De la tristesse à la joie
Le mois d’Av commence et nous entrons cette semaine dans ce qu’il est convenu d’appeler « les 9 jours ». La période semble comme chargée d’une fatalité pesante. Nous nous dirigeons, jour après jour, vers la date du 9 Av, qui commémore la destruction du premier et du second Temple, et le défilement du temps rend inexorable la venue de ce rendez-vous si peu désiré. C’est que la perte du Temple est véritablement une catastrophe qui dépasse le Peuple juif en tant que tel mais touche à l’univers tout entier. N’est-ce pas du voilement de la Présence Divine qu’il s’agit ? Du reste, les limitations supplémentaires de joie qui caractérisent le moment en sont la manifestation. Cependant, peut-on se satisfaire d’une telle constatation ? Et jusqu’où faut-il s’imprégner intérieurement de ce sentiment ?
De manière générale, la pensée juive n’aime guère la tristesse. Elle ne cesse d’enseigner qu’il faut « servir D.ieu dans la joie », que « D.ieu ne Se révèle qu’à celui qui est joyeux ». Pourtant, lorsque l’on rencontre de tels événements, ce principe peut-il être maintenu ? N’y a-t-il pas là une véritable interrogation sur la direction émotionnelle à prendre ou, plus profondément, sur le sens même de cette joie ? Il faut se hâter de répéter que les règles qui imposent une certaine austérité doivent être scrupuleusement mises en pratique, alors quelle peut être la place d’une joie sincère ?
Justement, sans doute est-ce la plus grande. La tristesse doit être chassée car elle n’entraîne qu’au renoncement et la joie doit être soutenue car elle est toujours porteuse d’espérance. Le Peuple juif sait bien à quel point cela est important, lui qui a survécu à tant de vicissitudes. Mais cette joie ne peut qu’être en accord avec la Torah pour exprimer sa pleine puissance. Précisément pour cette raison, depuis le jeûne du 17 Tamouz et le début des « trois semaines », nous avons étudié la structure du Temple, mettant ainsi en œuvre spirituellement sa reconstruction. Et cela n’a pas peu contribué à notre nouvel élan. Voici que, depuis le 1er Av et le début des « 9jours », nous faisons chaque jour la conclusion d’un traité du Talmud, un Siyoum, notamment diffusé quotidiennement sur Radio J. Cette cérémonie est qualifiée de « jour de fête pour les sages » et elle repousse même les restrictions de la période. Se réjouir par et avec la Torah est sans doute la plus profonde des déclinaisons de l’allégresse.
Il nous revient de nous en saisir. Il nous appartient de participer à ce cercle de réjouissance permise et ainsi d’apporter enfin, au monde et à nous-mêmes, la consolation tant attendue, par la venue de Machia’h.
Les dernières étapes
Nous sommes à présent dans les dernières étapes du processus de raffinement spirituel du monde : c’est le temps des « talons de Machia’h ».
Dans une telle période, nous pourrions penser à tort que certains aspects de ce monde sont bien éloignés de toute possibilité de raffinement/spiritualisation. Mais aidons-nous d’une métaphore : c’est dans les derniers stades de la cuisson qu’une marmite bout plus fort et c’est alors que ce qui se trouvait tout au fond est propulsé à la surface. C’est le processus auquel nous assistons aujourd’hui. Tous ces éléments qui, jusqu’ici, semblaient au-delà de la portée de tout raffinement, en sont à présent très proches car le processus a pris une ampleur et une puissance inconnues jusqu’alors.
(d’après les Iguerot Kodech du Rabbi Rachab, vol. I, p. 266)
DEVARIM
Devant l’assemblée des Enfants d’Israël, Moché répète la Torah ainsi que les événements qui se sont produits au cours du voyage de quarante années. Il leur adresse des reproches pour leurs iniquités et les enjoint de rester fidèles à leur héritage éternel. Moché rappelle qu’il a nommé des juges et des magistrats pour le seconder, le voyage depuis Sinaï dans le désert, l’épisode des Explorateurs, le décret de D.ieu Qui attendra quarante ans avant de permettre au peuple d’entrer en Israël.
Moché évoque également quelques événements plus récents : les querelles avec Moav et Amone, les guerres contre les rois Emoréens, l’installation des tribus de Réouven, Gad et une partie de Ménaché, le message qu’il a adressé à son successeur Yehochoua, pour ses futures batailles dans la reconquête d’Israël : « Ne les crains pas car l’Eternel ton D.ieu combattra pour toi ».
Jusqu’aux cieux
Dans la Paracha de cette semaine, Moché relate la tragique épopée du Peuple juif dans le désert. Il raconte comment, à leur retour de leur mission d’exploration de la terre de Canaan, les explorateurs décrivirent la terre dans les termes les plus défavorables, occasionnant ainsi une rébellion de masse et une résistance à se rendre en Terre Promise. Moché décrit le cri de douleur du Peuple juif : « Où montons-nous ? Nos frères ont fait fondre notre cœur en disant : le peuple est plus puissant et plus grand que nous ; les villes sont immenses et fortifiées jusqu’aux cieux… »
Le Talmud (‘Houlin 90b), cité par Rachi, observe que leur caractérisation des villes comme « immenses et fortifiées jusqu’aux cieux » est une exagération.
Il nous faut comprendre pourquoi la Torah choisit d’exagérer. La Torah n’est-elle pas la sagesse et le langage de D.ieu ? Pourquoi emploierait-elle une hyperbole alors qu’elle insiste pour être absolument exacte et précise ?
L’on peut aisément résoudre ces problématiques en affirmant que la description de villes atteignant les cieux n’émanait pas de D.ieu ou de Moché mais des explorateurs malveillants et de leurs adeptes. Mais si tel était le cas, pourquoi le Talmud accorderait-il du sens à leur exagération ?
« Panim Yafot » (un commentaire ‘hassidique attribué à Rav Pin’has Horowitz, disciple de Rabbi Chnéor Zalman, fondateur du ‘Hassidisme ‘Habad) explique qu’en disant que les villes atteignaient les cieux, ils avaient l’intention de transmettre un message théologique. En utilisant les termes « les cieux », ils faisaient, en fait, allusion au royaume spirituel et non au ciel, en haut.
En d’autres termes, ils affirmaient ainsi que les villes fortifiées tiraient leur force d’« En-Haut », de D.ieu Lui-même.
Puisque c’était D.ieu Qui avait accordé cette force à ces peuples et à leurs villes, comment était-il possible pour le Peuple juif de les conquérir ? Ils ressentaient qu’une fois que D.ieu donnait de la force à quelqu’un, même D.ieu Lui-même était incapable de la retirer.
Leur erreur
Leur erreur venait du fait qu’ils comparaient la puissance attribuée par D.ieu à celle d’un être humain. Il est de fait qu’une fois qu’un homme investit sa force dans une certaine tâche, il ne peut la retirer. Par exemple, une fois qu’une personne a tiré une flèche avec un arc, elle ne peut la faire revenir. Ils raisonnaient de la même façon : une fois que D.ieu avait investi Sa puissance dans un domaine donné, Lui-même ne pouvait plus la retirer.
Ainsi, en statuant que les villes montaient jusqu’aux cieux, ils faisaient la déclaration percutante selon laquelle les villes et leurs habitants possédaient une force divine qui ne pouvait être vaincue.
Leur erreur tenait dans la comparaison des efforts de D.ieu avec ceux des hommes.
La différence est qu’une fois que l’être humain crée, sa création peut perdurer de façon indépendante. Par contre, tout ce que D.ieu crée, Il doit incessamment le recréer à nouveau. Tout ce qui existe n’existe donc que parce que D.ieu l’imprègne continuellement de vie. Si D.ieu devait retirer Sa force vitale d’un objet, ne serait-ce qu’un infime instant, celui-ci cesserait d’exister. C’est la raison pour laquelle, quand bien même D.ieu a attribué Sa toute puissance à quelque chose, il suffit qu’Il désire mettre fin à son existence, et plus rien ne peut subsister.
C’est cela que nos Sages avaient à l’esprit quand ils affirmaient que la description des villes atteignant les cieux était une exagération. Suggérer que ces villes de Canaan étaient invincibles, parce que D.ieu leur avait donné de la puissance, était une exagération. Rien ne peut se mettre en travers des voies de D.ieu, pas même la propre force que D.ieu a attribué à quelque chose.
Les obstacles donnés par D.ieu
Bien souvent, nous sommes envahis par l’impression que nous ne sommes pas capables de surmonter les défis que D.ieu nous lance. La leçon que nous pouvons tirer de notre Paracha est la croyance que le fait que D.ieu nous ait donné un obstacle insurmontable est simplement une exagération ! Quand bien même le challenge paraît insurmontable, quand bien même c’est D.ieu Lui-même qui l’a dressé devant nous, nous pouvons vaincre cet obstacle.
De toutes les entraves placées par D.ieu, l’existence de l’exil qui commença à Ticha beAv (le 9 Av, jour de deuil national, marquant la destruction du Saint Temple de Jérusalem, que nous commémorerons cette année le jeudi 27 juillet) est de loin l’une des plus affligeantes et des plus décourageantes. Et pourtant, accorder trop de puissance aux forces de l’exil, leur attribuer la permission de D.ieu et donc l’invincibilité, est aussi une exagération.
La naissance du Machia’h
Pour souligner cette idée, nos Sages nous disent que durant le premier Ticha beAv, alors que le Temple subissait la destruction, naquit le Machia’h. Cette déclaration a peut-être pour but de renforcer la notion que nous avons la force de renverser le processus de destruction du Temple, malgré le fait qu’il fut mis en œuvre par D.ieu. Car le même D.ieu, Qui a « ordonné » la destruction du Temple, a simultanément créé le remède pour sa restauration.
Il est sûr que chaque obstacle, et tout particulièrement l’existence de l’exil, a été initié par D.ieu. Mais en même temps, D.ieu a également mis à jour les moyens qui peuvent nous permettre de surmonter cet obstacle et de renverser toute l’énergie négative du passé.
Que nous puissions célébrer Ticha beAv comme la première fête de la Rédemption imminente, selon le statut de Maïmonide qui déclare qu’à l’Ère du Machia’h, Ticha beAv deviendra, à l’instar de tous les jours de jeûne, une fête majeure.
Le lien avec Ticha beAv
Devarim, la Paracha de cette semaine, est toujours lue la semaine qui précède Ticha beAv, le jour de deuil national pour la destruction des deux Temples de Jérusalem.
Il existe un lien évident entre ces deux événements : la lecture de Devarim et le jeûne du 9 Av. Les thèmes centraux de la Paracha sont les remontrances de Moché, ses dernières volontés et son testament, destinés au Peuple juif avant qu’ils n’entrent en Terre Promise. S’ils n’avaient pas changé leur vie, en réponse au message que leur adressa Moché, ils auraient pu être empêchés d’entrer en Terre d’Israël.
De la même façon, aujourd’hui, notre seul obstacle pour quitter l’état de tristesse et de destruction, représenté par Ticha beAv, et pour entrer dans un état de paix et de sainteté, illustré par l’Ère du Machia’h, est pour nous, de prendre à cœur les touchantes remontrances qu’adressa Moché au Peuple juif dans Devarim.
Subtil ou direct ?
Un examen attentif de la manière dont Moché adressa ses remontrances aux Juifs laisse apparaître qu’il ne leur fit pas de reproches directs. Au lieu de cela, il fit subtilement allusion à leurs erreurs passées. En revanche, plus tard, à la fin du Livre de Devarim, lorsque nous nous approcherons de la saison de Roch Hachana et de Yom Kippour, période réservée à l’introspection et à la repentance, les réprimandes de Moché prendront un ton plus sévère.
Pour comprendre la différence entre le caractère subtil et subliminal des reproches de Devarim et le ton plus direct de la Paracha Ki Tissa et des suivantes, il nous faut au préalable comprendre la différence entre Yom Kippour et Ticha BeAv. Ces deux jours constituent plus de 24 heures de jeûne dont le but est de nous faire sérieusement réfléchir à la vie et de nous faire changer de comportement, nous améliorer, même si nous sommes déjà très bien !
En fait, Ticha beAv, jour de jeûne ordonné de source rabbinique, prend ses racines dans le jeûne biblique de Yom Kippour. Cela suit le principe général discuté dans le Tanya selon lequel toutes les Mitsvot rabbiniques sont enracinées et intégrées dans leur contrepartie biblique.
Et pourtant, malgré ces similitudes, des différences saillantes distinguent ces deux jours.
Qui pourrait manger et qui voudrait manger ?
Rabbi Lévi Yits’hak de Berditchev, le célèbre et bien-aimé Maître ‘hassidique, commentait qu’en réalité, la Torah n’avait pas besoin de nous ordonner de jeûner lors de ces deux occasions parce que : « A Ticha beAv, qui pourrait manger ? Et à Yom Kippour, qui voudrait manger ? »
A Yom Kippour nous sommes comme des anges : nous nous élevons au-dessus du monde matériel. Nos âmes perdent alors leur appétit pour les nourritures terrestres et aspirent plutôt à des nourritures spirituelles. Pour l’âme, entendre de durs reproches de D.ieu, destinés au corps rustre, résonne comme une musique car elle-aussi est lassée de l’obsession du corps pour la matérialité. C’est pourquoi, lorsque nous nous approchons de la saison des Fêtes Solennelles, nous apprécions davantage le message de la Torah et D.ieu peut enlever Ses « gants de velours » et nous délivrer Son message sur nos défauts, dans des termes plus francs. Ces mots n’offensent pas mais au contraire renforcent notre âme alors plus sensible.
A l’inverse, à Ticha beAv, nous sommes écrasés par la mémoire de tout le malheur collectif subi par notre peuple. Si nous n’avons pas envie de manger à Ticha beAv, ce n’est pas parce que nous sommes au-dessus et au-delà du besoin de nourriture concrète mais plutôt parce que nous sommes trop affligés pour manger.
Cela explique également que les reproches énoncés dans la Paracha de cette semaine sont prononcés de façon subtile et précautionneuse, parce qu’en cette période, alors que notre peuple souffre, nous ne pouvons supporter de dures paroles. Nous avons au contraire, besoin de la chaleur de notre Père, nous avons besoin de ressentir que Ses paroles sont pleines d’amour.
Des reproches pleins d’amour
Alors que nous nous préparons à Ticha beAv, nous devons nous souvenir que lorsque nous parlons à notre prochain, nos paroles doivent être imprégnées de respect et d’amour. Il est sûr que nous ne pouvons échapper à notre obligation d’informer nos amis de leurs défauts, pour qu’ils puissent les rectifier, mais cela doit se faire, et surtout en cette période, avec beaucoup de sensibilité. Non seulement cela préviendra d’autres dommages potentiels qui pourraient résulter d’une approche plus sévère, mais cela aurait également peu de chances de réussir.
Préparation pour le futur jour de Fête
Nous avons également la promesse que dans les jours du Machia’h, tous les jours de jeûne seront transformés en jours de fête, y compris Ticha beAv. Il est donc on ne peut plus logique que la manière de préparer cette dimension joyeuse et positive soit d’accentuer le bien et de valoriser notre prochain pour l’aider à grandir dans son Judaïsme.
Qu’est-ce que le 9 Av ?
(Cette année le jeûne est jeudi 27 juillet 2023)
Le 9 Av commémore de tristes événements :
- La rencontre entre Essav (Esaü) et Yaakov (Jacob) - voir Parachat Vayigach.
- La faute des explorateurs dans le désert du Sinaï (voir Parachat Chela’h Le’ha)
- La destruction des deux Temples de Jérusalem (en 423 avant l’ère commune et en 70 après l’ère commune)
- La chute de la ville de Bétar lors de la révolte de Bar Ko’hba en 133.
- L’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492
- Le début de la Grande Guerre de 1914 - 1918.
On jeûne depuis la veille, mercredi 26 juillet 2023 à partir de 21h 37 (en Ile-de-France).
On enlève les chaussures en cuir depuis mercredi soir 26 juillet 2023 et on met des chaussures en plastique ou en toile. On ne s’assied que sur une chaise basse comme les endeuillés. On lit les Lamentations de Jérémie. On ne mange plus, on ne boit plus et on ne se lave pas – sauf pour des raisons d’hygiène. Les relations conjugales sont interdites.
Jeudi matin 27 juillet, on ne prononce pas la bénédiction : « Chéassa Li Kol Tsorki ».
On évite de se saluer mais si quelqu’un a oublié que c’est un jour de deuil, on répond doucement à ses salutations. On ne prononce pas les prières de Ta’hanoun (supplications). On lit les Kinot (prières rappelant les souffrances endurées par le Peuple juif le 9 Av tout au long des générations).
A partir de jeudi après-midi (après ‘Hatsot - 13h 55), on peut s’asseoir sur une chaise normale, on peut faire le ménage et préparer le repas du soir. On écoutera la conclusion d’un traité talmudique (sur Radio J à 14h 10 environ ou sur Internet par exemple)
Jeudi 27 juillet, le jeûne se termine à 22h 24.
Dès vendredi matin, on peut se couper les cheveux, écouter de la musique, se laver et laver le linge, on peut manger de la viande, boire du vin, se marier.
Le mercredi 15 Av (2 août 2023) est un jour particulièrement joyeux.
Une visite étrange
Jacqueline possédait tout ce qu’une jeune femme peut espérer. Elle poursuivait une belle carrière de designer indépendante et allait bientôt se marier avec Raoul, un garçon charmant et attentionné. Ils avaient déjà acheté une jolie maison dans les faubourgs de Buenos-Aires.
Il n’y avait qu’un petit problème : Jacqueline venait d’une maison juive, très assimilée il est vrai. Raoul était catholique. Ni l’un ni l’autre ne ressentait un lien particulier avec sa religion et n’y voyait un obstacle à leur bonheur.
Cependant, bizarrement, Jacqueline s’inquiétait pour un « détail » : dans sa famille, on avait toujours été très pointilleux sur un point : l’enterrement dans un cimetière juif, selon les rites traditionnels. Elle ne se souvenait plus de quand datait son intérêt pour cet usage mais soudain, elle y attachait beaucoup d’importance : or, que se passerait-il si elle quittait ce monde avant son mari ? Se préoccuperait-il de la faire enterrer selon les lois du judaïsme ? Quand elle y réfléchissait, elle tentait de chasser ces pensées de son esprit et de se concentrer sur son travail et les préparatifs du mariage.
Un jour, on lui proposa un contrat pour mettre au point une campagne publicitaire pour une synagogue locale. Pour cela, on lui prêtait un bureau dans les locaux administratifs. Un jour, la secrétaire qui travaillait dans le bureau adjacent lui demanda un service : « Je dois m’absenter demain. Pourrais-tu me remplacer ? Il faut répondre au téléphone et noter la teneur des appels. Si quelqu’un demande une entrevue avec le rabbin, il doit au préalable remplir ce papier avec son nom, numéro de téléphone, adresse et motif de sa demande. Si le rabbin a le temps, il recevra la personne en question ; sinon, il la contactera ». Jacqueline accepta de rendre ce service.
« Encore un détail, ajouta la secrétaire. Ne te sens pas obligée de sympathiser avec tous les visiteurs et n’entre pas dans leurs discussions : ce n’est pas ton rôle, tu n’es pas le rabbin ! Précise bien que tu n’es ni habilitée à répondre ni même à écouter toutes les doléances ».
Le lendemain, Jacqueline s’assit dans le bureau de la secrétaire et répondit aux appels téléphoniques. Vers midi, une femme âgée d’environ 70 ans entra, on voyait qu’elle était bouleversée et agitée.
- Je vous en prie, Mademoiselle, je dois voir le rabbin de toute urgence.
- Bien entendu, répondit Jacqueline avec un sourire. Voici un stylo, remplissez d’abord la feuille de rendez-vous.
- Vous savez, continua la dame tout en commençant à écrire, je suis si inquiète, je ne sais pas comment agir. Je n’arrive pas à dormir la nuit, je sens que j’ai commis un pêché très grave !
- Vous n’êtes pas obligée de me raconter quoi que ce soit, répéta Jacqueline. C’est le rabbin qui vous répondra.
- Vous comprenez, poursuivit-elle sans prêter attention à la remarque de Jacqueline, j’ai toujours vécu à Buenos-Aires. Mon mari, Jacques, était un homme droit et honnête, gentil et prévenant. Nous avons vécu ensemble plus de cinquante ans. Il est décédé l’année dernière. Il était juif mais pas moi ; cependant, cela n’a jamais eu aucune influence sur notre relation et notre amour. Pourtant, avant de mourir, il m’a demandé de le faire enterrer dans un cimetière juif. Personnellement, je ne savais pas comment agir : à qui devais-je m’adresser ? Je ne connaissais personne, j’étais complètement désemparée et, dans l’urgence, je l’ai fait enterrer dans le cimetière municipal La Recoleta de la rue Junin. J’aurais tant voulu accomplir ses dernières volontés mais je ne le pouvais tout simplement pas.
Jacqueline écoutait sans rien répondre mais elle sentait une sueur froide couler dans son dos. Elle se pinçait pour se persuader qu’elle avait bien entendu… La dame continuait, impossible de l’arrêter…
- Maintenant, Jacques vient me poursuivre dans mes rêves. Il m’explique qu’il souffre. Il me supplie de réparer ce qui a été commis ! Il faut que je parle au rabbin, c’est urgent !
- Bien sûr, ne pleurez pas, tout va s’arranger, le rabbin va vous recevoir tout de suite, je lui transmets le motif de votre visite.
Elle apporta à la dame une boîte de mouchoirs puis entra dans le bureau du rabbin en expliquant brièvement de quoi il s’agissait. Elle ressortit pour inviter la dame à y entrer mais la dame avait disparu ! Toute la journée, Jacqueline attendit son retour mais elle ne revint pas. Ni le lendemain. Jacqueline essaya de lui téléphoner mais le numéro qu’elle avait inscrit sur le papier n’existait pas. La secrétaire tenta elle aussi de la retrouver mais l’adresse indiquée était tout aussi fantaisiste. Tout ceci reste mystérieux – jusqu’à aujourd’hui.
Mais cet épisode laissa des traces et provoqua même une tempête dans la tête de Jacqueline. Elle se mit à repenser aux conséquences à long terme de sa décision de se marier avec Raoul et décida tout de go d’annuler le mariage.
Elle se mit à fréquenter la synagogue, à assister à des cours, à poser des questions de fond au rabbin puis décida de perfectionner ses connaissances du judaïsme : pourquoi rester avec de vagues notions apprises en passant dans son enfance alors qu’il y avait tant à étudier ? Elle s’inscrivit dans un séminaire à Jérusalem pour jeunes filles parlant l’espagnol et se maria avec un jeune homme qui avait suivi plus ou moins le même parcours qu’elle.
Actuellement, elle élève ses enfants dans le judaïsme et la joie à Jérusalem.
Mena’hem Shaikevitz – Si’hat Hachavoua N° 1903
Traduit par Feiga Lubecki