La place du rêve
Certes, les fêtes du mois de Tichri – faut-il encore le dire ? – nous ont donné des forces immenses et nous ne cessons pas de nous en rendre compte chaque jour davantage. Certes encore, même si le nouveau mois a commencé, celui de ‘Hechvan, elles sont bien présentes dans notre cœur et notre esprit et, sans doute, nous aident largement à surmonter la morosité ambiante. Nous devrions donc être, à présent, pleins d’assurance, confiants dans le lendemain, réconfortés par l’équilibre et l’harmonie universels. Pourtant, force est de constater que nous vivons encore dans un monde imparfait, que le contexte est plus incertain que jamais et que nombreuses sont les questions qui, naturellement, se posent à chacun. Que devenir dans tout cela ? Que faire de tous les acquis spirituels encore si vivants dans notre mémoire ?
Il nous reste un élément à faire intervenir : l’effort de chacun. Il faut se garder d’oublier le fameux verset qui a retenti il y a si peu de temps dans toutes les synagogues : D.ieu plaça l’homme dans le jardin d’Eden « pour le travailler et le garder. » En termes plus contemporains, cela signifie que l’homme fut créé dans ce monde afin d’y apporter une forme de perfection qui lui manquait. Il devait le « travailler » parce qu’il y avait une œuvre à accomplir que nul autre ne pouvait entreprendre. C’est là une ancienne histoire mais elle nous parle du temps présent.
De fait, rien n’a véritablement changé. Le monde possède un potentiel infini mais seul l’homme peut le mettre en œuvre et c’est à lui de le révéler. Car il peut être le théâtre de la folie des hommes – parfois meurtrière – mais il est aussi le lieu que D.ieu a choisi, c’est-à-dire un espace qui peut devenir celui de la liberté et du bonheur. Il est donc temps de réaliser ce projet, conçu avant nous et qu’il nous appartient de mener à bien. Si nous le voulons, nous pouvons rétablir les choses. Nous pouvons faire que la suite des jours ne soit pas parcourue par l’angoisse de l’instant qui vient mais par l’espoir dont il est porteur. Cela ressemble à un rêve ? Mais n’est-ce pas de cela que la vie est d’abord tissée ? Et n’est-ce pas ainsi qu’elle peut garder les couleurs du bonheur ? Le temps est venu de nous de nous en saisir, la nouvelle année nous en ouvre déjà la voie !
Le pouvoir de la joie
La ‘Hassidout pose un principe essentiel : « La joie brise les barrières ». A cette idée, il faut ajouter qu’elle brise aussi les limites de l’exil et hâte la venue de Machia’h. C’est dans le même sens qu’il est écrit à son propos (Berechit Rabba 85 : 14 sur Miché 2 : 13) : « Celui qui brise (les limites) montera devant eux ».
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch, Chabbat Parchat Toledot 5741)
Lé’h Le’ha
D.ieu ordonne à Avram : « Pars de ta terre, de ton lieu de naissance, de la maison de ton père vers la terre que Je te montrerai ».
Avram, Saraï et leur neveu Loth se rendent en Canaan où Avram diffuse le message divin.
Une famine pousse Avram à se rendre en Egypte où Saraï est sauvée des assauts du Pharaon. Ils repartent riches en Canaan.
Avram délivre son neveu Loth d’ennemis qui l’ont fait prisonnier.
D.ieu scelle une alliance avec Avram et lui fait savoir qu’un exil et une persécution les atteindront mais que la Terre Sainte leur est attribuée en héritage éternel. Avram, sans enfant, épouse la servante Hagar qui met au monde un fils Ichmaël. Avram a alors quatre-vingt-six ans.
Treize ans plus tard, D.ieu change le nom d’Avram en Avraham et de Saraï en Sarah et leur promet un fils.
Avraham reçoit le commandement de se circoncire ainsi que ses descendants. Il s’exécute immédiatement.
Avec la Paracha Lé’h Le’ha, la Torah entame le récit détaillé de l’histoire de nos Patriarches, Avraham, Its’hak et Yaakov et de nos Matriarches, Sarah Rivka, Ra’hel et Léa. Il est dit : Maassé Avot Simane Lebanim, les actions des pères et des ancêtres du Peuple juif servent d’indicateurs et de guides pour leurs descendants. Nos Patriarches nous servent de modèles.
Cette histoire commence avec le commandement divin que reçoit Avraham, dans le verset d’ouverture de notre Paracha, Lé’h Le’ha : « pars de ta terre, de ton lieu de naissance, de la maison de ton père vers la terre que Je te montrerai ».
Ce commandement de D.ieu, donné au premier Juif, reste un commandement, une ligne directrice pour tous ses descendants, pour chacun d’entre nous. Il révèle la mission, la raison d’être de l’homme dans sa vie sur terre et ce, dans chacun des détails de ce monde.
Tout d’abord, il est dit : Lé’h Le’ha : « va pour toi ». Le mot hébreu pour « aller », Hali’ha, a la connotation d’aller de l’avant, de progresser. La fonction divine de Lé’h Le’ha, est donc d’indiquer à l’homme d’avancer, d’évoluer, de se perfectionner. L’homme doit savoir qu’il ne peut rester statique. Un être humain ne peut rester toujours au même niveau. Nos Sages notent que la différence entre les hommes et les anges tient au fait que les anges sont immuables. Ils restent au niveau, au degré, à la perfection qui leur ont été donnés à leur création. Seul l’homme peut progresser et s’élever dans un processus perpétuel.
Cela va encore plus loin. L’homme ne pouvant rester au même niveau, cela signifie que s’il ne progresse pas, à D.ieu ne plaise, il régressera.
L’homme n’a donc pas seulement l’aptitude à aller de l’avant et sans cesse se perfectionner mais également l’obligation de le faire.
Telle est donc la signification de ce premier commandement adressé à Avraham, et à chacun d’entre nous : « va, avance, progresse, élève-toi pour atteindre des objectifs plus élevés ! ».
Mais comment réussir à s’améliorer, à s’élever ?
Le verset continue : « pars de ta terre ». Le mot hébreu pour « terre » : Erèts, renvoie à Artsiout, « la matérialité », et évoque une aspiration et une quête de matérialisme. Quand l’on est obsédé par cette recherche de matérialité, par des ambitions exclusivement matérialistes et mondaines, on a peine à développer des perspectives spirituelles.
C’est pourquoi la première étape, sur la route vers le progrès personnel, est de s’éloigner de notre terre, de notre matérialisme personnel, de nos désirs physiques et mondains, de les maîtriser et les contrôler.
Mais cela ne suffit pas. Le pas suivant consiste à quitter son « lieu de naissance ». Le lieu de naissance fait allusion aux sentiments et aux tendances innés. Nous ne devons pas dire, et nous convaincre, que nous sommes nés avec certaines caractéristiques, certaines tendances dont nous ne pouvons nous défaire, que nous sommes ce que nous sommes et que nul ne peut espérer changer notre nature profonde.
D.ieu parle différemment : « vous devez quitter votre lieu de naissance », c’est-à-dire que nous ne devons pas faire les choses sous prétexte qu’elles viennent naturellement en nous. Nous devons apprendre à maîtriser et contrôler nos sentiments et nos traits de caractère.
Enfin la troisième étape consiste à quitter « la maison de notre père ». Il s’agit là de l’intellect humain, la raison et la pensée. Car de l’intellect de l’homme dépendent ses actions.
C’est la raison pour laquelle seul un homme dont la raison est saine peut être considéré comme responsable dans le domaine de la loi séculière comme religieuse.
Mais D.ieu nous dit ici que nos propres idées, nos raisonnements peuvent ne pas suffire. Parfois, il nous faut entendre et écouter une meilleure manière de raisonner, un esprit bien plus ouvert que le nôtre, un esprit profondément objectif.
Tel est donc le sens du premier commandement adressé à Avraham, du premier commandement adressé à chacun d’entre nous.
Si nous voulons réellement trouver la Vérité, si nous voulons développer notre potentiel humain, si nous voulons être intègres avec nous-mêmes, il nous faut alors travailler sur nous-mêmes, faire des efforts pour progresser, pour avancer. Ne nous satisfaisons pas des qualités intellectuelles, émotionnelles ou physiques avec lesquelles nous sommes nés. Sortons de notre matérialisme, dépassons nos sentiments naturels, quittons le cocon de notre manière naturelle de penser et de raisonner et dirigeons-nous vers « la terre que Je (Moi D.ieu) te montrerai ».Cela signifie que le chemin à suivre est de nous conformer aux lignes de conduite et aux instructions que D.ieu nous donne.
Le secret de la réussite et des bénédictions d’Avraham tenait au fait qu’il suivit les recommandations divines. Et c’est également l’assurance de notre réussite et de nos bénédictions.
Le respect dû aux livres sacrés
Selon certains décisionnaires, on peut de nos jours accomplir la Mitsva d’écrire un Séfer Torah (rouleau de la Torah) en achetant des livres sacrés dans lesquels on pourra étudier. Il est recommandé que, dans toute maison juive, se trouvent au moins les livres de base tels que :
- Un ‘Houmach (cinq livres de Moïse)
- Un Tehilim (Psaumes)
- Un Siddour (livre de prières)
- Un Tanya (base de la ‘Hassidout).
Chaque enfant juif devrait posséder ces livres essentiels.
Si on trouve un livre à l’envers, par exemple sur une étagère, on le remettra à l’endroit. Dans une maison où évoluent de jeunes enfants, il arrive qu’ils s’amusent à déplacer les livres des étagères inférieures et la femme de ménage ne sait pas toujours les replacer à l’endroit.
On ne place pas d’objets sur un livre saint. Si on empile des livres, on veillera à placer le ‘Houmach (cinq livres de Moïse) au-dessus de tous les autres.
On ne s’assoit pas sur un banc où se trouvent des livres, sauf s’ils sont placés, par exemple, sur une boîte, donc un peu en hauteur. On évite d’ailleurs de placer des livres sur un banc ou une chaise.
Quand on interrompt son étude, on ne laisse pas le livre ouvert, on ne retourne pas le livre à l’envers pour garder la page : on placera à l’intérieur un papier ou tout autre objet pour retenir la page.
Quand on referme le livre, on embrasse la couverture. On veille à la propreté du livre, si possible on le couvre et on évite d’y laisser tomber des miettes.
(d’après Rav Eliezer Wenger)
La fabrique secrète de diamants…
Le cours de géographie était terminé. Les élèves se dispersaient. Même nous, les élèves juifs avions été obligés de fréquenter les écoles communales d’Ouzbékistan ; cependant, nous restions soudés entre nous et, ce jour-là, nous avions décidé de mettre le cours à profit. Au lieu d’aller en récréation, nous restions penchés sur une grande carte de la Russie et nous cherchions du côté de la Russie blanche, du côté de Smolensk, le village légendaire de Loubavitch. Mais sans succès. Le professeur, flatté de notre soif de connaissances, même au prix de notre récréation, proposa de nous aider dans notre recherche. C’était un pur communiste et nous craignions d’avouer ce que nous recherchions. Finalement, j’eus l’idée d’annoncer que je recherchais la grande ville où mon grand-père était né. Le professeur chercha lui aussi mais en vain. Alors il prit un air mystérieux et suggéra : « Venez dans mon bureau, j’ai un atlas plus complet ! ». Nous l’avons suivi, il prit dans son bureau une loupe et, au bout de quelques minutes, il s’écria triomphalement : « J’ai trouvé ! ». Intrigués, nous avons regardé mais nous étions déçus : le nom Loubavitch était effectivement écrit mais en tout petit ! La capitale de la ‘Hassidout ! Nous en avions tellement entendu parler que nous imaginions que c’était une ville immense ! Ce devait être une erreur ! Le professeur écouta nos protestations, réfléchit puis déclara sous le sceau du secret : « Il existe des grandes villes où fonctionnent des usines secrètes. Afin d’éviter que l’ennemi (ceci se passait pendant la seconde guerre mondiale) s’attaque à ces centres stratégiques vitaux pour notre économie, elles sont à peine signalées sur la carte ! Cela doit apparemment être le cas de votre ville de Loubavitch ! ».
Cela nous semblait plus logique. Mais notre curiosité ne fit qu’augmenter : quelle était cette activité secrète ?
Non loin de chez nous, à Samarkand, habitait un vieux ‘Hassid du nom de Rav Mendel Nadel. Il avait eu le mérite d’étudier dans la Yechiva de Loubavitch avant la première guerre mondiale. Nous avons décidé de mener l’enquête et sommes partis le voir chez lui. C’était un vieillard, à la longue barbe blanche mais en pleine possession de toutes ses facultés. Tout de go, nous lui avons demandé :
- Reb Mendel, vous avez connu la ville de Loubavitch ?
- Oh oui ! soupira-t-il.
- Etiez-vous au courant qu’il y avait là-bas une usine secrète ? Qu’y fabriquait-on ?
- Les enfants ! (Reb Mendel était intelligent et mesurait ses mots. Il nous regarda avec une grande affection et murmura) : oui, c’était une usine où on polissait des diamants !
- Oh… !!! (Nous étions interloqués par cette découverte. Par ailleurs, la simplicité de la baraque de Reb Mendel indiquait clairement qu’il était très pauvre ! Nous n’avons pas pu nous retenir) : Reb Mendel ! Si déjà vous connaissiez cette usine de polissage de diamants, pourquoi n’en avez-vous pas ramassé quelques-uns ? Vous auriez pu vivre dans la largesse toute votre vie !
Reb Mendel nous regardait et avait les larmes aux yeux. Il se reprit et soupira :
- Vous comprenez les enfants… j’étais jeune et je n’ai même pas imaginé combien ces diamants avaient de la valeur…
Mais, en même temps, Reb Mendel était heureux de constater que nous, les enfants qui n’avions jamais vécu à Loubavitch, nous étions attachés à ce village et aux valeurs qu’il représentait. Par ses larmes, il nous fit comprendre combien nous devions profiter de chaque instant de notre éducation ‘hassidique, pour polir les « diamants » de notre âme juive.
Telle était l’anecdote que mon père nous répétait si souvent pour nous faire prendre conscience de l’importance de chaque instant.
Bien des années plus tard, alors que j’enseignais à de jeunes élèves, je leur racontai cet épisode. Un de mes élèves me montra une « surprise » : il sortit de son cartable un grand atlas russe, moderne, destiné aux enfants. Sur les cartes, les géographes avaient indiqué avec des couleurs vives les spécialités de chaque région et de chaque ville. Il le feuilleta rapidement devant moi et parvint à la carte de Smolensk. Je me frottai les yeux de stupéfaction !
Sur le côté gauche de la carte était dessiné… le visage du Rabbi ! Avec la légende suivante : « Mena’hem Mendel Schneerson, Rabbi de Loubavitch, un des dirigeants juifs les plus en vue du 20ème siècle ». On avait aussi représenté la maison des Rebbeim de Loubavitch dans la cour de la Yechiva du village avec les mots : « Un centre juif de prières pour le mouvement ‘hassidique ».
Et, non loin de là, je remarquai sur la carte le dessin d’un énorme diamant dans la région de Smolensk.
Il s’avère qu’à la fin des années cinquante, donc peu après notre discussion avec Reb Mendel, on découvrit en Russie d’importants gisements de diamants. Ceci amena le gouvernement soviétique à bâtir une gigantesque usine, la plus grande d’Europe, pour polir ces pierres précieuses. Les autorités avaient-elles entendu l’histoire de Reb Mendel ? Même si elles ne l’avaient pas entendu de leurs oreilles, leurs « âmes » avaient dû l’entendre : en effet, comme il est symbolique que le gouvernement soviétique ait choisi, de tout l’immense territoire sous son contrôle, la région de Smolensk pour y édifier le plus grand centre de diamants de son empire, non loin d’une autre « capitale des diamants » du nom de Loubavitch !
J’ai envoyé à mon père une photocopie de cette page d’atlas. Quand il me téléphona, je reconnus au ton de sa voix combien il avait été ému et avait revécu cet instant de son enfance à Samarkand, quand il cherchait désespérément sur la carte la « grande ville de Loubavitch ».
Oui ce sont eux, les enfants d’alors qui, malgré l’éducation hérétique que le pouvoir soviétique tentait de leur imposer, ont vaincu le communisme et sont restés fidèles à la tradition de leurs pères et de leurs Rebbeim.
Mon père et ses amis peuvent rassurer Reb Mendel : « Nous avons trouvé ! Vous pouvez sécher vos larmes ! Même la Russie le reconnaît ! Vos diamants brillent de tous leurs feux ! ».
Rav Yerachmiel Gorelik – Chalia’h de Tioumen (Sibérie) – Kfar Chabad N° 1713
Traduit par Feiga Lubecki