Semaine 30

  • Devarim
Editorial
Une «vision» pour chacun
Temps de drame, de tragédie. Temps de flamme et de fer. Les jours s’écoulent inexorablement et le jour du 9 Av arrive ; depuis le début du mois, nous en sentons les prémices. Le 9 du mois de Av : le jour où le premier puis le second Temple furent détruits à quelques siècles d’intervalle. Cette date n’est pas seulement celle d’une sorte de commémoration rituelle. Nous y revivons, chaque année, des événements qui, point de départ de l’exil historique du peuple juif, portèrent des conséquences immenses pour l’ensemble du monde. Le Talmud sait l’énoncer en une phrase : «Si les nations avaient su comme le Temple est important pour elles, elles n’auraient pas envoyé leurs armées pour le détruire mais pour monter la garde tout autour». Alors que ce jour est déjà présent à l’horizon de notre conscience, que reste-t-il donc à chacun ? Au-delà du rite – en lui-même si précieux et si nécessaire – le seul sentiment légitime serait-il la désespérance ?
Le judaïsme, on le sait, n’aime guère ces attitudes d’esprit qui, de repliement sur soi en recul accepté, ne conduisent qu’aux plus graves des renoncements. Comment traverser les temps d’exil avec l’ardeur et l’enthousiasme de l’attente du nouveau temps, avec la certitude que rien n’est achevé et que, très bientôt, viendra enfin la Délivrance annoncée ? Comment être sûr ? On se prend alors à rêver. Tout serait tellement plus simple, plus évident si on pouvait être certain de la présence – comme en attente – du troisième Temple, celui, éternel, des temps messianiques. Et s’il nous était donné de le voir, ne serait-ce qu’un instant… Quelle force ressentirions-nous !
Parfois, il faut simplement savoir ouvrir les yeux, regarder et c’est un monde nouveau qui apparaît. Ce Chabbat porte un nom merveilleux : «Chabbat de la vision». Et cette expression, en son sens plus profond, renvoie à une réalité bouleversante. En ce Chabbat, c’est une «vision» du troisième Temple qui nous est accordée ! D.ieu, nous est-il enseigné, nous le montre comme pour soutenir notre effort, comme pour nous dire qu’il est à notre portée et qu’il ne dépend que de chacun de nous que sa présence – déjà réelle – devienne enfin tangible. Bien sûr, l’interrogation se lève : «Le voyons-nous vraiment ?» Peut-être appartient-il à chacun de répondre à cette question. La force est présente, elle nous est donnée sans limites ni restrictions, à nous de nous en saisir. Pour que, enfin, ce temps du 9 Av soit celui d’une renaissance éternelle, le temps de «la joie et de l’allégresse», le temps de la Délivrance.
Etincelles de Machiah
Parachever l’œuvre

En notre temps, après toutes les épreuves traversées, ce temps qui est celui de la génération des «talons de Machia’h», selon le mot du Rabbi Précédent, Machia’h «se tient derrière notre mur» et n’attend que l’achèvement de l’œuvre confiée à notre génération.

Si on la compare à celle des générations qui nous ont précédés, cette œuvre est relativement facile. Il appartient donc à chacun de réaliser concrètement les termes du verset : «Le faible dira ‘je suis fort’». La seule décision ferme dans ce domaine fait apparaître les forces les plus profondes. Chacun peut donc agir bien plus qu’en des temps ou dans des conditions plus ordinaires.
(d’après les Iguerot Kodech du Rabbi de Loubavitch, vol. VIII, p. 353) H.N.
Vivre avec la Paracha
Devarim : Perdus dans la traduction

Les concepts spirituels peuvent-ils être exprimés dans la langue de tous les jours ? Ou bien ne doit-on en parler que d’un ton mystérieux et dans des chuchotements sacrés, si toutefois on peut même en discuter ? Pour beaucoup d’entre nous, la littérature spirituelle semble irrémédiablement être hors de portée de notre expérience quotidienne. Nous associons les «textes sacrés» à des livres jaunis, cornés, écrits dans une langue archaïque ou à des parchemins pâlis, contenant des hiéroglyphes difficilement décryptables. Mais la littérature sacrée doit-elle nécessairement être aussi lointaine, étrangère à la réalité ? Y a-t-il quelque chose d’incongru à discuter de la Divinité et de la spiritualité en utilisant un langage courant et des exemples empruntés à la vraie vie ?
Quand nous parlons de D.ieu en utilisant des termes concrets, nous L’invitons au cœur de notre vie plutôt que Le reléguer à la périphérie de notre existence. Et pourtant, il pourrait être avancé que trop diminuer le respect peut facilement conduire à la désinvolture et au manque de considération pour des sujets sublimes. Il faut maintenir une certaine distance pour préserver la sainteté du sujet en question. Il ne nous faut pas perdre de vue notre propre petitesse et notre ignorance par rapport aux questions véritablement élevées et Divines et se mettre à créer D.ieu à notre propre image.
La ligne de démarcation très subtile entre le fait de rendre D.ieu accessible à l’entendement humain et l’humaniser complètement est un sujet de discussion qui remonte à l’époque talmudique. Il arriva un jour que cinq Sages furent chargés par le roi Ptolémée de traduire la Torah en grec. Ce jour-là, relate le Talmud, fut «aussi menaçant que le jour où fut érigé le veau d’or, car la Torah ne pouvait être traduite avec exactitude». Et pourtant, nous trouvons dans la Torah qu’avant de traverser le Jourdain pour pénétrer en Terre d’Israël, Moché expliqua la Torah en soixante-dix langues. Plus encore, il chargea le Peuple Juif, une fois qu’il aurait passé le Jourdain, d’écrire toute la Torah sur des pierres, en soixante-dix langues. Si la Torah avait déjà était rendue en soixante-dix langues, pourquoi la traduction grecque était-elle considérée comme si menaçante ?
D’autre part, quel est le lien entre la traduction ptoléméenne et le péché du veau d’or ? Notons que le Talmud ne fait pas la comparaison entre «le jour où l’on servit le veau d’or» mais plutôt avec «le jour où l’on érigea le veau d’or». Initialement, le Peuple Juif ne cherchait pas un objet de culte idolâtre. Il ne faisait que chercher un dirigeant pour remplacer Moché qu’il pensait, à tort, être mort sur le Mont Sinaï. Tout comme D.ieu avait désigné Moché comme intermédiaire pour libérer les Juifs d’Egypte, ils espéraient que le veau d’or pourrait être une sorte d’intercesseur entre le Peuple Juif et D.ieu. Ils ressentaient le besoin d’un représentant tangible, concret pour établir un pont entre leur existence matérielle et D.ieu.
Dans le Judaïsme, chaque personne est capable et se doit de construire une relation avec D.ieu sans qu’il y ait besoin d’intermédiaire. Pourquoi, dans ce cas, y a-t-il besoin d’un «leadership» quel qu’il soit ?
D.ieu désire que nous nous liions à Lui dans les termes de la vie réelle, que nous Le comprenions avec notre esprit et L’aimions avec tout l’amour que notre cœur charnel peut produire. C’est la raison pour laquelle D.ieu choisit un dirigeant, un Tsaddik qui, par sa conduite personnelle et son exemple, devient une manifestation vivante de la Divinité, avec laquelle nous pouvons tous nous lier et que nous pouvons tous imiter.
Les Juifs du désert voulurent aller un pas plus loin. Ils arguèrent que la révélation de D.ieu ne doit pas se limiter au niveau humain et peut s’exprimer aussi à travers le règne animal. Sur le Mont Sinaï, ils avaient vu D.ieu descendre de la montagne sur un chariot porté par des anges avec quatre visages, dont l’un était celui d’un veau. Ils tentèrent de capturer cette image et de lui donner une forme concrète.
Leur erreur résidait dans leur «traduction» maladroite d’une vision divine en un objet matériel. Une telle représentation ne peut être menée à bien sans une instruction divine explicite. La matière physique ne peut être investie d’énergie divine que par un commandement direct de D.ieu. Un exemple concret nous en est donné par la construction du Tabernacle, où l’énergie divine s’écoulait à travers l’Arche Sainte couronnée par les kérouvim (les Chérubins). Puisque sa construction en avait été ordonnée par D.ieu, elle devint un conduit pour la Divinité et elle était complètement annulée devant D.ieu. Mais toute tentative de notre part, pour convertir la spiritualité en un objet matériel, guidée par notre seule perception, est condamnée à l’échec. Puisqu’elle ne représente pas la volonté de D.ieu mais seulement notre propre conception limitée de la Divinité, elle finit par aboutir en une séparation entre nous et D.ieu.
Quand la Torah est traduite en langue étrangère, le risque est identique car notre interprétation humaine obscurcit le sens divin des mots. C’est donc la raison des propos de nos Sages selon lesquels la traduction grecque ptoléméenne de la Torah constituait une menace aussi grave que celle du jour où «fut érigé le veau d’or» (et il fallut une intervention miraculeuse de D.ieu pour que cette traduction soit adéquate). Cependant, quand la traduction est commandée par D.ieu, comme ce fut le cas sur les rives du Jourdain, cela ne laisse la place à aucune distorsion.
Quelle leçon peut-elle être tirée de ces deux événements ? L’histoire du veau d’or devrait-elle servir de moyen de dissuasion pour ne jamais tenter de nous lier à D.ieu dans nos propres termes ? Il est évident que D.ieu désire que nous L’attirions dans notre monde, comme cela est rendu clair par le fait que Moché lui-même traduisit la Torah en soixante-dix langues. Le veau d’or ne sert que d’exemple vivant du fait que nous pouvons nous perdre quand nous basons nos interprétations sur notre propre compréhension sans déférer à l’autorité de la Torah.
Dans notre génération, nous avons une possibilité inégalable de rendre la Torah accessible, dans toutes les langues, à des individus et des populations qui n’ont jamais été touchés auparavant. Nous pouvons choisir de négliger cette occasion, avançant notre propre démérite et la bassesse du monde en général. Ou bien nous pouvons utiliser cet élan pour communiquer les valeurs et les idéaux de la Torah dans toutes les langues, chacun en ses propres termes. D.ieu se révélera véritablement dans ce monde quand tous, chacun selon sa particularité, seront capables de reconnaître Sa présence et étudier Ses enseignements.
Nos efforts dans cette direction peuvent servir à annuler les effets négatifs du veau d’or. Leur intention première de se rapprocher davantage de D.ieu (bien que par des moyens impropres) peut être redirigée vers sa source adéquate par nos efforts intenses pour rendre D.ieu manifeste dans ce monde, selon les termes sanctionnés par la Torah. L’une des descriptions de l’Ere messianique indique que D.ieu rendra «les peuples purs dans leurs paroles de sorte qu’ils proclameront le Nom de D.ieu et Le serviront dans un but unique». Alors, les jours de jeûnes, commençant le 17 Tamouz et culminant le 9 Av, seront transformés en jours de joie et de fêtes, avec l’aide de D.ieu et l’arrivée de Machia’h.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que le 9 Av ?

Le 9 Av commémore de tristes dates de l’histoire juive, comme l’épisode des explorateurs, l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492, de nombreux pogromes, et en particulier la destruction du premier et second Temples de Jérusalem.
Les garçons à partir de treize ans et les filles à partir de douze ans doivent jeûner depuis la veille (cette année mercredi 29 juillet 2009 à partir de 21h 35, horaires de Paris) jusqu’au soir (cette année jeudi soir 30 juillet 2009 à 22h 11). En cas de maladie ou de faiblesse, on consultera un Rabbin compétent à propos du jeûne. On ne se lave pas ce jour-là, sauf l’extrémité des mains le matin, ou pour des raisons d’hygiène. On n’étudie pas la Torah, (sauf certains passages de Jérémie par exemple), et on assiste à un «Siyoum», à la conclusion du traité Talmudique Moèd Katane (qu’on peut aussi écouter sur Radio J à 14h 30).
Jusqu’au milieu de la journée de jeudi (environ 13h 30, 14h) on ne s’asseoit pas sur une chaise mais seulement sur un petit tabouret, en signe de deuil. On évite de dire bonjour, sauf aux personnes qui ont oublié qu’on ne se salue pas le 9 Av.
Mercredi soir, on lit les Lamentations de Jérémie (Meguilat E’ha). Jeudi matin, on fait la prière sans Talit ni Téfilines, et on lit les «Kinot». Jeudi après-midi, on met Talit et Téfilines pour la prière de Min’ha et on rajoute le passage «Na’hem» («Console les endeuillés de Sion»). On ne mange pas de viande et on ne boit pas de vin jusqu’au milieu de la journée du vendredi 31 juillet. On fera lessive, couture et repassage et on pourra se couper les cheveux dès le vendredi matin 31 juillet en l’honneur du Chabbat.

F. L.
De Recit de la Semaine
La Bar Mitsva de Nitsane

A première vue, Nitsane ressemblait aux dizaines de garçons qui arrivent dans notre Beth ‘Habad à l’approche de leur treizième anniversaire : les cheveux longs, l’aspect «négligé», le franc parler frôlant la ‘Houtzpa (l’insolence traditionnelle des jeunes)… Il venait du Kibboutz Hemdia, proche de mon village Gan Ner comme de nombreux autres jeunes garçons que la direction des Kibboutzim alentour nous envoyait pour les préparer à la Bar Mitsva.
Mais Nitsane désirait une Bar Mitsva spéciale.
Quelques mois avant la date prévue, son père me téléphona : «Je voudrais que vous prépariez mon fils, mais il ne veut pas de la partie strictement rituelle. Il veut une Bar Mitsva sans mise de Téfilines et sans montée à la Torah dans une synagogue».
Un peu abasourdi par cette «restriction de détail», je leur fixai néanmoins un rendez-vous, certain que la rencontre serait des plus intéressantes.
Effectivement, Nitsane arriva avec son père et mit tout de suite cartes sur table : il était d’accord d’apprendre la «Paracha», le texte de la Torah qu’on lit traditionnellement chaque Chabbat à la synagogue et ensuite de se rendre au restaurant, dans un environnement pastoral, au sommet du Mont Guilboa. Là… il lirait la Paracha. Du tac au tac je lui ai répondu : «Dans ces conditions, achète la cassette audio dans laquelle est enregistrée la Paracha et apprends-la tout seul ! Pourquoi crois-tu que tu as besoin de prendre des cours avec moi ? En ce qui me concerne, la Bar Mitsva représente une préparation spirituelle intense à l’entrée dans une vie religieuse responsable : on y apprend la valeur de l’étude de la Torah, l’importance de la mise quotidienne des Téfilines, le caractère sacré du Séfer Torah (le rouleau de la Torah) qui, depuis plus de 3320 ans, est resté le même et accompagne notre peuple dans ses pérégrinations forcées ou non. Mais si tu refuses les Téfilines et la montée à la Torah dans la synagogue… ta Bar Mitsva n’a pas de sens ! Le mot même de Bar Mitsva signifie que tu deviens astreint et responsable de ta pratique des Mitsvot et les Téfilines sont le premier de ces commandements pour tout Juif !»
Je continuai en lui indiquant qu’à mon avis, du fait qu’il ne connaissait visiblement pas grand-chose du judaïsme (puisqu’on ne lui avait enseigné à ce sujet que de très vagues notions), une vraie Bar Mitsva célébrée religieusement à la synagogue serait une expérience intéressante et valorisante à tous les points de vue. Nitsane réfléchit, posa encore quelques questions, objecta, écouta puis finalement accepta. Nous avons alors suivi le cursus traditionnel : Nitsane s’intéressa, respecta les horaires, posa des questions pertinentes, approfondit les détails.
La date de la Bar Mitsva tomba en milieu de semaine. Le jour précédent – où j’ai l’habitude d’organiser une sorte de répétition générale – le père de Nitsane se joignit à nous. Quand nous avons mimé la mise des Téfilines, j’ai remarqué son regard sérieux et attentif. Il observait chacun de nos gestes, remarquait chaque détail… En un éclair d’intuition, je lui proposai de mettre lui aussi les Téfilines, pour de vrai… Emu, il accepta, comme s’il avait attendu cet instant sans oser le demander. Pendant que j’enroulais les Téfilines sur son bras gauche et que je le couronnais avec les Téfilines de la tête, il n’arrêta pas de pleurer, sans même chercher à se retenir.
- Je suppose que c’est la première fois depuis longtemps que vous mettez les Téfilines aujourd’hui ? demandai-je prudemment.
- C’est exact, répondit-il entre deux hoquets. De fait, c’est la toute première fois de ma vie que je les mets. Encore plus : vous me croirez ou pas mais c’est même la première fois que je vois de mes yeux des Téfilines !
Jamais je n’aurais cru entendre une telle phrase ici, en Israël : se pourrait-il que l’ignorance des rites religieux de base soit si grande ? Peu importe, il avait mis les Téfilines et jouissait maintenant d’une protection accrue du Tout Puissant, d’une vision plus claire de la Providence Divine et, qui sait, ce premier pas en entraînerait certainement d’autres tout aussi positifs.
Le lendemain matin, Nitsane fut appelé à la Torah, comme le veut la tradition pluri millénaire du peuple juif. Son application et son sérieux forçaient le respect de tous les parents et amis venus l’accompagner au point qu’il régnait un silence inhabituel dans la synagogue.
A la fin de la prière, je me retournai pour voir s’il y avait quelqu’un qui réciterait le «Kaddich Yatom», la prière pour la sanctification du Nom de D.ieu que doivent prononcer les endeuillés.
C’est alors que le grand-père de Nitsane, un «Kibboutznik» d’un âge respectable, s’avança et annonça qu’il aurait bien voulu réciter le Kaddich mais il ignorait comment cela se faisait. Je lui ai montré la page dans le livre de prières, lui montrai les gestes qu’il fallait faire, les paroles qu’il fallait prononcer et quand il fallait attendre que les fidèles répondent Amen.
A la fin du Kaddich, c’est le grand-père qui se mit à pleurer comme un enfant !
Une fois qu’il se fut calmé, je lui demandai avec autant de tact que possible pourquoi il était tellement ému et il répondit, en laissant cette fois transparaître un léger accent d’Europe de l’est : «Je viens de me souvenir que, justement aujourd’hui, c’est l’anniversaire du décès de ma mère, que son âme repose en paix !»
Comme le dit le verset : «(Le prophète Elie) ramènera le cœur des pères grâce aux enfants !»

Rav Avraham Kiel – Gan Ner
Kfar Chabad n°1330
traduit par Feiga Lubecki