Samedi, 22 juillet 2017

  • Mattot - Massé
Editorial

 De plain-pied dans l’espoir

« Entre les limites » : c’est le nom que nos Sages ont donné à ces trois semaines qui s’étendent entre le 17 Tamouz et le 9 Av. Nous sommes donc entrés dans cette période et elle marque les épisodes les plus dramatiques de l’histoire juive. Ne s’agit-il pas ici de dates, soulignée chacune par un jeûne, qui décrivent la destruction du Temple de Jérusalem et le début de notre exil ? De fait, le judaïsme qui sait l’importance de la ritualisation, a donné à ce temps de l’année une connotation de retenue, de tristesse qui en fait, sans doute, un moment moins aisé à vivre. Pourtant, il existe deux façons de considérer de tels événements. On peut n’en retenir que la tristesse décrite mais on peut y lire aussi les ferments de l’espoir. On peut y voir uniquement la fin d’un monde mais on peut aussi y préparer l’émergence d’un nouveau temps. Au-delà du jeûne et des prescriptions incontournables de la loi juive, c’est là que se trouve l’enjeu. Le temps que nous commémorons est celui de la destruction, ne nous appartient-il pas d’en faire celui de la reconstruction ?

Certes, le défi semble immense. Comment pourrions-nous avec nos faibles moyens, inverser un processus historique dont les Sages n’ont pas manqué de relever les raisons spirituelles ? Il existe, pour cela, une arme particulière. Elle est, à la fois, ancienne et nouvelle et porte le beau nom d’étude. Ainsi D.ieu annonce-t-il dans le Talmud qu’il considérera celui qui étudie les lois relatives au Temple de Jérusalem comme s’il l’avait construit. Comment mieux dire que cette édification a un sens et une portée d’abord spirituels ? Comment mieux dire que, dans ce cadre, elle peut être entreprise dès aujourd’hui ?

Alors redisons-le : les textes existent, y compris traduits en français. Ils s’appellent : « Lois de la Maison d’Election » dans le Michné Torah de Maïmonide, Michna « Midot », prophétie d’Ezéchiel qui décrit le Temple de Jérusalem que le Messie construira… Ils sont tous à notre portée. Peut-être finalement est-ce là une des manières de voir le monde : ne pas le limiter à la tristesse et au regret du passé mais voir l’avenir qui se lève, celui de la liberté et de la paix retrouvées, celui, enfin, des temps messianiques. Et si tout cela commençait, justement, par l’étude ?

Etincelles de Machiah

 Quand le Chabbat viendra

A propos du verset (Exode 20 : 8) « Souviens-toi du jour du Chabbat pour le sanctifier », Rachi écrit : « Souviens-toi du jour du Chabbat constamment de telle sorte que, si tu trouves quelque chose de spécial (pendant la semaine), mets-le de côté pour Chabbat ».

Il en est de même pour la Délivrance future. Même si nous sommes encore en exil, nous devons toujours garder en tête la venue de la Délivrance et nous y préparer car (Talmud, traité Tamid) « ce jour sera entièrement Chabbat et repos pour l’éternité ».

(D’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch, 11 Sivan 5744)

Vivre avec la Paracha

 Matot-Massé

Matot

Moché transmet les lois concernant l’annulation des vœux.

Une guerre est engagée contre Midian pour son rôle dans la dégradation morale d’Israël.

La Torah procède au compte-rendu du butin et de son partage.

Les tribus de Réouven, Gad et plus tard la moitié de celle de Menaché demandent des terres à l’est du Jourdain. Moché finit par accepter cette requête à condition qu’ils se joignent d’abord au reste du peuple dans sa conquête d’Israël.

Massé

Sont listés les quarante-deux étapes et campements du Peuple juif, depuis son départ d’Egypte.

Sont données les limites de la Terre Promise et sont désignées des villes de refuge.

Les filles de Tsélof’had se marient dans leur propre tribu pour préserver l’héritage paternel.

Les deux tribus et demie

Les tribus de Réouven, Gad et la moitié de celle de Ménaché voulaient s’installer à l’est du Jourdain, terres extrêmement fertiles et où leurs troupeaux pourraient paître aisément. Ainsi eux pourraient se consacrer à l’étude de la Torah. Cette demande, qui suscita, au préalable la colère de Moché, ne ressemble-t-elle pas aux arguments des Explorateurs, désirant rester dans le désert où ils pourraient consacrer tout leur temps à l’étude de la Torah et à la prière, sans préoccupations matérielles ?

Cela est infirmé dans la mesure où les membres de ces tribus promirent à Moché qu’ils pénétreraient en Israël avec le reste du peuple. En effet, ils étaient prêts à laisser leur femme, leurs enfants et leurs possessions sur la rive est et à marcher en tête du peuple pour conquérir la terre et aider les autres à s’y installer. Ils ne reviendraient à leurs propres territoires que lorsque tout le monde serait établi.

Et c’est alors que Moché accepta leur demande.

D.ieu désire que le Peuple juif réside en Israël et fasse de la Torah et des Mitsvot son quotidien. Il faut cultiver, construire, édifier le pays, servir D.ieu dans de multiples activités. Et bien que beaucoup de temps soit consacré aux activités matérielles, s’en acquitter dans l’esprit de la Torah permet de construire une Dirah Beta’htonim, une résidence pour D.ieu dans le monde ici-bas.

Certes, notre peuple a également besoin de personnes qui vouent leur temps à la prière et à l’étude. Mais ces gens doivent prendre part à l’établissement en Erets Israël, comme le firent Réouven, Gad et la moitié de la tribu de Ménaché.

C’est en aidant ceux qui passent la plus grande partie de leur temps à travailler la terre qu’ils peuvent, eux-mêmes, servir D.ieu dans la sérénité d’une vie de berger tranquille.

Consoler le père- Consoler l’enfant

Les Parachiot de Matot et Massé sont réunies et lues le même Chabbat, à deux occasions : quand ce Chabbat précède le mois de Mena’hem Av (ce qui est le cas, cette année) ou quand ce Chabbat est le premier du mois de Mena’hem Av.

Nos Sages commentent que toutes les sections de la Torah sont liées à la période au cours de laquelle elles sont lues. Il nous revient donc de conclure que Matot et Massé sont liés au mois de Mena’hem Av.

Ce lien est encore plus marquant que celui qui unit ces deux portions avec la période des trois semaines de demi-deuil, connue sous le nom de Bein Hamétsarim, au cours de laquelle elles sont toujours lues.

Il est une coutume juive, et une coutume juive est elle-même considérée aussi sacrée qu’une loi, de se référer au mois d’Av, quand on bénit ce mois nouveau, par les termes de Mena’hem Av.

Le sens littéral de cette expression est rendu par « consoler le père ». Ainsi, cela signifie que le Peuple juif console son Père dans les Cieux. Et D.ieu, notre Père, a besoin de consolation, comme on le comprend d’après les paroles de nos Sages qui affirment que D.ieu s’exclame : « Malheur au Père Qui a exilé Ses enfants ! » (Bra’hot 3a).

C’est dans le même esprit que l’on peut comprendre le lien entre Mena’hem Av et les Parachiot Matot et Massé. Un Juif désire la consolation, durant ce mois mais il ne la désire pas tant pour lui-même que pour son père. Ce concept est développé dans ces sections de la Torah.

Massé relate la manière dont D.ieu ordonna à Moché de combattre les Midianites, en ces termes : « Arrache aux Midianites la rétribution du Peuple juif… » (Bamidbar 31 :2). Cependant, quand Moché transmit ce commandement au Peuple juif, il dit : « Pour arracher la rétribution de D.ieu à Midian ».

Le Sifri commente : « Moché dit au Peuple Juif : ‘ne vous ne vengez pas de la chair et du sang. Vous vengez (D.ieu), Celui Qui parla et (fit) exister le monde ».

Ce thème trouve un écho dans la Paracha Massé. En effet, le verset statue : « Vous ne souillerez pas la terre… dans laquelle Je réside. Car Moi, D.ieu, réside au sein du Peuple juif ». Et le Sifri de commenter : « Les Juifs sont aimés (par D.ieu). Même lorsqu’ils sont souillés, la Che’hina (la Présence Divine) réside parmi eux… Les Juifs sont aimés (de D.ieu). Où qu’ils soient exilés, la Che’hina est avec eux… et quand ils reviennent, la Che’hina revient avec eux ».

C’est ainsi que l’exil n’affecte pas seulement le Peuple juif mais, pour ainsi dire, la Che’hina est également en exil. Il est donc aisé de comprendre que la Délivrance de la Che’hina est d’une importance capitale. C’est la raison pour laquelle Mena’hem Av, « consolation du Père », met l’accent sur l’apaisement de D.ieu.

Mais il nous faut encore comprendre pourquoi Mena’hem Av n’évoque pas la consolation de l’enfant, la consolation du Peuple juif.

Cela vient du fait qu’un Juif est si profondément « enraciné » dans D.ieu que tout ce qu’il veut, tout ce qu’il désire, son statut d’exilé, etc., ne sont pas considérés comme lui appartenant à lui seul. S’il est exilé, son père, pour s’exprimer ainsi, est automatiquement dans l’exil. De la même façon, la consolation du Père est la consolation de Ses enfants.

Il ne peut donc y avoir de plus grande consolation pour les enfants que Mena’hem Av, la « consolation du Père ».

Le Coin de la Halacha

 Quand commencent « les neuf jours » ?

A partir de Roch ‘Hodech Av (cette année lundi 24 juillet 2017 et jusqu’au mardi 1er août inclus), on ne mange pas de viande et on ne boit pas de vin (sauf Chabbat) en souvenir des jours terribles qui aboutirent à la destruction du Temple de Jérusalem en l’an 70 de l’ère commune.
On ne fait pas de couture, on ne lave pas de linge (sauf pour les petits enfants ou les grands malades) et on ne repasse pas. On ne met pas de vêtements fraîchement lavés et repassés, sauf s’ils ont déjà été portés quelques instants avant cette période. On ne prend pas de bain et on évite les pratiques sportives dangereuses (par exemple la baignade en piscine ou à la mer).

On évite de passer en jugement.

Le Recit de la Semaine

 Devoir filial

En 1971, alors que nous vivions à Tachkent (Ouzbékistan), mon frère Chalom Ber obtint la permission de quitter l’Union Soviétique et put s’installer aux États-Unis. A son arrivée, il envoya au Rabbi une photo de la tombe de son père, Rabbi Lévi Its’hak Schneerson : celui-ci avait été Rav de la grande ville de Yekaterinoslav en Ukraine mais avait été arrêté par les Soviétiques pour son « activisme contre-révolutionnaire », entendez : ses efforts pour maintenir vivant le judaïsme. Emprisonné, torturé, il avait finalement été exilé au Kazakhstan où il décéda à 66 ans le 20 Mena’hem Av 1944, à Alma Ata (à environ 500 kilomètres de Tachkent).

Plus tard, quand Chalom Ber se rendit à New York dans la synagogue du 770, le Rabbi, qui n’avait pas pu assister à l’enterrement de son père, le remercia pour la photo. Le Rabbi posa de nombreuses questions : « Qui est enterré à côté de mon père ? Est-ce bien un cimetière juif ? Etc... ».

Le Rabbi observa attentivement la photo et remarqua le délabrement de la pierre tombale. Celle-ci était en si mauvais état que certains mots étaient effacés. Soudain le Rabbi demanda : « Vous m’avez dit que des membres de votre famille étaient restés sur place. Pouvez-vous leur demander de procéder à des réparations ? ».

Mon frère accepta et nous envoya une lettre avec la requête du Rabbi. Quand nous avons lu de quoi il s’agissait, il sembla évident que c’était moi qui devais m’en charger puisque mon père (qui, lui aussi, avait purgé des années de camp au Goulag) n’était plus en mesure d’effectuer des travaux de ce genre. Au début, cela m’angoissa : je venais de recevoir moi aussi (après des mois et des années d’attente !) la permission de quitter le pays avec mes parents ; il était prévu que nous partions définitivement dans un mois. Si les autorités découvraient que je m’occupais d’une pierre tombale juive, on pourrait facilement annuler tous ces plans !

Mais, par ailleurs, c’était le Rabbi lui-même qui avait formulé cette demande : j’étais donc prêt à risquer ma propre liberté. J’ai commencé par chercher puis trouver un bloc de marbre dans lequel je pourrais tailler la pierre tombale. La pierre originale était en pierre normale puisqu’en temps de guerre, il avait été impossible de trouver du marbre. Mon père organisa une collecte de fonds pour acheter ce matériau de qualité.

Puis se posa la question de la gravure. D’un côté, il nous fallait un professionnel mais, de l’autre côté, nous tenions à ce que ce soit un Juif pratiquant et, malgré tous nos efforts, nous n’en trouvions pas.

Le temps passait et j’étais désespéré. J’écrivis une lettre à mon cousin Gershon Ber qui vivait à New York à l’époque et lui demandai de se renseigner auprès du Rabbi pour savoir comment procéder. De plus, je butais contre un autre problème : que faire de l’ancienne pierre tombale ? J’attendis la réponse avec impatience mais elle ne me parvint jamais. Finalement, je découvris à Tachkent même Gavriel, un vieux Juif pieux originaire de Boukhara, dont le père avait effectué ce genre de travail. Il savait comment agir mais il me prévint que cela prendrait du temps. Nous avons stipulé qu’il devrait se tremper au Mikvé (bain rituel) chaque jour avant de s’occuper de cette œuvre sacrée. Nous l’emmenions en taxi, d’abord chez nous : derrière le buffet de la cuisine, nous avions secrètement construit un Mikvé !

Finalement, le grand jour arriva, la pierre tombale fut prête. Je me rendis avec le regretté professeur Herman Branover (spécialiste mondial de thermodynamique) à Alma Ata. Durant tout le voyage, je tremblais : si nous étions arrêtés, que dirait la police si elle perquisitionnait la voiture ? D.ieu merci, tout se passa bien et, avec Rav Yossef Neymotin qui habitait sur place, nous pûmes enlever l’ancienne pierre et la remplacer par la nouvelle. Mais que faire de l’ancienne ?

Soudain, l’un d’entre nous eut une idée : nous devions ériger une petite barrière de ciment autour de la tombe et y incorporer les morceaux brisés de la pierre abîmée. Puis nous avons pris une photo et avons récité quelques Tehilim (Psaumes).

Quelques temps plus tard, nous avons quitté l’Union Soviétique pour New York où nous avons vu le Rabbi pour la toute première fois.

Durant l’entrevue, le Rabbi nous offrit trois Matsot puisque la fête de Pessa’h approchait. Puis il nous remercia : « Bien que je ne veuille pas vous enlever le mérite qui vous revient très certainement, je tiens à rembourser vos dépenses. En tant que fils, il m’incombe d’accomplir mon devoir filial. Donc je vous prie d’adresser la facture à mon secrétaire qui vous remboursera rapidement ». Après l’entrevue, nous sommes allés voir Rav Hadakov, le secrétaire, qui nous remboursa en tenant même compte du cours du change entre le rouble et le dollar.

Quand nous avons ensuite rendu visite à mon cousin Gershon Ber, je lui demandai : « Qu’est-il arrivé à la lettre que je t’avais envoyée ? ». Il l’avait effectivement reçue et le Rabbi avait répondu. Mais sa lettre ne nous était jamais parvenue, sans doute censurée par le KGB, la police secrète qui scrutait attentivement chaque lettre qui provenait de l’étranger. Par curiosité, je demandai ce que le Rabbi avait suggéré et voici donc quelle avait été sa réponse : « Bien qu’il soit difficile de trouver une pierre tombale, le dicton de nos Sages est bien connu : Si tu essaies vraiment, tu réussiras sûrement ! A propos de l’ancienne pierre, vous devez la réduire en petits morceaux et les enterrer tout autour de la tombe ». C’était exactement ce que nous avions fait, comme si, de New York, le Rabbi nous avait envoyé cette idée en tête !

Après avoir pris tant de risques et m’être tant impliqué pour mener à bien cette mission sacrée, je ressentis que tout cela en avait valu la peine. Les remerciements du Rabbi et son soulagement d’avoir enfin accompli ce devoir filial me sont allés droit au cœur.

Rav Eleazar Gorelik – Chalia’h du Rabbi à Melbourne (Australie) - JEM

Traduit par Feiga Lubecki

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