Au lendemain de Chavouot
Nous venons de recevoir à nouveau la Torah, non comme la commémoration d’un glorieux événement du passé mais bien comme une actualité immédiate. C’est dire que cette réception de la Torah a pris place dans notre vécu concret bien plus que dans une sorte de rêve nostalgique. A présent, nous avançons encore dans les jours qui passent, cependant nous portons toujours en nous cette expérience irremplaçable. Le calendrier rituel nous le montre : ces jours qui suivent Chavouot servaient, à l’époque du Temple, à apporter les offrandes qui n’avaient pas pu l’être pendant la fête, faute de temps. On les appelait « jours de complément ». C’est dire que, dans une telle période, les acquis de Chavouot sont encore à notre portée et continuent d’être en nous dans leur pleine puissance. C’est précisément ce qui doit nous interpeler à présent : que faire de tout cela ? Nous avons participé à la célébration, nous en avons ressenti l’essence et nous nous en éloignons. Bien sûr, d’autres moments spirituellement forts adviendront mais cela ne peut suffire à nous consoler de laisser disparaître derrière nous celui que nous venons de traverser.
Ce passage présente une véritable valeur. En effet, c’est alors que tout doit trouver application au quotidien. Ainsi, l’étude de la Torah ne peut rester l’objet de nobles résolutions sans effets. La Torah elle-même ne peut pas non plus être prise comme un simple objet de connaissance comme il en existe tant. A présent, nous sommes pleinement conscients qu’elle n’est jamais dissociée de Celui qui la donne. Il y a ici un processus prodigieux qui se met en place : la Torah nous est donnée comme un lien essentiel avec D.ieu. Sagesse Divine, elle pénètre nos capacités intellectuelles, s’unit avec elles, opérant, pour ainsi dire, une fusion entre le Créateur et Ses créatures.
Occultée par le tourbillon du monde, cette réalité a refait surface avec Chavouot. A nous, maintenant, de la conserver vivante en notre for intérieur. A nous aussi de lui donner expression dans tout ce que nous sommes et dans nos actions de tous les jours. Finalement, pour reprendre l’expression classique, il s’agit de réaliser « la demeure de D.ieu en bas », dans notre monde. Après Chavouot, l’entreprise est à notre mesure, il n’est que temps d’agir.
Parachever l’œuvre
En notre temps, après toutes les épreuves traversées, ce temps qui est celui de la génération des « talons de Machia’h », selon le mot du Rabbi Précédent, Machia’h « se tient derrière notre mur » et n’attend que l’achèvement de l’œuvre confiée à notre génération.
Si on la compare à celle des générations qui nous ont précédés, cette œuvre est relativement facile. Il appartient donc à chacun de réaliser concrètement les termes du verset : « Le faible dira ‘je suis fort’ ». La seule décision ferme dans ce domaine fait apparaître les forces les plus profondes. Chacun peut donc agir bien plus qu’en des temps ou dans des conditions plus ordinaires.
(d’après les Iguerot Kodech du Rabbi de Loubavitch, vol. VIII, p. 353)
Nasso
En complément du recensement des Enfants d’Israël effectué dans le désert du Sinaï, un total de 8 580 Lévites, hommes entre 30 et 50 ans, est compté, pour récapituler le nombre de ceux qui se livreront effectivement à la tâche de transporter le Tabernacle.
D.ieu communique à Moché la loi de la Sotah, la femme indocile, suspectée d’infidélité envers son mari. Sont également données les lois du nazir qui renonce à la consommation de vin, laisse pousser ses cheveux et ne peut se rendre impur par le contact avec un corps sans vie. Aharon et ses descendants, les Cohanim, sont instruits sur la manière de bénir le peuple d’Israël.
Les dirigeants des douze tribus d’Israël apportent tous leurs offrandes pour l’inauguration de l’autel. Et bien que leurs dons soient identiques, chacun est apporté un jour différent et ils sont décrits, un par un, par la Torah.
Douze tribus, douze offrandes
Douze est le nombre des tribus qui embrasse tout le Peuple juif. La Paracha de cette semaine décrit le rôle particulier que joua chacun des dirigeants des douze tribus dans l’inauguration du Michkane, le Sanctuaire portatif. A partir du premier jour de sa construction, les dirigeants de chacune des tribus apportèrent une offrande de la part de sa tribu. L’on aurait pu imaginer que chacune des tribus, dotée de son caractère individuel, allait apporter une offrande différente. Mais en fait, les douze offrandes étaient rigoureusement identiques !
Ceci soulève deux questions évidentes :
Tout d’abord, si les douze tribus devaient représenter leurs rôles divers, comment se fait-il qu’elles n’offrirent pas des offrandes variées ?
Par ailleurs, et à l’opposé, si ces douze offrandes étaient toutes semblables, pourquoi la Torah les divise-t-elle en douze récits ? La Torah n’aurait-elle pas pu simplement mentionner que les douze dirigeants apportèrent tous une offrande qu’elle aurait décrite une seule fois ?
Pourquoi répéter les mêmes détails de ces offrandes ?
Le paradoxe du Peuple juif
La réponse à ces deux questions va jeter de la lumière sur la dynamique du Peuple juif. Le Peuple juif est paradoxalement un peuple uni et un peuple multidimensionnel. D’une part, la Torah nous enseigne que, quelle que soit la différence apparente entre un Juif et un autre, un lien profond et inexplicable (et inextricable) les unit. En temps de crise, les Juifs risquent leur vie les uns pour les autres, malgré leur incapacité à s’entendre en temps de paix.
Quels que soient nos différences linguistiques, nos subtilités intellectuelles, nos affrontements de personnalités et même nos divisions religieuses, un Juif est un Juif et un Juif reste un Juif.
Vive la différence !
En revanche, D.ieu ne crée rien qui n’ait une raison d’être. Le fait qu’Il nous ait créés avec des personnalités, des potentiels différents est une indication que nos différences sont importantes. Tant que nous reconnaissons qu’en dépit de ces divergences, nous sommes reliés par une unité intrinsèque qui nous rassemble profondément, il est bien d’être différents. Ne pas utiliser nos talents individuels et nos capacités personnelles parce que nous ne voulons pas être différents, c’est gâcher le potentiel dont D.ieu nous a investis.
C’est la raison pour laquelle les douze chefs des douze tribus apportèrent chacun une offrande identique mais la Torah les évoque comme douze offrandes différentes. Étant donné qu’ils appréciaient l’unité inhérente du Peuple juif, leurs différences possédaient un caractère unificateur. Et pourtant c’était douze offrandes différentes : chaque leader ayant une approche différente du même sacrifice qui la connectait aux besoins spécifiques de sa tribu mais cela n’affectait en rien leur unité essentielle.
Le commentaire de Rachi
Le Midrach propose douze approches différentes au symbolisme de chaque détail de ces offrandes.
Cependant Rachi, le principal commentateur de la Torah, ne s’attache qu’au symbolisme de l’offrande du second des douze dirigeants : Netanel, prince de la tribu de Yissa’har.
Les commentateurs s’interrogent sur l’omission de Rachi sur le symbolisme des autres tribus. En outre, s’il ne fait que donner un exemple de ce que représentaient ces offrandes, pourquoi ne le propose-t-il pas à propos de la toute première donation effectuée par le leader de la tribu de Yehouda ? Pourquoi attendre le second pour suggérer la signification des détails ?
La différence entre Yehouda et Yissa’har
Une perspective peut laisser entrevoir que cela tient à la différence entre ces deux tribus.
Yehouda représente une totale dévotion à la cause Divine. En fait, Na’hchon, fils d’Aminadav, chef de la tribu de Yehouda, fut le premier à se précipiter dans les eaux turbulentes de la Mer Rouge avant qu’elles ne se séparent. Il ne posa aucune question. Il savait que D.ieu voulait que la nation juive avance en direction du Sinaï. La mer ne l’arrêta pas.
S’il avait commencé à raisonner, Na’hchon aurait peut-être rencontré une solide résistance intellectuelle devant ce mouvement audacieux. Il aurait pu penser que son acte était suicidaire. Il aurait pu avancer que si Moché lui-même n’était pas, à ce moment-là, entré dans la mer pourquoi le ferait-il, lui ?
Mais Na’hchon sauta et ce n’est que lorsque l’eau atteignit ses narines, relatent nos Sages, que les eaux s’ouvrirent, justifiant son approche non conventionnelle.
Un « Na’chon », terme utilisé en hébreu moderne pour désigner un pionnier ou un non conformiste qui ose se lancer, un véritable leader, n’est pas intéressé par la raison de ce qu’il sait être juste. C’est un homme d’action et il va de l’avant.
En revanche, Yissa’har est identifié comme la tribu comportant le plus grand nombre d’érudits, caractérisés dans le Livre des Chroniques, comme ceux qui avaient une « compréhension du temps. » Ils étaient experts dans les calculs pour savoir quand apparaîtrait la nouvelle lune. Ils étaient en éveil par rapport aux changements du temps et aux nuances de la vie et savaient ce que la Torah voulait que nous accomplissions à n’importe quel moment spécifique.
C’est grâce à ces différences dans les attitudes de Na’hchon de la tribu de Yehouda et de Netanel, chef de la tribu de Yissa’har, que nous pouvons saisir la raison pour laquelle Rachi nous explique le symbolisme de l’offrande de Yissa’har et non de celle de Na’hchon qui fut pourtant la première.
Lorsque l’on s’engage dans le service de D.ieu avec une approche comme celle de Na’hchon, nul n’est besoin de rechercher de signification et ni de symbolisme dans chaque détail de notre mission. Pour une personnalité comme celle de Na’hchon, il suffit de savoir que c’est ce que D.ieu aurait voulu. Quand Na’hchon entendit du prince de Yissa’har que ces offrandes étaient appropriées et désirables, il se précipita, ne perdit pas de temps et fut le premier à apporter son offrande. Il n’avait pas besoin de savoir pourquoi Yissa’har, « le théoricien » pensait que ce serait une bonne chose d’apporter précisément ces offrandes. Il lui suffisait d’entendre que c’était une manière d’exprimer sa dévotion à D.ieu.
Par contre, la démarche plus calculée et plus rationnelle de Yissa’har exigeait qu’il sache précisément le sens de chaque détail. Yissa’har ne pouvait pas faire quelque chose impulsivement quand bien même cette impulsion était motivée par une sainte passion pour D.ieu. Il faut impliquer son esprit à chaque détail et chaque nuance de notre Judaïsme, tenter de comprendre dans la mesure de ce que nous permet notre intellect.
« Vous avez tous les deux raison »
Lequel des deux a raison ? Yehouda ou Yissa’har ? La réponse est « les deux ! »
Il faut commencer avec le zèle de Na’hchon, le prince de Yehouda, mais cela doit être immédiatement suivi par l’examen attentif et la compréhension de Yissa’har.
En fait, dans la Révélation ultime, à l’époque du Machia’h, nous connaîtrons tous D.ieu dans la mesure de ce que nous pourrons connaître de Lui. Nous atteindrons le niveau ultime de la compréhension de la Divinité. Et même les caractéristiques les plus incompréhensibles des voies divines, pourquoi les bons souffrent, par exemple, etc., que nous ne pouvons pas saisir maintenant, deviendront accessibles à l’intellect humain.
Cependant et en dépit de cet incroyable enrichissement de l’ère messianique, la pensée ‘hassidique révèle que cette connaissance transcendera les frontières extérieures.
Les germes de cette fusion entre la connaissance intellectuelle et la connaissance supra intellectuelle ont déjà été semés lorsque les deux premiers leaders, Na’hchon et Netanel, les chefs de tribus de Yehouda et de Yissa’har, ont apporté leurs offrandes inauguratrices au Michkane.
Quelques lois concernant la préparation du Chabbat
Il est recommandé d’honorer le Chabbat :
- En se lavant tout le corps
- En se coupant les ongles et, éventuellement, les cheveux
- En s’habillant avec des vêtements propres et beaux, réservés pour ce jour
- En planifiant les courses et les préparatifs durant toute la semaine ; Ezra institua qu’on procède à la lessive le jeudi plutôt que le vendredi où on est occupé par la préparation des repas (maintenant que les gens disposent de machines pour laver et sécher le linge, cette recommandation n’est plus vraiment contraignante).
- Il est conseillé de se lever plus tôt le vendredi pour préparer le Chabbat.
Il est recommandé d’apprécier le Chabbat :
- En réservant pour ce jour des aliments plus raffinés.
- En s’abstenant de prendre auparavant un grand repas afin de réserver son appétit pour les repas de Chabbat. On évite de travailler vendredi après-midi
- En préparant des repas plus copieux et plus élaborés que dans la semaine, avec au moins deux plats. On s’efforcera de manger du poisson. On n’est pas obligé de manger de la viande et de boire du vin : cependant, comme ces aliments sont considérés comme particulièrement importants et agréables, ils sont conseillés – chacun selon ses moyens.
- Quiconque augmente les dépenses pour le Chabbat est digne de louanges car ces dépenses ne sont pas inclues dans le « budget » prévu pour chacun par D.ieu le jour de Roch Hachana. Cependant, on ne doit pas s’endetter et il vaut mieux alors réduire les frais.
(d’après Chemirat HaChabbat – Rav Shimon Gedasi)
Changement de siège
J’étais absolument épuisée quand j’arrivai enfin à l’aéroport. Jeudi après-midi, après une semaine particulièrement chargée au travail, j’avais juste eu le temps de rentrer chez moi, de me changer puis de me rendre à l’aéroport. Au moins je pourrais me reposer dans l’avion pour Palo Alto où je devais donner des conférences pour la Semaine de la Femme Juive. J’aurais aussi le temps de réviser mes notes en prévision de mes discours.
En plus de ma petite valise, j’avais emporté plusieurs caisses de nourriture cachère pour les Chlou’him, les émissaires du Rabbi qui m’accueilleraient et qui n’avaient pas à leur disposition toutes les facilités alimentaires qui nous semblent tellement évidentes dans les grandes communautés. Pour leurs enfants surtout, des friandises ou des laitages variés représentaient un véritable festin, eux qui avaient été habitués depuis leur plus jeune âge à se passer de chips et autres gourmandises.
Bref, les Chlou’him m’avaient envoyé mon billet et avaient même eu la délicatesse de me réserver un siège près du hublot comme j’aime. Mais lors de l’embarquement, l’hôtesse s’excusa, la place avait déjà été attribuée à un autre passager et elle m’offrit un autre siège, à côté d’un autre hublot. Ce qui s’avéra par la suite un détail fondamental. De fait, cette place était très confortable puisqu’il n’y avait personne sur le siège à côté de moi et que je pouvais donc y poser tranquillement mon sac. Je regardai distraitement les autres passagers et remarquai un groupe de gens parlant une langue étrangère : un couple âgé portant des manteaux usés, avec un col en fourrure, totalement incongrus aux États-Unis, accompagné par un jeune couple et un enfant : sans doute des Russes. Ils ne me concernaient pas et, de toute manière, je ne parle pas leur langue.
Cependant, alors que le commandant de bord avait allumé le signal indiquant le décollage immédiat, le vieux monsieur appela l’hôtesse à la rescousse : il ne parvenait pas à boucler sa ceinture. Après tout, il n’avait certainement pas rencontré ce genre d’inventions dans son pays d’origine… Mais non, il y avait effectivement un problème, la ceinture était cassée et l’hôtesse lui attribua en urgence un autre siège, vous l’avez deviné, juste à côté de moi. Je repris mon sac sur mes genoux et en profitai pour en sortir une carte portant le texte de la prière du voyageur - que je récitai avec ferveur, compte tenu des aléas des voyages à notre époque. Mon voisin était-il juif ? Probablement, mais je ne savais même pas comment le lui demander : je lui tendis la carte, peut-être était-il intéressé.
- No English, m’informa-t-il en hochant la tête.
Il examina la carte et reprit :
- Moment, moment…
Il se leva, prit dans sa valise au-dessus de lui un Sidour (livre de prières) en hébreu avec traduction en russe. Il savait exactement où trouver la page du voyageur.
- Yiddish ? suggéra-t-il avec une note d’espoir.
Et c’est ainsi que nous avons trouvé une langue commune. Il était en route pour San Francisco, il venait d’Odessa, avait émigré d’Union Soviétique, avec une longue halte en Italie, le temps d’obtenir un visa pour les États-Unis. En Italie, il avait fait connaissance d’autres Juifs et surtout du judaïsme qu’il ne connaissait que très vaguement.
Ce fut une des nombreuses fois où je remerciai mes parents de mémoire bénie de nous avoir toujours parlé en yiddish, ce qui m’a souvent donné l’occasion de tisser des liens avec des Juifs de toutes sortes de pays, avec un sentiment de fraternité incomparable. Nous avons discuté pendant des heures, comme si nous étions de vieux amis.
Il me raconta la vie à Odessa et, plus généralement en URSS. Les autres membres de sa famille qui l’accompagnaient ne parlaient pas le yiddish, n’avaient aucun souvenir de grands-parents qui le parlaient ou qui pratiquaient les Mitsvot ; ils ne pouvaient pas partager son enthousiasme pour cette possibilité de vivre enfin un judaïsme décomplexé.
Nous étions tous deux d’accord quant à l’importance d’une éducation juive dès le plus jeune âge. Il nous appartenait de devenir les grands-parents auxquels les petits-enfants pourraient affectueusement se référer plus tard.
Quand l’hôtesse m’apporta mon repas cachère, j’en demandai aussi un pour mon voisin de siège mais il n’en avait pas commandé. Elle nous a apporté des fruits et des sachets de cacahuètes : nous avons partagé mon repas.
A notre arrivée à San Francisco, il fut accueilli avec sa famille par le représentant d’une organisation locale d’aide aux immigrants juifs. Je lui donnai mon numéro de téléphone à Palo Alto et nous sommes restés en contact. Ainsi, il a pu faire inscrire son petit-fils dans une école juive recommandée par le Chalia’h de Palo Alto et, certainement, ce garçon a pu aider ses parents et grands-parents à mieux adhérer à une vie de Torah.
Oui, mon voyage avait été fructueux - avant même que j’ai entamé ma série de conférences…
‘Hanna Sharfstein - Beyond the Dollar Line
Traduite par Feiga Lubecki