Semaine 29

  • Mattot - Massé
Editorial

Pour effacer les limites

Nous venons d’entrer dans la période des trois semaines que la tradition dénomme “Ben Hamétsarim – Entre les limites” Elle a commencé avec le jeûne du 17 Tamouz, date de la première brèche dans la muraille de Jérusalem faite par les armée de Nabuchodonosor, et s’achèvera par celui du 9 Av, anniversaire de la destruction du premier et du second Temple. C’est dire que cette période, qui rappelle le drame historique du peuple juif, n’est pas celle de la joie. Du reste, les signes extérieurs d’allégresse n’y ont pas cours.
Pourtant, chacun sait que le judaïsme ne se complait pas dans une tristesse qui n’aurait d’autre but et d’autre sens qu’elle-même. Limitée à son seul territoire, elle ne conduit qu’à la désespérance et, finalement, au renoncement. Il est clair, pour cette raison, que ce temps d’entre “les limites” doit être habité d’une autre attente, comme pénétré d’une tension qui y fait apparaître la présence et la capacité d’agir. Le domaine d’action est manifestement identifiable. Puisque l’on commémore la destruction du Temple, c’est sa reconstruction qui est ici en jeu. Certes, cette œuvre sera celle du Machia’h le Temple reconstruit alors sera éternel. Toutefois, il appartient dès aujourd’hui à chacun de réaliser une forme spirituelle de cette identification. Le Talmud n’affirme-t-il pas que D.ieu s’adresse au peuple juif et demande : “Etudiez les règles relatives à l’identification du Temple de Jérusalem, Je vous considérerai comme si vous l’aviez reconstruit” ?
Il faut prendre la pleine mesure de la phase. Qui n’a pas rêvé de faire partie des bâtisseurs du Temple ? Qui n’a pas imaginé le jour où il gravirait les marches menant au Sanctuaire ? En un éclair de lumière, le Talmud en offre la possibilité :étudier les règles de la construction de l’édifice. Elles existent souvent traduites en français, dans la prophétie d’Ezéchiel, dans le traité de la Michna Midot, dans le Michné Torah du Maïmonide. Quelques pages de sagesse et au bout, l’infini… Enfin de quoi dépasser l’“entre les limites”.

Etincelles de Machiah

Dix questions / réponses sur la résurrection des morts (VI)

Question : Tout le peuple juif sera-t-il ressuscité en même temps ?
Réponse : Les premiers à être ressuscités seront les morts qui se trouvent en Israël puis ensuite ceux qui se trouvent dans les autres pays et enfin ceux qui sont morts dans le désert ou, selon une autre opinion, les Patriarches, afin que les pères du peuple juif s’éveillent dans la joie voyant que leurs descendants se sont levés de leur tombeau dans un monde de paix et de justice.
Les Justes auront ma préséance sur les autres hommes et les maîtres dans l’étude de la Torah passeront avant les maîtres dans l’observance de commandements. Ils seront appelés par leur nom dans l’ordre alphabétique, hormis le fait que les premiers à être ressuscités seront les hommes d’esprit humble.
(d’après “Techouvot Oubiourim”, sec. 11)

Vivre avec la Paracha

Des âmes endurcies, des étincelles dévoilées

La lecture de la Torah de cette semaine est "double", consistant en deux Paracha (sections de la Torah): Matot ("tribus" ou "bâtons") et Massé ("voyages ") Rabbi Israël Baal Chem Tov enseigna que rien ne vient par hasard dans le monde de D.ieu. Le Rabbi ajoute qu'il est sûr que rien n'est dû au hasard dans le plan divin pour la création: la Torah. Chaque semaine, "nous vivons avec le temps" (comme l'exprima Rabbi Chnéour Zalman de Liadi), tirant des enseignements et de l'inspiration de la Paracha de la semaine. Quand vient une double lecture, nous étudions également les contrastes et les liens entre les deux Paracha combinées. A cela s'ajoute l'enseignement du grand maître du 13ème siècle, Rabbi Yechayahou Horowitz (le "Chlah”) selon lequel, la Paracha de la semaine est intrinsèquement liée à tous les repères qu'elle croise. Le fait qu'une certaine Paracha soit lue à l'approche d'une certaine fête apporte de nouvelles facettes aux leçons qui vont inspirer notre vie lors de cette semaine précise. Ainsi, quelle est la leçon de Matot, quelle est l'essence de Massé et quel est le lien entre elles? Et quelle
signification doit-on tirer du fait qu'on lise ces deux Paracha, parfois réunies, parfois séparément mais toujours durant les "Trois Semaines", cette période de 21 jours qui s'étend du 17 Tamouz au 9 Av où nous sommes endeuillés pour la destruction du Saint Temple et le début de l’exil spirituel et matériel?
Ce qui est dans un nom : la dureté
La dureté est l'une de ces caractéristiques que nous cherchons toujours à acquérir tout en essayant de nous en débarrasser. Il y a plus qu'une simple constatation lorsque nous décrivons quelqu'un comme étant une personne "dure" mais, en même temps, ce jugement renferme une certaine admiration. Nous dénonçons en nous-mêmes et en autrui un comportement "obstiné" et "insoumis" mais reconnaissons également combien il est important d'avoir la "stature" de rester ferme sur ses pieds et ne pas être détourné de ses principes. En fait, notre voyage dans la vie requiert de la fermeté comme de la flexibilité, de la dureté comme de la souplesse. Cette approche de la vie à double facette est sous-entendue dans les 

deux noms que donne la Torah aux tribus d'Israël. Alors que le peuple d'Israël constitue une entité comme "nation unique de D.ieu", il comprend douze tribus distinctes, chacune d'elle apportant sa contribution à notre mission nationale, avec son caractère et son potentiel spécifiques. C'est pourquoi la Torah se réfère aux tribus d'Israël comme aux "Chvatim", des branches ou aux "Matot", des bâtons, exprimant ainsi l'idée qu'elles jaillissent toutes d'un même tronc, distinctes l'une de l'autre mais parties d'un même tout. "Chevet" et "Matéh" sont synonymes de "branches" mais "Chévet" est une branche flexible alors que "Matéh" est un bois dur ou un bâton. C'est là le sens profond de ces deux noms attribués aux tribus d'Israël: à certaines occasions, la Torah se réfère à nous comme à des "branches" mettant l'accent sur la nécessité d'être flexibles et souples dans la vie. Dans d'autres contextes, nous sommes appelés des "bâtons", soulignant ainsi la nécessité de la fermeté et de la détermination pour accomplir notre mission comme "peuple saint" et de "lumière pour les nations". C'est ce dernier point qui est la leçon de la Paracha de Matot qui s'ouvre avec le verset: "Et Moché parla aux têtes des tribus..." Ici les tribus sont appelées "Matot", désignation qui donne son nom à la Paracha et le cœur de son message: il est des moments dans l'histoire d'un peuple où il doit employer la force morale et la rigidité d'un bâton pour trouver en lui la résolution pour résister à un monde hostile et capricieux.
Le bâton de l'exil
La dureté est un état acquis plutôt qu'inné. Le potentiel de dureté existe toujours mais il se manifeste lorsque la substance est soumise à des conditions qui vont la galvaniser et l'influencer. Cela se retrouve dans le modèle Chévet/Matéh. En tant que branche, le Chévet est souple et ployable, se penchant au gré du vent où sous la main qui le pousse. Mais lorsqu'il est arraché à l'arbre, et qu'il doit faire face aux éléments comme un bâton seul, sans racine, il s'endurcit et devient Matéh. En d'autres termes, un Matéh est un Chévet endurci par l'expérience de l’exil. Privé de la tendre humidité de ses racines nourricières, la dureté latente du bois se manifeste, transformant la branche flexible en un bâton rigide. C'est là que réside le lien entre la Paracha Matot et le moment de l'année où elle est lue. Durant les Trois Semaines, nous pleurons l'exil de notre terre et l'absence de la Présence Divine manifeste dans notre vie comme elle se révélait dans le Temple de Jérusalem. Mais tout en nous affligeant sur le déracinement de l’exil, nous devons profiter de la manière dont ce déracinement de notre environnement naturel nous renforce et nous galvanise. Tout en pleurant sur la destruction de la Maison de D.ieu et sur l'absence de Sa présence révélée dans notre vie, nous devons laisser s'écouler les réserves extraordinaires de foi et de force morale éveillées par les
défis d'une société et d'un environnement étrangers, réserves qui ne se seraient pas révélées si nous étions restés une nation de Chevatim, attachés à leur tronc.
42 voyages
Mais l’exil fait plus que d'endurcir l'âme juive. L’exil est aussi un voyage. Un voyage n'est pas seulement le départ de chez soi, c'est aussi l'approche d'une destination. Que cherchons-nous dans nos lieux d'exil? Que rapporterons-nous quand nous reviendrons de nos voyages aux quatre coins de la terre? Le Talmud définit le but de l’exil comme l'acquisition de "convertis". Le peuple d'Israël fut exilé parmi les nations, déclare-t-il, seulement pour que les convertis puissent le rejoindre. Ces "convertis" prennent beaucoup de formes. Ce sont les convertis, au sens littéral, des non-juifs qui sont inclus dans la communauté d'Israël comme résultat de notre contact avec les peuples du monde. Mais de façon plus significative, (puisque la Torah n’ordonne ni n'encourage à chercher à convertir au Judaïsme), il existe une conversion plus subtile du monde païen aux idéaux monothéistes de la Torah, obtenue après des millénaires d’exil parmi les nations du monde. Les Kabbalistes expliquent que les "convertis" ainsi gagnés ne sont pas seulement des hommes mais aussi les âmes de toutes les créatures et créations avec lesquelles nous sommes en contact au cours de notre dispersion, dans tous les coins du globe. Car chaque entité créée possède une étincelle de sainteté, une particule de divinité qui constitue son âme, sa fonction dans le but suprême de la création divine. Chaque fois que nous utilisons quelque chose, que ce soit un objet matériel, une force, une idée ou un phénomène culturel, pour servir le Créateur, nous pénétrons son écorce de matérialité et extériorisons son essence divine. C'est là, dit le Talmud, le but de l’exil: libérer les étincelles de sainteté qui gisent enfouies dans les lieux et les circonstances les plus éloignés. Le concept d’exil s'exprime dans la seconde de nos Paracha: Massé ("voyages") qui évoquent les voyages et les campements d'Israël dans le désert du Sinaï. Le nom de la Paracha est tiré de ses versets d'introduction: "Voici les voyages des enfants d'Israël qui sortirent d'Egypte...Et ils voyagèrent de Ramsès...et ils campèrent à Soukkot. Ils voyagèrent de Soukkot et campèrent à Eitam..." Massé continue en citant les 42 voyages qui marquent le périple du peuple juif de l'Egypte au Mont Sinaï et à Israël. Les commentateurs expliquent que ces "voyages" sont les précurseurs et les prototypes de la saga historique d'Israël, alors que nous avançons parmi "le désert des nations" (selon la référence du prophète Yé'hezkiyahou) vers notre "entrée dans la terre", dernière étape à l'ère de Machia'h.

Le Coin de la Halacha

Comment se prépare-t-on à un voyage ?

Si possible, on montera à la Torah le Chabbat avant de partir en voyage.
On veillera à faire un don à la Tsédaka (charité) et on demandera à ses amis et à des personnes importantes de la communauté leur bénédiction pour que le voyage se passe bien.
Les amis et les proches confieront à la personne qui va partir de l’argent à remettre à la Tsédaka dans son lieu de destination : ainsi cette personne sera considérée comme un émissaire pour une Mitsva et sera protégée. On stipulera que l’argent peut être échangé dans la monnaie du pays.
Le « Kaf Ha’haïm » tranche que si personne ne le charge de transmettre de l’argent à la Tsédaka, le voyageur mettra de côté une certaine somme en s’engageant – « Bli Néder », « sans en faire le vœu », - à remettre cet argent à la Tsédaka. Il dira qu’il donne cette somme pour le mérite de Rabbi Meïr Baal Haness.
On emportera son Talit et ses Téfilines, même pour une courte absence et on ne comptera pas emprunter ceux des autres. En effet cela risque d’empêcher le prêteur ou l’emprunteur de prier avec la communauté ; par ailleurs le nœud du Téfiline de la tête risque de n’être pas ajusté correctement.
Le Rabbi insistait pour que chacun emporte toujours avec soi, dans sa valise ou sa voiture, une boîte de Tsédaka et un « ‘Hitat » (les livres de ‘Houmach, des Tehilim (Psaumes) et du Tanya) ainsi qu’un livre de prières : ils constituent une protection pour le conducteur et ses passagers.
Rabbi Yéhouda Ha’hassid a écrit dans son « Testament » que, si possible, une fois qu’on est sorti de la maison, on évitera d’y retourner et on demandera à une autre personne d’apporter l’objet qu’on aurait éventuellement oublié ; si c’est pour une Mitsva ou s’il n’y a personne pour rendre ce service, on pourra retourner.
C’est une Mitsva d’emporter à manger, même pour une courte distance, si possible du pain. On emportera également un verre avec lequel on se lavera les mains rituellement avant de manger le pain.

F. L. (d’après Rav Eliezer Wenger)

De Recit de la Semaine

Tremblement de terre

Lors de mes études en Israël, je m’étais progressivement intéressée à la ‘Hassidout et au Rabbi. Par la suite, je passai plusieurs mois à Brooklyn, New York à étudier intensément le judaïsme.
Il fallait cependant que je termine mes études universitaires. J’écrivais donc au Rabbi mais comme c’était la première fois, je m’imaginais que puisque le Rabbi me connaissait, je n’avais pas besoin d’écrire mon nom et mon adresse sur l’enveloppe.
Une semaine plus tard, je retournai au bureau de Rav Binyamin Klein (un des secrétaires du Rabbi) pour voir si j’avais reçu une réponse. Quand je lui dis que je n’avais pas mis mon nom sur le dos de l’enveloppe, il parut soulagé : il m’expliqua, pour s’excuser que, bien sûr le Rabbi savait qui j’étais mais que lui, Rav Klein ne le savait pas : cela faisait une semaine qu’il avait tenté de me retrouver !
C’était à l’époque où, après avoir subi une attaque cérébrale, le Rabbi ne pouvait plus répondre que par signes, oui ou non. Rav Klein me fit part de son étonnement quand le Rabbi avait répondu très clairement : il me conseillait de retourner immédiatement dans ma ville natale en Californie !
Je pris donc un billet pour la semaine suivante. J’avais prévu d’être hébergée dans le foyer d’une famille Loubavitch afin que je puisse pratiquer facilement le Chabbat, la cacherout etc… Mais, au dernier moment, on m’informa que ce n’était plus possible ! Il ne me restait plus qu’à vivre avec les autres étudiants dans le campus, ce qui serait très pénible pour moi, aussi bien dans ma pratique religieuse que dans mon stress émotionnel. Je retournai donc chez Rav Klein, le suppliai de redemander au Rabbi ce que je devais faire mais il refusa : le Rabbi avait déjà fait comprendre avec force que je devrais retourner en Californie. Ce détail n’affectait en rien la réponse du Rabbi.
Je retournai donc en Californie, anxieuse et gênée : après une année en Israël et quelques mois à Brooklyn, j’avais bien changé et j’aurais du mal à m’acclimater à nouveau. Heureusement je trouvai un logement non loin du centre communautaire Loubavitch. Il ne me restait plus qu’à acheter un peu de vaisselle, ce que je fis le week-end suivant qui, par chance, se poursuivait jusqu’au lundi.
Cependant, Chabbat, je découvris que le Mikvé local ne pouvait plus être utilisé pour tremper la vaisselle rituellement. Après mûre réflexion, je décidai d’utiliser les grands moyens : je tremperais directement ma vaisselle dans le plus grand Mikvé du monde, l’océan lui-même, sur ma route de retour vers l’université. Il me fallait donc expliquer à mes parents que je partirais un jour plus tôt. Bien sûr, ils voulurent savoir pourquoi. Quand je leur expliquai que la vaisselle neuve devait être trempée dans un Mikvé ou la mer, ils affirmèrent qu’ils avaient maintenant la preuve que j’étais complètement folle. Ils n’avaient pas apprécié mon strict respect du Chabbat et de la cacherout ainsi que ma nouvelle garde-robe, plus discrète et plus couverte : mais là, c’était trop. « Tes toutes nouvelles assiettes ? Les purifier ? Mais pourquoi ? »
Après plusieurs heures passées à se lamenter sur tout l’argent qu’ils avaient gâché pour m’assurer une bonne éducation, ils décidèrent de faire contre mauvaise fortune bon cœur et, tout simplement, de m’accompagner et passer ainsi un jour et une nuit de vacances.
Le lundi matin, j’avais prévu de me réveiller tôt, mais je n’arrêtai pas d’entendre à la radio le nom de ma ville natale : « Northridge ». C’était vraiment une toute petite ville et je ne comprenais pas pourquoi elle méritait tous ces honneurs. Je finis par reconnaître aussi les mots : tremblement de terre, épicentre. J’ouvris grand les yeux et allumai la télévision : non seulement l’épicentre du tremblement de terre se trouvait à Northridge mais dans ma rue. A l’arrière-plan, je pouvais même distinguer notre maison…
Pendant plusieurs jours, nous n’avons pas pu retourner à la maison car les routes aussi étaient très endommagées. Quand nous sommes arrivés, les dégâts étaient encore pires que nous n’avions pu l’imaginer. Toute la maison avait littéralement été transportée à quelques mètres de ses fondations… Avec précaution, nous sommes entrés, pour sauver ce qui pouvait l’être : des morceaux entiers de toitures s’étaient effondrés, les meubles étaient sens dessus dessous… J’entrai dans ce qui restait de ma chambre : une seule chose n’avait pas bougé, même d’un centimètre : la photo du Rabbi, accrochée au mur !
Ma mère était hystérique. Elle avait perdu sa maison et, de plus, elle venait de résilier son assurance contre les tremblements de terre ! Elle trouva la force de murmurer : « Si tu crois tellement en D.ieu, dis-moi pourquoi cela nous est arrivé ! »
Je regardai la photo du Rabbi puis répondis, après avoir respiré profondément : « Maman, je ne sais pas pourquoi cela nous est arrivé mais je sais pourquoi nous ne nous trouvions pas dans la maison quand cela est arrivé ».

Sara Esther Crispe
www.chabad.org
traduite par Feiga Lubecki

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