semaine 40

  • Le’h Le’ha
Editorial

 Survivre ou SUR-VIVRE ?

Il est revenu le temps du quotidien. Les jours qui se ressemblent vont, à présent, se succéder avec une régularité – et aussi une apparente uniformité – que, nous l’espérons, aucune anicroche ne viendra perturber. Après les sommets que nous avons connus, au bout d’une semaine de retour à des rythmes spirituels plus paisibles, tout se passe comme si la vie était passée des émerveillements de la découverte à une navigation sur des eaux désespérément étales. La transition peut, à bon droit, sembler difficile. Est-ce bien là notre lot ? Après l’intensité de la vie, la triste consolation de la survie ? Une espèce de temps de la nostalgie ? Et si, au contraire, commençait maintenant le temps de la SUR-VIE ? Celui d’une vie meilleure, plus forte et plus signifiante ?

Disons-le autrement : comment fait-on pour emmener avec nous l’élan des fêtes, ne pas renoncer mais construire un bonheur de chaque instant ? Peut-être est-ce l’enjeu de la période qui s’ouvre. Le monde peut prendre, à présent, une dimension nouvelle. Voici qu’il peut devenir aussi grand que nos rêves. Bien sûr, la vie quotidienne garde ses droits et ses nécessités propres mais il nous appartient de la vivre d’une autre façon avec une pensée et un sentiment plus profonds, comme un lieu de réel épanouissement. Reste pourtant à en trouver le chemin. Car, pour vivre plus fort, encore faut-il détenir les clés qui le permettent.

Sans doute serait-il bien ambitieux d’entreprendre ici de donner des réponses toutes faites à une question si éminemment personnelle. Pourtant, nos textes sont là pour nous montrer une direction. Nous le savons, le monde a un sens. D.ieu  décida de le créer pour que, disent nos Sages, nous en fassions Sa « demeure ». Cette œuvre essentielle ne peut être menée à bien que, justement, par nos actes de tous les jours, par toutes ces actions insignifiantes qui forment le tissu de la vie. L’ordinaire prend ainsi une portée nouvelle. Il n’est pas que réponse à nos besoins matériels, il est accomplissement du projet Divin. La vie qui s’ouvre devant n’est décidément pas une existence en mode mineur. C’est bien de LA vie qu’il s’agit.

Et le bonheur dans tout cela ? Il est dans l’instant qui passe et que nous construisons avec conscience. Il est dans tout ce que nous décidons de vivre avec tout ce que nous sommes. Il est dans cette vie que nous ajoutons à la vie. Parce que, en ces dernières fêtes, c’est, encore une fois, toute la force nécessaire qui nous a été donnée. Parce que, porteurs de cette puissance, nous en sommes aujourd’hui les meilleurs artisans.

Etincelles de Machiah

 Quand le Chabbat viendra

A propos du verset (Exode 20 : 8) «Souviens-toi du jour du Chabbat pour le sanctifier», Rachi écrit : «Souviens-toi du jour du Chabbat constamment de telle sorte que, si tu trouves quelque chose de spécial (pendant la semaine), mets-le de côté pour Chabbat».

Il en est de même pour la Délivrance future. Même si nous sommes encore en exil, nous devons toujours garder en tête la venue de la Délivrance et nous y préparer car (Talmud, traité Tamid) «ce jour sera entièrement Chabbat et repos pour l’éternité».

(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch, 11 Sivan 5744)

Vivre avec la Paracha

 Le’h Le’ha

Une joie parfaite

Le cinquième Rabbi de Loubavitch, Rabbi Chalom Dovber, relata un jour : «Dans les premières années de sa direction, Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi déclara en public : ‘Il faut vivre avec son temps’. Les vieux ‘hassidim comprirent, grâce à son frère Rabbi Yehouda Leib, que le Rabbi voulait dire qu’il faut vivre avec la Paracha de la semaine et la section particulière de chaque jour. Il ne s’agit pas seulement d’étudier la section hebdomadaire mais il faut également vivre avec elle.

Beréchit est une section réjouissante. On y voit D.ieu créer les mondes et les êtres vivants, même si sa conclusion l’est beaucoup moins. Celle de Noa’h comporte le déluge. C’est une semaine décourageante. Mais elle s’achève sur une note joyeuse avec la naissance de notre père Avraham.

La véritable semaine joyeuse est celle de la Paracha Le’h Le’ha . Nous vivons chaque jour de la semaine avec Avraham, le premier à consacrer toute sa vie à diffuser dans le monde la connaissance de D.ieu. Et Avraham transmit sa qualité de sacrifice de soi en héritage à tous les Juifs.

Puisque le Rabbi affirme que «la véritable semaine joyeuse est celle de la Paracha Le’h Le‘ha », il est évident que même la fin de la semaine de Noa’h, où est évoquée la naissance d’Avraham, n’est pas aussi joyeuse que la semaine de Le’h Le’ha.

S’il en est ainsi, c’est parce que tous les détails rapportés dans une Paracha sont liés les uns aux autres. Ainsi, le climat général de Noa’h assombrit-il également quelque peu sa conclusion heureuse.

Il en va de même pour Beréchit. Bien que, d’une manière générale, ce soit une «section joyeuse», puisqu’à sa fin, elle l’est beaucoup moins, son aspect général manque également d’une mesure de joie.

Tout cela mène à la question suivante : puisque Beréchit est dans sa majorité «joyeuse» et que Noa’h est dans l’ensemble «décourageante», pourquoi ne pas avoir divisé les sections de façon à ce que la conclusion de Beréchit serve d’introduction à Noa’h et que la fin joyeuse de Noa’h soit le commencement de Le’h Le’ha, ce qui aurait alors produit deux sections entièrement joyeuses ?

La Gemara divise les six mille années de la création en trois catégories : «deux mille ans de Tohou (chaos et tumulte), deux mille ans de Torah et deux mille ans de jours de Machia‘h». Elle poursuit en expliquant que les «deux mille ans de Torah commencèrent avec Avraham, le Patriarche, qui initia les réels préparatifs pour le Don de la Torah. Et c’est là la spécificité de Le’h Le’ha où «nous vivons chaque jour de la semaine avec Avraham».

Le Don de la Torah eut cette qualité unique d’accomplir l’unification du «ciel» et de la «terre», du spirituel et du matériel. Il s’ensuit que la caractéristique particulière de Le’h Le’ha (une semaine entière évoquant Avraham) réside dans l’idée de la connexion entre le ciel et la terre, le spirituel et le matériel.

Cela explique également la raison pour laquelle Le’h Le’ha est la troisième Paracha, semblable à la Torah elle-même, en trois parties : Torah, Neviim (les Prophètes) et Ketouvim (les Hagiographes), le niveau intermédiaire de trois, reliant le ciel et la terre.

Aussi la première section, Beréchit, a-t-elle pour thème central la création, un acte divin «céleste». Noa’h, la seconde section, relate le raffinement de la terre et du monde inférieur par le service du juste Noa’h. Le’h Le’ha, la troisième section a pour thème l’unification et la combinaison de Beréchit, «en haut» et de Noa’h ,«en bas».

Nos Sages nous enseignent que la «progéniture du juste est ses bonnes actions».

De la même façon, nous comprenons pourquoi Noa’h commence par les mots : «ce sont les enfants de Noa’h ; Noa’h était un homme juste».

Les bonnes actions de Noa’h, sa «progéniture», font allusion à son service spirituel personnel. La naissance de Noa’h et les autres détails de ses jeunes années, jusqu’au fait de «trouver grâce aux yeux de D.ieu», ne sont pas le fait de son propre travail. Puisque sa naissance a lieu grâce aux Cieux, cette partie de son histoire se situe dans la section de Beréchit plutôt que dans la section plus «terrestre» de Noa’h.

Cela explique également la raison pour laquelle de nombreux aspects de la vie d’Avraham ne sont pas mentionnés dans Le’h Le’ha. Puisque le service d’Avraham comme préparation au Don de la Torah (la combinaison et l’unification du «haut» avec le «bas») ne commença qu’après le moment de Le’h le’ha, quand Avraham quitta ‘Haran et se mit en route pour la Terre d’Israël, seuls ces aspects sont mentionnés dans cette section.

Par ailleurs, la naissance d’Avraham et son service spirituel jusqu’à Le’h Le’ha font essentiellement partie de l’élévation du «monde inférieur» qui appartient à la section de Noa’h.

Nous comprenons désormais pourquoi, bien que Berechit en général et la conclusion de Noa’h soient heureux, néanmoins «la véritable semaine joyeuse est celle de la Paracha Le’h Le’ha».

La véritable joie «brise toutes les limites». Puisque la joie de Beréchit est limitée, elle n’exprime pas la joie absolue. Il en est de même concernant la conclusion de Noa’h où Avraham ne fait qu’apporter la préparation à «l’écroulement des frontières» entre les domaines spirituel et matériel.

C’est spécifiquement Le’h Le’ha qui apporte la véritable préparation au Don de la Torah et c’est cela qui lui fait gagner son titre de «véritable semaine joyeuse».     

Le Coin de la Halacha

 Pourquoi reste-t-on éveillé la veille d’une Brit Mila (circoncision) ?

Il est écrit : «Quant à toi, garde Mon alliance» (Béréchit – Genèse 17 : 9). D.ieu demanda à Avraham de «garder» l’alliance de la Brit Mila. Il convient donc de garder l’enfant en restant éveillé depuis le début de la nuit précédant la Brit Mila et en étudiant la Torah. Cette étude représente une protection pour l’enfant et attire sur lui, sa famille et tous ceux qui participent à la cérémonie une sainteté particulière.

Rabbénou Tam estime que cette coutume est déjà mentionnée dans la Guemara (Baba Kama) : «Viens et vois combien les Juifs chérissent les Mitsvot. Le Saint Béni soit-Il dit : «Moi aussi, J’ajouterai à leurs joies…» et c’est pourquoi on a la coutume, la veille du huitième jour d’organiser un festin…».

Cette nuit-là, on étudie surtout les passages du Zohar dont dix «paragraphes» ont été rédigés par dix Sages lors de ces veillées précédant une Brit Mila. De plus, des enfants sont invités à répéter le Chema Israël au chevet du nourrisson ainsi que des versets évoquant la protection de D.ieu.

Certains organisent un vrai repas, avec chants et danses ; d’autres proposent une collation légère.

F.L. (d’après Rav Yossef Ginsburgh)

Le Recit de la Semaine

 Une Brit Mila clandestine

Comment décrire les larmes de joie de David Schechter (57 ans) quand il assista au Pidyone Habène (rachat du fils premier-né) du fils de son fils Chimon Mena’hem Mendel qui s’est tenu à Jérusalem il y a quelques mois ? Agé de trente jours à peine, le bébé ne pouvait évidemment pas répondre amen quand son père récita la bénédiction traditionnelle du rachat tout en remettant la somme symbolique de cinq Shekels d’argent au Cohen. Au fait, qui était le Cohen ?

C’est que David Schechter avait fait venir le Cohen tout spécialement de Moscou ! Manquerait-il de Cohanim dans la ville Sainte ?

De fait, l’histoire de David Schechter commence à Odessa, en Ukraine. A l’école de la république soviétique, il était le seul élève juif de sa classe. Adolescent, il se rapprocha du judaïsme avec quelques camarades juifs. Si ce genre d’initiative est ardu dans des conditions normales, ce l’était bien plus dans un pays où la cacherout était pratiquement inexistante. Le problème principal était bien entendu comment se procurer de la viande cachère : «Je me suis rendu à Leningrad en 1984, j’y ai fait la connaissance de Rav Itche Kogan », raconte David, « afin qu’il m’enseigne comment pratiquer la Che’hita, l’abattage rituel. C’est le Rav Rephael Nimoutin qui m’a fait passer l’examen qui m’a permis de devenir Cho’het. Avant de prendre congé de Rav Kogan, je lui ai demandé encore un autre service : ma femme allait bientôt accoucher et, si c’était un garçon, j’aurais évidemment besoin d’un Mohel pour effectuer la Brit Mila, la circoncision. Il me promit de se charger de cette tâche également. Je suis retourné à Odessa. » 

Circoncire un nouveau-né au huitième jour à l’époque où le KGB, la police secrète soviétique, surveillait tout ce qui se passait dans la population semblait absolument impossible : de nombreux Juifs étaient arrêtés pour toutes sortes d’activités considérées comme réactionnaires ou moyenâgeuses, aussi bien à Moscou qu’à Odessa.

Quelques jours après le retour de David à la maison, son fils naquit. «Je savais qu’il n’y avait, dans toute l’Union Soviétique, que deux Mohalim qui avaient l’audace de pratiquer la circoncision malgré les dangers réels encourus. Sans l’aide de Rav Kogan, il m’était impossible même de rêver à une Brit Mila le huitième jour comme l’exige la Hala’ha, la loi juive. Je parvins à le mettre au courant (qui peut se souvenir qu’à l’époque il n’existait pas de smart-phone ?) et je priais qu’il puisse m’envoyer un Mohel !

La tension était terrible. J’ignorais si un Mohel arriverait ; si oui, nous risquions tous les deux d’être arrêtés ! Les autorités avaient été averties de la naissance de mon fils car nous étions «suspects» et surveillés 24 heures sur 24.

Soudain, en plein jour, j’entendis frapper à la porte : Rav Kogan apparut avec, à ses côtés, un Mohel ! En quelques minutes, la Brit Mila fut effectuée en toute clandestinité et le bébé emmailloté avec son pansement. Une heure plus tard, on frappa de nouveau à la porte : c’était une femme qui se présenta comme une doctoresse et qui désirait, sous prétexte de veiller à la santé du nourrisson, l’examiner. Elle l’ausculta, vérifia tous les paramètres habituels, ouvrit la couche et… ne remarqua rien ou ne voulut rien remarquer ; elle repartit comme si elle n’avait rien constaté !

Par miracle, David Schechter ne fut pas convoqué par le KGB. Quant à Rav Kogan, il savait que des policiers l’attendraient à sa descente d’avion à Odessa car ils soupçonnaient la raison de son voyage : c’est pourquoi il préféra emprunter des chemins détournés par Kichinev pour éviter d’être interrogé et, éventuellement, arrêté.

Par la suite, David Schechter monta en Israël et, quand son propre fils eut un fils premier-né, David insista pour que le Cohen qui procéderait au Pidyone Habène, le rachat symbolique au trentième jour de la vie de l’enfant, soit le Rav Kogan : «C’était pour moi une question de principe : la boucle était bouclée, une boucle longue et parsemée d’embûches mais victorieuse ! Je n’aurais pas pu rêver, à l’époque, d’effectuer le Pidyone Habène de mon petit-fils dans le calme, dans la fête, avec, en plus, le Rav Kogan à nos côtés à Jérusalem !»

Menachem Cohen – Sichat Hachavoua N° 1376

Traduit par Feiga Lubecki

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