Une action sans relâchement
Le temps passe, les mois s’envolent sans qu’aucune interruption puisse marquer leur cours. Pourtant, certains jours demeurent. Ils sont comme des fermes points d’ancrage dans l’éphémère des choses. Sur eux, il est possible de construire une vie… ou un monde.
C’était le 10 Chevat, il y a 68 ans. La nouvelle avait retenti avec la puissance des événements qui bouleversent toute existence paisible: Rabbi Yossef Its’hak, le précédent Rabbi, avait quitté ce monde. Au-delà du caractère dramatique de cette nouvelle, chacun savait que l’action de Rabbi Yossef Its’hak avait radicalement changé le cours des choses. L’éducation juive avait retrouvé sa vigueur et, en ces temps de détresse, encore si proches de la guerre qui avait anéanti tant de Juifs, le judaïsme paraissait renaître. Mais tout cela paraissait peut-être encore si fragile…
En ce 10 Chevat, l’action entreprise ne pouvait s’interrompre. Chacun ressentait que s’ouvrait une nouvelle époque pour poursuivre, approfondir et élargir cette oeuvre. Le Rabbi allait en être la continuation. De fait, dès qu’il accepta la charge qui lui était confiée, les domaines d’intervention se multiplièrent. Aucun Juif ne devait être laissé à l’écart de l’héritage du judaïsme. Il en allait de la responsabilité de tous. Commença alors le temps des grandes avancées. D’enseignements profonds en demandes d’action, de campagnes de Mitsvot en messages adressés à tous, le Rabbi prit la tête de nouveaux développements.
Avec un recul de 68 années, chacun mesure l’ampleur des changements. A une judaïté qui s’interrogeait sur son devenir a succédé un judaïsme conscient de l’importance du message qu’il porte. A une culture juive en déshérence a succédé une connaissance mise à la portée de tous. Sans doute est-ce un signe des temps, et la traduction concrète de ce long effort, que les cours de Torah se soient multipliés et que le nombre des traductions en français ne cesse de grandir.
Il importe de prendre conscience que nous sommes les héritiers de ce dynamisme et que, de ce fait, nous devons être les porteurs de cet enthousiasme. Certes, beaucoup reste encore à accomplir et l’action entreprise ne saurait souffrir aucun relâchement. Cependant, nous savons que devant nous continue le chemin qui nous fut indiqué dès le 10 Chevat. Au travers de toutes les tempêtes, il nous appartient, très simplement, de le poursuivre. Chacun porte en tête et en cœur le but à atteindre – et nous savons qu’il est à portée. La tradition lui a, de toujours, donné un nom: la venue de Machia’h.
La valeur d’un homme simple
Dans la tradition juive, l’étude de la Torah est sans doute la valeur suprême, à telle enseigne que l’érudition est considérée comme une marque évidente d’élévation spirituelle. Cette idée, d’une légitimité incontournable, ne doit toutefois pas faire oublier la valeur de l’homme simple, de celui qui s’attache à D.ieu de tout son cœur avec la plus absolue sincérité.
A ce sujet, le Tséma’h Tsédek, le troisième Rabbi de Loubavitch, dit un jour que le Machia’h se réjouirait dans la compagnie de ces Juifs simples. Alors, précisa-t-il, une pièce leur sera réservée et les plus brillants érudits les envieront. Ainsi apparaîtra la vraie grandeur de ces Juifs qui servent D.ieu à l’infini.
(d’après une lettre du précédent Rabbi de Loubavitch,
Iguerot Kodech, vol. IV, p. 148)
Bechala’h
La Paracha Bechala’h comprend de nombreux événements majeurs : les premières étapes de l’Exode, l’ouverture miraculeuse de la Mer Rouge et les révélations divines qui s’y produisirent, le chant de louange que les Juifs adressèrent à D.ieu, le don de la manne et des cailles et enfin, la bataille victorieuse contre Amalek.
Et pourtant elle n’est pas nommée d’après l’un de ces événements, mais Bechala’h « quand [Pharaon] renvoya [le peuple] ». Il est donc évident que le choix de ce nom se justifie par le fait qu’il englobe et transcende tous les événements de la Paracha.
Par ailleurs, le mot Bechala’h semble impliquer que les Juifs n’étaient pas désireux de quitter l’Egypte et qu’ils durent y être forcés. Il est difficile d’imaginer que cette idée puisse être le thème sous-jacent et unificateur de la Paracha. Il semble plutôt constituer un commentaire négatif et désobligeant sur l’état du Peuple Juif à ce moment.
Si nous réfléchissons, il semble très étrange que le Pharaon dût renvoyer le peuple. Pourquoi un seul Juif n’aurait-il pas voulu quitter l’Egypte ? L’Egypte était une dictature terrible qui soumettait les Juifs à un esclavage oppressif. Moché avait promis aux Juifs que leur exode les mènerait au summum de la spiritualité, qu’ils seraient choisis par D.ieu comme Sa nation et qu’ils recevraient la Torah sur le Mont Sinaï. Et cela serait les prémisses de leur entrée en Terre Promise. Qui n’aurait pas sauté sur une telle opportunité ? Il est vrai qu’un nombre significatif de Juifs avait affirmé ne pas vouloir s’en aller mais nous savons que tous ces Juifs étaient morts durant la plaie de l’obscurité. Ainsi ceux qui allaient être libérés en étaient tous désireux. Pourquoi donc Pharaon dut-il les « renvoyer » ?
La réponse est qu’il existait deux dimensions dans le désir des Juifs de quitter l’Egypte. D’une part, ils avaient hâte de fuir l’oppression et de devenir le peuple choisi au Mont Sinaï. Ce désir, aussi fort et sincère qu’il fut, était simplement la conséquence directe de leur situation et de l’opportunité qui se présentait à eux. C’était un désir rationnel, essentiellement dicté par la logique, un désir à propos duquel ils n’avaient virtuellement aucun choix.
Mais au moment même où ils furent libérés, ils ressentirent un désir différent pour partir. A la minute même où ils purent respirer l’air frais de la liberté, ils furent frappés par le contraste profond entre leur esclavage à l’idolâtrie du matérialisme égyptien et la liberté offerte par la vie divine. L’intensité de leur volonté de partir immédiatement s’éleva bien au-dessus de ce qui avait été leur désir dicté par la logique. Leur fuite d’Egypte prit soudain une dimension supra rationnelle, devint une nécessité absolue. Leur premier désir paraissait alors, en comparaison, forcé et imposé.
Ce contraste est souligné par l’utilisation du mot Bechala’h. Ce nom nous rappelle qu’aussi intensément et sincèrement que nous ayons aspiré à la liberté pour accomplir notre destinée divine durant toutes les années d’oppression, notre désir de partir est comparable au fait d’être renvoyé par rapport à l’aspiration à la liberté que nous ressentîmes une fois que les chaînes de l’esclavage furent brisées.
Dans ce contexte, tous les événements miraculeux de cette Paracha peuvent effectivement être considérés comme subordonnés à la teneur générale exprimée par le mot Bechala’h , car une fois que les Juifs entamèrent une relation avec D.ieu à un niveau qui dépasse la logique, D.ieu passait à l’étape de transcender les lois de la nature dans Sa relation avec eux. C’est précisément cette ascension à une relation supra rationnelle avec D.ieu qui donna l’élan spirituel pour tous les événements miraculeux que l’on voit se produire dans le récit de la Paracha.
La réalité de cette dynamique s’applique à nous, aujourd’hui. Il est certainement recommandé d’aider autrui à sortir de son « Egypte » personnelle, des limites qui l’empêchent d’expérimenter pleinement la vie que D.ieu recommande et de remplir sa mission divine. D.ieu récompensera tous ceux qui aident leurs prochains à aller vers leur rédemption personnelle de quelle que soit l’ « Egypte » dont il s’agit.
Mais parfois, nous rencontrons quelqu’un qui ne possède aucun désir conscient d’être libéré. Il est tellement retranché dans la matérialité de la vie qu’il n’est pas conscient qu’il existe quelque chose de meilleur. Dans un tel cas, notre travail consiste d’abord et avant tout à créer en lui le désir d’être libre. La récompense de D.ieu est alors proportionnelle à l’accomplissement : tout comme nous avons créé un désir là où il n’y en avait pas, Il transforme notre volonté en désir si intense qu’il reste sans comparaison avec ce que nous ressentions auparavant.
Le mot Bechala’h évoque également ce que les Juifs accomplirent durant ce processus. Comme nous l’avons déjà vu, chaque action que nous entreprenons a une réaction concomitante dans le monde spirituel. Ici, quand le désir d’un Juif pour la liberté Divine devient si intense que tout ce qu’il ressentait auparavant paraît forcé, cela suscite une réaction violente dans le monde en général. La transition radicale de l’obscurité de l’exil à la lumière de la rédemption eut pour effet que Pharaon lui-même changea : de la personnification du mal, il devint une force de la sainteté. Le même Pharaon qui avait auparavant grossièrement proclamé : « Qui est D.ieu pour que je tienne compte de Sa parole et renvoie les Juifs de mon pays ? » était totalement transformé : non seulement il les laissa partir mais il les aida à le faire.
La leçon s’applique également aujourd’hui. Une conception de D.ieu et une relation avec Lui entièrement basées sur la raison sont limitées dans leur intensité. Il nous faut aller au-delà des limites de la raison et atteindre une appréhension de D.ieu qui nous dépasse. Ainsi, devient-il possible de transformer même « Pharaon », nos caractéristiques les plus matérialistes et cyniques, en un être conscient de la présence de D.ieu. Quand nous observons que les forces de la nature, qui constituent les obstacles les plus insurmontables dans l’accomplissement de notre mission divine, sont transformées en forces qui nous aident, quand comme Pharaon, elles nous « renvoient » par force d’Egypte, nous savons que nous avons atteint notre but.
Quand Pharaon « renvoya le peuple », il lui permit d’entamer la première étape qui allait le conduire au Don de la Torah et à entrer en Terre d’Israël. Il en va de même pour nous : en élevant notre relation avec D.ieu à un niveau qui va au-delà de la logique et en transformant la grossièreté de la réalité matérielle en une force active pour la sainteté, nous hâtons la venue de la Rédemption Messianique et les nouvelles révélations de la Torah qui transformeront, en dernier ressort, ce monde en une véritable Demeure pour D.ieu.
Quelques précautions à prendre à table pour séparer le lait de la viande
La Torah interdit par trois fois de cuire la viande dans le lait : « Tu ne cuiras pas le chevreau dans le lait de sa mère » (Chemot – Exode 23 : 19 ; Chemot 34 : 26 et Devarim - Deutéronome 14 : 21). Les Sages ont déduit de cette triple répétition qu’il était aussi interdit de manger et même de tirer profit de toute viande cuite dans du lait.
De plus, ils ont institué qu’on évite soigneusement toute possibilité de contact entre les aliments Bassari (mélangés avec la viande) et les aliments ‘Halavi (mélangés avec du lait). Il est donc nécessaire de prévoir des vaisselles différentes pour ces deux sortes de nourriture. Il est aussi plus pratique de disposer vraiment de tous les accessoires de cuisine en double et telle est la coutume dans tous les foyers juifs.
Ainsi, on dispose de deux salières – de peur que des miettes de l’un ou l’autre aliment s’y soient introduites et aussi de peur qu’on les ait touchées avec des mains imprégnées de l’un ou l’autre aliment. De plus, si on verse du sel (sucre etc.) dans un aliment bouillant, la vapeur chaude est susceptible de véhiculer le goût de l’aliment au sel. On aura aussi deux sucriers, deux ketchups, moutardes, mayonnaises etc.
Le pain resté sur la table de lait ne sera pas consommé avec un repas de viande et vice-versa – sauf si on a veillé soigneusement à le garder propre – ce qui est pratiquement impossible s’il y a de jeunes enfants (ou des convives peu scrupuleux) à table.
(d’après Rav ‘Haïm Hillel Raskin - COLlive)
Une affaire à risques
En 1974, le Nicaragua peinait à se remettre d’un violent tremblement de terre qui avait causé la mort de centaines de victimes ; nombre de rescapés avaient tout perdu, surtout leurs maisons.
Un avocat américain, Jeffrey Kimball contacta Guillermo Sevilla Sacasa, l’ambassadeur du Nicaragua aux États-Unis. Celui-ci était aussi le beau-frère du Président de l’Etat, Anastasio Somoza Debayle. Il lui proposa un plan de construction pour des habitations à prix modéré et rapidement disponibles. L’idée plut à l’ambassadeur.
Mais il restait un obstacle : ce projet audacieux nécessitait l’approbation d’un prêt par la banque. Celle-ci exigeait que Kimball lui-même se porte garant sur ses fonds propres. Il y avait de quoi hésiter : engager tous ses biens dans une telle affaire signifiait qu’il risquait de perdre toute sa fortune, y compris sa propre maison…
Depuis quelques années, Me Kimball avait développé un contact avec le Rabbi et, pour une décision aussi cruciale, il ressentait qu’il devait prendre conseil auprès du Rabbi. D’ailleurs il avait quelque chose de très important à annoncer aussi au Rabbi : sa femme était enceinte.
Le Rabbi donna sa bénédiction pour la naissance à venir puis évoqua les conditions imposées par la banque : « Il est clair que les conditions générales relatives à un problème… sont de nature à changer de temps en temps… Comme vous l’écrivez, c’est aussi la raison du problème du financement. De toute manière, il semble que la prochaine étape ne dépende pas de vous… ».
(Puisque Me ne souhaitait pas engager sa signature pour le prêt, il ne pourrait pas contrôler l’affaire).
Le Rabbi continuait en précisant que, bien que Me Kimball ne puisse pas modifier la décision de la banque, il pouvait acquérir une certaine clairvoyance en se renforçant dans le domaine spirituel : « Même si cela peut paraître mystique, cela a été constaté par expérience et s’est prouvé très utile sur le plan pratique : quand un Juif renforce son lien avec la Source de la Sagesse qui est D.ieu, il y gagne lui-même en sagesse et comprend mieux aussi les affaires concrètes. Cela l’aide à prendre les bonnes décisions, que ce soit dans les affaires ou d’autres domaines ».
Puis le Rabbi glissait une allusion à la profession de Me Kimball : « Dans un procès, le meilleur argument et celui qui a le plus de poids est celui qui peut être rapproché d’un cas précédent qui a fait jurisprudence. Dans ce cas, il n’est même plus nécessaire d’argumenter puisque le jugement précédent parle de lui-même ».
Le Rabbi écrivait que par « cas précédent », il signifiait son expérience avec d’autres personnes : celles-ci s’étaient renforcées dans leur attachement aux Mitsvot et avaient constaté des résultats positifs.
Dans un post-scriptum, le Rabbi répétait ce qu’il avait déjà écrit à d’autres correspondants : quand des risques trop importants sont impliqués dans une affaire, cela n’en vaut pas la peine. « A propos de votre projet au Nicaragua en général, au vu de la situation économique et politique, il ne semble pas intéressant et réaliste d’y investir pour le moment ».
Le Rabbi était certainement au courant des efforts de prêtres locaux ainsi que d’organisations étrangères pour faire condamner les violations des droits de l’homme par le gouvernement Somoza qui se trouverait donc en difficulté et risquait des sanctions internationales.
Quelques jours auparavant, des guérilleros affiliés aux partis d’opposition avaient fait irruption lors d’une réception chez le ministre de l’agriculture et avaient emmené des otages ; entre autres des officiers de haut rang et des proches du président Somoza.
Cela aurait pu sembler n’être qu’une péripétie mais le Rabbi avait vu juste : le gouvernement risquait d’être renversé d’un jour à l’autre…
Me Kimball comprit le conseil du Rabbi et refusa de signer malgré toutes les promesses de bénéfices qu’on lui faisait miroiter. Bien lui en prit car, dans les années qui suivirent, le Nicaragua fut secoué par d’autres remous, politiques cette fois-ci. Le régime du président Somoza s’effondra définitivement en 1979, laissant le pays noyé dans un chaos total et, évidemment, incapable de rembourser ses dettes.
Rav David Zaklikowski - COLlive
Traduit par Feiga Lubecki