Semaine 53

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Editorial
Le combat de la lumière

“Hanouccah est arrivé” chantent cette semaine les enfants dans toutes les écoles juives. Avec la joie pure qui caractérise leur âge, ils affirment ainsi la victoire de la lumière sur les forces de l’obscurité. Ils disent aussi que celles-ci étaient nombreuses et puissantes mais que D.ieu avait décidé de leur défaite, les remettant “entre les mains des faibles”.
Les Sages n’ont pas manqué de relever que la victoire célébrée pendant Hanouccah est celle de la lumière qui, pourtant, semble presque anecdotique si on la compare à celle, militaire, remportée contre l’envahisseur grec, l’occupant de la terre d’Israël, l’oppresseur dont l’armée était une des toutes premières du monde de l’époque. Dans ce choix, au-delà de ses nombreuses et importantes implications spirituelles, un enseignement pour notre temps se cache: l’esprit l’emporte toujours sur la force brutale, le livre sur l’épée avec la même assurance que la lumière sur l’obscurité. Car les ennemis du peuple juif, ceux qui veulent la disparition de tout ce qu’il représente, ceux qui veulent faire taire sa voix dérangeante, éteindre l’éclat de sa conscience, tous ceux-là n’ont pas désarmé. Alors que de nouveau se font entendre les bruits hideux de l’antisémitisme, en Israël comme en diaspora, la lumière de Hanouccah monte, fidèle et indomptable. Certes, aux défis de la violence, la force armée est souvent contrainte de répondre. Mais il nous faut savoir aussi que nous détenons le moyen d’une autre victoire, du type de celle que nous célébrons en ce moment et d’année en année.
Cette victoire-là est inestimable car elle ne fait pas que repousser un ennemi. C’est l’obscurité des esprits, des cœurs et des âmes qu’elle efface pour y faire apparaître le meilleur de l’homme. Cette victoire a un chemin: celui de la fidélité à soi-même, à ce que l’on est vraiment, à la tradition juive. Elle a aussi un nom: elle se dénomme espoir et sérénité, confiance en tout ce que nos ancêtres nous ont transmis, en D.ieu Qui nous accompagne au travers des vicissitudes de l’histoire. Alors que, jour après jour, la lumière s’élève, sachons qu’elle ne s’arrêtera pas à la fin de la fête. Eternelle, elle continuera son voyage car nous en sommes les porteurs.
Etincelles de Machiah
D.ieu sera Un

Le prophète Zacharie (14 :9) annonce pour les temps messianiques : “En ce jour, Dieu sera Un et Son Nom sera Un”. Cette phrase demande explication: l’unité de D.ieu n’est-elle pas une réalité constante, aussi assurée aujourd’hui qu’elle le sera plus tard ?
En fait, en notre temps, cette unité n’est pas manifeste, à telle enseigne que l’univers créé paraît être une entité indépendante dotée d’une existence autonome. Au contraire, dans l’avenir, l’unité du Créateur sera visible à tous. Chacun verra clairement comment l’univers est fondamentalement inexistant devant la Lumière Divine qui se déverse en lui et l’anime.
(d’après Torah Or, Vaéra, p.55c)
Vivre avec la Paracha
Mikets
La prosternation des bergers

Et Yossef était le dirigeant du pays ; il était celui qui ravitaillait tout le peuple en nourriture.
Les frères de Yossef vinrent [en Egypte] et se prosternèrent devant lui… et Yossef se souvint des rêves qu’il avait faits à leur propos…(Béréchit 42 : 6-9)

Vingt ans plus tôt, Yossef avait fait deux rêves qui lui avaient prédit les événements de ce jour. Dans le premier rêve, «nous attachions des gerbes de blé dans le champ quand soudain ma gerbe se souleva et se tint toute droite; et voici que vos gerbes l’entouraient et s’inclinaient devant ma motte». Le second rêve fut décrit ainsi par Yossef : «le soleil, la lune et onze étoiles se prosternaient devant moi».
Les frères de Yossef, déjà jaloux de l’affection particulière que lui témoignait leur père, «le haïrent encore plus pour ses rêves et ses paroles». Néanmoins, Yaakov «garda la chose en tête» et «attendit et patienta jusqu’à sa réalisation».
A cause de cela, Yaakov dut pleurer la perte de son fils bien-aimé pendant vingt ans. Yossef dut vivre l’esclavage et l’incarcération et le remords angoissé de ses frères pendant le même temps. Vingt années douloureuses pour que les fils de Yaakov puissent se prosterner devant le vice-roi d’Egypte qui, ce qu’ils ignoraient, était ce même rêveur qu’ils avaient vendu comme esclave. Pourquoi était-il si important que cet acte de soumission ait lieu ? Pourquoi Yaakov attendit-il et patienta-t-il jusqu’à la réalisation des rêves de Yossef alors qu’il savait bien la terrible animosité qu’ils avaient suscitée entre ses enfants ?

Le nouveau Juif
Avraham, Yits’hak et Yaakov étaient des bergers, tout comme les fils de Yaakov. Ils avaient répondu à cette vocation parce qu’ils trouvaient dans la vie de berger une vie de réclusion, de communion avec la nature et une mise à distance des tumultes et des vanités de la société des plus efficaces pour répondre à leurs poursuites spirituelles. Gardant leurs troupeaux dans les vallées et les collines de Canaan, ils pouvaient tourner le dos aux affaires profanes, contempler la majesté du Créateur et Le servir d’un esprit clair et d’un cœur tranquille.
Yossef était différent. Il était un homme du monde, «celui qui avait réussi fortuitement» dans le commerce et la politique. Vendu comme esclave, il était bientôt devenu le régisseur en chef des affaires de son maître. Jeté en prison, il avait très vite occupé la place de membre de haut rang de l’administration pénitentiaire. Il avait fini par devenir vice-roi d’Egypte, la deuxième personnalité après le Pharaon dans la nation la plus puissante de la terre et le seul pourvoyeur de nourriture pour la région toute entière.
Et pourtant, rien de tout cela ne l’avait touché. Il était resté le juste Yossef qui avait étudié la Torah aux pieds de son père. Esclave, prisonnier, dirigeant de millions d’hommes, contrôleur de la richesse d’un empire, cela ne faisait pas de différence : le même Yossef, qui avait médité dans les collines et les vallées de Canaan, marchait dans les rues d’une Egypte dépravée. Sa personnalité spirituelle et morale n’émanait que de son intériorité et n’était nullement affectée par sa société, son environnement ou l’occupation qui demandait son implication vingt-quatre heures par jour.
Dans le conflit entre Yossef et ses frères, il s’agissait de quelque chose de bien plus profond que d’une veste multicolore ou d’une place de choix dans l’affection de leur père. C’était un conflit entre une tradition spirituelle et une nouvelle mondanité ; entre une communauté de bergers et un politicien. Les frères ne pouvaient accepter qu’un homme puisse mener une existence profane sans en être profané, qu’il puisse rester uni à D.ieu tout en habitant les palais et les salles gouvernementales d’une Egypte païenne.
Pendant deux cents ans, le credo des bergers régna. Mais Yaakov savait que si ses descendants devaient survivre à l’exil égyptien et aux exils millénaires babylonien, grec, romain, oriental, occidental, économique, religieux et culturel que l’histoire leur réservait, il fallait qu’ils se soumettent au credo de Yossef. Si les enfants d’Israël devaient traverser toutes les convulsions sociales des quatre mille années à venir et persévérer comme peuple de D.ieu, ils devaient se soumettre à Yossef.

Le défi et l’occasion
Menaché et Ephraïm furent les deux seuls petits-fils de Yaakov nés en Egypte, une terre dépravée et étrangère. Et pourtant, il se sentait particulièrement uni avec eux. Comme Yaakov le dit à Yossef : « et maintenant tes deux fils qui te furent nés en terre d’Egypte avant que je ne vienne à toi en Egypte, sont les miens : Menaché et Ephraïm comme Reouven et Shimon, ils seront pour moi ». Parce qu’ils sont nés en Egypte, ils sont les miens davantage que les autres.
Yaakov en Terre sainte est un fleuve s’écoulant calmement, sa puissance est latente, son potentiel n’est pas mis à l’épreuve. Yossef est Yaakov en Egypte, un Yaakov défié, son intégrité mise à l’épreuve, ses énergies bravées. Dans l’exil d’Egypte, Yossef donne naissance à Menaché et Ephraïm.
Menaché et Ephraïm représentent les deux dividendes de l’exil : le défi et l’occasion. En nommant son premier fils Menaché (oubli), Yossef se réfère à ses combats contre un environnement étranger, dans une Egypte qui vise à faire oublier toute mémoire du foyer et des racines. Dans sa lutte contre l’oubli et le déracinement, le Juif en exil découvre ses potentiels les plus profonds et les plus puissants. Il amène à la surface des réserves d’engagement et de détermination qui ne s’étaient jamais révélées dans ses jours de fleuve tranquille s’écoulant dans un lit plat.
Mais l’exil est plus que le stimulant d’un potentiel irréalisé. C’est aussi une ressource. C’est un barrage à surmonter et une obstruction dont la masse même permet à l’âme de réaliser bien plus que le maximum de ses talents les plus raffinés. Ainsi, une fois que le défi de Menaché est surmonté, naît Ephraïm, ainsi nommé parce que «D.ieu m’a fait fructifié (Ifrani) dans la terre de mon affliction». La terre d’affliction elle-même est rendue florissante et productive.

Le plus jeune frère
Menaché est le premier né. Tout d’abord, l’âme doit entasser ses propres ressources pour confronter le déracinement et l’oubli de l’exil. Quand vient la tâche initiale de démolir le barrage, la rivière peut difficilement amasser le poids de ses pierres ; elle ne peut qu’utiliser le défi qu’elles présentent pour agiter et rassembler leurs énergies dormantes.
Mais son jeune frère est encore plus fort que lui. Car le but des épreuves et des obstructions dans la vie est plus que l’optimisation de son propre capital spirituel. Ephraïm représente la réalisation de notre investissement dans la matérialité de l’Egypte : le profit tiré d’un ennemi devenu allié, d’un environnement profane transformé en force divine.
Le Coin de la Halacha
Quels sont les usages de ‘Hanouccah, à part l’obligation d'allumer chaque jour une lumière supplémentaire ?

Il faut raconter à ses proches les miracles que D.ieu fit à nos ancêtres.
On mange des plats à base de lait ou de fromage (comme les «Blintzess», crêpes fourrées au fromage) en souvenir du plat de fromage cuit par Yehoudit pour le général syrien. On prépare également des plats frits à l’huile, comme les «Latkess», beignets de pommes de terre.
Les femmes ont l’habitude de ne pas effectuer de travail tant que brûlent les lumières de ‘Hanouccah.
Les parents et grands-parents, et en général les adultes, distribuent aux enfants de l’argent («‘Hanouccah-gelt»), même à ceux qui sont déjà mariés. On apprend aux enfants à donner le «Maasser», au moins le dixième de leurs gains, à la Tsédaka (charité) et à utiliser leur argent pour de bonnes causes.
Les enfants ont l'habitude de jouer à la toupie.
On s’efforcera d’assister aux allumages publics dans les rues afin d’augmenter la joie de tous les participants.

F. L.
De Recit de la Semaine
La flamme qui rallume

C’était le dernier Chabbat de l’année juive ; un groupe d’étudiants de Yechiva était venu de New York pour aider Rav Moshe Brisky et son épouse à organiser le programme pour les jeunes, dans leur communauté d’Agoura Hill en Californie.
A leur retour de la prière du matin, ils aperçurent un camion de déménagement en face d’une maison du quartier. Celui-ci était guidé dans l’allée par un homme et une petite fille. Spontanément, les deux jeunes gens s’approchèrent :
«Bonjour ! Bienvenue dans le quartier ! Nous sommes de New York, invités par le rabbin local. Etes-vous Juifs ?»
«Ben… oui», répondit l’homme. «Je m’appelle Jeff et voici ma fille, Rébecca».
«Venez manger avec nous ce Chabbat, suggérèrent les deux garçons. Nous sommes justement en route pour chercher un autre invité : nos hôtes adorent avoir du monde à table !»
L’homme était visiblement surpris par ce geste. Il regarda à droite et à gauche, vers les déménageurs puis vers sa fille, vers sa nouvelle maison puis vers ces jeunes gens si sympathiques.
Tandis qu’il hésitait, un des jeunes gens salua les déménageurs et leur parla de la même façon.
Quelques moments plus tard, l’homme, sa fille et les deux déménageurs – qui étaient des Israéliens – se trouvèrent assis autour de la table du Chabbat, goûtant le «Cholent» (ragoût traditionnel), trinquant «Le’haïm» (à la vie) et chantant joyeusement.
A la fin du Chabbat, Rav Brisky réalisa que, de fait, il avait un Minyane (dix hommes) à la maison et, après la prière de Maariv et la Havdala, tous se mirent spontanément à danser ensemble.
Quelques jours plus tard, Rav Brisky recevait une lettre de remerciement de Jeff : «Je veux que vous sachiez qu’avant de déménager, j’avais prié pour être guidé près d’une communauté juive. Je n’aurais jamais imaginé que D.ieu répondrait si vite à mes prières – et si bien !»
Jeff se mit à fréquenter de temps en temps le Beth Habad. Un soir, il assista à une conférence de Rav Brisky sur le thème «Foi et Souffrance». Il écoutait attentivement tout en essuyant les larmes qui coulaient de ses yeux. Après le cours, il serra la main du jeune rabbin et l’embrassa : il ne parvenait plus à s’empêcher de pleurer. Avec tact et douceur, Rav Brisky l’invita à prendre place dans son bureau et Jeff raconta son histoire : «Un an avant que je ne m’installe à Agoura, ma femme me quitta à cause de circonstances extérieures. Je ne pouvais supporter la souffrance de ce divorce et ne parvenais pas à surmonter ma dépression. J’étais furieux contre D.ieu et haïssais ma propre vie. Je décidais de me suicider.
«Cependant, je désirais que ma fille unique garde un souvenir positif de moi : j’avais donc prévu de l’emmener au cinéma ; après quoi, j’étais bien résolu à tirer ma révérence à ce monde, dans la nuit, après que Rébecca se soit endormie.
«Nous nous sommes dirigés vers le Mountain Gate Plaza Cinema dans le Centre Commercial de Simi Valley. Nous avons alors entendu de la musique juive et avons été surpris de découvrir un groupe de Juifs en train de chanter et de danser juste en face du théâtre. De fait, ils dansaient autour d’une immense Menorah et je me souvins tout à coup que c’était ‘Hanouccah. Avant que j’ai pu me ressaisir, quelqu’un m’attrapa par le bras et je me suis retrouvé moi aussi en train de danser : le soir où j’avais prévu de mettre fin à mes jours, je célébrais la fête, chantais et dansais !
«Je compris alors que je ne pouvais pas mettre mon plan à exécution et je décidai d’offrir à la vie une seconde opportunité : j’allais déménager, trouver une nouvelle communauté, commencer une nouvelle vie. Je trouvai une maison à Agoura Hill et priai pour que tout se passe bien. Et je vous ai rencontré, le jour-même où j’emménageais !»
Rav Brisky avait écouté attentivement : lui-même avait du mal à dominer son émotion. Il saisit la main de Jeff et la serra très fort durant un long moment. Puis il lui dit : «Attendez-moi un instant, j’arrive !»
«Je courus dans ma chambre, raconte Rav Brisky, et cherchai dans mes albums à photos, cherchant celui contenant les photos de ‘Hanouccah. Frénétiquement, je tournai les pages et finis par trouver celle que je recherchais. Elle était là : ‘Hanouccah au Centre Commercial de Simi Valley. C’est nous qui l’avions organisé cette nuit-là. Cette année-là, nous avions décidé d’ajouter encore une ville à notre liste d’allumages publics.
«Pourquoi Simi Valley ? Pourquoi Mountain Gate ? Je l’ignore ! Pourquoi avons-nous attrapé le bras d’un étranger pour l’entraîner dans notre danse ? Et pourquoi pas ? Après tout, c’était ‘Hanouccah et nous ne devions pas être seuls à célébrer cette fête.
«Eh… oui ! J’ai retrouvé la photo : celle où on aperçoit distinctement Jeff dansant joyeusement avec nous pour ‘Hanouccah !»

Malka Touger
traduite par Feiga Lubecki