Semaine 31

  • Devarim
Editorial
A la rencontre du Temple de Jérusalem

Voici que revient, cette semaine, la période des “neuf jours”, du 1er au 9 Av, et son cortège d’images de drames et d’infinie tristesse, d’exil et de fin d’un temps. Chacun le sait: le 9 Av, nous commémorerons la destruction du Temple de Jérusalem. Chacun ressent ce presque insoutenable poids de l’histoire transmis de génération en génération avec l’attente obstinée et active de la venue du Machia’h. La période s’étend ainsi comme un long et difficile chemin et, même si la lumière monte à son extrémité, l’obscurité ambiante paraît bien oppressante.
Pourtant, au cœur du voyage, il existe un moment de lumière. C’est ce Chabbat qui précède le jeûne du 9 Av. Il porte le nom de Chabbat ‘Hazon ou “Chabbat de la vision”. Au-delà de la raison rituelle d’une telle dénomination, quelque chose est là sous-jacent. C’est qu’une vision est toujours bouleversante et que celle-ci ne fait pas exception à la règle. Cette fois, l’objet de la vision n’est autre que le troisième Temple de Jérusalem, celui-là même que le Machia’h rétablira dans notre monde, sur sa colline au cœur de la Ville Sainte. Il se dresse, disent nos Sages, tout de lumière et n’attend que le moment de descendre ici-bas. C’est ce Temple de lumière qui éclaire chacun de nous en ce Chabbat, comme la vision merveilleuse d’une réalité prochaine.
Certes, on pourrait ici interroger: les visions ne sont que pour les visionnaires. A quoi sert que l’on nous montre le prestigieux édifice quand personne n’est capable de le voir? N’est-il pas plus désespérément simple de continuer à accepter le poids de l’exil sans ce type de consolation subliminale? Justement, l’espérance de ce Chabbat ne constitue pas qu’un espoir vain. Elle est une réalité spirituelle qui nous donne la force et l’énergie nécessaires pour continuer notre chemin, pour concrétiser notre espérance.
Lorsque, ce Chabbat, la vision est présente, même si nous n’en avons pas conscience, cette présence nous pénètre et nous anime. Elle illumine le monde et donne vie à notre espoir. Ce Chabbat, le Temple rayonne sur nous. Sachons jouir de l’éclat de sa lumière.
Etincelles de Machiah
Une vision du 3ème Beth Hamikdach

Rabbi Lévi Its’hak de Berditchev avait coutume de souligner que le nom donné au Chabbat qui précède le 9 Av, Chabbat ‘Hazon, du nom de la Haftara lue ce jour-là, doit être traduit par “Chabbat de la vision”. En effet, ce jour-là chacun a une “vision” du troisième Beth Hamikdach.

Dans cette période plus difficile du calendrier juif, une telle vision a un but; encourager chacun à agir pour que la dernière étape soit franchie et que nous fassions descendre le Beth Hamikdach ici-bas.
Certes, nous ne sommes pas conscients de cette vision. Cependant, si nous ne la voyons pas concrètement, notre âme la voit et cela laisse une empreinte profonde sur l’ensemble de notre personnalité. C’est dire que nous avons à présent la force et la volonté de parachever l’œuvre et de faire que Machia’h se révèle enfin.
(d’après Likouteï Si’hot, vol. XXIX, p. 18-22)
Vivre avec la Paracha
Devarim : Mots

Devarim signifie “mots” et c’est le nom de la Paracha de cette semaine, la première des lectures du livre de Devarim, le cinquième livre de la Torah. Bien sûr, la Torah tout entière, du moins comme elle nous a été transmise à nous, êtres humains, est constituée de mots; mais dans le livre de Devarim, la nature de ces mots prend une signification particulière.
Le livre de Devarim constitue un discours de trente-sept jours prononcé par Moché, commençant le 1er Chevat et s’achevant le 7 Adar, le jour de sa mort, en 2488 (1723 avant l’ère commune). Dans son discours, Moché récapitule les événements et les lois majeurs qui sont relatés dans les quatre premiers livres de la Torah. C’est pourquoi le livre de Devarim est aussi appelé Michné Torah “la répétition de la Torah” (d’où son nom Deutéronome ou “seconde loi”).
Techniquement Moché écrivit tous les cinq livres. Mais nos Sages expliquent que dans les quatre premiers livres, Moché retranscrivit tout ce qu’il avait reçu de D.ieu alors que dans le cinquième livre, il le fit “avec ses propres mots”. La distinction est claire par le fait que les quatre premiers livres sont écrits à la troisième personne (“Et D.ieu parla à Moché en ces termes…”), alors que dans Devarim, nous entendons la voix de Moché à la première personne (“A cette période D.ieu me dit…”).
Néanmoins, Devarim appartient à ce que nous appelons la Torah écrite, ce qui signifie que non seulement le contenu mais également les mots et les lettres sont considérés d’origine divine. Nos Sages expliquent que Moché avait si totalement fait abstraction de son ego devant la Volonté Divine que “la Présence Divine parlait à travers sa gorge”, les propres mots de Moché étant les mots de D.ieu.
En tant que tel le livre de Devarim joue le rôle de pont entre la Torah écrite et la Torah orale. La Torah orale inclut le Talmud et les Midrachim, les commentaires et les codes, le Zohar et la Cabbale, et “tout ce qu’un élève diligent exposera devant son maître”, tout ce qui a été produit par trente-trois siècles d’érudits dans la Torah qui étudient et interprètent la Torah en accord avec la tradition sinaïtique. Dans la Torah orale, produite par des esprits et des bouches dont l’abstraction de soi est moindre que celle de Moché, le contenu est divin mais les mots et les lettres sont humains, venant de l’homme lui-même.
En d’autres termes, nous avons deux dimensions de la Torah: une dimension dans laquelle à la fois le contenu et “l’emballage” sont impartis d’En-Haut et une dimension dans laquelle la Sagesse et la Volonté Divines sont enveloppées dans “nos propres mots”. Et puis nous avons le livre de Devarim, dans lequel les deux convergent: un être humain, Moché atteint un niveau d’identification avec la Sagesse et la Volonté Divines dans lequel “ses propres mots” sont complètement en harmonie avec leur contenu divin, au point qu’ils ne sont pas moins les mots de D.ieu que ceux que D.ieu dicta à Moché pour les quatre premiers livres.
En fait, c’est même du livre de Devarim que toute la Torah orale découle. L’identification absolue de Moché avec la Sagesse Divine donne la force à nos âmes moindres, dont chacune possède “une parcelle de l’âme de Moché” de faire la même chose (bien qu’à un niveau moins élevé): créer à partir de “nos propres mots” des réceptacles pour la Sagesse Divine.

L’homme: un être doué de la parole
Cela se passe, à un certain niveau, chaque fois que nous ouvrons la bouche.
Les philosophes anciens se réfèrent à l’homme comme à celui “qui parle” et personne n’a encore trouvé de meilleure dénomination pour notre espèce douée du langage. Nous aimons parler. Témoins en sont les explications infinies dans lesquelles nous nous engageons, la conversation perpétuelle que nous nous sentons obligés de mener, les milliards de mots que nous prononçons chaque jour. Pourquoi ce besoin insatiable de tout mettre dans des mots, comme si rien n’existait véritablement avant d’avoir été fixé et développé dans un certain nombre de sons fixés et émis par l’homme ?
Parce que, nous disent les Maîtres ‘hassidiques, il n’y a rien que l’être humain veuille davantage que de jouer à D.ieu.
D.ieu le fit: Il parla pour créer la réalité. Il dit “Que la lumière soit!” et la lumière fut. Il dit: “Que les eaux se rassemblent et que la terre apparaisse” et les océans et les continents se formèrent. Mais l’homme regarde la création de D.ieu et la voit comme quelque chose qui n’est pas encore formé, à qui il manque encore une définition.
Ainsi nous parlons, catégorisant, quantifiant et qualifiant le monde de D.ieu dans un effort pour lui donner un sens et un but.
Bien sûr il y a des différences. D.ieu est infini est omnipotent; nous sommes finis et faillibles. D.ieu créa la lumière par Sa parole; nous avons été pourvus de la force de formuler cette lumière en une luminosité plus claire, plus éclatante, mais nous pouvons aussi la formuler en obscurité. Nous pouvons verbaliser les continents en pays et provinces d’un monde productif ou nous pouvons les prononcer frontières de haine et de luttes.
Mais c’est “le partenaire dans la création” que D.ieu désire; un partenaire qui est tout aussi capable de diriger sa société que de la créer, un partenaire indépendant et libre, dont les choix lui sont propres, et qui assume donc complètement sa responsabilité et accomplit son but. Parce que D.ieu voulait de véritables partenaires pour Ses entreprises et non une équipe d’employés et de garçons de courses (de ceux-là, Il en avait déjà pléthore: les anges!)

Monter au niveau supérieur
Mais D.ieu fit plus encore. Non seulement assujettit-il Sa création au langage humain, mais Il mit également Sa Torah, Ses propres pensées et désirs, dans des mots reconnaissables par l’humanité et puis Il nous invita dans le processus de verbaliser Sa Torah.
Mais si nous sommes Ses partenaires, nous devons être impliqués dans tout. Un véritable partenaire ne fait pas qu’accomplir sa part dans la tenue et le développement de la société, il participe également aux projets, au modus operandi, aux lois et règlements.
Ainsi D.ieu accorda-t-Il à l’esprit et la parole de l’humanité non seulement de modeler Son monde mais aussi de participer à la formulation de la Torah, les lois et le plan, la source de la création.
C’est ainsi que naquit Devarim, le livre des Mots.
Le premier à recevoir ce mandat fut Moché qui l’accomplit si parfaitement que sa “contribution” devint l’un des cinq livres qui forment le cœur de la Torah. Et l’accomplissement de Moché contient les germes qui permettent et permettront à tous les partenaires humains suivants d’articuler la Sagesse divine.
Le Coin de la Halacha
Qu'est-ce que le 9 Av ?

Le 9 Av commémore de tristes dates de l'histoire juive, comme l'épisode des explorateurs (Nombres 13), de nombreux pogromes, et en particulier la destruction du premier et du second Temple de Jérusalem.
Les garçons à partir de 13 ans et les filles à partir de 12 ans doivent jeûner depuis la veille (cette année mercredi soir 6 août 2003 à 21h 20, horaire de Paris) jusqu'au soir (cette année jeudi soir 7 août 2003 à 22h 15). En cas de maladie ou de faiblesse, on consultera un rabbin compétent à propos du jeûne. On ne se lave pas, sauf les doigts le matin. On ne met pas de chaussures en cuir. On n'étudie que certains passages de la Torah, (Jérémie etc.).
Jusqu'au milieu de la journée de jeudi (environ 14h) on ne s'assoit pas sur une chaise mais seulement sur un petit tabouret. On évite de dire bonjour, sauf aux personnes qui ont oublié qu'on ne se salue pas le 9 Av.
Mercredi soir, on lit les Lamentations de Jérémie (Meguilat E'ha). Jeudi matin, on fait la prière sans Talit ni Téfilines, et on lit les “Kinot”. Jeudi après-midi, on met Talit et Téfilines pour la prière de Min'ha et on rajoute le passage “Na'hem” (“Console les endeuillés de Sion”) dans la bénédiction: “Boné Yerouchalayim”. On assiste à un Siyoum (conclusion de l’étude) du traité talmudique “Moèd Katane”. Il sera notamment retransmis sur Radio J à 14h 30. Jeudi soir, on se lave les mains rituellement sans bénédiction. On remet des chaussures normales avant de manger. Cette année, en l’honneur de Chabbat, on pourra faire lessive, couture et repassage dès jeudi soir 7 août.
Les sept Chabbats qui suivent le 9 Av sont appelés des Chabbats de consolation.

F. L.
De Recit de la Semaine
Un roi en exil

Reb ‘Haïm Chaoul Brook, directeur de la Yechiva Loubavitch de Richone LeTsione, savait, par ses histoires et ses remarques, aiguiser l’esprit de ses étudiants et stimuler leur imagination et leur réflexion. Un jour il désira leur faire comprendre combien il est nécessaire de bien utiliser son temps pour étudier en profondeur et prier avec concentration.

“Un samedi soir, un Rabbi polonais demanda à ses ‘Hassidim, comme le veut la coutume, de raconter une histoire. L’un d’entre eux se leva: “Un jour, un roi polonais sortit avec son fidèle serviteur pour une partie de chasse. Au début tout se passa bien mais petit à petit, le ciel se couvrit de nuages: un orage éclata et, à travers le feuillage épais, le roi et son accompagnateur aperçurent des éclairs fulgurants tandis que l’averse transformait le sol de la forêt en marécage, balayant tous les repères et inondant les routes. Trempés jusqu’aux os, les deux hommes tentèrent de trouver comment sortir de la forêt mais, après des heures d’errance dans l’obscurité, ils n’avaient toujours pas rencontré âme qui vive.
“Soudain ils aperçurent une cabane dans laquelle brillait une faible lueur. La cabane était misérable et ne payait pas de mine mais le roi et son compagnon furent soulagés quand, entendant leurs coups contre la porte, le propriétaire ouvrit et les fit entrer dans sa masure. L’homme était visiblement pauvre: vêtu de haillons, il avait les cheveux en désordre. Il s’excusa de ne pouvoir offrir à ses invités le confort auquel ils pouvaient prétendre mais ceux-ci étaient bien trop heureux de pouvoir se réchauffer et se reposer.
“Auparavant dit l’homme, cette maison abritait une auberge mais depuis longtemps, je n’ai plus de clients et tout ce qui me reste, c’est une chèvre. Je ne puis vous offrir qu’un bol de lait de ma chèvre”.
“Le roi et son compagnon se réjouirent de pouvoir se nourrir de bon lait frais et revigorant. Puis leur hôte leur proposa à chacun une couche de paille: ils étaient si fatigués qu’ils s’endormirent instantanément comme si on leur avait offert des vrais lits avec draps et couvertures.
“Le lendemain matin, la tempête avait cessé et le propriétaire de la masure indiqua à ses invités le chemin pour sortir de la forêt. Ils le remercièrent du fond du cœur et, très peu de temps plus tard, ils atteignirent le palais royal où ils furent accueillis avec joie et soulagement.
“Quelques jours plus tard, un splendide carrosse s’arrêta devant la pauvre cabane. Un laquais vêtu d’un uniforme majestueux fit savoir au propriétaire qu’il était attendu au palais royal. Effrayé, l’homme se demandait quelle faute il avait bien pu commettre pour être ainsi convoqué par les autorités. Il se prépara au pire et monta dans le carrosse.
“Quand il arriva au palais, le roi en personne sortit à sa rencontre: “Tu ne me reconnais pas ? Je suis l’un des deux hommes que tu as si gentiment hébergés dans ta cabane il y a quelques jours!”
“Tandis qu’il parlait, les tailleurs se mettaient à l’ouvrage et, en un rien de temps, ils avaient déjà confectionné de très beaux vêtements pour l’homme de la forêt qui les enfila après avoir pris un bain chaud. Le roi lui offrit une grosse somme d’argent ainsi qu’une grande maison non loin du palais”.
Le ‘Hassid avait terminé son histoire. tous les regards se tournèrent alors vers le Rabbi. Après un long silence, le Rabbi ajouta: “Essayons de nous imaginer la conversation qu’aurait eu l’homme de la forêt avec un de ses anciens voisins:
- Comment as-tu fait pour devenir soudain si riche?
- J’ai donné au roi un bol de lait de chèvre et je l’ai fait dormir sur une couche de paille.
Le voisin, muni de cette recette toute simple, se rendrait au palais avec une cruche de lait de chèvre et un gros sac de paille. Ressortirait-il avec des vêtements sur mesure et des cadeaux? Bien sûr que non! D’ailleurs il risquerait plutôt d’être chassé après avoir été copieusement insulté et frappé! Son geste n’aurait été que lèse-majesté!
Que devons-nous comprendre de cela?
Quand le roi est dans le besoin, loin de son palais, dans la honte de l’exil, il est émerveillé par un bol de lait et une couche de paille. Mais quand il retourne dans son palais, tous les ustensiles d’or et d’argent ne peuvent le satisfaire !
“Oh, mes frères juifs! dit le Rabbi en pleurant presque. Tant que la Présence Divine est en exil et ressent la peine de chaque Juif qui vit en exil, elle se satisfait d’un verre de lait et d’une couche de paille, c’est-à-dire d’une petite Mitsva quelle qu’elle soit. Et celui qui l’accomplit méritera tout le bien réservé aux bienfaiteurs du roi. Mais quand très bientôt, la Délivrance arrivera, que la Présence Divine secouera les brins de paille collés à ses vêtements et retrouvera sa splendeur véritable, quand Machia’h viendra, alors toutes les Mitsvot que nous pourrons accomplir, toutes les études aussi profondes soient-elles ne nous suffiront pas!”

* * *

Reb ‘Haïm Chaoul Brook conclut: “Les enfants, dépêchez-vous d’étudier un maximum et d’apprendre encore mieux, de mettre à profit les derniers instants de l’exil afin que nous ne soyons pas couverts de honte! Machia’h arrive, encore une Mitsva et encore une Mitsva, maintenant!”

Traduit par Feiga Lubecki