Semaine 23

  • Nasso
Editorial

Le temps de la Loi

Cette semaine, nous célébrons un événement dont les temps que vivons soulignent autant la brûlante actualité que l’urgente nécessité: le don de la Torah. Il a été abondamment dit qu’il s’agit là, en quelque sorte de l’acte de naissance du peuple juif. Ses implications spirituelles – D.ieu s’adressant aux hommes – ont été maintes fois soulignées. Pourtant, les mots n’arrivent pas à épuiser la richesse d’un tel jour: celui où une Loi fut donnée à l’humanité.
Car la notion même de Loi est sans prix. De tout temps, la société des hommes a produit une violence que l’on avait peine à maîtriser, si tant est qu’on s’en souciait. Souvent, le seul contrôle qui pouvait exister était celui d’une violence plus grande encore, celle du chef ou du monarque. Ce monde d’avant la Loi était celui où la volonté du plus fort était l’unique règle. Il n’était pas le lieu où une civilisation sereine pouvait s’épanouir et créer l’harmonie. C’est alors que, brusquement, tout changea. La Loi descendit dans notre univers et bouleversa les certitudes acquises. Elle ne fit pas qu’introduire un élément nouveau et inattendu, elle enchaîna la barbarie et la rejeta de la conscience humaine.
Parfois, des voix s’élèvent pour dire que cette Loi est trop puissante, que notre monde a changé et que, arrivé à l’âge adulte, il est capable de déterminer le sens de ses actions sans avoir besoin de faire référence à une norme qui le dépasse. Voici que les événements auxquels nous assistons jour après jour nous rappellent à quel point la Loi est chose nécessaire, à quel point elle seule est capable de transformer le monde qu’elle touche. Celui-ci ne souhaite pas laisser se développer les attitudes barbares. Il veut au contraire, que la paix s’enracine dans les âmes, les esprits et les cœurs. C’est là le rôle et le sens de la Loi. Donnée par D.ieu, elle conduit le monde vers un accomplissement. Elle est la grande Voix qui maintient l’homme dans son humanité. Elle retentit une nouvelle fois avec la fête de Chavouot. Nous savons que nous l’entendrons et que personne n’en sortira inchangé.

Etincelles de Machiah

La révélation au Sinaï et la révélation future

Lorsque le Machia’h viendra, le monde sera spirituellement affiné, à tel point qu’il deviendra le digne réceptacle de la Lumière Divine. Ainsi, il sera la “demeure” de D.ieu. Au contraire, lors du don de la Torah, il n’avait pas encore atteint ce degré d’élévation, il n’avait donc que la qualité de “lieu de résidence” (Yoma 12a) pour D.ieu, comparable à l’auberge qui ne fait qu’accueillir le voyageur mais ne constitue pas son véritable foyer.
(d'après Or Hatorah, Souccot, p. 1749) H.N.

Vivre avec la Paracha

Nasso
la femme Sotta

Un récipient de terre
Et D.ieu parla à Moché en ces termes: “un homme dont la femme s’est égarée et a commis à son encontre une trahison… cet homme conduira sa femme chez le Cohen… Et le Cohen prendra de l’eau sainte dans un récipient de terre… (Nombres 5: 11-23)

La vie, comme la décrivent les Kabbalistes est un mariage entre l’âme et le corps. L’âme, la force vitale active dans la relation, est son composant “masculin”. Le corps, le récipient qui reçoit l’âme, canalise et concentre ses énergies, est l’élément “féminin” de cette relation.
Le sens commun soutient que l’esprit est plus élevé que la matière et l’âme supérieure au corps. En effet, l’âme de l’homme maintient une conscience perpétuelle de son Créateur et de sa Source alors que le corps, sensible aux attirances de la matérialité, est souvent le responsable de l’oubli, l’égarement et la trahison.
Mais c’est là une vision “masculine” de la vie. Il existe également une perception de la réalité différente, une perspective dans laquelle la passivité est supérieure à l’activité, l’être est plus grand que le faire et le monde plus réel que l’abstraction; une perspective dans laquelle le corps n’est pas seulement, dans le meilleur des cas, le serviteur de l’âme (et au pire, son opposant), mais lui-même une matrice du divin.
Nos Sages nous disent que viendra un temps où la suprématie de la femme sera mise en lumière, un temps où le corporel égalera et dépassera même le spirituel comme véhicule de l’union avec D.ieu, un temps où “l’âme tirera sa nourriture du corps”.
C’est là que réside la signification profonde des lois de la Sotta (la “femme qui a dévié”), enseignées à la fin du cinquième chapitre de Bamidbar.
Les lois de la Sotta dictent qu’un homme qui soupçonne sa femme d’infidélité (et possède des preuves qui soutiennent ses soupçons) devra la conduire au Temple de Yerouchalaïm. Là le Cohen (prêtre) devra remplir un récipient de pierre avec des eaux du puits du Temple et les mêler à de la terre du sol du Temple. Puis il inscrira le serment de fidélité (Bamidbar 5: 19-22) sur un parchemin qu’il placera également dans les “eaux amères” jusqu’à ce que les mots se dissolvent dans l’eau. La femme Sotta boira alors l’eau.
Si la femme a bien été coupable d’adultère, les “eaux amères” la feront mourir. Dans le cas où les soupçons de son époux sont injustifiés, non seulement elles l’acquitteront mais elles enrichiront également ses relations avec son mari et la productivité de son mariage.
Il est significatif que la “femme Sotta” soit disculpée par le biais d’eaux saintes placées dans un récipient de terre. Cela va à l’encontre de la loi concernant l’allumage des lampes de ‘Hanouka qui veulent qu’on évite de les allumer dans un récipient d’argile ou de matériau à base de terre, car le fait de placer de l’huile dans de tels ustensiles ne donne pas de résultats esthétiques. En fait, les lumières du Saint Temple, d’après lesquelles sont inspirées celles de ‘Hanouka, étaient allumées avec l’huile d’olive la plus pure dans un candélabre d’or pur. Alors que les lumières de ‘Hanouka ne nécessitent pas un tel degré de pureté et de raffinement, elles requièrent toutefois une alimentation pure (huile ou cire) et un ustensile de métal ou un autre matériau “propre”.
Les lumières de ‘Hanouka proclament la suprématie de l’esprit sur la matière. Il est donc bien naturel que quelque chose d’un tel caractère spirituel et “masculin” écarte un récipient de terre. La spiritualité de ‘Hanouka s’exprime également par son huile, dont la nature l’empêche de se mêler à d’autres liquides et la fait s’élever au-dessus d’eux, tout comme l’esprit s’élève au-dessus du matériel et du physique.
Mais il existe également un liquide d’une autre espèce. “La Torah est comparée à l’eau” écrit Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi dans le Tanya, “parce que tout comme l’eau a tendance à descendre d’un endroit élevé vers un lieu plus bas, la Torah descend de son lieu de gloire qui est la volonté et la sagesse de D.ieu… jusqu’à ce qu’elle s’habille dans des objets matériels et dans les choses de ce monde”.
Quand une âme contemple son corps et voit en lui une “femme Sotta” opposée à ses aspirations spirituelles, elle aurait peut-être tendance à jeter le blâme sur sa mondanité et sa matérialité. Mais si elle désire réellement parvenir à l’harmonie entre eux, elle doit apprendre à incorporer sa vision féminine dans leur mariage. Elle doit apprendre que la vie est plus qu’une huile spirituelle vacillant dans des ustensiles d’or pur. Elle doit apprendre qu’elle est aussi de l’eau, de l’eau qui gravite vers la terre pour remplir les récipients les plus matériels avec son essence divine.

Le Coin de la Halacha

Que fait-on à Chavouot ?

La veille de Chavouot tombe cette année le jeudi soir 5 juin 2003. Il conviendra de préparer un nombre suffisant de bougies et de bougeoirs pour les deux jours de fête. Jeudi soir 5 juin (à Paris avant 21h 29), les femmes allumeront les 2 bougies de la fête (les jeunes filles n'allumeront qu'une bougie), en récitant les bénédictions suivantes:
1) Barou'h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè'h Haolam Achère Kidéchanou Bemitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chèl Yom Tov (Béni sois-Tu Eternel, Roi du Monde, qui nous as sanctifiés par Ses commandements et nous as ordonné d’allumer les bougies du jour de fête)
2) Barou'h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè'h Haolam Chéhé'héyanou Vekiyémanou Véhigianou Lizmane Hazé (Béni sois-Tu Eternel, Roi du Monde, qui nous as fait vivre, exister et qui nous as fait parvenir à ce moment).
Vendredi soir 6 juin, elles allumeront les bougies de Chabbat et de la fête (à Paris avant 21h 30), à partir d'une flamme allumée avant jeudi soir (par exemple la veilleuse d'un chauffe-eau ou d'une cuisinière, ou une bougie spéciale de vingt-quatre heures) et diront les bénédictions suivantes:
1) Barou'h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè'h Haolam Achère Kidéchanou Bemitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chèl Chabbat Vechel Yom Tov.
2) Barou'h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè'h Haolam Chéhé'héyanou Vekiyémanou Véhigianou Lizmane Hazé.
La fête se termine samedi soir 7 juin 2003 après 22h 55 (heure de Paris).
Il est de coutume d'étudier toute la première nuit de Chavouot (cette année de jeudi à vendredi).
Tous, hommes, femmes et enfants, même les nourrissons, se rendront à la synagogue vendredi matin 6 juin pour écouter la lecture des Dix Commandements. On marque ainsi l'unité du peuple juif autour de la Torah et on renouvelle l'engagement d'observer ses préceptes.
On a l'habitude de prendre un repas lacté avant le vrai repas de viande vendredi midi.
Samedi 7 juin, on récite à la synagogue, pendant l'office du matin, la prière de Yizkor pour le souvenir des disparus : on donnera, avant ou après la fête, de l'argent à la Tsédaka pour leur mérite.

Qu'est-ce que Erouv Tavchiline ?

On n'a pas le droit, un jour de fête juive, de préparer de la nourriture pour le soir suivant ou le lendemain. Cependant, lorsqu'un jour de fête tombe le vendredi, on prépare avant la fête un aliment cuit au four et un aliment cuit à l'eau, pour montrer qu'on a pensé, avant la fête, à préparer Chabbat.
Cette année jeudi 5 juin 2003, dans la journée, on procédera au Erouv Tavchiline (littéralement : “ Le mélange par les aliments ”) : on préparera une ‘Halla (un pain de Chabbat) et un mets cuit (viande ou poisson ou œuf). On récitera la bénédiction : Barou'h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè'h Haolam Achère Kidéchanou Bemitsvotav Vétsivanou Al Mitsvat Erouv. (Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi de l’univers, qui nous as sanctifiés par Ses commandements et nous as ordonné le commandement du “Erouv”). Puis on mettra soigneusement de côté ces aliments et on les consommera pendant un des repas de Chabbat.
Grâce à cet Erouv, tous les membres de la famille (et les invités) pourront cuire, porter, allumer les bougies et, en général, faire vendredi tous les préparatifs pour Chabbat.

F. L.

De Recit de la Semaine

Le Séfer Torah de Grand-Père Pin’has

Contrairement à la plupart des Juifs vivant en Union Soviétique, mon grand-père maternel, Rav Pin’has Sudak, ne manquait de rien. Il possédait une usine de tricots et gagnait bien sa vie. Il réussit également à rester un bon Juif et à élever ses enfants dans le chemin de la Torah. Quand il décida de fuir le pays en 1946, à l’âge de 38 ans, ce n’était ni pour son bien-être matériel, ni pour l’éducation juive de ses enfants. Non, il risqua sa vie en traversant clandestinement la frontière pour l’éducation juive de ses futurs petits-enfants.
Encore fillette, ma mère Batchéva – l’aînée de ses trois enfants – se rendait à dos d’âne, seule, à la campagne, pour acheter la farine qui servirait à la fabrication des Matsot de Pessa’h. La police secrète n’aurait pas eu l’idée de poser des questions à un enfant…
Dans la maison de mon grand-père, il n’était pas rare de disposer des partitions de musique sur le piano pour cacher les livres de Torah dans lesquels ma mère étudiait avec son “professeur de piano”.
Grand-Père Pin’has avait su élever ses enfants avec une assurance, une foi et une volonté de suivre la tradition – quelles que soient les circonstances. Mais il avait peur pour l’éducation de ses futurs petits-enfants !
Après le passage de la frontière soviétique, la famille Sudak se retrouva à Cracovie avec un groupe de quarante-six autres ‘Hassidim de Loubavitch. Dans ce groupe se trouvait une femme qui venait de perdre son mari lors de son exil forcé au Kazakhstan: c’était la Rabbanit ‘Hanna Schneerson, la mère du futur Rabbi de Loubavitch.
A Cracovie, Grand-Père Pin’has rencontra un Juif polonais qui lui proposa d’acheter un Séfer Torah. Il accepta immédiatement et confectionna une lourde caisse en bois pour le transporter: “Quelle que soit la destination finale de ce voyage, disait Grand-Père Pin’has, comment un si grand groupe de Juifs peut-il voyager sans Séfer Torah ?”.
Le groupe continua, traversa Steczen afin de continuer vers Prague en Tchécoslovaquie. Les ‘Hassidim partirent tard le soir: chacun n’emporta que le strict nécessaire et abandonna ses objets personnels les plus chers. Grand-Père Pin’has cousut des diamants dans les semelles des chaussures de toute sa famille.
Il faisait nuit noire. Les réfugiés s’accrochaient à une corde pour rester ensemble dans l’épaisse forêt. Grand-Père Pin’has tenait fermement la boîte contenant le Séfer Torah tandis que Grand-Mère Batya portait son plus jeune enfant, Brakha. Au cours de la marche, Grand-Mère Batya de plus en plus fatiguée, avoua à son mari qu’elle ne pouvait plus porter son bébé.
Les larmes aux yeux, Grand-Père Pin’has ouvrit la boîte et serra une dernière fois son Séfer Torah: “Ma Torah chérie, tu sais que c’est pour toi que j’ai fui la Russie. Je ne me serais pas engagé dans cette aventure pour mon propre bien-être, ni pour celui de mes enfants mais pour celui de mes futurs petits-enfants. Pardonne-moi, ma chère Torah, car je t’abandonne maintenant : c’est toi ou mon enfant !”.
Il embrassa le Séfer Torah une dernière fois et le déposa, dans sa boîte, sous un arbre. Il souleva sa fille et la famille continua ce long voyage qui finalement la mena jusqu’en Israël. Les trois enfants, Batchéva, Nah’man et Brakha devinrent tous des responsables communautaires, des émissaires du Rabbi.

* * *

Il y a quelques années, ma mère, la Rabbanit Batchéva Shochet, rendit visite à une amie de ma sœur, Mme Feigie Estulin en Californie. Feigie racontait comment son propre père avait quitté l’Union Soviétique – quelques semaines après mes grands-parents. Elle estimait que la robuste santé de son père, Rav Gourevitch, provenait d’un incident qui lui était arrivé, il y a plus de cinquante ans.
Lui et sa femme s’étaient enfuis en pleine nuit. A un moment donné, leur fille de cinq ans avait disparu. Fébrilement, les parents étaient partis à sa recherche, en rampant dans la forêt.
Soudain, Rav Gourevitch avait senti quelque chose de dur. C’était une caisse en bois dans laquelle se trouvait… un Séfer Torah ! Sa fille était assise tranquillement à côté. Il embrassa ensemble sa fille et le Séfer Torah passionnément. Il ôta le Séfer Torah de sa boîte, le déroula, l’enveloppa autour de son corps et l’enroula de son “Gartel”, sa ceinture de prière. Par la suite, ce Séfer Torah fut apporté dans une synagogue de New York où il se trouve encore.
Madame Estulin, perdue dans ses souvenirs, leva alors les yeux et ne put comprendre pourquoi ma mère pleurait sans pouvoir s’arrêter en entendant comment le Séfer Torah de Grand-Père Pin’has avait été sauvé…

Hanna Weissberg – Toronto, Canada
traduite par Feiga Lubecki

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