Contre la nuit, la lumière !
Que dire ? Que faire ? Cette double interrogation nous assaille à l’issue immédiate des fêtes. Celles-ci nous ont conduits comme dans une autre dimension, dans un espace de paix, d’unité et de bonheur. Pendant tout un mois, nous avons ainsi vécu des instants spirituels inoubliables et il est clair que nous les portons toujours en nous. Pourtant une folie meurtrière s’est brutalement emparée du monde. Partout, la détresse des hommes semble crier vers le ciel. Et, sur notre terre, en Israël, voici que, perdant tout sentiment humain, des assassins tentent de s’attaquer à quiconque passe à côté d’eux. On ne s’étendra pas ici sur la nature de leurs actes ni sur leurs motivations : qui peut valablement expliquer la barbarie ? Simplement, nous ne pouvons pas non plus assister de loin à ces événements en nous contentant d’un soupir de compassion. Ce qui se passe en Israël, si loin et si près à la fois, touche chacun.
Mais l’éloignement matériel, même s’il est très relatif en notre temps, paraît nous réduire à l’impuissance. Nous pouvons condamner, exprimer notre indignation et notre colère devant le crime ; tout cela, aussi nécessaire que cela soit, change finalement peu de choses. Alors il nous faut agir et, pour nous, une action est éternellement possible. Car l’homme s’est vu doté par son Créateur d’une puissance souveraine. Il peut, en s’attachant à Lui, multiplier la lumière dans le monde. Il peut rétablir l’équilibre dans ce combat contre les forces de la nuit. Ses actions positives, même modestes, changent la donne car elles contribuent au Bien et lui apportent ce renfort si nécessaire en notre temps.
Sachons utiliser cette puissance infinie. Un acte supplémentaire, un commandement de D.ieu accompli, c’est le monde entier qui change. C’est dès aujourd’hui que ce combat se mène. D.ieu fasse qu’il soit celui, final, qui verra l’obscurité des cœurs et des âmes disparaître à jamais car c’est la grande clarté des temps messianiques qui l’aura chassée.
L’humilité
Machia’h se distinguera par son humilité infinie.
Malgré son élévation incomparable, le fait qu’il enseignera la Torah même aux patriarches et à Moïse, il restera d’une humilité parfaite et enseignera également aux gens les plus simples.
C’est pourquoi il est appelé du nom de David comme il est dit (Ezéchiel 37:24) : « Et David Mon serviteur sera roi sur eux. » De fait, David possédait aussi ces deux qualités conjointement : bien qu’il ait été le roi d’Israël, il affirmait, parlant de lui-même, « je suis pauvre et dépourvu de tout. » (Psaumes 40:18)
D’après Séfer Hamaamarim 5699 p. 194
Le’h Le’ha
Quel est le sens d’un nom ?
Les noms, dans la Torah, ne sont pas dus à un choix aléatoire, et en particulier pour les Sidrot. Les noms qu’elles portent apportent un regard sur leur contenu, même si apparemment, ils sont tirés des premiers mots de la Sidra et semblent donc, dans une certaine mesure, fortuits. Car il n’existe rien comme le hasard pur dans les événements puisque tout se passe selon la Providence divine, et a fortiori les sujets de Torah.
Nous pouvons donc résumer le contenu de toute la Sidra de cette semaine en comprenant ce qu’implique son nom : Le’h Le’ha.
Le’h Le’ha : Va pour toi-même
On a l’habitude de le traduire par «Sors (de ton pays et de ton lieu de naissance et de la maison de ton père…)». Mais littéralement, il signifie : «Va pour toi-même». «Aller» a, dans la Torah, la connotation d’aller de l’avant vers notre but ultime, dans notre service du Créateur. Et cela est fortement impliqué dans la phrase «Va pour toi», signifiant : vers l’essence de ton âme et le but ultime pour lequel tu as été créé.
C’était là le commandement donné à Avraham, et la première partie du récit le souligne. Car il lui fut enjoint de quitter son environnement idolâtre et de se rendre en Israël. Et à l’intérieur d’Israël, il «allait et voyageait vers le Sud», c’est-à-dire vers Jérusalem. Il progressait vers un degré toujours croissant de sainteté.
Mais tout à coup, nous lisons : «et il y eut une famine sur la terre et Avram descendit en Egypte». Pourquoi ce renversement soudain dans son voyage spirituel ?
Ascension ou descente ?
Le fait qu’il y eut un renversement de situation semble clair. Aller en Egypte était en soi une descente spirituelle, ce que le verset exprime clairement : «Et Avram descendit en Egypte». La cause de son voyage : «et il y eut une famine dans la terre» paraît également manifester un voilement de la bénédiction divine. N’est-il pas étrange que lorsqu’il atteint la terre que D.ieu lui a montrée, une famine le force à la quitter ?
L’on peut proposer comme réponse qu’il s’agissait en fait d’une des épreuves qu’Avraham devait surmonter pour prouver qu’il était digne de sa mission (et le Midrach nous dit que lorsqu’il fut confronté à cette difficulté inexplicable, Avraham «ne se mit pas en colère et ne se plaignit pas»).
Mais cela n’est pas suffisant. Car la mission d’Avraham n’était pas seulement personnelle mais elle consistait à diffuser le Nom de D.ieu et à rassembler des adhérents à la foi en Lui. Le Midrach compare ses nombreux voyages à la manière dont l’on doit secouer une boîte à épices pour répandre ses aromes aux quatre coins de la pièce. Ainsi, expliquer sa descente en termes de pèlerinage personnel ne résout pas la difficulté. D’autant plus que l’effet immédiat de ce voyage fut de mettre en danger la mission d’Avraham. Le fait que l’arrivée d’un homme de D.ieu venu répandre Son Nom soit suivi d’une famine ne pouvait l’aider dans sa tâche.
Le pire allait suivre quand Avraham entra en Egypte et que Sarah, sa femme, lui fut arrachée par le Pharaon. Et bien qu’elle ne fût pas touchée, il est évident qu’il s’agissait bien ici de tout le contraire d’une ascension dans le processus spirituel qui semblait avoir été tracé pour eux.
Comment donc, face à ces contradictions, peut-on affirmer que toute l’histoire de Le’h Le’ha est, comme l’implique son nom, celle de l’ascension continuelle d’Avraham vers sa destinée ?
Préfiguration historique
Nous pouvons avancer vers la résolution de ces difficultés en nous penchant sur le sens profond du célèbre dicton : «les actes des pères sont un signe pour les enfants». Cela signifie que leurs mérites donnent aux enfants la force de suivre leur exemple. Et c’est par les errances d’Avraham que fut rendue possible l’histoire qui allait être celle des Enfants d’Israël.
Le voyage d’Avraham en Egypte préfigure le futur exil égyptien. «Et Avram sortit d’Egypte» présage la Délivrance des Hébreux. Quant au mérite qui valut aux Hébreux d’être sauvés, ils le doivent à Sarah. Car leurs femmes se protégeaient pour ne pas pécher avec les Egyptiens, tout comme l’avait fait Sarah face aux avances du pharaon.
La fin est implicite dans le commencement
Sous cet éclairage, nous pouvons observer que le but du voyage d’Avraham en Egypte apparaît dès son commencement. Car tel était le but de l’exil d’Egypte : que la présence de D.ieu soit ressentie dans les lieux les plus réfractaires. L’ascension ultime était déjà implicite dans la descente.
Il en va de même pour les apparentes digressions de l’histoire juive. Elles ne représentent pas un détournement du cheminement de l’histoire mais une manière de jeter la lumière de D.ieu sur des coins du monde encore intouchés, comme préparation et partie de la Délivrance future. L’exil fait donc partie intégrante du progrès spirituel. Il nous permet de sanctifier le monde entier par nos actions, et pas seulement une toute petite partie.
On pourrait peut-être se demander où ce progrès est apparent. Le monde ne semble pas évoluer vers une plus grande sainteté… Mais il s’agit là d’un jugement superficiel. Le monde n’évolue pas de son propre chef. Il est façonné par la Providence divine.
Ce qui apparaît en surface comme un déclin est, bien que de façon cachée, une part du processus perpétuel de la transformation que nous opérons dans le monde chaque fois que nous consacrons nos actions à la Torah et à la Volonté Divine. En d’autres termes, le monde s’élève et se raffine sans cesse. Rien ne peut l’illustrer plus clairement que l’histoire des voyages d’Avraham.
Quelle que soit la situation du Juif, quand il se tourne vers son accomplissement personnel profond, selon l’injonction de Le’h Le’ha, il met sa vie et ses actions dans la perspective de la Torah et occupe la place qui lui revient dans la préparation à la venue de la Délivrance ultime.
Qui donne la Tsedaka (charité) ?
«Tu ouvriras certainement ta main pour lui...» (Devarim – Deutéronome 15 : 8).
«Ton frère vivra avec toi» (Vayikra – Lévitique 25 : 37).
C’est une obligation d’aider nos frères et de leur permettre de vivre avec nous en leur fournissant leurs besoins spécifiques.
Même un pauvre qui dépend lui-même de la Tsedaka doit donner la Tsedaka et prélever une partie de ce qu’il reçoit pour aider d’autres pauvres.
Le tribunal rabbinique peut forcer celui qui ne donne pas ou qui ne donne pas suffisamment en fonction de ses revenus à donner la Tsedaka.
On devrait fournir au nécessiteux ce dont il a besoin : nourriture, vêtements, meubles... On l’aide à se marier.
On donne obligatoirement un dixième de ses revenus et on peut donner jusqu’au cinquième.
On donne la Tsedaka avec joie et on essaie de réconforter celui qui reçoit : «Celui qui donne une pièce à un pauvre reçoit six bénédictions ; celui qui le console par des paroles reçoit onze bénédictions» (Bra’hot 9).
Si on n’a vraiment rien à donner, on s’efforcera néanmoins de ne pas s’irriter contre celui qui demande et on lui donnera même une petite pièce : «Il ne laissera pas le pauvre éprouver de la honte» (Devarim – Deutéronome 15 : 10). Cependant, un don minime risque de faire honte à celui qui demande et chacun réfléchira sincèrement sur ses possibilités effectives et ne «retiendra pas sa main» pour l’empêcher de donner.
Celui qui a promis de donner ne retardera pas le paiement, en particulier celui qui a promis de donner aux institutions charitables quand il est monté à la Torah.
(d’après Hamitsvaïm Kehil’hatam)
Qui perd ? Qui gagne ?
La vie était dure dans le village de Chernestra (Chernyy Ostrov) en Ukraine au début du 20ème siècle. Si dure qu’Israël Dov Waxman (que tout le monde appelait Berel) décida de quitter sa femme, Ra’hel et ses enfants pour tenter sa chance aux États-Unis. Il espérait pouvoir rapporter assez d’argent pour nourrir sa famille et peut-être même les faire le rejoindre un jour sur les rives si lointaines de l’Amérique.
Avant que Berel ne monte dans le train qui l’amènerait vers le port, là où il prendrait le bateau pour New York, son père Mechoulem Zousia le prit à part pendant un instant :
- Mon fils ! supplia le vieil homme. Je veux que tu me jures que, quoi qu’il arrive, jamais, non jamais tu ne travailleras le Chabbat, notre jour le plus saint !
Lui-même un ‘Hassid de toutes les fibres de son âme, Berel était désemparé et peiné : comment mon père pouvait-il seulement suspecter que je transgresse le saint jour du Chabbat ? se demandait-il. Mais il serra la main de son père, l’embrassa avec respect et, conscient de la gravité du moment, promit à son père que jamais, non jamais il ne travaillerait le Chabbat.
A son arrivée à New York, il se rendit à l’adresse d’un Juif originaire du même village que lui. Celui-ci était devenu contremaître dans un des nombreux ateliers plus ou moins clandestins du Lower East Side et il lui donna pour tâche de repasser des chemises. Le travail était dur : depuis tôt le matin jusqu’à dix-huit heures, six jours par semaine. Chaque vendredi, Berel prélevait quelques pennies de son maigre salaire pour acheter des provisions pour le Chabbat et la semaine suivante. Il économisait le reste pour envoyer à sa famille.
Le printemps fit place à l’été qui fit place à l’automne. Le soleil se couchait de plus en plus tôt et bientôt Berel réalisa qu’il devrait manquer quelques heures le vendredi après-midi puisque Chabbat commençait plus tôt. Sachant qu’il perdrait probablement son travail, il décida de n’en rien dire avant le début du vendredi après-midi, ce qui lui permettrait au moins d’empocher la paie de la semaine. Le cœur battant, Berel s’approcha de son patron et expliqua qu’il serait obligé de quitter le travail plus tôt car Chabbat approchait. Très irrité, l’homme ne cacha pas son dégoût pour cette demande extravagante et d’un autre âge, jeta par la fenêtre la planche à repasser de Berel et le prévint qu’il ne devait plus jamais revenir.
Berel se précipita dans la rue et récupéra sa planche. Où aller maintenant ? Chabbat arriverait dans quelques minutes et il n’aurait pas le temps de rapporter sa planche chez lui avant Chabbat puisqu’on n’a pas le droit de porter quoi que ce soit en ce jour sacré. «Je me tenais là au milieu de la rue, contemplant mon unique moyen de survie et me demandant comment agir», raconta-t-il par la suite.
Désespéré, il entra dans le premier magasin venu, un pressing tenu par des Chinois : le propriétaire accepta de lui garder sa planche à repasser pour un jour. Soulagé bien qu’anxieux, Berel se dirigea alors vers la synagogue la plus proche pour accueillir la Reine Chabbat.
Ce fut un Chabbat difficile. Berel était seul dans un pays étranger, sans famille et sans revenus. Mais sa foi en D.ieu restait intacte.
Après la fin de Chabbat, Berel retourna vers le pressing et demanda à l’employé derrière le comptoir de lui rendre la planche à repasser, sachant fort bien que l’homme pouvait nier tout de go avoir accepté de la garder. Mais, à sa grande surprise, l’homme lui tendit sa planche sans poser plus de questions.
Tandis qu’il déambulait dans la rue sans trop savoir où se diriger avec sa planche sous le bras, quelqu’un l’appela :
- Je vois que vous tenez une planche à repasser. J’ai justement un arrivage de linge à repasser dans les plus brefs délais ! Voulez-vous travailler pour moi ? Si vous travaillez bien, vous pourrez faire des heures supplémentaires !
Cette semaine, Berel travailla aussi bien et aussi vite qu’il le pouvait, sachant que, vendredi après-midi, il perdrait probablement ce travail aussi.
A la fin de la semaine, le nouveau patron de Berel distribua des enveloppes à tous les employés. Berel ouvrit son enveloppe et eut un choc : la somme était bien plus importante que ce qu’il avait gagné dans l’autre place :
- Monsieur ! Je crois que vous vous êtes trompé et que vous m’avez donné l’enveloppe de quelqu’un d’autre !
- Pas du tout ! Je n’ai pas fait d’erreur et je vous réglerai aussi les heures supplémentaires le plus vite possible !
C’est ainsi que Berel comprit que son ancien patron l’avait exploité, l’avait fait travailler honteusement, l’avait payé une misère et ne lui avait jamais payé ses heures supplémentaires.
- A cet instant, j’ai réalisé, raconta-t-il par la suite à ses enfants, que si j’avais conservé mon premier emploi et si j’avais travaillé Chabbat, j’aurais perdu non seulement ma portion dans le Monde Futur mais même ma juste portion dans ce monde-ci également !
Berel garda ce travail jusqu’à ce qu’il trouvât une meilleure place et, quelques années plus tard, put faire venir sa femme et ses enfants à New York.
Maintenant, cent ans plus tard, les arrières petits-enfants et arrières-arrières petits-enfants de Berel respectent Chabbat (et bien plus que cela !) exactement comme il l’avait fait tant d’années auparavant !
J’ai entendu cette histoire de mon beau-père, Rav Nachman Levine qui l’avait entendue de son beau-père, Yits’hak Waxman, le plus jeune fils de Berel.
Rav Menachem Posner – Chabad.org
Traduit par Feiga Lubecki