduit par Feiga Lubecki

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