Semaine 9

  • Ki Tissa
Editorial
Eloge de la petitesse

Le monde aime la grandeur. Celle-ci est évocatrice de puissance, de pérennité et de certitude. Elle renvoie aux images les plus valorisantes que l’on puisse avoir de soi et de sa propre histoire. Elle est le sommet des consciences et parfois leur tuteur. De ce fait, il n’est guère étonnant que les célébrations solennelles soient souvent qualifiées de “grands” ou que les déclarations définitives se voient affligées de la même expression superlative.
Pourtant, voici que, cette semaine, le judaïsme fête “Pourim Katan” ou “le petit Pourim”. C’est là, sans nul doute, une idée surprenante. Est-il donc bien pertinent de qualifier un jour remarquable de “petit” ? Certes, le Pourim de cette semaine n’est pas encore celui où on lira la Méguila et où on s’échangera des cadeaux. Du fit du calendrier de cette année, qui compte treize mois, ce jour n’interviendra que dans un mois. Cependant, le fait que, dès à présent, on parle d’une sorte de Pourim indique que, dès cette semaine, la puissance spirituelle du moment est présente. Dès lors pourquoi n’en faire qu’un “petit” événement au lieu d’en souligner la grandeur, comme en avant-première ?
C’est justement là que tient l’idée : la petitesse est choses précieuse. “Israël est jeune (ou petit) et Je l’aime” affirme D.ieu. C’est dire que cette notion va bien au-delà du premier abord qu’elle accompagne toute démarche spirituelle profonde. Il est vrai que notre temps est habitué aux revendications de noblesse plus ou moins légitimes. Mais le judaïsme sait voir, dans la petitesse, le bruit délicat de la sincérité, la musique légère de celui qui se soucie peu du vacarme ambiant et qui sait que, peu à peu, il atteindra le but qu’il s’est fixé. Savoir que l’on est jamais que “petit”, c’est ainsi donner sens à la seule grandeur qui vaille, celle du lien avec D.ieu. Bien plus qu’une modestie de convenance, c’est tout un art de vivre qui se révèle cette semaine.
Etincelles de Machiah
La nécessité de la Tsédaka

La Paracha de cette semaine, Ki Tissa, montre le décompte du peuple juif au moyen du don d’un demi-chékel pour chacun. A ce sujet, le Talmud (traité Baba Batra 10b) enseigne «Rabbi Abaou dit: “Moïse déclara devant D.ieu: ‘Par quoi s’élèvera Israël’?” Il lui répondit: ‘Par Ki Tissa’», c’est-à-dire, souligne Rachi dans son commentaire, par le don de Tsédaka, de charité.
Cette notion de charité est importante car elle est la marque que les Juifs sont considérés comme “les enfants de D.ieu” (traité Baba Batra 10b). Or, c’est là une condition nécessaire pour que leur retour à D.ieu soit accepté. Et celui-ci est le préalable à leur “élévation”, c’est-à-dire au rétablissement d’Israël dans sa plénitude et à la Délivrance finale par la venue de Machia’h.
(d’après Peta’h Enaïm sur Baba Batra 10b)
Vivre avec la Paracha
Et D ieu parla à Moché en disant:“ Faîtes-moi un bassin de cuivre, au socle de cuivre, pour les ablutions, et placez-le entre la tente d’Assignation et l’autel (...) Et Aaron et ses fils s’y laveront les mains et les pieds quand ils pénétreront dans la tente d’Assignation (...) ou quand ils s’approcheront de l’autel pour le service..” (Exode 30:17-20)

Chaque matin, tout individu doit laver son visage ,ses mains et ses pieds avant de prier (Michné Torah, Lois de la prière, 4:1)


Depuis la destruction du Temple de Yerouchalayim, il y a plus de 1900 ans, D.ieu n’a pas communiqué avec les hommes dans une “Tente d’Assignation”, pas plus que les Cohanim ne Lui ont offert de sacrifices sur un autel. Et pourtant, le Temple et le service qu’on y accomplissait restent jusqu’à aujourd’hui le véhicule de notre relation avec D.ieu. Tout simplement, aujourd’hui, ils existent dans une forme plus spirituelle. Dans les mots de nos Sages: “ les prières quotidiennes ont été instituées à la place des offrandes quotidiennes”(Talmud Bra’hot 26a et b). “La table d’un individu est comparable à l’autel” (’Haguiguah 27a); “depuis le jour où le Temple a été détruit, D.ieu ne dispose que des quatre coudées de la Hala’hah (c’est-à-dire les lieux où s’étudie la Torah dans Son monde)”(Bra’hot8a). Ainsi nous observons que nombre de lois qui gouvernent nos vies aujourd’hui dérivent des lois du Temple et de son service: les moments désignés pour la prière correspondent aux moments où l’on apportait les sacrifices quotidiens dans leTemple; à table, nous trempons le pain dans le sel parce que le sel faisait partie du contenu de chaque sacrifice offert sur l’autel etc...

Avant qu’un Cohen puisse accomplir son service dans le Temple ou entrer dans le Sanctuaire, il devait tout d’abord se purifier et se sanctifier en se lavant les mains et les pieds à une fontaine spécialement construite à cette intention. Car bien que la Torah nous instruise: “connais D.ieu dans toutes tes voies” et que “tous tes actes doivent être faits pour l’amour de D.ieu”, il nous faut tout de même faire la distinction entre le monde qui se trouve en dehors des murs du Temple et ce qui appartient exclusivement au domaine du Divin. Quand l’on pénètre le sanctuaire de D.ieu, on doit se débarrasser de la matérialité de la vie quotidienne, “ laver ses mains” de tout ce qui porte la teinte de l’intérêt personnel et de la matérialité.

C’est là le sens profond de la loi qui obligeait le Cohen à se laver les mains et les pieds avant de procéder au service de D.ieu. Dans sa représentation d’après le Temple, cette loi enseigne au Juif à “ se laver le visage, les mains et les pieds” avant la prière matinale pour se nettoyer et se purifier avant de procéder à la transition d’un être matériel dans un monde concret à une âme communiquant avec son Créateur.

Le travail manuel

“ Si tu manges le fruit du travail de tes mains”, proclame le Psalmiste, “tu es heureux et le bien te revient”. Les enseignements de la ‘Hassidout soulignent le sens profond de ce verset. Il s’agit, dans la poursuite de notre subsistance, de ne nous investir que dans les plus extérieures de nos facultés, laissant nos talents supérieurs libres de s’adonner exclusivement aux quêtes spirituelles.

Nos ancêtres ne vivaient que du labeur de leurs mains. Les Patriarches étaient bergers, et les Juifs qui s’installèrent en Terre Sainte étaient agriculteurs. Bon nombre des plus grands Sages du Talmud, dont les enseignements restent pour nous une source de vie et de sagesse , jusqu’à ce jour, étaient des travailleurs manuels: Rabbi Yo’hanan Hasandlar était un cordonnier, Rabbi Yehochoua, un forgeron, Shammaï, un maçon. Il y avait aussi des marchands, des vendeurs, tout cela parce que le commerce épargnait des pressions et des préoccupations qui le caractérisent aujourd’hui. Etudier et enseigner n’étaient pas des professions mais des vocations sacrées non souillées par des rémunérations matérielles. Gagner son pain quotidien était l’affaire des mains et des pieds et l’exercice mental le plus rudimentaire et non quelque chose dont dépendait l’ingénuité du cœur ou la dévotion de l’âme, réservées aux aspirations les plus élevées.
Ce monde n’existe plus. Aujourd’hui, non seulement nous investissons notre temps et notre énergie dans le but de subvenir à nos besoins matériels mais nous donnons à cette quête “nos capacités mentales les plus subtiles, nos passions les plus fortes, et notre plus puissante volonté”. Nos “ carrières” consument nos jours et nos nuits, nos esprits et nos cœurs, en fait notre identité tout entière.
Cela explique la différence entre les deux lois citées précédemment. La loi qui enjoint de se laver avant de prier dérive de la loi des Cohanim qui devaient se laver avant d’entrer dans le Sanctuaire ou d’accomplir un service dans le Temple. Mais alors que la Torah commande à Aharon et ses fils de laver leurs mains et leurs pieds, Maïmonide statue qu’avant les prières matinales, l’on doit se laver les mains, les pieds et le visage.

A l’époque du Temple, seuls “les mains et les pieds”, membres extérieurs de l’être humain étaient impliqués dans la quête matérielle; c’est pourquoi ils requerraient une purification et une sanctification avant d’être voués au service de D.ieu. Le “visage” de l’homme, son processus le plus élevé et son moi intérieur ne nécessitaient pas une telle purification car ils n’avaient pas été souillés.

Mais dans les générations ultérieures, la matérialité du monde commença à attaquer le soi intérieur. Aujourd’hui, l’effort pour communiquer avec D.ieu a aussi besoin de purifier nos visages des traces du matériel. Nos esprits et nos cœurs doivent être purgés des préjugés et des tentations qui les assaillent dans le cours de leur engagement dans les affaires du monde, de telle sorte que nous puissions communiquer avec l’essence et le but de la vie.
Le Coin de la Halacha
Quelles sont les qualités requises du « ‘Hazane », celui qui conduit la prière d’une communauté ?

Idéalement, un ‘Hazane devrait être quelqu’un qui n’a jamais fauté, qui possède une bonne réputation, qui soit humble, apprécié par les gens et qui ait une belle voix avec laquelle il puisse honorer D.ieu.
Il ne prolongera pas la prière juste pour faire admirer sa belle voix mais uniquement s’il est animé d’une gratitude sincère envers D.ieu et qu’il reste humble.
Il portera des vêtements convenables non seulement pour marquer la solennité de l’instant (s’il se rendait à un rendez-vous important, il ferait certainement attention à sa façon de s’habiller ; combien plus quand il se présente devant D.ieu pour exposer les besoins de ses corréligionnaires !) mais aussi parce que l’habillement influence l’état d’esprit qui sera plus sérieux.
A un adulte qui est populaire, possède une belle voix mais ne comprend pas les paroles, on préférera un jeune garçon à peine Bar Mitsva, qui comprend les mots même s’il ne chante pas aussi bien.
Par ailleurs, un ‘Hazane doit être apprécié par sa communauté, c’est-à-dire qu’il doit être heureux et enthousiaste ; souriant, il voit les bons côtés des gens, les encourage et les aide à actualiser leur potentiel. Il ressent compassion et amitié pour les fidèles.
Bien entendu, il prononce correctement les mots, ne prie ni trop vite ni trop lentement afin que les fidèles puissent répondre Amen. Le ‘Hazane prie pour que les fidèles deviennent plus érudits, soient en meilleure santé et réussissent dans tout ce qu’ils entreprennent. C’est la raison pour laquelle la plupart des prières sont rédigées au pluriel afin d’inclure les autres dans notre demande d’aide et de bénédiction.
Un ‘Hazane sera particulièrement attentif à ne pas prononcer des paroles interdites (flatterie, mensonge, médisance…) afin de ne pas diminuer la sainteté des paroles qui sortent de sa bouche et de ne pas abîmer la valeur de sa prière, pour lui et sa communauté.
On préférera un ‘Hazane qui se comporte conformément à la Torah et qui est engagé dans l’action communautaire.
Pour bien prier, il est nécessaire de se concentrer sur les mots, de se rendre compte que la prière crée un contact entre D.ieu et l’homme qui peut alors tout demander pour lui-même, pour sa communauté et pour le monde entier.

F. L. (d’après Rav Yaakov Klass)
De Recit de la Semaine
Les vertus de la Cacheroute

Quand Oren Sar, professeur à l’université de Beer Cheva, raconte son histoire, c’est avec une émotion à chaque fois renouvelée. En 1985, l’université m’a accordé une année sabbatique. J’en ai profité pour me rendre, avec ma femme et mes enfants, à Manchester pour une année d’études plus poussées. Nous avons été accueillis par un de mes collègues, le professeur Witenerbon. Un jour, je me suis mis à souffrir de violents maux de tête. Au début, je n’y prêtai pas trop attention mais le phénomène s’amplifia. Un soir, alors que mes amis de l’université avaient organisé une réception en mon honneur pour fêter l’aboutissement de mes recherches, les maux de tête revinrent avec tant d’intensité que j’eus l’impression de subir des coups de marteau. Autant l’avouer: cette soirée fut un vrai supplice. Je compris que le problème était sérieux. Le lendemain matin, je m’effondrai sans connaissance. On m’amena en urgence à l’hôpital où je subis des examens approfondis. Le diagnostic tomba: trop de globules blancs. Je fus obligé de rester hospitalisé, sans bouger et d’attendre au moins une stabilisation de mon état: nul ne pouvait même envisager une guérison. Les médecins émirent toutes sortes d’hypothèses: si je n’avais pas tant souffert, j’aurais éclaté de rire! En effet, ils évoquèrent la polio ou même un empoisonnement par des rongeurs...

La situation empirait. Ma famille s’inquiétait de plus en plus. Mon ami, le professeur, me rendait souvent visite, il se montra amical et plein de compassion, il apportait des cadeaux pour mes enfants... Ma femme s’entendit conseiller par les médecins qu’elle ferait mieux de retourner en Israël car moi, je n’y reviendrais sans doute que dans la soute d’un avion... Et le nombre de mes globules blancs continuait d’augmenter. Au moment de ‘Hanouccah, quelques garçons de la Yechiva Loubavitch de Manchester me rendirent visite pour me proposer d’allumer les bougies de la fête. Je leur expliquai que ceci était interdit par le règlement de l’hôpital. Mais ils obtinrent la permission – exceptionnelle – des infirmières. Leur détermination m’impressionna: ils déployaient tellement d’efforts que je ne pouvais pas refuser d’allumer les bougies qu’ils m’offrirent et préparèrent. J’ai donc récité les bénédictions, j’ai allumé et nous avons chanté quelques chants dont je me souvenais encore. Ils m’ont même offert un livre de prières, que je garde avec moi toujours et pour lequel je ressens un attachement particulier. Le lendemain, alors que je dînais, ils revinrent et demandèrent des nouvelles de ma santé. Quand ils ont vu que je mangeais de la viande, ils m’ont demandé – respectueusement – si c’était cachère. J’ai répondu que je prenais les repas que l’hôpital me fournissait. Atterrés, ils proposèrent de m’apporter des repas cachères. Effectivement, ils m’apportèrent un repas chaud, strictement cachère, servi dans des barquettes aluminium fermées hermétiquement. Je n’avais pas très confiance dans la qualité de ce repas, mais je décidai, par respect envers mes nouveaux amis, de ne pas consommer la viande de l’hôpital, pour leur faire plaisir... Lors des examens habituels, le lendemain matin, les médecins remarquèrent une légère amélioration de mon état: peut-être s’agissait-il d’une erreur? On verrait bien par la suite.

Le même scénario se répéta le soir: les jeunes gens m’apportèrent un repas chaud mais une fois de plus, je décidai de ne pas y toucher. Par respect pour les garçons de la Yechiva, je ne mangeais pas, une fois encore, la viande de l’hôpital. Le lendemain, les analyses confirmèrent que le nombre de globules blancs baissait, de façon étonnante. Les médecins ne cachèrent pas leur stupéfaction: je pourrais sans doute rentrer bientôt chez moi! On décida d’envoyer un échantillon de mon sang dans un laboratoire spécialisé de Londres – pour trouver peut-être la cause de mes souffrances. Les résultats arriveraient dans dix jours. Entre temps, je rentrai à la maison: les douleurs reprirent de plus belle! Finalement, au bout de dix jours, les médecins me convoquèrent. "Voilà! Apparemment vous souffrez d’une affection rare: une allergie aux bactéries qui sévissent en général dans les aliments provenant d’animaux". Il fallait donc que je respecte un strict régime végétarien. C’est alors que les pièces du puzzle s’assemblèrent dans mon esprit. Les deux jours où j’avais commencé à me sentir mieux, c’était quand je m’étais abstenu de manger de la viande, grâce à l’obstination des jeunes garçons Loubavitch: grâce à cette amélioration de mon état, les médecins avaient enfin trouvé la cause de ma maladie! Dès que je me sentis mieux, j’écrivis au Rabbi pour le remercier d'avoir "formé" des jeunes gens aussi dévoués. Depuis, je continue d’entretenir pour le Rabbi une affection particulière. Je me sens maintenant beaucoup plus proche de la tradition, du judaïsme, de la prière. Ma croyance et ma confiance en D.ieu ne font qu’augmenter chaque jour!

Propos recueillis par Rav Moshe Ariel HaCohen Roth
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