Samedi, 5 novembre 2022

  • Le’h Le’ha
Editorial

 A nouveau temps, vie nouvelle !

« Il faut vivre avec son temps » : le mot est connu. Dis par Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi, l’auteur du Tanya, il signifie qu’il faut vivre avec la Paracha de la semaine, c’est elle qui scande le temps qui passe. L’ensemble de cette publication est l’illustration même de cette nécessité. Parfois, cependant, l’idée prend une force d’évidence à laquelle rien ne peut se comparer. N’en est-il pas ainsi à présent ? Si on avait pu la comprendre comme une formule symbolique, certes belle et puissante, mais limitée à elle-même et sans portée concrète, voici que la réalité en proclame l’urgence quotidienne. « Lé’h Lé’ha – Va vers toi » ordonne-t-elle. Vieux message adressé par D.ieu à Abraham mais aussi message vivant pour tous les temps, et surtout message pour notre époque d’incertitude. Partir, aller vers soi : c’est un véritable programme qui nous est ainsi donné. Il ne reste plus qu’à le mettre en œuvre.

Souvenons-nous encore une fois : les fêtes nous ont emplis de bonheur. Puis elles se sont terminées et nous sommes revenus aux soucis de la vie, un instant délaissés, mais en sentant vibrer en nous une force renouvelée. C’est ainsi que nous avons tenu sans peine devant les assauts du monde et que, fidèles à ce que nous sommes vraiment, nous nous sommes liés à D.ieu par l’étude et la pratique des commandements. Puis, peu à peu, l’habitude a pu commencer à s’installer de nouveau. Peu à peu, le chemin du service Divin a pu retrouver sa place ancienne, celle des années passées, comme un long fleuve tranquille retrouvant son ancien lit un moment asséché. Et si une autre voie était possible ? Et si les habitudes n’étaient pas les maîtres de la vie ? Si celle-ci pouvait être le lieu d’un choix permanent entre tous les potentiels que l’homme, en tant que créature Divine, possède ?

« Pars » nous dit la Paracha. « Va vers toi » souligne-t-elle. « Laisse derrière toi la routine et toutes ces choses ressassées qui font la vie des êtres humains ; il est temps de passer à un service de D.ieu plus profond, moteur de la vie, âme du quotidien ! » veut-elle nous donner à comprendre. Car, en cet encore début d’année, c’est bien là l’enjeu. Sortir de ses limites auto imposées pour aller à la découverte de soi. En un mot « aller vers soi » comme on va vers une terre inconnue dont on sait qu’elle est pleine de trésors qui n’attendent que leur découvreur. Même si tous les actes, les paroles, les pensées ont été jusqu’ici merveilleux, le meilleur est là, à notre portée, juste derrière l’horizon. Le temps du chemin qui s’ouvre est venu.

Etincelles de Machiah

 Quand le prophète Elie viendra-t-il ?

Nos Sages enseignent qu’il faut attendre la venue de Machia’h constamment. C’est là le sens de la phrase que nous disons dans la prière : « En Ton salut, nous avons confiance tout le jour ». Elle signifie que notre certitude de la venue de Machia’h est si forte que véritablement chaque moment du jour nous attendons son avènement.

Cependant, une question se pose. Il est dit que le prophète Elie viendra annoncer cette venue. Dès lors, comment peut-on penser que le Machia’h viendra à présent puisque le prophète ne l’a pas encore annoncé ? Mais cette procédure ne sera applicable que si la venue de Machia’h se déroule selon un processus habituel qualifié par le Talmud de « en son temps ». Au contraire, si elle arrive « en hâte », Machia’h pourra être présent alors que le prophète ne sera pas encore venu.

(D’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch)

Vivre avec la Paracha

 Lé’h Le’ha

D.ieu s’adresse à Avram lui ordonnant : « Pars pour toi de ta terre, de ton lieu de naissance et de la maison de ton père vers la terre que Je te montrerai ». Là, poursuit D.ieu, il deviendra une grande nation. Avram et sa femme Saraï, accompagnés de son neveu Loth, se rendent en Terre de Canaan où Avram construit un autel et continue à disséminer le message d’un D.ieu unique.

Une famine force le premier Juif à partir pour l’Egypte, où la belle Saraï est enlevée et conduite au palais du Pharaon. Avram échappe à la mort parce qu’ils se présentent comme frère et sœur. Une plaie empêche le monarque égyptien de la toucher et le convainc de la rendre à Avram, en attribuant au frère, qui s’est révélé être le mari, de l‘or, de l’argent et du bétail.

De retour au pays de Canaan, Loth se sépare d’Avram et s’installe dans la ville impie de Sodome où il est fait captif quand les puissantes armées de Kédorlaomère et ses trois alliés conquièrent les cinq villes de la vallée de Sodome. Avram se met en route avec une petite troupe pour secourir son neveu, vainc les quatre rois et est béni par Malkitsédèk, le roi de Salem (Jérusalem).

D.ieu scelle « l’Alliance en les parties » avec Avram, dans laquelle l’exil et la persécution (Galout) du Peuple d’Israël sont prévus et la Terre Sainte leur est attribuée comme héritage éternel.

Toujours sans enfant, dix ans après leur arrivée dans le pays, Saraï dit à Avram d’épouser sa servante Hagar. Hagar conçoit et en devient insolente avec sa maîtresse puis fuit quand Saraï la traite durement. Un ange la convainc de revenir et lui dit que son fils engendrera une nation peuplée. Ichmaël naît alors qu’Avram est âgé de quatre-vingt-six ans.

Treize ans plus tard, D.ieu change le nom d’Avram en Avraham (« père de multitudes ») et celui de Saraï en Sarah (« princesse ») et promet qu’un fils leur naîtra. De ce fils, qu’ils appelleront Its’hak (« rira »), émergera une grande nation avec laquelle D.ieu établira un lien tout particulier. Avraham reçoit le commandement de se circoncire ainsi que ses descendants, « en signe d’alliance entre Moi et toi ». Avraham obtempère immédiatement, faisant la circoncision à sa propre personne et à tous les hommes de sa maisonnée.

« Lé’h Le’ha », « va-t-en », est le commandement adressé à notre Patriarche Avraham, marquant le commencement de son histoire, comme cela est relaté dans la Paracha de cette semaine.

Il est dit d’Avraham qu’il était généreux avec son argent, sa personne et son âme. C’est par la bonté que s’exprimait essentiellement son service. Elle embrassait son être tout entier, se manifestait dans toutes les trois catégories : ses possessions, son corps et son âme. Cette générosité et cette bonté étaient illimitées, au-delà de toute mesure. Comme l’ont statué nos Sages, nous tirons de son comportement généreux le principe selon lequel « l’hospitalité surpasse l’importance de recevoir la présence divine. »

Ainsi, cette générosité dans ces trois domaines qu’étaient ses possessions, son corps et son âme n’était-elle pas un altruisme ordinaire mais celui d’une nature illimitée.

L’on peut donc comprendre de ces observations préliminaires que le commandement : « Va-t-en… », donné à Avraham, imprégnait toutes les forces de son âme. Et puisque ce commandement fut donné à Avraham Avinou, il constitue également l’enseignement pour chacun de nous de « nous en aller », de tous les moyens d’expression et de toutes les forces de notre âme juive [Ndt : Pour les élever à un niveau supérieur].

La conclusion du verset insiste avec encore plus d’emphase sur le fait qu’en disant « Lé’h Le’ha », D.ieu demande à chaque Juif, comme Il l’a fait à Avraham, d’« avancer » dans son service de D.ieu avec toutes les forces de son âme.

Le verset poursuit : « (va-t-en) de ta terre, de ton lieu de naissance et de la maison de ton père. » Cela nous indique quelle forme ce départ doit-il revêtir.

Tu dois t’en aller de « ta terre » (« Artsé’ha » en hébreu désigne le « Ratson ») : ta volonté. Tu dois t’en aller de « ton lieu de naissance » : cela se réfère aux facultés émotionnelles naturelles, innées. Et tu dois t’en aller de « la maison de ton père », fait allusion aux facultés intellectuelles.

Ces trois formes d’expression (la volonté, les émotions et l’intellect), qui englobent l’ensemble des facultés humaines, ne doivent pas se manifester simplement dans les limites de notre nature première, innée. (Cela nous concerne nous-aussi, quand bien même le verset parle de la nature innée d’un Juste aussi grand qu’Avraham Avinou.) Mais bien au contraire, il nous faut sans cesse faire en sorte que nos forces personnelles soient constamment en situation d’ «avancement », vers des niveaux incomparablement supérieurs, au-delà de toutes mesures et de toutes limites (y compris au-delà des limites d’Avraham Avinou !)

C’est la raison pour laquelle le verset dit « Va-t-en… de ta terre… » Il faut s’éloigner complètement de sa « terre », de son « lieu de naissance » et de la « maison de son père » parce que l’état naturel de ces aptitudes ne peut en rien se comparer à l’élévation que l’on peut atteindre en accomplissant le service de « Lé’h Le’ha ».

Ce même verset explique également quelle forme de « départ » est nécessaire pour accomplir le commandement de « Lé’h Le’ha », à quels niveaux devons-nous aspirer en « nous en allant ». L’explication se trouve dans le mot « Le’ha » qui signifie littéralement : « vers toi » (ou « pour toi »). Ainsi, « Lé’h Le’ha » se traduit par « va-t-en vers toi » ou « pour toi ».

Pour que les choses soient plus claires, il faut au préalable citer deux interprétations du mot « Le’ha ». « Le’ha » veut tout d’abord dire : « pour ton bénéfice et ton plaisir ». Par ailleurs, ce mot fait également référence à « ton essence, tes racines et ta source. » Ces deux interprétations indiquent le niveau incomparablement supérieur que l’on atteint en « s’en allant » de toutes nos facultés et en utilisant toutes les forces de notre âme.

« S’en aller pour son bénéfice et son plaisir » signifie que malgré le fait qu’il nous est commandé d’abandonner complètement notre situation antérieure, il n’en reste pas moins que, puisque cela constitue la volonté du Tout Puissant, cela devient notre plaisir et notre délice.

C’est la qualité du serviteur dont le plaisir est le plaisir du maître.

C’est ainsi que nous pouvons comprendre la grandeur du changement produit par le fait de s’en aller, « Lé’h Le’ha », par lequel on atteint le niveau de « serviteur » de D.ieu. Car la grandeur de l’accomplissement de la Torah et des Mitsvot d’un « serviteur » par rapport à un accomplissement ordinaire est sans commune mesure.

Cela s’applique également à la seconde interprétation de « Le’ha » : « à ton essence, à tes racines et à ta source » parce que l’idée de « s’en aller » de ses racines et de sa source est la Techouvah (le retour à D.ieu) comme l’indique le verset : « Et l’esprit retournera à D.ieu Qui l’a donné ». Le niveau du service atteint par la Techouvah est même supérieur à celui qu‘atteignent les Tsadikim, les Justes parfaits.

Le Coin de la Halacha

 Quelques lois à propos de la Brit Mila (circoncision)

- C’est au père de l’enfant qu’appartient l’obligation de procéder à la Brit Mila de son fils. Cela est considéré comme la plus importante des Mitsvot positives de la Torah car le mot « Brit » (alliance) est mentionné treize fois à son propos. Si le père n’est pas capable de l’accomplir lui-même, il peut nommer un émissaire (un Mohel) pour l’en acquitter.

- Si le père n’y a pas procédé (ou engagé un Mohel pour cela), le tribunal rabbinique de la ville doit s’en charger. Si cela n’a pas été fait, l’enfant devenu adulte devra s’en acquitter.

- Si l’enfant est en bonne santé, la Brit Mila aura lieu le 8ème jour (c’est-à-dire qu’au moins sept jours complets se seront écoulés depuis la naissance). Il est interdit de retarder la Brit Mila même d’un jour pour des convenances personnelles. Si l’enfant est né pendant Chabbat, la Brit Mila aura lieu le Chabbat suivant – sauf s’il est né par césarienne : dans ce cas, la Brit Mila sera repoussée au dimanche. Si l’enfant souffre de fièvre par exemple, on ne procédera à la Brit Mila que sept jours après sa guérison complète. En cas d’ictère (« jaunisse »), le Mohel décidera du nombre de jours à attendre. Le Rabbi Tséma’h Tsédek cite le Rambam selon qui une Brit Mila retardée pour raisons médicales répare ce « manque » a postériori.

- A priori, on procédera à la Brit Mila tôt le matin (mais après la prière), avant ‘Hatsot (le milieu de la journée).

- Si un des jumeaux est apte à être circoncis avant son frère, on n’attendra pas la guérison du deuxième – même si cela signifie deux fêtes séparées.

(d’après Cheva’h Habrit)

Le Recit de la Semaine

 La Techouva de Bill…

C’est une histoire que j’ai entendue directement de Michael Paley qui est le dirigeant d’une importante communauté juive américaine. C’était en 1998 ou 1999 ; un scandale sans précédent avait éclaboussé le président des États-Unis de l’époque, Bill Clinton. La presse et ses adversaires politiques ne cessaient de l’accuser pour sa conduite honteuse et, grâce sans doute à de puissants avocats, il avait échappé à la sanction suprême qu’on appelle impeachment, le renvoi de son poste et les affres d’un procès retentissant bien mérité.

A un moment donné, Bill Clinton arriva à Cincinnati (Ohio) où il assista à une réunion œcuménique avec la participation de représentants des différents cultes religieux de la ville : christianisme, islam, bouddhisme, évangélisme etc. ainsi qu’un rabbin, en l’occurrence Michael Paley. Ce dernier se demandait bien sûr de quoi parler avec ce président que tout le monde savait empêtré dans une sale affaire. Selon le protocole, il était prévu que le président serrerait juste la main de ces hommes voués à la spiritualité, échangerait avec chacun quelques mots convenus puis serait photographié avec lui : ainsi chacun pourrait donc accrocher dans son bureau le souvenir immortel d’une rencontre avec le président.

De quoi peut-on parler en quelques minutes de façon à faire réfléchir un homme aussi important, sans doute l’homme le plus puissant de la planète mais qui avait commis des actes aussi répréhensibles - selon toutes les religions ?

Quand le président passa devant lui, Michael décida de tenter le tout pour le tout et, en lui serrant la main, il déclara :

- Monsieur le Président ! Il est temps de faire Techouva ! (Il employa à dessein le mot en hébreu afin de provoquer – pensait-il – la question évidente de sa part : que signifie ce mot ? Michael se préparait déjà à une longue explication du mot Techouva qu’on traduit en général par repentir).

- Intéressant ! répliqua Bill Clinton qui, à son tour, stupéfia Michael Paley. Qu’entendez-vous par Techouva : selon Rav Soloveitchik ou selon Rav Kook ?

Inutile de décrire l’effet que produisit cette phrase sur Michael qui faillit s’évanouir devant le retournement de situation ! Il ne s’était évidemment pas attendu à soutenir un « pilpoul » quasi-talmudique avec le président ! Non seulement celui-ci connaissait le mot Techouva mais il savait qui étaient Rav Soloveitchik et Rav Kook et, de plus, il connaissait leurs différences d’opinion – ce que 99 % des Juifs ignorent sans doute !

(Petite explication : Rav Yossef Ber Soloveitchik, né en Russie avait étudié à Berlin entre les deux guerres puis était devenu une des sommités du judaïsme américain à Boston, affilié à la mouvance lituanienne. Il décéda en 1993. Quant à Rav Avraham Its’hak Yehouda Hacohen Kook, né en Russie, il avait étudié dans la Yechiva de Rav ‘Haïm de Volojine (élève du Gaon de Vilna), donc de tendance lituanienne lui aussi ; mais il s’était intéressé aussi à la Kabbala et à la mystique du mouvement ‘hassidique. Après avoir étudié à Londres, il était monté en Erets Israël où il était devenu le premier Grand-Rabbin Ashkénaze et était décédé en 1935. On raconte que sa mère qui venait d’une famille ‘hassidique avait insisté pour qu’à sa Brit Mila, l’enfant porte une Kippa qui avait appartenu au Rabbi Tséma’h Tsédek, troisième Rabbi de Loubavitch.

Tous deux avaient écrit de nombreux livres et, en particulier, s’étaient intéressés à la notion de Techouva. Rav Soloveitchik avait insisté sur la description du mal : combien l’être humain est susceptible de fauter, combien il est faible et peut tomber des hauteurs sublimes vers des profondeurs infernales. Quant à Rav Kook, il insistait sur la grandeur de l’âme juive qui provient d’une source divine qui ne peut d’aucune manière être complètement effacée et qui inspire l’homme à « retourner » (ce qui est la racine du mot Techouva) vers son Créateur en prenant de bonnes résolutions – quelles que soient les saletés qui auraient pu jeter une ombre sur sa personnalité : au fond de l’âme il reste toujours une étincelle de divinité).

Revenons à Michael Paley : après un premier moment d’étonnement, il répondit du tac au tac au président :

- Bien sûr, je pense à la Techouva version Rav Kook !

- Ah ! Très intéressant, s’exclama Bill Clinton. La plupart des gens de religion auxquels j’ai parlé me conseillaient plutôt de m’approfondir dans la Techouva version Rav Soloveitchik ! Je veux vous parler en privé tout à l’heure !

Effectivement, après la réception officielle ennuyeuse qui suivit, Bill Clinton emmena Michael Paley dans une salle attenante et tous les deux discutèrent longuement d’homme à homme quant aux implications suscitées par la Techouva selon le Rav Kook…

De cette anecdote édifiante, nous apprenons que la porte n’est jamais fermée. Nul d’entre nous n’est parfait et chacun d’entre nous doit retourner vers son étincelle intérieure, sainte, pure, intacte. Les non-juifs ont eux aussi l’obligation de procéder à la Techouva – selon l’opinion du Rambam (Maïmonide). Les blessures existent mais chacun d’entre nous est capable de retrouver ce point d’ancrage qui l’aidera à se propulser toujours plus haut – selon la version de Rav Kook ! Il incombe à chacun d’entre nous, où qu’il soit (spirituellement parlant) de saisir la perche et d’évoluer positivement.

Rav Yossef Yitzhak Jacobson

Traduit par Feiga Lubecki