Samedi, 25 juillet 2020

  • Devarim
Editorial

 Il est temps d’agir !

Que faire du mois d’Av qui commence cette semaine ? Evocateur d’un drame historique du peuple juif, la destruction du premier puis du second Temple le 9 Av, il ne peut que soulever traditionnellement des images, et des sentiments, de tristesse et, a minima, d’attente d’un avenir meilleur. Si cette dernière idée présente des aspects positifs, la première ne peut pas se limiter à cela. De fait, c’est aujourd’hui que nous vivons et la douleur, même légitime, ne peut constituer une façon d’être présent au monde. Certes, des règles existent quant à la réduction de la joie et ses manifestations diverses et, comme toujours, elles doivent être respectées ; n’est-ce pas les règles de la loi juive qui façonnent notre vie et lui donnent sens ? Cependant, l’interrogation subsiste : que construire à partir de là, avec toute l’énergie et l’enthousiasme impliqués par un tel mot ?

Et pourtant, la construction est indispensable car cette démarche est le fondement même du développement de la vie. Il faut donc reprendre cette vision dès son origine. Le mot est connu : la phrase talmudique qui veut que « quand commence Av, on diminue la joie » est lue dans la tradition ‘hassidique comme signifiant « on diminue Av par la joie » ! Celle-ci, liée à l’étude de la Torah et à l’accomplissement des Mitsvot, est de nature à nous accompagner constamment. C’est dire qu’elle est à même de pénétrer notre cœur en tout temps et en toutes circonstances. N’y a-t-il pas un motif infini d’allégresse dans la conscience que nous, êtres humains, créatures infimes, avons le pouvoir de nous attacher à l’Essence même de D.ieu par nos actes ? Ce qu’aucune créature ne peut imaginer réellement et encore moins pénétrer est ainsi à notre portée.

Et, à cette joie sincère et puissante, répond la bonté du Créateur. Nous savons que l’exil, celui du peuple juif mais aussi celui de la Présence Divine, n’est qu’une situation temporaire. Nous savons aussi qu’il est en notre pouvoir de tout transformer. Nous entrons donc dans le mois d’Av avec confiance. La tragédie qu’il incarne est dans notre mémoire mais les moyens de la dépasser sont dans notre conscience. A nous de les mettre en œuvre et, bientôt si nous le voulons, dans les termes de Maïmonide, ces jours seront autant de « jours de joie et d’allégresse ».

Etincelles de Machiah

 Machia’h : en un instant

Un jour, Rabbi Chalom Dov Ber, le cinquième Rabbi de Loubavitch, entendit un ‘Hassid répéter à un ami le mot connu : « Quand le Machia’h viendra, le cordonnier et le tailleur seront à leur travail et, tout à coup, il arrivera. » Le Rabbi intervint alors : « Oui, ce sera exactement comme cela. »

A une autre occasion, des ‘hassidim se tenaient prêt du bureau de Rabbi Chalom Dov Ber et discutaient de la venue du Machia’h, comment se produirait la Délivrance. Brusquement, le Rabbi sortit de son bureau et déclara : « C’est ainsi (en un instant - ndr) qu’il viendra ! »

(D’après Kfar ‘Habad n°626)

Vivre avec la Paracha

 Devarim

Devant l’assemblée des Enfants d’Israël, Moché répète la Torah ainsi que les événements qui se sont produits au cours du voyage de quarante années. Il leur adresse des reproches pour leurs iniquités et les enjoint de rester fidèles à leur héritage éternel. Moché rappelle qu’il a nommé des juges et des magistrats pour le seconder, le voyage depuis le mont Sinaï dans le désert, l’épisode des Explorateurs, le décret de D.ieu Qui attendra quarante ans avant de permettre au peuple d’entrer en Israël.

Moché évoque également quelques événements plus récents : les querelles avec Moav et Amon, les guerres contre les rois émorites, l’installation des tribus de Réouven, Gad et une partie de celle de Ménaché, le message qu’il adresse à son successeur Yehochoua, pour ses futures batailles dans la conquête d’Israël : « Ne les crains pas car l’Eternel ton D.ieu combattra pour toi ».

Réconforter notre Père

Trois versets dans la Torah présentent la particularité d’être coupés en leur milieu et qu’y commence un nouveau paragraphe. L’un d’entre eux se rencontre dans notre Paracha Devarim (2 :8) :

« Ainsi nous nous détournâmes de nos frères, les enfants d’Essav qui habitent Séir, du chemin de Elat et de Etsion Gaver…

… et nous tournâmes et nous passâmes par le chemin de Moav. »

Dans ce verset, la Torah laisse un large espace vide après le mot « Etsion Gaver ». Quel est le sens de cet espace peu courant ?

En général, chaque Paracha comporte un thème qui renferme de nombreux concepts. Chaque paragraphe évoque ce concept avec force détails. Chaque verset (Passouk) donne de nombreuses nuances à chaque détail. Le fait qu’il y ait un espace à l’intérieur même d’un verset devrait donc impliquer que bien que nous soyons concentrés sur un détail, il a deux nuances diamétralement opposées. Quelles sont ces nuances ?

Des distinctions simples

Juste avant la coupure, il est fait mention de Séir, et juste après de Moav. Il existe une différence entre la manière dont Israël doit entretenir des relations politiques avec Séir et avec Moav. En ce qui concerne Séir, D.ieu dit : « Ne les provoquez pas du tout ».

A propos de Moav, D.ieu dit : « Vous pouvez les provoquer d’une manière générale mais ne pas faire la guerre contre eux. »

Peut-être est-ce cette différence dans le comportement qui expliquerait cet espace.

Les distinctions homélitiques

Tentons de comprendre la différence entre Séir, qui représente Essav et Moav. Essav était un fils d’Its’hak, et il était connu pour le soin qu’il accordait à l’importante Mitsva de Kiboud Av, le respect de son père. Le Baal Hatourim explique que les mots Yeroucha lé Essav, « l’héritage d’Essav », ont la même valeur numérique que Bichvil Mitsvat Kiboud, « à cause de la mitsva d’honorer (son père) ».

En revanche, Moav était le fils de la fille aînée de Loth, qui n’avait pas honoré son père. Bien que son intention fût de sauver l’humanité, elle eut un enfant de son père et elle le nomma Moav, ce qui signifie « de mon père », plaçant ainsi publiquement son père dans une situation indigne.

Peut-être est-ce pour cela qu’il y aurait un espace au sein-même du verset : pour faire une distinction symbolique entre les enfants d’Essav et les enfants de Moav. De manière générale, un verset de la Torah ne représente, comme nous l’avons vu, qu’un seul détail mais Essav et Moav étaient diamétralement opposés.

Des distinctions plus profondes

Les enfants d’Essav résidaient à Séir, « Séir » signifie littéralement « cheveu ». Selon la ‘Hassidout, les cheveux représentent les aspects les plus extérieurs de l’intellect. Ce niveau le plus extérieur dans le cerveau se contracte si bien qu’il peut percer le crâne et se manifester sous forme de mèches de cheveux visibles. Les cheveux représentent donc la Torah, les 24 livres de la Torah, des Prophètes et des Hagiographes, qui constituent la partie extérieure de la connaissance infinie de D.ieu, contractée dans des « mèches » de connaissance de la Torah.

Par ailleurs, Moav signifie « de mon père ». Av, « un père », fait allusion à la ‘Ho’hma, « l’intellect ». Cependant Moav évoque le dérivé extérieur et superficiel, sans sainteté, de l’intellect. C’est la lumière de l’intellect qui a été prise au piège du monde du travail, concentré sur lui-même.

Bien que mener des affaires soit cachère et même requis par la Torah, comme l’atteste le verset : « six jours par semaine tu travailleras », travailler n’est pas en soi un acte saint. Mais travailler donne le moyen de gagner sa vie, de donner de la charité aux pauvres, d’envoyer les enfants à l’école et de soutenir les Yechivot et les synagogues.

Cependant, si l’on se consacre trop au travail et que l’on manque de confiance dans la Providence Divine, si l’on pense que c’est son intellect et son esprit entrepreneur qui apportent le succès, alors on imite les voies de Moav.

Dans ce verset, la distinction entre Séir et Moav est le signe que nous ne devons pas confondre la Torah avec le travail ni le travail avec la Torah.

Consoler le Père

La Paracha Devarim est toujours lue avant Ticha beAv, le neuvième jour du mois d’Av. C’est un jour de jeûne, le point ultime des Trois Semaines de Deuil pour la destruction du Temple de Jérusalem. Ce mois porte un autre nom : Mena’hem Av, « consoler le père ». Au cours des premiers neuf jours de ce mois, nous nous efforçons de consoler notre Père Divin, car c’est durant cette période que Sa précieuse demeure sur terre fut détruite.

Le Chabbat de la Paracha Devarim, la lecture que l’on fait du passage des Prophètes affirme : « Tsion sera délivrée par le Michpat ». Michpat signifie l’étude de la Torah. C’est ainsi qu’en augmentant notre étude de la Torah, au cours de ce mois, nous consolons le Av, l’intellect Divin. Nous le sauvons de ses orientations qui auraient pu le détourner d’objectifs saints, pleins de sens et constructifs.

Le Coin de la Halacha

 Quand commencent « les neuf jours » ?

A partir de Roch ‘Hodech Av (cette année mercredi 22 juillet 2020), on ne mange pas de viande et on ne boit pas de vin (sauf Chabbat) en souvenir des jours terribles qui aboutirent à la destruction du Temple de Jérusalem.

On ne fait pas de couture, on ne lave pas de linge (sauf pour les petits enfants) et on ne repasse pas. On ne met pas de vêtements fraîchement lavés et repassés, sauf s’ils ont déjà été portés quelques instants avant cette période. On ne prend pas de bain et on évite les pratiques sportives dangereuses (par exemple la baignade en piscine ou à la mer).

On évite de passer en jugement.

Qu’est-ce qu’un Siyoum ?

Un « Siyoum » est une fête qu’on organise lorsqu’on a achevé l’étude d’un traité talmudique. Le Rabbi avait demandé qu’on organise un Siyoum pendant chacun des « neuf jours » puisqu’une telle joie sainte est permise durant cette période. On peut participer à un Siyoum sur certains sites Internet ou en écoutant chaque jour à la radio juive (94.8 FM) une personne qui achève l’étude du traité Midot ou Moëd Katane par exemple. Restez à l’écoute !

Le Recit de la Semaine

 Juifs sans catégories

Quand je servais dans Tsahal, l’armée de défense d’Israël, je faisais partie de seulement douze soldats pratiquants dans la célèbre Brigade Guivati qui comptait, à l’époque 3000 recrues.

La nourriture était cachère mais nous n’avions ni synagogue ni rouleau de la Torah.

Un vendredi alors que Chabbat approchait, j’ai proposé aux autres garçons pratiquants de venir dans ma tente ce soir-là pour prier ensemble et prendre ensemble le repas de Chabbat. Nous avons apporté la nourriture de la salle à manger commune et ce fut un très beau Chabbat.

Mais par la suite, un nouveau commandant fut nommé dans notre base : le général Abrasha Tamir. Un vendredi soir, il entra dans ma tente et nous aperçut assis et chantant joyeusement.

- Pourquoi ne mangez-vous pas avec tous les autres soldats dans la salle à manger commune ?

- Nous voulons ressentir une véritable atmosphère de Chabbat et c’est pourquoi nous mangeons à part.

Deux semaines plus tard, on m’informa que le général Tamir voulait que nous mangions avec tous les autres soldats et, non seulement cela, mais il me chargeait de réciter le Kiddouch avant le repas pour tous mes camarades. Alors que j’approchais de la salle à manger, j’entendis un orchestre jouant des chants de Chabbat - ce qui est une violation flagrante de la sainteté du jour. Je ne pouvais pas entrer et en informais l’officier qui m’escortait.

Quelques minutes plus tard, l’officier revint : le général Tamir m’intimait l’ordre d’entrer avec mes onze camarades. Je refusai d’obéir à ses ordres. Mes camarades pratiquants firent corps avec moi et nous reprîmes le chemin de ma tente.

Cela se termina avec l’arrestation de mes camarades et je fus convoqué dans le bureau du Général Tamir. Quand j’entrai, il enleva sa veste avec les insignes de commandant :

- Parle-moi comme si je n’étais pas ton chef et explique-moi tout cela : pourquoi m’as-tu fait honte devant tous les soldats ?

- Moi ? Je vous ai manqué de respect ? (Je ne comprenais pas où il voulait en venir). Vous pouvez réciter le Kiddouch vous-même, pourquoi voulez-vous m’en charger ?

C’est alors qu’il me raconta ce qui s’était passé.

Après qu’il nous ait vus dans la tente la première fois, il avait pensé que cette expérience serait bénéfique pour toute la brigade. Il avait donc fait venir l’orchestre pour que ce soit encore plus joyeux. Il ne savait pas du tout que jouer de la musique était interdit le Chabbat. Il avait voulu bien faire et ne savait tout simplement pas ce qui était permis et ce qui ne l’était pas.

Je réalisai alors l’ampleur du malentendu :

- Si vous arrêtez de faire intervenir l’orchestre, nous nous joindrons au groupe et tout ira bien !

Il accepta et, cinq minutes plus tard, nous avons rejoint l’ensemble de la brigade : je récitai le Kiddouch devant les trois mille soldats Guivati et ce fut un véritable repas de Chabbat, dans une atmosphère très sympathique.

Quelques jours plus tard, je fus convoqué par le commandant général qui, à ma grande surprise, s’adressa à moi avec beaucoup de respect : « Au nom de tous les généraux, je te présente mes excuses pour ce qui s’est passé. Personne n’a le droit de te forcer à transgresser le Chabbat ». Tels furent exactement ses mots. Puis il me demanda :

- As-tu besoin d’autre chose ?

- Oui, nous avons besoin d’une synagogue, enfin d’un endroit convenable pour prier et d’un Séfer Torah !

- Pas de problème ! Tu les auras !

Effectivement, on nous accorda un local pour prier et un Séfer Torah fut amené sous escorte militaire et la parade fut accompagnée par l’orchestre de l’armée.

C’était absolument extraordinaire et j’envoyai une lettre au Rabbi pour tout lui raconter. Très rapidement je reçus une réponse - et c’est une réponse qui changea toute ma vision du monde et ma vie-même.

La lettre du Rabbi était datée du 16 Elloul 5711 (17 septembre 1951) soit deux semaines avant Roch Hachana :

« J’ai beaucoup apprécié votre lettre… dans laquelle vous décrivez votre période militaire et vos activités pour renforcer le judaïsme parmi vos compagnons… L’importance de ce que vous accomplissez ne peut même pas être décrite dans des mots… mais je peux affirmer que si vous n’avez rejoint l’armée que pour cela, cela aurait été suffisant ».

Ces compliments signifiaient énormément pour moi.

Puis le Rabbi me demandait d’agir pour lui :

« Je vous demande du fond du cœur de transmettre ma bénédiction à chaque soldat, et pas seulement aux soldats que vous qualifiez de « pratiquants » dans votre lettre ».

Et il continuait en expliquant : « Il est connu que mon beau-père le Rabbi (précédent) répétait : Un Juif ni ne veut ni ne peut être séparé de la Divinité. Il s’ensuit que tous vos compagnons sont pratiquants ».

Pour moi, il n’y avait que douze soldats pratiquants dans tout ce régiment de trois mille âmes. Mais pour le Rabbi, les trois mille soldats étaient pratiquants - simplement ils ne le savaient pas encore. Le Rabbi continuait :

« C’est simplement parce qu’il leur manque des connaissances du judaïsme. Mais ils ne resteront pas distants et réaliseront qu’eux aussi, croient en D.ieu et en Sa Torah. Je vous en prie, transmettez-leur ma bénédiction afin qu’ils soient inscrits et scellés pour une bonne et douce année ».

Le Rabbi me chargeait d’une mission incroyable : informer chaque soldat que je rencontrerai - chacun d’entre eux - que le Rabbi de Loubavitch le bénissait pour une bonne et douce année !

Sa lettre renfermait pour moi un message complètement différent quant à sa façon de considérer un Juif. Jusque-là, je classais les gens par catégories - pratiquants et non-pratiquants et, évidemment, je me considérais comme membre du groupe pratiquant. Mais le Rabbi me montrait combien j’avais tort : parce qu’en fait, tous les Juifs sont pratiquants mais certains d’entre eux ne le savent pas encore…

Rav Shmuel Blizinsky

JEM

Traduit par Feiga Lubecki