Semaine 23

  • Nasso
Editorial
Des yeux neufs pour une fête éternelle

Comment vivre une révolution ? Comment la vivre alors que nous savons qu’elle vient à nous inéluctablement et que nous l’avons attendue avec une impatience grandissante ? Comment la vivre avec un enthousiasme toujours neuf alors que, dans un cycle infini, elle revient d’année en année ? C’est pourtant bien cela qui arrive et la révolution porte un nom. Elle s’appelle «Chavouot» et c’est la fête du Don de la Torah. Il est clair qu’il importe de la vivre de la manière la plus grande et la plus profonde à la fois ; n’est-ce pas au fondement de toute chose que nous nous trouvons ici ? Mais peut-être faut-il, pour cela, prendre de nouveau conscience de ce que l’événement implique.
Il n’est guère difficile aujourd’hui d’imaginer un monde sans loi, d’imaginer la vie des hommes soumis, sans recours, aux caprices d’un despote local dont la seule volonté fait office de règle absolue, auquel tout remonte et duquel tout descend. Les récentes révoltes sont venues nous rappeler que c’est là le lot d’une bonne partie de l’humanité, comme pour nous faire souvenir qu’il y eut aussi des temps où «les hommes tâtonnaient dans l’obscurité». A partir d’Abraham, cela commença à changer ou, pour reprendre l’expression traditionnelle, à «éclairer». Une nouvelle sagesse apparut peu à peu Mais, pour que les choses changent vraiment, pour qu’on en vienne aussi, des siècles plus tard, en remettre en cause la tyrannie, il fallut attendre le passage des siècles. Il fallut attendre la naissance d’un peuple qui, libéré d’Egypte, se dirigea, porté par un appel et un élan uniques, vers le mont Sinaï. Le 6 Sivan, les Hébreux se tinrent devant la montagne, D.ieu y apparut et donna la Loi à Son peuple.
Cette Loi, la Torah, fonde les civilisations. De fait, lorsqu’une société produit sa propre règle, cette dernière, liée à la personnalité de ses concepteurs, ne fait que refléter un état des choses par nature éphémère. La justesse de cette règle est toujours contestable et nous savons que des sociétés apparemment avancées ont pu promulguer les lois les plus barbares. Lorsque la Loi est Divine, elle porte cette marque d’absolu. Elle n’est pas soumise au caprice du temps. Eternelle, elle crée enfin pour les hommes cet espace de liberté où ils pourront développer pleinement tout le bien qu’ils portent en eux. Changeant le monde, le Don de la Torah l’ouvre à un éternel dépassement. Pour cela, c’est un événement éternellement nouveau. A vivre avec l’intensité des bonheurs neufs.
Etincelles de Machiah
La Techouva pour les Tsadikim ?

La notion de Techouva peut également s’appliquer aux Tsadikim – aux Justes – si l’on se réfère à l’enseignement de nos Sages selon lequel un homme devrait «passer tous ses jours dans la Techouva».
En effet, dès qu’un Juif perd, ne serait-ce qu’un instant, de son niveau habituel du service de D.ieu, par la prière et l’étude de la Torah, cela est considéré, pour lui, comme une chute considérable. Cela appelle donc la Techouva la plus sincère. Devant l’intense lumière apportée par Machia’h, cette dernière sera d’autant plus nécessaire.
(d’après Or Hatorah, Chir Hachirim, p. 688) H.N.
Vivre avec la Paracha
Nasso : Arrêt net

Un couple de parents ne savait comment se comporter à l’égard de leur enfant. Ils désiraient véritablement lui enseigner la différence entre le bien et le mal et lui donner des outils pour la vie. Ils lui recommandaient de manger ses légumes, de faire ses devoirs, de regarder des deux côtés de la rue avant de traverser, d’être généreux mais ferme dans ses relations avec autrui, de se soucier de ce qui est important dans la vie. Ils le lui dirent une fois, ils le lui dirent deux fois, ils le lui dirent une troisième fois. Et puis ils arrêtèrent de lui dire quoi que ce soit… à quoi cela servait-il ?
A côté de chez eux vivait une autre famille. Eux aussi, à un certain moment, arrêtèrent de dire à leur enfant quoi faire. Mais ils n’arrêtèrent pas parce qu’ils étaient fatigués de le faire. Bien au contraire, chaque fois que leur enfant se trouvait face à un nouveau choix ou à un dilemme, il leur fallait déployer toute leur volonté pour se retenir de lui donner leur avis et leur conseil. Mais ils avaient compris que pour que leur enfant devienne un être humain indépendant, responsable, moral, ils devaient se retenir. Ils ne pouvaient lui apporter leur enseignement que jusqu’à un certain point mais au-delà de ces limites, ils devaient lui donner un espace dans lequel il pourrait grandir.
Le premier enfant tomba dans un véritable laisser-aller. A partir du moment où ses parents arrêtèrent de lui imposer leurs règles de vie, il tomba dans tout le contraire de ce qu’ils lui avaient enseigné. Il devint mesquin et faible dans ses relations avec les autres, s’arrêta rarement aux signaux de «stop», et ne se soucia de plus rien dans la vie, que ce soit important ou non.
Le deuxième enfant devint un jeune homme intègre. Il savourait son indépendance mais en même temps, il languissait les conseils de ses parents. A de nombreuses reprises, quand il devait prendre une décision, il se trouvait imaginer ce que ses parents auraient dit. Il faisait des erreurs mais il en prenait généralement conscience et essayait de les corriger. Il connaissait ses forces et était conscient de ses faiblesses. Il se comportait donc avec un mélange de fierté et d’humilité qui le rendait appréciable aux yeux de tous ceux qui le connaissaient.
Quelle était la différence entre les deux couples parentaux ? Tous deux offraient le même genre de conseils, avec la même sincérité. Ils avaient arrêté de tout gérer chez leur enfant, au même point, le laissant évoluer seul. Mais les premiers avaient arrêté parce qu’ils ne savaient plus quoi ni comment dire. Ils n’en avaient plus la force. Les seconds avaient arrêté parce qu’ils en avaient décidé ainsi.
Durant la première période de leur carrière de parents, les deux couples paraissaient identiques aux yeux de leur enfant. Mais au fil des ans, s’opéra un changement, non dans ce qu’ils disaient mais dans la force et la vitalité derrière leurs paroles. Le premier enfant entendit l’épuisement dans la voix de ses parents. Le second enfant entendit la retenue. Une retenue qui créa un vide dans son cœur mais aussi l’aspiration à combler ce vide d’une manière qui ferait dire à ses parents : «nous-mêmes, nous n’aurions pu faire mieux !»
Le verset qui ferme la Paracha de cette semaine, Nasso, décrit la façon dont la voix de D.ieu émanait du «Saint des Saints» (la pièce la plus intérieure et la plus sainte du Temple), pour donner des instructions à Moché, et par l’intermédiaire de Moché, aux Enfants d’Israël et à toute l’humanité. Le verset dit :
«Et quand Moché pénétrait dans la tente d’Assignation pour parler avec Lui, il entendait la voix lui parlant de dessus la couverture de L’Arche du Témoignage… et elle lui parlait.»
Le Midrach analyse ce verset et en arrive à des conclusions intéressantes. Du fait que le verset souligne que «il entendait la voix lui parlant» et plus loin : «et elle lui parlait», nous en déduisons que seul Moché entendait la voix de D.ieu. En d’autres termes, la voix ne portait pas au-delà de la porte de la «Tente d’Assignation», bien que la pièce fût relativement petite. «Peut-être que cela signifie que la voix était basse ?» s’enquiert le Midrach. «Il n’en est rien» répond-il. Le verset accentue également le fait que c’était «la voix», la voix dont il est dit (Tehilim 29 : 4-9) : «La voix de D.ieu vient avec puissance ; la voix de D.ieu vient avec majesté. La voix de D.ieu écrase les Cèdres du Liban… La voix de D.ieu sculpte des flammes sur le feu ; la voix de D.ieu fait trembler le désert…» Le verset insiste sur le fait que c’était «la voix», la voix qui, au Don de la Torah, au Mont Sinaï, «se répercutait d’une extrémité du monde à l’autre.»
Cela signifie, conclut le Midrach, qu’à l’intérieur de la «Tente d’Assignation», la Voix divine était aussi puissante et infinie que celle qui résonna à Sinaï. Mais dès l’instant où la voix atteignait l’entrée de la Tente, elle «cessait brutalement» (Midrach Rabbah 14 :21 ; Sifri, cités par Rachi).
Phénomène fascinant. Mais que signifie-t-il ?
Cela veut dire, explique le Rabbi, que D.ieu a donné à l’homme le libre-arbitre. Comme l’écrit Maïmonide, sans liberté de choix, toute la notion selon laquelle la relation entre l’homme et D.ieu donne un sens à la vie, n’a plus de sens. C’est la raison pour laquelle la Voix divine s’interrompait à l’entrée de la «Tente d’Assignation» : pour créer un vide dans nos cœurs, cet espace dans notre vie dans lequel D.ieu n’intervient pas mais qu’Il contemple de l’extérieur.
D.ieu nous instruit sur la façon de mener notre vie mais Sa voix infinie prend une certaine distance puis s’arrête. Elle ne s’arrête pas parce qu’elle faiblit graduellement jusqu’à atteindre le point où elle ne se fait plus entendre. Si c’était la façon dont D.ieu nous parlait, Ses paroles n’auraient aucun effet sur notre vie. Mais au contraire, Il nous parle avec une puissance et une autorité infinies. Mais en même temps, Il laisse Sa voix atteindre un certain point et pas plus, de sorte que nous puissions entendre cette puissance et cette autorité dans Sa voix mais également Sa retenue.
Certes, cette retenue provoque une grande solitude dans notre vie mais aussi l’aspiration à combler cette solitude d’une façon qui Lui fera dire : «Je n’aurai pu faire mieux, Moi-même.»
Le Coin de la Halacha
Que fait-on à Chavouot ?

On a coutume de se couper les cheveux la veille de Chavouot, donc cette année le mardi 7 juin 2011.
Il convient de préparer un nombre suffisant de bougies pour les deux jours de fête ainsi qu’une bougie de vingt-quatre heures à partir de laquelle on allumera les bougies mercredi soir.
Mardi soir 7 juin (à Paris avant 21h 32) et mercredi soir 8 juin (après 22h 57), les femmes allumeront les deux bougies de la fête (les jeunes filles et les petites filles allumeront une bougie), avec les bénédictions : 1) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chèl Yom Tov » - (« Béni sois-Tu Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses commandements et nous as ordonné d’allumer les bougies du jour de fête » et 2) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehiguianou Lizmane Hazé » - (« Béni sois-Tu Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as fait vivre, exister et qui nous as fait parvenir à ce moment »).
La fête se termine jeudi soir 9 juin après 22h 58 (heure de Paris).
Il est de coutume d’étudier toute la première nuit de Chavouot.
Tous, hommes, femmes et enfants, même les nourrissons, se rendront à la synagogue mercredi matin 8 juin pour écouter la lecture des Dix Commandements. On marque ainsi l’unité du peuple juif autour de la Torah, et on renouvelle l’engagement d’observer ses préceptes.
On a l’habitude de prendre un repas lacté avant le vrai repas de viande mercredi midi.
Jeudi 9 juin, on récite, pendant l’office du matin, la prière de Yizkor en souvenir des parents disparus : on donnera de l’argent à la Tsedaka pour leur mérite.

F. L.
De Recit de la Semaine
«Sur les ailes de l’aigle»

Le vol entre Oregon et Rhode Island avait démarré contre des centaines d’autres vols que j’avais empruntés auparavant. Je venais d’achever mon repas cachère mexicain : pâtes, poulet et légumes variés, une minuscule ‘Halla, un délicieux gâteau au chocolat et, comme d’habitude, la mini-barquette de fruits en conserve qui semble ne jamais vouloir décongeler, quel que soit le temps que le plateau aura passé dans le four à micro-ondes de l’avion.
Les cinq premières heures s’étaient bien passées. Je venais de terminer la prière de Min’ha à l’arrière de l’appareil et j’étais heureux à l’idée de passer bientôt la fête de Chavouot avec mes parents.
Soudain, le pilote nous recommanda de retourner à nos places, d’attacher nos ceintures de sécurité, de remonter les tablettes devant nous… Et une terrible vibration s’empara de tout l’avion qui, de fait, comme je devais le constater en jetant un coup d’œil par le hublot, se retrouvait au centre d’une tempête menaçante.
L’avion tanguait d’un côté à l’autre et la peur envahissait tous les passagers. Etions-nous sur une planche de surf qui suit gracieusement le mouvement des vagues qui montent et descendent ou étions-nous des saumons nageant à contre-courant ? Toujours est-il que les gens pleuraient, priaient et tremblaient. Moi aussi je me mis à prier tout ce que j’avais appris en hébreu depuis que j’avais commencé un autre voyage, il y a deux ans, un retour aux sources du judaïsme. Je commençai par le «Chema», passai à «Achré», continuai avec les parties de la Amida que j’avais (difficilement) réussi à mémoriser, chantai «Alénou» et même les douze versets de Torah récités journellement par les enfants, pourquoi pas ? J’en arrivai aux bénédictions et aux chants de ‘Hanouccah, tout ce qui pouvait me lier à D.ieu.
La femme assise à côté de moi hurlait de peur, nous étions sur le point de nous écraser au sol quand le pilote reprit le contrôle de l’appareil et prépara un atterrissage normal tout en douceur. La tempête était derrière nous, le pilote expliqua calmement la situation au micro : «nous allons atterrir à Boston». Nul ne protesta, on ne pouvait entendre que des soupirs de soulagement ! Quand l’avion se posa avec élégance sur la terre ferme, tous les passagers applaudirent frénétiquement : nous étions tous sains et saufs, D.ieu merci !
Nous avons passé trente minutes à attendre puis l’avion repartit pour la ville bien nommée : Providence.
Le cauchemar était définitivement terminé, nous pouvions enfin rejoindre et embrasser les membres de nos familles : je pris un moment pour adresser à D.ieu une courte prière de remerciement.
Dans la voiture m’amenant au domicile de mes parents dans le Connecticut, je réfléchissais à ma réaction et celles des autres passagers. Je vous garantis que chacun d’entre nous avait supplié D.ieu de nous garder en vie. Chacun avait fait des promesses, chacun s’était engagé à mieux se conduire dorénavant. Durant ces moments terrifiants, D.ieu avait été aussi réel pour nous que les fauteuils dans lesquels nous étions ceinturés. Nous étions absolument convaincus qu’il n’existait qu’une seule force au monde qui pouvait nous sauver : ni le pilote, ni le fonctionnaire de la tour de contrôle, ni l’ingénieur qui avait dessiné notre Boeing. Non ! Seul D.ieu pouvait nous délivrer de tout danger.
Mais dès que nous avions touché la terre ferme, je suppose que chacun avait rejeté cette foi innée dans les recoins de son esprit. Comme un bon vieux pull qu’on ne ressort de l’armoire que quand il fait froid et humide, nous rangeons notre foi en D.ieu au fond d’une étagère jusqu’à la prochaine fois qu’on en aura besoin.
Pourtant chaque jour – et à de nombreux moments de la journée – nous avons tant d’occasions de remercier D.ieu pour Ses nombreuses bénédictions. Durant toute la fête de Chavouot, je me souvins de ces pleurs et de ces tremblements, de ce bouleversement devant les cieux déchaînés, de cette étrange sensation paradoxale : je ne m’étais pas senti seul, pas un instant. Je savais que D.ieu avait un plan en réserve pour moi : il suffisait d’attendre et de constater les résultats de ce plan. Pas de doutes, pas de «mais», pas de questions.
Cette foi absolue, inconditionnelle vous permet d’affronter tous les défis de la vie. Rav Vogel de Delaware aime à répéter : «Chlomo Yaakov (mes prénoms hébraïques) ! Nul n’a jamais prétendu qu’accomplir une Mitsva (un commandement de D.ieu) devait être facile ! Parfois il est dur de se lever un dimanche matin pour aller prier, parfois il est dur d’annoncer à votre patron que vous refusez son invitation à jouer au golf le samedi, parfois il est frustrant de devoir assister à un cocktail de fruits de mer sans rien goûter. Mais en préférant accomplir les commandements que D.ieu nous a donnés sur le mont Sinaï, il y a plus de trois mille trois cents ans, tu construis, petit à petit, une forteresse de foi qui illuminera ta voie durant les moments les plus difficiles de ta vie. Comme un investissement lucratif, les Mitsvot que tu accomplis aujourd’hui te rapporteront d’énormes bénéfices par la suite : c’est vraiment un investissement auquel aucune opération boursière ne saurait se comparer !»

Steve Hyatt
L’Chaim n°622
traduit par Feiga Lubecki