Semaine 4

  • Bechala’h
Editorial
Sur le chemin du 10 Chevat

Le temps passe, les mois s’envolent sans qu’aucune interruption puisse marquer leur cours. Pourtant, certains jours demeurent. Ils sont comme des fermes points d’ancrage dans l’éphémère des choses. Sur eux, il est possible de construire une vie ou un monde.
C’était le 10 Chevat, il y a 55 ans. La nouvelle avait retenti avec la puissance des événements qui bouleversent toute existence paisible: Rabbi Yossef Its’hak, le précédent Rabbi, avait quitté ce monde. Au-delà du caractère dramatique contenu dans cette nouvelle, chacun savait que l’action de Rabbi Yossef Its’hak avait radicalement changé le cours des choses. L’éducation juive avait retrouvé sa vigueur et, en ces temps de détresse, le judaïsme paraissait renaître. Tous commençaient à sentir de nouveau un certain bonheur d’être juif.
En ce 10 Chevat, l’action entreprise ne pouvait s’interrompre. Chacun ressentait que s’ouvrait une nouvelle époque pour poursuivre, approfondir et élargir cette oeuvre. Le Rabbi allait en être la continuation. De fait, dès qu’il accepta la charge qui lui était confiée, les domaines d’intervention se multiplièrent. Aucun Juif ne devait être laissé à l’écart de l’héritage du judaïsme. Il en allait de la responsabilité de tous. Commença alors le temps des grandes avancées. D’enseignements profonds en demandes d’action, de campagnes de Mitsvot en messages adressés à tous, le Rabbi prit la tête de nouveaux développements.
Avec un recul de 55 années, chacun mesure l’ampleur des changements. A une judéïté qui s’interrogeait sur son devenir a succédé un judaïsme conscient de l’importance du message qu’il porte. A une culture juive en déshérence a succédé une connaissance mise à la portée de tous. Sans doute est-ce un signe des temps, et la traduction concrète de ce long effort, que les cours de Torah se soient multipliés et que le nombre des traductions en français ne cesse de grandir.
Il importe de prendre conscience que nous sommes les héritiers de ce dynamisme et que, de ce fait, nous devons être les porteurs de cet enthousiasme. Certes, beaucoup reste encore à accomplir et l’action entreprise ne saurait souffrir aucun relâchement. Cependant, nous savons que devant nous continue le chemin qui nous fut indiqué dès le 10 Chevat. Il nous appartient, très simplement, de le poursuivre. Chacun porte en tête et en coeur le but à atteindre. La tradition lui a, de toujours, donné un nom: la venue de Machia’h.

H. Nisenbaum
Etincelles de Machiah
De l’obscurité à la lumière

Il a été abondamment dit que notre génération est celle de la délivrance. A ce propos, une question se pose d’elle-même : comment est-il possible que ce soit précisément cette génération orpheline qui mérite la venue de Machia’h plutôt que toutes celles qui l’ont précédée ?
En fait, la question porte en elle-même sa propre réponse : c’est par la plus grande obscurité que l’on peut parvenir à la plus grande lumière. Ce principe est d’application générale. Ainsi, à propos de la Techouva, du retour à D.ieu, n’est-il pas souligné qu’elle intervient dans toute sa puissance parce qu’elle succède à un éloignement d’avec D.ieu ?
C’est précisément par l’obscurcissement temporaire que l’obscurité finit par se transformer en lumière.
(d’après Likouteï Si’hot, vol. I, p. 202)
Vivre avec la Paracha
Bechala’h : la tête

Le Zohar se réfère à Moché comme “Raaya Mahémna”, une expression que l’on peut traduire à la fois par “le berger fidèle” et “le berger de la foi”. Ce dernier sens implique que Moché est “celui qui donne la foi” à Israël, qu’il est source et guide dans la foi d’Israël en D.ieu.
En fait, quand la Torah évoque la foi d’Israël en D.ieu, lors des miracles de l’Exode, elle dit: “et ils crurent en D.ieu et en Son serviteur”, utilisant le même verbe (“Vayaaminou”, “et ils crurent”) pour connoter la foi en Moché et dans le Tout-Puissant. Dans son commentaire sur le verset, le Midrach Me’hilta pousse jusqu’à en déduire que “celui qui croit en Moché, croit en D.ieu”.
Le Talmud va même plus loin appliquant la même démarche en ce qui concerne les Sages et les érudits dans la Torah de toutes les générations. Citant le verset (Deutéronome 30: 20) “aimer l’Eternel ton D.ieu et s’attacher à Lui”, il demande: “est-il possible de s’attacher au Divin ?” et répond: “mais tous ceux qui s’attachent à un érudit dans la Torah, la Torah les considère comme s’ils s’étaient attachés à D.ieu Lui-Même” (Talmud Ketoubot 111b).
Un principe fondamental de la foi juive est qu’il n’existe aucun “intermédiaire” entre D.ieu et Son monde; notre relation avec Lui n’est facilitée par aucune “tierce partie”. Quelle est donc la signification du rôle de nos dirigeants et des érudits dans la Torah en ce qui concerne notre foi et notre attachement à D.ieu?

Le facteur de la conscience
L’explication, dit Rabbi Chnéour Zalman de Liady dans son Tanya, réside dans la compréhension de la métaphore “père/fils” employée par la Torah pour décrire notre relation avec D.ieu. “Vous êtes les enfants de l’Eternel votre D.ieu” dit Moché dans Deutéronome 14: 1. Alors que nous sommes encore en Egypte, D.ieu parle de nous comme “Mon enfant premier-né, Israël” (Exode 4: 22).
De quelle façon D.ieu est-Il notre “père”? Il existe bien sûr des parallèles évidents. Comme un père, D.ieu nous crée, subvient à notre subsistance et nous guide. Il nous aime avec l’amour illimité et indulgent d’un père.
Mais Rabbi Chnéour Zalman pousse plus loin la métaphore, examinant la dynamique physiologique et psychologique du modèle père/fils et l’utilise pour mieux comprendre les relations que nous entretenons avec les hommes et avec D.ieu.
Une particule de matière microscopique, qui a son origine dans le corps du père, déclenche une génération de vie. Dans le giron de la mère, une cellule unique se développe en un cerveau, un cœur, des yeux, des oreilles, les ongles des orteils…; bientôt ils émergent au monde pour fonctionner en un être humain, pensant, sentant et agissant.
Physiquement, ce qui a été originellement dans le corps et le psychisme du père est maintenant un individu séparé et distinct. Toutefois, à un niveau plus profond, l’enfant reste inséparable de celui qui l’a engendré. Selon les paroles du Talmud: “Un fils est un membre de son père”. Au cœur même de la conscience de l’enfant réside une vérité à laquelle il ne peut échapper: il est l’enfant de son père, une extension de son être, une projection de sa personnalité. Dans leurs corps, ils sont devenus deux entités distinctes ; en essence, ils forment un.
On peut rétorquer qu’il se peut que dans l’esprit de l’enfant, dans le siège de sa conscience et de son identité, l’unicité du parent et de sa descendance subsiste. Là est ressentie la relation de l’enfant avec son père ; là réside la reconnaissance de leur unité intrinsèque. Mais le cerveau n’est qu’un des composants des nombreux organes et membres de l’enfant. Certes, le reste de sa personne émerge de sa source parentale, mais il est maintenant une entité totalement séparée.
Il est évident que cela n’est pas le cas, pas plus qu’il ne serait juste de dire que les yeux, seuls, voient, ou que c’est “seulement” la bouche qui parle. Les différents composants de l’être humain forment un tout; c’est la personne qui voit, la personne qui parle, la personne qui possède une conscience. L’ongle de l’orteil de l’enfant, par la vertu de son lien avec le cerveau, ne forme pas moins un avec le père que le cerveau lui-même, l’organe qui facilite cette unicité.
Mais que se passerait-il si l’ongle de l’orteil ou tout autre membre du corps rompait cette connexion avec le cerveau ? Cela le couperait de son propre centre de vitalité et de conscience et, par voie de conséquence, de ses origines parentales. En d’autres termes, l’unité de tous les membres et des organes de l’enfant avec l’essence du père dépend du maintien de la relation dans leur propre esprit, un lien qui les imprègne tous de la conscience de cette unité.

Le corps Israël
Israël également comprend de nombreux “organes” et “membres”. Les plus grands Sages de toutes les générations dévouent leur vie à faire assimiler l’Essence Divine de la Torah. Leur être est entièrement pénétré de la conscience de la vérité de D.ieu. Ils sont le cerveau de la nation. Israël possède également un cœur, des individus dont les vies sont des modèles de compassion et de piété, et des mains, ses grands constructeurs et bâtisseurs. Chaque individu, depuis le “Moché de la génération” jusqu’au “fantassin” ordinaire forme une partie intégrante du corps du premier-né de D.ieu, chacun est de façon équivalente “un membre du père”.
La même chose s’applique au “corps” que constitue Israël. C’est notre lien avec notre “cerveau”, les Sages et les chefs d’Israël, qui a la fois nous intègre comme une nation unique et nous permet la relation avec notre Créateur, notre Source.
En réalité, un Juif ne peut jamais rompre son lien avec D.ieu, pas plus que même le plus petit ongle d’orteil de l’enfant ne peut choisir de devenir indépendant et défaire sa relation avec le père. Mais si nous ne pouvons changer ce que nous sommes, nous pouvons déterminer dans quelle mesure notre identité d’ “enfant de D.ieu” s’exprimera dans notre vie quotidienne. Nous pouvons choisir, à D.ieu ne plaise, de nous dissocier des chefs que D.ieu a répartis parmi nous, bannissant ainsi, du subconscient de notre âme, notre relation avec Lui. Ou bien, nous pouvons resserrer notre lien avec les esprits d’Israël, faisant par là de notre relation avec le Tout-Puissant, une réalité tangible et vibrante dans notre vie.
Le Coin de la Halacha
Comment peut-on contrôler ses pensées ?

La plupart des Mitsvots (commandements) de la Torah concernent le domaine de l’action. Quelques autres concernant la parole (prière, interdiction de la flatterie, de la médisance etc…) et très peu concernent la pensée qui a pourtant le plus d’impact sur l’homme. La pensée est comparée à un fin vêtement de soie : la plus petite tâche sera bien plus visible qu’une grosse tâche sur un tissu épais et grossier.
Il est écrit (Nombres 15. 39) : « Vous ne vous laisserez pas aller après votre cœur et vos yeux ». De là on déduit qu’il est interdit de s’intéresser par la pensée à l’idolâtrie, à la négation du caractère divin de la Torah ainsi qu’à tout ce qui peut amener à des transgressions.
Il est également recommandé de s’abstenir même de penser du mal de l’autre car cela peut déboucher sur la diffamation et la haine.
Bien entendu, il est absolument interdit de se bercer de pensées amenant à la colère, à l’orgueil et à l’égoïsme et aux « pensées étrangères » qui perturbent l’esprit lors de la prière ou de l’étude de la Torah.
Même si l’homme ne peut empêcher une première pensée « étrangère » d’entrer dans son esprit, il peut (et doit) néanmoins l’empêcher de se développer et doit la chasser complètement. Il devra pour cela penser à autre chose (comment résoudre ses problèmes financiers, familiaux etc…) ou mieux encore : « Tourner son esprit vers des paroles de Torah car des « pensées étrangères » ne peuvent pénétrer qu’un esprit vide » selon les paroles du Rambam (Maïmonide).
C’est pourquoi il est conseillé d’apprendre par-cœur des chapitres de Torah orale, c’est-à-dire de Michnayot et de Tanya qu’on pourra répéter et étudier mentalement en toutes circonstances.

F. L. (d’après Rav Yosef Ginsburgh)
De Recit de la Semaine
JE M’APPELLE ZALMAN

Les Sages nous enseignent que la délivrance de l’exil d’Egypte a été permise par un triple mérite : les Juifs ont gardé leur langue, leur façon de s’habiller et leur prénom…

«On avait choisi un orateur extraordinaire pour clôturer cette soirée, quelqu’un de célèbre pour son intelligence et son humour. Malheureusement, il est malade. Et vous n’avez d’autre choix que de m’écouter:
Ce soir, je veux vous parler de noms. Un des faits intéressants dans le judaïsme, c’est les prénoms hébraïques – ils ont tous une histoire. En anglais, je m’appelle Stu Silver – rien de particulier. Mais en hébreu, je m’appelle Zalman Velvel ben Israël Yaakov. Et cela reflète toute une portion d’histoire.
Le prénom Velvel me vient de mon arrière grand-père. Né en Russie, il était rabbin, orthodoxe. Il quitta la Russie il y a plus de cent ans et, avec sa femme et ses trois fils, s’installa aux Etats-Unis. Dans le bureau d’accueil des immigrés, à Ellis Island, l’officier d’état-civil demanda à mon grand-père son nom : « Youssalovitch ! » répondit-il. « Cela ressemble à Silver » résuma le dit-officier. Affaire conclue. Quelle logique ? Pourquoi y aurait-il une logique ?
Prochaine étape : Brooklyn. La vie n’y était pas facile. Chacun devait travailler. Quand le deuxième fils se lança dans les affaires, David ben Velvel s’installa dans la vraie Amérique, les quartiers chics, Astoria à Queens. Il ouvrit un magasin de vêtements. La loi interdisait le travail dimanche. David prétendait encore être orthodoxe : il « s’arrangea un petit peu », travailla donc Chabbat mais pour la “bonne cause”, pour nourrir sa famille.
Mon père, Israël Yaakov ben David ne marcha pas non plus dans les pas de son père. Il devint dentiste. Et comme tous ceux qui ont « réussi », il s’installa dans la grande banlieue. Il s’inscrivit à un « Temple » et travailla Chabbat. A la différence de son père, il n’en éprouvait aucun regret.
Le prénom Zalman me vient du père de ma mère. Il aimait plaisanter et bien manger : comme vous pouvez le voir par mon cour de taille, j’ai hérité sa personnalité…
Ce qui nous amène à moi. J’ai fréquenté le lycée Gallus de Long Island. Mon éducation juive a consisté à apprendre par-cœur les mots écrits en phonétique pour la Haftara à réciter le jour de ma Bar Mitsva. Ce dont je me souviens très bien, par contre, ce sont ces interminables séances à la synagogue : Roch Hachana, Kippour et Pessa’h, justement les jours où la prière est la plus longue… Dès que je le pus, j’arrêtai de me rendre au Temple.
Voici donc l’histoire de mon nom, Zalman Velvel fils d’Israël Yaakov. Il représente quatre générations depuis Rav Velvel, orthodoxe de naissance jusqu’à moi, né américain et à peine juif. Je n’utilisai mes prénoms juifs qu’à ma Bar Mitsva puis plus jamais.
Même si mon nom n’est pas typique, il reflète néanmoins ce qui arrive aux Juifs américains.
Cependant mon histoire personnelle a connu un grand changement, il y a trois ans. J’ai rencontré Yts’hak Yaakov ben Lema, autrement dit Rav Minkowicz, l’émissaire du Rabbi dans notre ville. C’est lui qui a recommencé à m’appeler par mes prénoms juifs, même à l’extérieur de la synagogue. Il m’a fait réaliser que malgré la réussite matérielle de ma famille, j’avais un manque spirituel que je n’arrivais pas à combler. C’était l’appel de Velvel qui me disait : « Zalman, reviens à la maison ! Chabbat commence bientôt et le repas va refroidir ! »
Et c’est ainsi que grâce à Rav Minkowicz, j’ai entrepris ma Techouva, mon retour à mon judaïsme. J’ai appris à lire l’hébreu, j’ai relu la Bible c’est-à-dire la Torah. Les femmes de ma famille allument les bougies le vendredi soir. Nous passons Chabbat tous ensemble, j’ai arrêté de travailler Chabbat, ma barbe a poussé et j’ai toujours la tête couverte, même en dehors de la synagogue, même au travail.
Et je suis passé à la vitesse supérieure, au stage le plus difficile : j’ai arrêté de manger abats, crevettes et homards.
Je veux encore vous faire partager une expérience bizarre : un de mes amis non-Juif, que je n’avais pas vu depuis des années, m’a reconnu dans un supermarché. Il m’a dit qu’il avait eu du mal à me reconnaître avec ma barbe et mon chapeau. Nous avons bavardé puis il m’a demandé, très franchement : « Es-tu plus heureux maintenant que tu es plus juif ? » J’ai répondu oui mais la question me hante depuis : « Suis-je plus heureux ? »
A première vue, je me suis dit : « Quelle question idiote ! En quoi le bonheur concerne-t-il les Juifs ? Un Juif souffre ! Ta mère t’a enseigné le sens du mot pêché ; ton père t’a enseigné la crainte et puis, avec cela, tu as eu une indigestion ».
Mais plus j’y pensais, plus j’étais convaincu que la question était vitale. Je devais m’en assurer auprès de mes proches.
Je commençai avec ma femme : « Dis-moi, depuis que je suis plus juif, ai-je changé ? »
Elle m’a regardé et a dit, pensivement : « A vrai dire, tu es devenu un meilleur mari… mais il y a encore des améliorations possibles ! »
Quant à mon fils, il étudia la question puis lâcha : « A vrai dire, papa, je trouve que tu es un meilleur père, un peu plus généreux d’ailleurs, de ton temps surtout – mais tu peux encore faire mieux ! »
J’ai fini par poser la question à Rav Minkowicz. Il caressa sa barbe, réfléchit puis répondit : « Zalman ! Tu es en train de devenir vraiment quelqu’un de bien mais (non, il ne l’a pas dit, il est trop bien pour le dire). Mais ce qu’il a dit, c’est : « Viens, nous avons encore beaucoup à apprendre ! »
Je suis donc forcé d’admettre que depuis que je suis devenu plus juif, je suis sur le bon chemin pour devenir meilleur mais j’ai encore beaucoup à faire.
Je tiens à remercier Rav Minkowicz, sa femme Ne’homi et leurs enfants pour avoir quitté le confort cachère de Crown Heights à Brooklyn, pour s’installer ici, à Southwest Florida. Je veux les remercier de nous avoir enseigné que le cœur et l’âme du judaïsme, c’est de devenir meilleur et – dans le même élan – d’aider les autres à s’améliorer.
Merci ! Et merci à vous de m’avoir écouté ! »

www.zalmanvelvel.com
Traduit par Feiga Lubecki