Quand les livres sont les héros
Le peuple juif est souvent dénommé “peuple du Livre”. C’est là un noble titre qu’il a certes mérité. N’est-il pas resté attaché aux textes porteurs de sa sagesse tout au long de son histoire bien tumultueuse ? Il est vrai que, sans les livres qui ont modelé sa conscience et son rapport au monde, il perdrait une partie de son âme. Ses ennemis ne s’y sont d’ailleurs jamais trompés qui, lorsqu’ils ont voulu l’atteindre ou mettre sa survie en péril, ont commencé par s’en prendre justement à ses livres, les détruisant, les confisquant ou interdisant leur étude.
Chacun pensait que des actes de ce type appartenaient à un temps révolu. Chacun voulait croire qu’en nos siècles, plus personne n’oserait porter la main sur cette richesse commune et inestimable. Pourtant, il y a trente ans, l’impensable se produisit. Certains s’autorisèrent à détourner des éléments de ce trésor, prélevant dans la bibliothèque du Rabbi des ouvrages sans prix afin de les vendre et d’en tirer un bénéfice personnel. Le fait qu’ainsi ils privaient la communauté d’une immense lumière ne les préoccupait guère.
L’enjeu était grave et, dès que le larcin fut découvert, tout fut entrepris pour que les livres retournent à leur lieu naturel, la bibliothèque, et qu’ils puissent ainsi servir à tous. Après des semaines, des mois d’effort, le 5 Tévèt fut le jour de la victoire. Ce jour-là, chacun sut que le danger était écarté, que la sagesse ne serait jamais confisquée au bénéfice d’un individu, qu’elle resterait l’apanage de tous.
Il n’est guère étonnant que la joie qui éclata alors fut sans limites, qu’elle établit une véritable fête, profonde et sincère. L’allégresse déborda d’autant plus que l’étude connut ainsi une vigueur renouvelée accompagnée par la diffusion de textes nouveaux. Depuis lors, le 5 Tévèt est célébré d’année en année et la joie y est toujours au rendez-vous. Jour où les livres sont les héros, il jour est porteur de toute la puissance de notre temps qui sait affronter l’obscurité spirituelle, et ses effets matériels, en lui donnant la seule réponse qui vaille : la lumière.
Une contradiction absolue !
Quand un Juif se trouve en exil, même quand il accomplit le service de D.ieu qui lui incombe de « faire pour D.ieu une demeure ici-bas », il ne peut pas être satisfait car il est en exil !
«Juif» et «exil» sont deux notions radicalement contradictoires ! Il s’ensuit que, quand un Juif est en exil, il est dans un état où «il languit après la maison de son père».
(D’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch –
Chabbat Parchat Vayétsé 5746)
Vayigach
Yehouda s’approche de Yossef pour le supplier de libérer Binyamin, offrant sa propre personne comme esclave à la place de son jeune frère. Devant la loyauté qui anime ses frères les uns à l’égard des autres, Yossef leur révèle son identité. « Je suis Yossef », déclare-t-il, « mon père est-il toujours vivant ? »
Les frères sont envahis de honte et de remords mais Yossef les console. « Ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici », leur dit-il, « mais D.ieu. Tout a été ordonné d’En-Haut pour nous sauver de la famine ainsi que toute la région. »
Les frères se précipitent à Canaan avec les nouvelles. Yaakov vient en Egypte avec ses fils et leurs familles, soixante-dix âmes en tout, et retrouve son fils bien-aimé après vingt-deux ans de séparation. En chemin, il reçoit la promesse divine : « Ne crains pas de descendre en Egypte car Je ferai de toi une grande nation. Je descendrai avec toi en Egypte et il est sûr que Je vous ferai remonter ».
Yossef amasse de la richesse pour l’Egypte en vendant de la nourriture et des grains durant la famine. Le Pharaon donne à la famille de Yaakov la fertile région de Gochen pour qu’elle s’y installe et les Enfants d’Israël prospèrent dans leur exil égyptien.
La lecture de la Torah de cette semaine relate qu’après que Yossef eut révélé son identité à ses frères, « il tomba sur le cou de son frère Binyamin et pleura et Binyamin tomba sur son cou ». Pourquoi les deux frères pleuraient-ils ? Rachi, dans son commentaire qui s’appuie, d’une manière générale, sur le sens littéral du texte, indique que dans cet exemple, leurs larmes doivent être comprises comme une prémonition. Le terme « cou » est une allégorie qui se réfère au Sanctuaire de D.ieu ou au Temple. Yossef pleurait sur la destruction du Temple qui serait construit sur le territoire reçu par la tribu de Binyamin et Binyamin pleurait pour la destruction du Sanctuaire de Shilo qui serait érigé sur l’héritage de la tribu de Yossef.
Pourquoi le Sanctuaire et le Temple sont-ils désignés par le terme « cou » ? Parce que de la même façon que le cou relie les potentiels supérieurs et les plus raffinés, logés dans notre esprit, avec les fonctions élémentaires accomplies dans les autres parties de notre corps, ainsi en va-t-il du Temple et du Sanctuaire, liant la spiritualité et la Divinité, qui transcendent notre monde matériel, avec les réalités quotidiennes de notre existence. La destruction du Temple, source de ce lien, est très certainement une bonne raison de pleurer.
Mais pourquoi Yossef et Binyamin pleuraient-ils sur une destruction qui aurait lieu dans le territoire de l’autre ? Et qu’en était-il de la destruction devant se produire sur leur propre territoire ? Pourquoi ne pleuraient-ils pas pour cela ?
En fait, pleurer ne change rien. Cela apporte une sorte d’apaisement aux sentiments d’une personne et permet à la tension de se relâcher quelque peu. Mais rien de plus. Cela ne change en rien la situation. C’est la raison pour laquelle, quand il s’agit de ses propres problèmes, pleurer n’est pas la solution. Il faut faire quelque chose, il faut agir.
Mais quand il s’agit d’une autre personne, l’on peut souligner la nécessité d’un changement ou l’on peut offrir conseils et aide. Mais puisqu’en dernier ressort, tout est entre les mains de l’autre personne, bien souvent il n’y a rien d’autre à faire que de pleurer.
Quand, par contre, notre propre avenir est en jeu, pleurer peut tout aussi bien être une forme de fuite, une manière d’éluder le problème. Ce qui est alors nécessaire est l’action et pas simplement l’expression des sentiments. Il nous faut construire à nouveau, aller puiser les potentiels essentiels que chacun de nous possède et les faire jaillir.
Perspectives
Les larmes de Yossef, au moment où il fut réuni à ses frères, sont les signes avant-coureurs des larmes que le Peuple juif tout entier versera lorsqu’il rétablira son lien avec D.ieu, lors de la Rédemption ultime. Comme le déclare le prophète : « Je les conduirai depuis la terre du Nord et les rassemblerai depuis les coins de la terre… Avec des sanglots, ils viendront ».
Pourquoi pleureront-ils ? Parce que les révélations de la Divinité surpasseront ce qu’ils sont capables de percevoir. Nos Sages relatent que, lorsque Rabbi Akiva voulut étudier les secrets mystiques de la Torah, les larmes coulèrent de ses yeux. L’appréciation de la Divinité dont il prendrait alors conscience, réalisait-il, dépassait de loin, même sa compréhension et ne pouvait s’exprimer qu’à travers ses larmes. Par le même biais, dans le monde futur, « Ton Maître ne Se cachera plus et tes yeux verront ton Maître ». Chaque membre de notre peuple connaîtra une expérience personnelle avec la Divinité qui surpassera tout ce qu’il aura connu.
Aujourd’hui, nous regardons le monde à travers un regard « profane ». Nous acceptons l’ordre naturel et les événements du monde comme les facteurs déterminants de notre vie. Il se peut, c’est vrai, que nous affirmions également que D.ieu existe mais notre conscience de Son existence vient comme quelque chose que nous avons appris, comme quelque chose de nouveau, mais pas comme quelque chose d’évident et d’irréfutable.
A l’époque de Machia’h, tout cela changera. La Divinité sera claire : nous la verrons. Nous comprendrons qu’Il est la réalité et que toute existence n’est rien de plus qu’un habit extérieur par lequel Il manifeste Ses différents potentiels.
Il ne s’agit pas d’un simple rêve du futur. Les enseignements de la ‘Hassidout nous permettent d‘apprécier un avant-goût de cette prise de conscience, dès à présent. Bien que nous ne puissions pas voir la Divinité de nos propres yeux, nous pouvons développer un savoir qui inspire l’amour et la crainte de D.ieu.
Qu’est-ce qu’une « maison pleine de livres » ?
Afin de se souvenir constamment de l’importance des Mitsvot (commandements), il convient non seulement d’étudier mais de posséder des livres les évoquant. Ainsi, le Juif se souvient des Mitsvot et D.ieu Lui-même Se souvient non seulement du mérite des pères mais bien de celui du Juif qui a étudié dans ces livres : ceci « crée une révolution dans tous les mondes » selon les paroles du Rabbi.
Ainsi, chacun devra posséder au moins un ‘Houmach (les Cinq Livres de Moïse), un livre de Tehilim (Psaumes), un Sidour (livre de prières) et un Tanya (de Rabbi Chnéour Zalman de Liady). Par ailleurs, on acquerra des livres concernant la Hala’ha (loi juive) afin de pouvoir se renseigner régulièrement pour savoir comment agir dans la vie de tous les jours.
De même, les maisons communautaires seront munies de nombreux livres, au service de tous ceux qui les fréquentent : le fait de disposer de livres encourage chacun à les étudier.
De même qu’à l’époque de la destruction du Temple, Rabbi Yo’hanane ben Zakaï demanda aux autorités romaines la permission de préserver la ville de Yavné avec ses Sages, de même il convient aujourd’hui de construire un nombre important de Yechivot et écoles juives où ces livres seront étudiés.
On respecte énormément les livres de Torah. On ne les pose pas dans un endroit où ils pourraient tomber ou être dégradés et abîmés. On veille à ce qu’aucune miette ou goutte de liquide ne tombe entre les pages. On les recouvre pour les protéger ; on les pose dans une belle bibliothèque et on les protège de la poussière. On évite de poser un livre sur une chaise ou un lit ; sinon, on évite de s’asseoir à côté. On n’utilise pas un livre pour se protéger de la lumière, du soleil ou de la fumée. On ne s’en sert pas pour garder un papier important ou de l’argent.
Chaque enfant juif devra posséder – si possible dès la naissance – les principaux livres : ‘Houmach, Tehilim, Tanya, Sidour, Haguada, Ma’hzor.
(d’après Hamitsvaïm Kehil’hatam - Rav Shmuel Bistritzky)
Réaction en chaîne
Dès notre arrivée à Charlotte (en Caroline du nord aux États-Unis), mon épouse Mariacha et moi-même avons fondé une école maternelle. En cinq ans, celle-ci avait acquis une solide réputation et le nombre d’enfants inscrits excédait nos capacités.
La communauté juive locale construisait à cette époque (on était en 1985) un immense Centre Communautaire appelé Shalom Park. Sur ce site, se dressait un vieux bâtiment qui nous semblait convenir parfaitement pour nos activités mais on nous informa qu’il n’était pas disponible. Nous avons insisté mais la réponse ne variait pas d’un iota : « Impossible ! ».
On était à deux semaines de la rentrée et nous n’avions pas de solution…
En désespoir de cause, mon épouse qui était alors la directrice de cette école, décida d’écrire au Rabbi. C’était l’époque où les mails et fax étaient inconnus… Bref, elle expliqua qu’elle gérait un groupe d’élèves mais ne savait pas où leur enseigner : qu’allait-elle dire aux parents, qu’adviendrait-il de l’éducation juive de ces tout-petits… ?
Elle expédia cette lettre un jeudi. Le lundi suivant, nous avons reçu un appel de mon père, Rav Leibel Groner qui était un des secrétaires du Rabbi. Quand ma femme décrocha le combiné, il lui demanda de prendre un stylo pour noter exactement la réponse du Rabbi : « D.ieu procurera tout ce qui est nécessaire. Puissiez-vous toujours rapporter de bonnes nouvelles ! ».
Tous deux, nous étions submergés de joie puisque nous avions une confiance absolue dans ces paroles. Nous avons immédiatement téléphoné aux parents pour leur annoncer la bonne nouvelle : « Mazal Tov ! Nous avons un endroit pour notre école ! ». Bien entendu, ils demandèrent avec curiosité : « Ah bon ? Et où ? ». Et nous répondions avec une belle assurance : « Nous ne le savons pas encore mais nous sommes certains que nous l’aurons ! Puisque le Rabbi a affirmé que D.ieu procurera tout ce qui est nécessaire, c’est qu’il y aura un endroit ! ».
Je téléphonai aussi à l’un de mes plus grands supporters – le sénateur Marshall Rauch – qui me recommanda de contacter à nouveau la Communauté juive locale à propos de ce vieux bâtiment sur Shalom Park. Il me conseilla de leur annoncer que j’envisageai d’acquérir un autre endroit mais que je leur donnai une dernière possibilité. C’est ce que je fis : je téléphonai à l’avocat chargé de gérer les affaires de la Communauté et il déclara : « Rav Groner, j’ai beaucoup réfléchi et je pense que nous pouvons vous céder ce bâtiment pour l’école maternelle. Nous devons encore en parler à cinq organismes pour obtenir leur accord mais c’est faisable ! »
En cinq jours, les cinq organismes en question avaient donné leur accord ! Nous avons engagé une équipe pour préparer le bâtiment et, le jour de la rentrée, l’école fut prête – exactement comme le Rabbi l’avait promis !
Mais l’histoire ne s’arrêta pas là.
Un de nos professeurs, une Israélienne qui enseignait l’hébreu aux enfants, nous téléphona avant la rentrée :
- Je suis heureuse de savoir que vous avez obtenu le bâtiment mais il me reste une question : d’où avez-vous eu le toupet d’annoncer que vous aviez une école en vous basant uniquement sur les paroles du Rabbi ?
- Vous savez, répondis-je, nous avons eu une confiance absolue dans les paroles du Rabbi. Il nous avait promis que D.ieu nous procurerait tout ce dont nous avons besoin. Nous ignorions comment cela se passerait mais nous étions sûrs que le résultat dépasserait nos espérances !
- Incroyable ! murmura-t-elle en étouffant des sanglots. Cela fait des années que nous sommes mariés mais n’avons pas encore d’enfants ! Nous hésitons à demander une bénédiction au Rabbi parce que nous ne sommes pas des ‘Hassidim. Ce qui vous est arrivé nous encourage à le faire !
Effectivement, durant la semaine de Pessa’h, son mari se rendit à New York. Il assista à la prière du matin avec le Rabbi puis s’approcha de lui pour demander une bénédiction pour lui et son épouse. Le Rabbi affirma que ; s’ils s’engageaient à respecter les lois de la pureté familiale, ils seraient bénis par la naissance d’un enfant. Ils apprirent les lois, les respectèrent scrupuleusement et, un an plus tard, accueillirent avec joie leur premier garçon.
Ainsi un heureux événement en avait entraîné un autre. C’est une réaction en chaîne que j’ai eu l’occasion d’observer encore et encore, suite à l’action ou aux paroles du Rabbi.
Mon épouse et moi-même ressentons avec joie le privilège que le Rabbi est avec nous à toutes les étapes de notre action à Charlotte et nous pouvons nous appuyer sur lui en toute confiance.
Rav Yossi Groner - JEM
Traduit par Feiga Lubecki