Samedi, 15 juillet 2023

  • Mattot - Massé
Editorial

 Une étude, pour construire

Nous sommes entrés dans cette période de trois semaines qui s’étend entre le 17 Tamouz et le 9 Av et que nos Sages ont appelée « Bein Hametsarim – entre les limites », en référence au verset « et ses ennemies l’ont rejointe entre les limites ». Le mot « limites » est porteur d’une réelle dureté et la période historique qu’il désigne ici ne l’est pas moins. 17 Tamouz : première brèche dans la muraille de Jérusalem. 9 Av : jour où, à plusieurs siècles d’intervalle, le premier et le second Temple furent détruits. Ce n’est décidément pas sans raison que toute fête est suspendue entre ces deux dates, le drame se noue et se conclut tragiquement sous nos yeux. Bien sûr, le judaïsme a ritualisé ce souvenir, lui donnant ainsi une sorte de corporalité qui lui a permis de traverser les siècles et de continuer d’être vécu avec intensité. Cependant, se contenter d’une telle constatation ne peut suffire à poursuivre notre route.

De fait, le peuple juif, depuis sa naissance, est engagé sur les chemins du monde, parfois sereins, parfois tumultueux, jamais sans conséquences. Ces chemins-là peuvent prendre bien des détours, il n’en est pas moins clair que leur aboutissement est au-devant de nous : la venue de Machia’h, la Délivrance ultime attendue. Dans ces semaines qui rappellent la destruction du Temple, se représenter cet avènement peut sembler difficile. A cette légitime objection, le judaïsme donne sa réponse éternelle : l’étude. A rebours des événements commémorés, étudier les textes relatifs au Temple est en soi une manière de le reconstruire. Que ce soit la Michna, les lois explicitées par Maïmonide, la prophétie d’Ezéchiel, ces éléments sont disponibles, y compris en français. C’est ainsi que ces domaines de la connaissance sont devenus accessibles à tous.

Alors que nous traversons ce temps grave, il appartient à chacun de s’en saisir. Nous pouvons ne pas nous suffire de pleurer la destruction. Nous pouvons décider de faire de nos regrets le moteur de la reconstruction. Car celle-ci sera d’abord faite de nos œuvres. Etudier, comprendre, savoir : sans doute est-ce la plus belle chose, et la plus puissante, du monde. Afin que ces jours soient rapidement transformés en « jours de joie et d’allégresse », il ne manque que notre effort. Etudier ces textes, c’est décidément bâtir l’avenir.

Etincelles de Machiah

 L’attente confiante

Dans son Michné Torah, Maïmonide (Hil’hot Mela’him, chap. 11) expose les lois relatives à Machia’h. Il y souligne notamment l’importance de l’attente de la venue de Machia’h et relève : « Celui qui ne croit pas en lui ou n’attend pas sa venue, renie non seulement les autres prophètes mais également la Torah et Moïse notre maître ».

L’insistance sur Moïse est chargée de sens. En effet, sa prophétie présente une solidité particulière dans la mesure où elle fut confirmée par le fait qu’au mont Sinaï, où elle retentit, chacun fut le témoin direct de la révélation Divine. Comme Maïmonide le souligne : « Chacun vit et entendit ». Ce fait confère à la prophétie de Moïse une « fiabilité qui dure éternellement » et donne à tous une confiance absolue dans l’avènement final de Machia’h.

(d’après Likoutei Si’hot, vol. XVIII, p. 281)

Vivre avec la Paracha

 Matot-Massé

 Matot

Moché transmet les lois concernant la validation et l’annulation des vœux.

Une guerre est engagée contre Midiane pour son rôle dans la dégradation morale d’Israël.

La Torah procède au compte-rendu du butin et de son partage.

Les tribus de Réouven, Gad et plus tard la moitié de Ménaché demandent des terres à l’est du Jourdain. Moché finit par accepter cette requête à condition qu’ils se joignent d’abord au reste du peuple dans sa conquête d’Israël.

Massé

Sont listés les quarante-deux voyages et campements du Peuple juif, depuis son départ d’Egypte.

Sont ensuite données les limites de la Terre Promise et sont désignées des villes de refuge.

Les filles de Tsélof’had se marient en prenant des époux de leur propre tribu pour préserver l’héritage paternel.

Combattre l’eau par l’eau et le feu par le feu

Dans la double Paracha de cette semaine, Matot-Massé, est relatée la guerre qu’engagèrent les Hébreux contre Midiane. A la suite de cet affrontement, Élazar, le Grand-Prêtre, enseigna au Peuple juif comment purifier, par la cachérisation, les ustensiles des Midianites, dont ils s’étaient emparés comme butin de guerre. En fait, cet épisode sert de base aux lois indiquant comment rendre cacher un ustensile qui ne l’est pas.

(Il va sans dire que ce qui suit n’est en aucun cas un guide pour la cachérisation. En tout état de cause, il faudra se référer à une autorité rabbinique compétente.)

La loi de base présentée ici veut que tout ustensile qui a été utilisé pour cuire son contenu avec de l’eau doit être rendu pur en utilisant de l’eau. La logique sous-jacente est que lorsqu’on cuisine un aliment non-cacher dans une casserole, celle-ci absorbera une partie de la saveur du produit non-cacher. La manière d’obtenir que ce récipient rejette la saveur qu’il a absorbé est d’y faire bouillir de l’eau. Ce processus a l’aptitude d’inverser le processus d’absorption.

En revanche, si le récipient a été utilisé pour cuisiner l’aliment non-cacher en n’utilisant que le feu, comme par exemple une poêle, il faut utiliser le feu pour enlever la saveur non-cacher.

Ces lois, déclare la Torah, ne furent pas enseignées par Moché mais par son neveu Élazar. La raison en est, selon Rachi, que Moché s’était mis en colère contre les Juifs qui n’avaient pas suivi ses instructions. La conséquence en fut qu’il oublia ces lois et qu’il revint à Élazar de les enseigner.

Il est surprenant que de toutes les lois de la Torah, ce soient précisément celles de la cachérisation des ustensiles que Moché n’enseigna pas à son peuple. Quelle signification attacher à ce fait ?

Deux formes d’impureté

Chaque loi mentionnée dans la Torah peut s’appliquer dans l’expérience quotidienne de la vie. Quelle signification prend le fait que les impuretés sont absorbées dans un ustensile par l’eau ou par le feu ?

La vie est une lutte incessante. Nous sommes toujours en train de mener un combat contre un obstacle ou un autre. Au cours de ces batailles contre nos ennemis, il peut se trouver des situations où il convient d’utiliser « les ustensiles » ou les instruments de nos ennemis. Il se peut que nous absorbions certaines de leurs coutumes ou mœurs qui n’avaient jamais fait partie de notre culture, au préalable. Mais telle est la caractéristique de l’engagement avec un adversaire. Dans la terminologie de l’œuvre fondamentale de la ‘Hassidout, le Tanya, on peut lire : « Celui qui lutte avec une personne vile, emmagasine également un peu de vilénie ». C’est dans ce contexte que la Torah nous instruit de nous purifier de ces influences indésirables.

C’est pour cette raison que Moché ne fut pas choisi pour être celui qui transmettrait ces instructions. En effet, son niveau de sainteté était si élevé qu’il ne pouvait être affecté par quelque implication que ce soit dans le monde inférieur. Moché combattit contre le Pharaon, et certes, il avait grandi dans son palais, mais il n’en fut jamais affecté.

Moché : une âme d’Atsilout

Selon le langage de la Cabbale, l’âme de Moché descendit d’en Haut sans avoir à passer par le processus de transformation qu’implique la descente du plus haut royaume spirituel (connu dans la Cabbale comme le monde d’Atsilout - « émanation ») jusqu’au niveau le plus bas, notre monde matériel.

L’âme de Moché pénétra dans son corps physique exactement comme elle était dans sa forme originelle. Moché ne pouvait donc pas être impliqué dans un combat avec le monde, car même « ici-bas », il était en réalité « là-Haut ». Il ne fit jamais partie intégrante de ce monde mais toujours d’un monde supérieur. D.ieu orchestra donc qu’il « oublie » ces lois et qu’Élazar les révèle à sa place.

Revenons aux lois de purification de l’absorption de substances non-cacher dans les récipients.

Il existe deux niveaux d’absorption. Tout d’abord, lorsque nous sommes confrontés à une culture étrangère, il se peut que nous développions une certaine froideur et une indifférence à notre propre culture. Par exemple, le fait que les Juifs, qui s’exilaient de leur petit village et arrivaient dans des pays occidentaux, renonçaient à leurs habits traditionnels.

Parallèlement, certains vont encore beaucoup plus loin et développent une passion brûlante pour des modes de vie étrangers, voire hostiles aux valeurs juives.

Ces deux formes d’absorption peuvent être purifiées. Il faut exprimer de la froideur et de l’indifférence aux valeurs étrangères pour renverser la froideur et l’indifférence à l’égard du Judaïsme que l’on risque de ressentir dans le processus de l’immersion dans les cultures étrangères.

De la même façon, il nous faut faire preuve d’une passion brûlante pour les idéaux juifs afin de nous libérer de ce feu et de cette ardeur, malvenus, pour des idéaux tronqués.

La loi juive nous enseigne que, alors que la méthode de purification avec de l’eau bouillante est inappropriée pour les ustensiles utilisés dans le feu, l’inverse n’est pas vrai. L’on peut utiliser le feu pour cachériser n’importe quel ustensile même celui qui utilise de l’eau pour absorber des substances et des arômes interdits.

Jouer avec le feu pour faire venir le Machia’h

Nous nous tenons au seuil de l’ère à propos de laquelle le prophète prédit que toutes les impuretés seront expulsées du monde. Nous devons donc réfléchir à la méthode la plus efficace pour nous diriger dans cette direction.

Plutôt que d’avoir à utiliser à la fois « l’eau » et « le feu », il serait adéquat de concentrer toute notre énergie à mettre le feu à notre âme, en imprégnant d’un enthousiasme ardent tous les efforts que nous déployons dans l’accomplissement des préceptes de la Torah.

Par cette approche, nous pouvons « faire d’une pierre deux coups », comme le dit la métaphore. Nous pouvons nous débarrasser de l’indifférence et de l’hostilité à l’égard du Judaïsme tout en rejetant une passion déplacée et mal placée.

Ce feu qui jaillit du cœur de notre âme a la puissance de faire brûler les derniers restes du mur qui nous sépare d’un monde de bien absolu.

Le Coin de la Halacha

 Quand commencent « les neuf jours » ?

A partir de Roch ‘Hodech Av (cette année mardi 18 juillet 2023 à la tombée de la nuit), on ne mange pas de viande et on ne boit pas de vin (sauf Chabbat) en souvenir des jours terribles qui aboutirent à la destruction du Temple de Jérusalem.

On ne fait pas de couture, on ne lave pas de linge (sauf pour les petits enfants et les personnes malades) et on ne repasse pas. On ne met pas de vêtements fraîchement lavés et repassés, sauf s’ils ont déjà été portés quelques instants avant cette période. On ne prend pas de bain et on évite les pratiques sportives dangereuses (par exemple la baignade en piscine ou à la mer).

On évite également de passer en jugement.

Certaines interdictions prendront fin jeudi soir 27 juillet à la sortie du jeûne et d’autres vendredi 28 juillet au matin.

Qu’est-ce qu’un Siyoum ?

Un « Siyoum » est une fête qu’on organise lorsqu’on a achevé l’étude d’un traité talmudique. Le Rabbi avait demandé qu’on organise un Siyoum pendant chacun des « neuf jours » puisqu’une telle joie sainte est permise durant cette période. On peut participer en live à un Siyoum sur de nombreux sites Internet ou en écoutant chaque jour à la radio juive une personne qui achève l’étude du traité talmudique. Restez à l’écoute !

Le Recit de la Semaine

 Soon, Soon

« Bonjour Rav Ashkenazy,

Cela fait longtemps que je voulais vous écrire à propos d’un sujet qui me tient à cœur mais je ne savais pas exactement comment le formuler. Cependant, cette semaine, quand vous avez signalé dans votre cours hebdomadaire que vous alliez vous rendre à New York auprès du Ohel du Rabbi au cimetière Montefiore de Queens, j’ai compris que le moment était arrivé et que je ne devais pas remettre à plus tard.

Notre famille n’est pas Loubavitch mais j’écoute régulièrement vos cours, avec de plus en plus d’intérêt. Vous représentez mon lien avec le mouvement Loubavitch et le Rabbi. Donc voici notre histoire :

Dans mon enfance, nous habitions à New York. Je suis l’aîné de la famille. Puis, pendant sept longues années, mes parents ont voulu mettre au monde d’autres enfants mais sans succès. Les médecins les ont avertis qu’il était absolument impossible qu’ils aient d’autres enfants et qu’ils devaient envisager l’adoption. Mon père avait un ami Loubavitch qui lui a conseillé d’aller demander une bénédiction au Rabbi. Mon père m’a donc emmené à Brooklyn : je me souviens de la longue queue qui n’en finissait pas devant le bureau du Rabbi. Dans ma tête, je me répétais ce que je voulais lui demander, j’aurais personnellement souhaité des jumeaux mais quand je suis arrivé devant le Rabbi, je me suis embrouillé et j’ai demandé « deux frères ». D’ailleurs voici la photo de cette entrevue, photo qui est agrandie et accrochée en bonne place dans le salon de mes parents.

Le Rabbi nous a bénis. Mon père a insisté : « Quand ? ». Et le Rabbi a répondu en anglais : « Soon » (bientôt). Mon père s’est enhardi et a redemandé : quand et le Rabbi a répété : « Soon, soon » (bientôt, bientôt). Mon père raconta par la suite qu’à partir de ce moment, il fut absolument convaincu que la bénédiction du Rabbi se réaliserait. Effectivement, le même mois, ma mère conçut mon frère Elie Mena’hem ; et cette naissance fut suivie par celle de mon frère Yonatane Mendel. Tous deux se rendirent d’ailleurs en visite au 770 Eastern Parkway il y a huit ans, alors qu’ils avaient 20 et 21 ans.

Malheureusement, Yonatane Mendel perdit la vie, avec quatre autres personnes, au cours d’un accident de la route alors qu’il se rendait en autobus dans sa Yechiva de Mitzpé Ramon. Le choc fut et continue d’être immense mais nous avons entrepris de nombreuses initiatives de bienfaisance en son souvenir.

Il y a deux ans et demi, mon frère Elie Mena’hem a enfin trouvé celle qui est devenue sa femme. Mais… pas d’enfants. Ils ont suivi toutes sortes de traitements avec Docteur Rubinson, un docteur pratiquant, respectueux de la Torah, expérimenté mais, dans leur cas, sans résultats.

Monsieur le rabbin, pouvez-vous mentionner leurs noms quand vous prierez auprès du tombeau du Rabbi ? Le Rabbi était et est certainement toujours un fidèle serviteur de D.ieu, il nous avait accordé sa bénédiction. Que ce soit la volonté de D.ieu que, « soon », par le mérite du Rabbi, Elie Mena’hem fils de Dvora et Liora fille de Chochana, mettent au monde des enfants ! Si je pouvais me permettre, je demanderais au Rabbi, à l’image de la femme de Chounem mentionnée dans la Bible ce qu’elle demanda au prophète Elicha : « De grâce, mon maître, homme de D.ieu, ne déçois pas ta servante ! ». (En effet, elle avait hébergé le prophète Elicha et celui-ci avait prié pour qu’elle mette au monde un fils. Au bout de quelques années, l’enfant était tombé malade et était mort. Elle était alors retournée chez le prophète et avait protesté : « A quoi bon avoir prié pour que j’aie un fils si celui-ci décède si jeune ? Pourquoi me faire souffrir avec une telle déception ? »).

J’avais demandé au Rabbi deux frères : le plus jeune n’est plus et l’autre n’a pas d’enfant ! Je voudrais demander au Rabbi que sa bénédiction soit immédiate et complète et que mon frère Elie Mena’hem devienne très bientôt – soon, soon - papa ! ».

Voici l’annonce qui m’est parvenue récemment :

« Bonjour Rav ! D.ieu merci, voici de bonnes nouvelles ! Mon frère et son épouse ont mis au monde un adorable petit garçon qu’ils ont appelé, lors de sa Brit Mila : Beeri Yonatane, en lui donnant un des prénoms de mon frère décédé.

Un immense merci pour vos prières en leur faveur l’année dernière auprès du tombeau du Rabbi ».

Oui, la bénédiction du Rabbi continue !

Puissions-nous mériter la délivrance véritable et complète « soon, soon » ! »

Rav Shneor Ashkenazi

Traduit par Feiga Lubecki