Samedi, 18 juillet 2015

  • Mattot - Massé
Editorial

 Renaissance

Trois semaines. Cela peut paraître bien court et pourtant il n’y a peut-être pas de période dont le déroulement semble aussi long que celle-ci. C’est qu’il s’agit de ces trois semaines-là qui s’écoulent entre le 17 Tamouz, jour de la première brèche dans la muraille de Jérusalem, et le 9 Av, jour où le premier et le second Temple furent détruits – le même jour à des siècles de distance. Trois semaines comme des jours lugubres entre les limites d’un drame unique : l’exil de la Présence Divine, l’exil du peuple juif. Trois semaines sans fêtes, chargées de marques de deuil. Faut-il pourtant s’arrêter là ? Certes, la ritualisation des tragédies spirituelles et historiques est une des caractéristiques du peuple juif, à la fois cause et conséquence de sa longue mémoire, fidélité au passé et gage d’avenir. Mais le seul souvenir du malheur n’est jamais une solution. Il ne doit être que l’élément déclencheur qui permettra de le dépasser pour toujours. Que faut-il donc faire de ce temps ?
L’histoire comme les textes nous disent qu’il est celui de la destruction. A cela, il n’existe qu’un seul remède : construire. Mais, dira-t-on, c’est de la destruction du Temple de Jérusalem qu’il s’agit et, si nous espérons tous que le troisième Temple se dresse sans attendre sur sa colline au cœur de la Ville Sainte dans l’harmonie des nations et des peuples, force est hélas de constater que, pour l’instant, ce n’est pas le cas. Mais le peuple juif sait depuis bien longtemps que le livre et l’esprit sont plus puissants que l’épée. Sa propre existence l’a prouvé : les grands empires, conquérants du monde, ont disparu tandis que lui déroule toujours le fil de son histoire. C’est donc d’étude qu’il est question.
Etudier la structure du Temple dans le texte de la Michna Midot, dans les « Lois de la Maison d’élection » dans le Michné Torah de Maïmonide, deux textes qui existent en traduction française. Les étudier et les connaître comme si l’on était les bâtisseurs du Temple, c’est déjà le construire. En connaître les chemins, c’est déjà le parcourir. Voici donc un enjeu pour la période : faire d’un temps de drame un espace de découverte. Le renouveau est toujours au bout de l’effort. Ici, c’est de renaissance qu’il s’agit.

Etincelles de Machiah

 Le voyage

La Délivrance approche chaque jour davantage. Mais, pendant ce voyage dont nous vivons la prochaine fin, on se lait de sottises et de futilités. Il faut donc, dès à présent, se laver et changer de vêtements.
(D’après Likoutei Dibourim vol. 3 p. 1034)

Vivre avec la Paracha

 Matot - Massé

Cette semaine, nous lisons deux Parachiot : Matot et Massé. Elles possèdent toutes deux un lien intrinsèque. Le sujet principal de Matot est constitué par la guerre que mena notre peuple contre Midian alors que celui de Massé est le récit des étapes du Peuple Juif, depuis son exil d’Egypte jusqu’à l’arrivée aux rives du Jourdain, où il se prépare à entrer en Erets Israël.
Il nous faut expliquer ce lien. Midian évoque la contrepartie spirituelle de la querelle et de la dissension, un individu tellement préoccupé par lui-même qu’il ne voit les autres que par rapport à ce qu’ils peuvent faire pour lui, plutôt que d’apprécier qui ils sont et quels sont leurs besoins. Il est tellement égocentrique qu’il perd toute notion de la situation dans laquelle il se trouve. La seule chose importante à ses yeux est de recevoir de l’attention et de voir ses désirs satisfaits. Si cela n’est pas le cas, la colère l’emporte. En fait, dans certains cas, l’autre n’a pas même la chance d’ouvrir la bouche, il est attaqué. Car cet homme craint tant pour son espace qu’il redoute quelque intrusion que ce soit.
Avant d’entrer en Erets Israël, il fallait que soit menée une guerre contre Midian. Erets Israël est une terre où se révèle ouvertement la Présence Divine. Et à propos d’un homme orgueilleux et égocentrique, D.ieu s’exprime ainsi : «Lui et Moi ne pouvons résider dans le même lieu». Car lorsque la personne n’est concernée que par sa propre personne, il lui est impossible d’apprécier D.ieu, de quelque manière que ce soit. Elle ne peut avoir conscience de la Divinité qui réside chez les autres et dans chaque élément du monde qui l’environne.
Avant que le Juifs n’entrent en Israël, où la Divinité serait le centre de leur vie, ils devaient se débarrasser de ce type de préoccupations exclusivement égocentrées.
Cela concerne également le message spirituel de leur voyage d’Egypte vers Erets Israël. L’Egypte est appelée Mitsraïm en hébreu, terme qui a la même racine que Metsarim, les frontières et les limites qui enferment le potentiel divin que nous possédons tous. Les quarante années d’errance dans le désert furent une période d’entraînement et de pratique au cours de laquelle les Juifs apprirent à entrer en contact avec leur potentiel spirituel, à l’exprimer et le libérer de toutes les limites et ce, afin d’être aptes à entrer en Terre Sainte.
Dans son essence, le dessein profond du voyage tout entier était de combattre Midian, d’apprendre à se maîtriser et à se comporter avec autrui de façon ouverte et sincère.
Ces lectures de la Torah sont également en relation avec l’époque à laquelle elles sont lues : les trois semaines de deuil pour la destruction du Temple. Le but de cette période de deuil n’est pas simplement de verser des larmes sur le passé mais essentiellement de se focaliser sur le futur, de réaliser les erreurs spirituelles qui ont conduit à l’exil et de les rectifier afin de faire venir la Rédemption.
Nos Sages nous enseignent que le Temple fut détruit à cause de la haine gratuite, cette sorte de querelles et de combats que l’on associe à Midian. Il s’ensuit qu’en se débarrassant de ces frictions et conflits par un amour emprunt de sacrifice de soi, nous pouvons éradiquer la cause de l’exil. Quand la cause n’existe plus, l’effet cesse automatiquement.
Mettre l’accent sur l’amour et l’unité pendant ces trois semaines ne signifie pas simplement se préoccuper de corriger les erreurs du passé. Bien au contraire, il nous faut nous orienter vers l’avenir. L’Ere de la Rédemption se caractérisera par la paix et l’amour et le fait d’exprimer ces émotions dans le temps présent anticipe et précipite cette Ere future.

Et Moché parla aux têtes des Matot («tribus»)... (Bamidbar 30 :2)
L’on peut dire d’un bâton que c’est un morceau d’arbre qui a payé le prix de partir de chez lui ! En fait, l’on aurait du mal à voir en lui le jeune rameau arraché à l’arbre : son écorce tendre est devenue rigide et inflexible, sa peau poreuse s’est endurcie. Le jeune rameau est devenu...un bâton !
L’on peut aussi dire que le bâton a cueilli les fruits du fait de partir de chez lui. Il a gagné une épine dorsale et de la stature. Il a appris à se tenir fermement et n’est plus balancé par chaque souffle de vent et chaque brise. Sa peau s’est endurcie dans le froid et possède une force à ne pas négliger. Le rameau flexible s’est raffermi en un formidable bâton.

L’exil
La Torah utilise deux mots pour désigner les tribus d’Israël : Chevatim et Matot. Un Chévèt est une «branche». Matéh signifie un «bâton».
Les deux mots expriment l’idée que les tribus d’Israël sont les membres de «l’arbre de la vie», des ramifications de la Source suprême de toute vie et de tout être. Mais chacun représente un état différent dans la relation du Juif avec ses racines. Le Chévèt indique un état de relation manifeste avec la source : la branche est toujours attachée à l’arbre ou du moins a-t-elle encore de la sève qui coule dans ses veines. Le Chévèt représente le Juif dans un état de connexion visible avec D.ieu, soutenue par une implication divine, révélée, dans sa vie.
Le Matéh est un Chévèt qui a été arraché à l’arbre. Le Matéh est le Juif en exil, un «enfant banni de la table de son père» et qui erre sur les routes froides et étrangères de l’exil. Privé de son amarrage céleste, le Matéh est obligé de développer sa propre résistance contre les tempêtes de la vie, de chercher dans son cœur fragile la force de résister, loin de la maison ancestrale.

La lecture de la Paracha Matot
Dans notre Paracha, il est significatif que la Torah se réfère aux tribus d’Israël par le terme «Matot» et qu’une partie entière de la Torah emprunte ce mot.
Nous l’avons vu, Matot est toujours lu pendant les trois semaines de deuil.
Chaque bâton aspire à revenir à son arbre, aspire au jour où il sera à nouveau une branche fraîche et pleine de vie, réunie avec ses frères et nourrie par son géniteur. Quand le jour viendra, elle pourra y ajouter sa solidité durement gagnée, sa maturité de Matéh acquise dans l’environnement solitaire et sans racine de l’exil.
(Basé sur Likouté Si’hot, vol. 18, pp. 382-384)

Le Coin de la Halacha

 Comment se souvient-on du Temple de Jérusalem ?

Depuis la destruction du Temple (en l’an 69 de l’ère commune), les Sages ont décrété plusieurs mesures afin que, lors de chaque circonstance joyeuse, on se souvienne de cet événement tragique comme il est écrit (Tehilim – Psaumes 137) : «Si je t’oublie, Jérusalem, que ma droite m’oublie ! Que ma langue se colle à mon palais si je ne te mentionne pas, si je ne fais pas monter Jérusalem au sommet de ma joie !»
- Un Juif ne se fera pas construire un palais à l’image du Temple
- S’il construit une maison, il laissera sur un mur face à l’entrée un carré d’environ 35 centimètres carrés (une Ama sur une Ama) sans peinture.
- Une femme ne mettra pas tous ses bijoux à la fois.
- Le voile de la mariée ne portera pas des fils d’or ou d’argent.
- On brise une assiette après avoir écrit le document du mariage et le marié brise un verre après la cérémonie en le piétinant avec le pied droit.
Le Rabbi de Loubavitch a demandé qu’on intensifie l’étude du plan du Beth Hamikdach, le saint Temple de Jérusalem pendant la période des trois Semaines qui en rappellent la destruction ; ainsi, par l’étude, on acquiert le mérite d’en préparer la reconstruction.
F.L. (d’après le Kitsour Choul’hane Arou’h)

Le Recit de la Semaine

 Une aiguille dans une botte de foin

Un rabbin prestigieux d’une certaine communauté ‘hassidique de New York s’approcha un jour de moi : sachant que je venais d’Australie, il me demandait de retrouver une jeune femme dont on n’avait plus de nouvelles. Née et élevée dans une bonne famille de Boro Park (un des quartiers ‘hassidiques de Brooklyn), elle s’était mariée mais s’était séparée de son mari : le mari refusait, on ne sait pourquoi, de lui accorder le Guet (l’acte de divorce) et, lassée d’attendre, elle avait tout quitté. Sa famille avait appris qu’elle s’était enfuie en Australie – sans plus de détails.

- L’Australie a la taille des États-Unis ! remarquai-je et y rechercher quelqu’un sans plus de précisions, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin !

- Je sais, soupira-t-il mais peut-être pourriez-vous demander au Rabbi de Loubavitch comment agir…

Avant de retourner en Australie, j’entrai en Ye’hidout – audience privée chez le Rabbi et lui racontai toute l’histoire. Il me demanda quand je voyageais.

- Mercredi, répondis-je.

- Une fois arrivé sur place, peut-être la semaine suivante, vous devriez vous rendre à Brisbane !

Il n’expliqua pas pourquoi je devais agir ainsi mais, bien sûr, je me conformai à ses directives sans poser de question ; une fois arrivé en Australie, je pris l’avion pour Brisbane. C’est une ville située au nord du pays et elle ne comptait, à l’époque qu’une toute petite communauté juive : elle n’hébergeait pas encore Rav Lévi et Dvorah Jaffe qui sont, depuis, devenus les émissaires du Rabbi sur place.

Dans l’avion, je me trouvais assis à côté d’une dame élégante, non-juive qui se présenta comme étant chrétienne grecque orthodoxe. Voyant que j’étais juif, elle me posa des questions théologiques sur la Bible puis me demanda assez étrangement :

- Quelle est la position du judaïsme vis-à-vis d’une personne qui abandonne la foi ? Une telle personne peut-elle réintégrer la communauté ou est-elle définitivement excommuniée ?

- Aucun Juif ne peut jamais être séparé de D.ieu Tout Puissant, la rassurai-je. Même si quelqu’un «prend des vacances» de la Torah, il peut à tout moment revenir «à la maison» et la communauté l’accueillera à bras ouverts !

- Je vous explique pourquoi je vous pose cette question, continua-t-elle : je possède une chaîne de magasins de vêtements en Australie ; dans la ville de Cairns, dans un de mes magasins, nous avons engagé une jeune femme juive qui vient d’une famille très pratiquante de New York. Je peux aisément constater qu’elle vit ici très différemment de la façon dont elle a été élevée. Elle prétend qu’elle est heureuse mais je vois bien qu’elle ne l’est pas : je suppose qu’elle vivrait beaucoup mieux si elle retournait dans sa propre communauté.

A cet instant, je ne pus m’empêcher de sursauter : je me rendais à Brisbane sur le conseil du Rabbi, sans savoir pourquoi. Et, en route, je rencontrai une femme chrétienne qui me parlait d’une jeune femme juive qui avait quitté sa famille. J’en eus la chair de poule sur tout le corps et je me mis à trembler de tous mes membres.

- Sachez que je voyage vers Brisbane sans savoir où aller. Je le fais parce que nous avons un Rabbi à New York qui est sans doute le plus grand Sage de notre époque qui m’a dit d’agir ainsi après que je lui ai demandé comment retrouver une jeune femme juive !

En entendant ces mots, la dame se mit à trembler elle aussi !

- Peut-être s’agit-il justement de cette jeune femme ! reconnut-elle.

Je dus admettre qu’elle avait sans doute raison. Elle se mit immédiatement à mon service pour ainsi dire, offrit de payer toutes les dépenses impliquées afin que je puisse rencontrer cette jeune femme – bien que je déclinai son offre.

De Brisbane, je pris l’avion pour Cairns et je me rendis dans le magasin de vêtements : c’était bien la jeune femme que je recherchais ! Bien sûr, elle n’était pas habillée selon les standards habituels de Boro Park et, de son côté, elle fut plus qu’étonnée de voir entrer dans le magasin de vêtements féminins un ‘Hassid en costume noir, avec barbe et chapeau, dans ce coin perdu d’Australie où elle avait cru pouvoir s’enfuir loin de son peuple.

- Je m’appelle Pinchas Woolstone, je suis un Loubavitch, commençai-je…

J’avais du mal à trouver mes mots, à lui expliquer ce que je faisais là. Je décidai finalement de juste lui raconter tout ce qui s’était passé. Puis je lui demandai :

- Etes-vous prête à me parler ?

- Je ne peux pas parler maintenant, je travaille, répondit-elle sur la défensive.

- Alors je reviendrai quand le magasin fermera…

Elle était loin d’être enthousiaste à cette perspective. Elle bredouilla :

- Tout ce que je veux, tout ce que j’ai toujours voulu, c’est le Guet !

- Mais vous avez rejeté la religion, remarquai-je : pourquoi avez-vous besoin d’un Guet ?

- Si vous pouvez m’aider avec le Guet, d’accord. Sinon, laissez-moi tranquille.

Je rappelai les gens à New York et ils réussirent finalement à faire en sorte de lui obtenir le Guet. Tandis que je m’occupai de toutes ces formalités, je la rencontrai encore une fois et remarquai :

- A vrai dire, votre réaction à tout ce qui vous est arrivé se comprend. Mais obtenir le divorce de votre ancien mari ne signifie pas que vous devez divorcer de votre famille, de votre communauté, de la Torah, de D.ieu !

Elle m’écouta.

Une fois qu’elle reçut son Guet, elle retourna aux États-Unis et s’inscrivit à l’Université, ce qui était, bien sûr, bien éloigné du style de vie de ses parents. Mais à l’Université, elle fit connaissance du Chalia’h Habad local, se mit à fréquenter ses repas de Chabbat, à discuter avec son épouse et, petit à petit, redevint pratiquante.

Aujourd’hui, elle est remariée et élève ses nombreux enfants dans le chemin de la Torah.

Et tout ceci avait été enclenché par le Rabbi qui m’avait conseillé : «Allez à Brisbane !»

Rav Pinchas Woolstone – Sydney – JEM

Traduit par Feiga Lubecki

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