Semaine 4

  • Bechala’h
Editorial
Arbres... de vie

Quand les hommes célèbrent le «nouvel an des arbres», c’est que, décidément, l’espoir subsiste pour une certaine harmonie du monde. De fait, cette semaine intervient Tou BiChevat, le 15 du mois de Chevat, un des «Roch Hachana» enseignés par le judaïsme. Il n’en reste pas moins que c’est là une chose qui a de quoi surprendre : une célébration dont les fruits sont la base, ça ne peut pas laisser indifférent ! Et si on essayait de regarder l’événement d’une autre manière ? Et si ces fruits, au-delà de leur séduction naturelle, étaient aussi, et surtout, porteurs d’un enseignement pour les humains ? Comme des éléments du monde qui rapprocheraient de D.ieu ou, à tout le moins, qui en indiqueraient le chemin... Ne s’agit-il pas de «fruits d’Israël» ?
Remettons-les donc en perspective. Depuis le blé et l’orge jusqu’à la vigne et à la grenade, c’est bien d’expériences spirituelles qu’il est ici question. Du blé, les commentateurs disent qu’il est «nourriture d’homme» alors que l’orge est «nourriture d’animal». Pourtant, tous deux nous concernent tant il est vrai que l’être humain est constitué de ces deux aspects : l’un spirituel, qui est son essence même, et l’autre, animal, qui est le support de son existence physique. C’est ainsi qu’on pourrait les voir comme deux entités livrées sans cesse à un vain affrontement. Le 15 Chevat le souligne : les deux sont présents et, chacun à sa manière, est un instrument indispensable du lien avec le Divin. Quant à la grenade, comment pourrait-elle ne pas évoquer la phrase définitive des Sages « chacun est plein de mérites comme la grenade est pleine de grains » ? Et la vigne est la source du vin qui « réjouit le cœur des hommes ». Des commandements de D.ieu à l’expression de la joie pure, c’est tout le sens du voyage.
Pour toutes ces raisons, Tou BiChevat occupe une place à part dans la conscience juive. Il est cette fête si lointaine et si proche à la fois. Aussi différente de nous et aussi semblable à ce que nous vivons que l’arbre l’est de l’homme. Dans tout ce qui la/nous constitue, une idée-force est également présente : celle de la croissance ou, si l’on veut, du progrès. L’arbre croît constamment. Cesser de grandir, c’est, pour lui, cesser de vivre. L’homme n’est-il pas, de la même façon, un être qui ne se comprend qu’en mouvement ? Finalement, le 15 Chevat est d’abord une leçon de vie.
Etincelles de Machiah
Quand le Chabbat viendra

A propos du verset (Exode 20 : 8) «Souviens-toi du jour du Chabbat pour le sanctifier», Rachi écrit : «Souviens-toi du jour du Chabbat constamment de telle sorte que, si tu trouves quelque chose de spécial (pendant la semaine), mets-le de côté pour Chabbat».
Il en est de même pour la Délivrance future. Même si nous sommes encore en exil, nous devons toujours garder en tête la venue de la Délivrance et nous y préparer car (Talmud, traité Tamid) «ce jour sera entièrement Chabbat et repos pour l’éternité».
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch, 11 Sivan 5744)
Vivre avec la Paracha
Bechala’h : Douleur et plaisir

Quand le communisme avala l’industrie russe, les entreprises privées devinrent illégales. De nombreuses personnes, luttant pour gagner leur vie, s’introduisaient dans les fissures du rideau de fer pour pratiquer la contrebande et vendre frauduleusement leurs marchandises, au marché noir. Un groupe de contrebandiers mit au point une méthode créative. Simulant un enterrement, ils remplissaient un cercueil de ces marchandises et passaient, sans être inquiétés, devant les gardes russes qui étaient loin de soupçonner que le cercueil renfermait autre chose qu’un corps. Malheureusement pour eux, ils s’habituèrent tant à leurs succès qu’ils baissèrent leur garde. Lors de l’une de ces processions funéraires, le garde des frontières remarqua qu’aucun «membre de la famille» du défunt ne pleurait. Ils étaient même plutôt joyeux. Soupçonneux, il leur ordonna d’ouvrir le cercueil.
Quand il fut arrêté pour contrebande, le chef de la bande se mit à sangloter. Le garde ricana, soulignant l’ironie de la situation : «Si tu avais pleuré avant, tu n’aurais pas à pleurer maintenant !».

Parfois, de bons pleurs peuvent constituer un bon investissement
En tant que parents, bien souvent, nous avons, aujourd’hui, de bonnes raisons de pleurer. Les jeunes ont à lutter contre des influences de la société que leurs grands-parents n’auraient jamais imaginées. Il est douloureux pour des parents de voir leurs enfants leurrés par une culture de consommation abusive et par une ambigüité morale, dans un environnement qui ne donne pas la priorité au fait d’être quelqu’un de bien et de mener une vie empreinte de spiritualité.
Les médias encouragent la jeunesse à prendre un soin bien particulier à leur apparence physique, la société à planifier leur vie autour de l’idée de gagner de l’argent et l’idéalisme de leur jeunesse est éteint. Ce constat est triste.
Il est douloureux voire insupportable d’envisager les conséquences : déjudaïsation et mariages mixtes, manque de clarté morale et de sensibilité spirituelle. Il est plus facile d’attendre et espérer au mieux.
Et pourtant, il est préférable de prendre des mesures préventives, d’instiller en nos enfants un sens de moralité et d’identité juive plus fort. En fait, une dose de douleur prémonitoire peut apporter beaucoup de plaisir à long terme, comme la joie qui vient de voir ses enfants forts d’une identité profondément ressentie.
Ce principe de «douleur et plaisir» joua un rôle très actif dans la vie de Miryam, la sœur de Moché, et de ses sœurs d’âme.
La Torah décrit la manière dont, après avoir réussi à traverser la Mer Rouge, le Peuple Juif éclata dans un chant de joie. Après avoir rapporté le chant de Moché et des hommes, la Torah écrit :
«Miriam, la Prophétesse, la sœur d’Aharon, prit le tambourin dans sa main et toutes les femmes la suivirent avec des tambourins et des danses» (Chemot 15 : 20)
Moché ne fit que chanter, sans aucun accompagnement musical, mais Miryam vint, bien préparée, avec des instruments pour animer son chant. Apparemment, avant de quitter l’Egypte, Miryam avait pris avec elle des tambours et des tambourins, assurant qu’ils seraient nécessaires pour la célébration finale.
Pour les femmes, en fait, il ne s’agissait pas seulement d’un chant, mais d’un immense soulagement émotionnel, d’une joie immense, de celles qui nécessitaient un accompagnement musical.
Tout comme la Torah décrit la douleur que subirent les femmes en Egypte, elle peint la joie incommensurable qu’elles ressentirent quand elles furent libérées. Les enfants avaient été les victimes les plus atteintes par les sévices cruels des Egyptiens. Le Pharaon avait décrété que tous les garçons soient exécutés et que les filles soient astreintes à l’assimilation dans la société égyptienne. Nous pouvons aisément imaginer combien ces lois avaient torturé ces mères, toujours plus préoccupées de leurs enfants. A chaque naissance, elles avaient retenu leur respiration pour voir si leur bébé serait victime d’’infanticide. Mais envers et contre tout, elles continuaient à avoir des enfants et à les élever en bons Juifs.
Naturellement, après ces douleurs aigües et cette persévérance pour élever des familles juives, leur extase d’être libres était palpable. Chanter ne suffisait pas. Il fallait taper dans des tambours, agiter des tambourins pour commencer à exprimer, comme elles le ressentaient, leur enthousiasme devant la possibilité de la pérennité juive.
La Torah développe, dans son récit, la transition de la douleur au plaisir pour inspirer les femmes de toutes les générations à perpétuer cet héritage.
Il est constructif de souffrir, parfois, de nous inquiéter des influences sociétales négatives et des défis auxquels nos enfants sont confrontés. Parce que cette douleur nous secoue, nous tire de notre léthargie et nous pousse à des actions, spectaculaires ou discrètes, pour nous permettre de nous plonger dans le plus grand et le plus durable des plaisirs : le na’hat (véritable satisfaction) de la part de nos enfants.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que Tou Bichevat ?

Le 15 («Tou») du mois juif de Chevat est un jour particulier : il est un des quatre «Roch Hachana» (début de l’année), en l’occurrence le Roch Hachana des arbres. On ne récite pas la prière de Ta’hanoune (supplication).
Ce samedi 26 janvier 2013, on mangera davantage de fruits, en particulier des fruits qui font la fierté de la terre d’Israël : blé, orge, raisin, figue, grenade, olive et datte. On s’efforcera également de manger des caroubes ainsi que des fruits nouveaux. On n’oubliera pas de réciter les bénédictions adéquates avant et après manger.
On aura soin de prélever la «Terouma» et le «Maasser» des fruits provenant d’Israël.
La Torah compare l’homme à un arbre des champs : lui aussi est supposé produire des fruits, c’est-à-dire des Mitsvot, des bonnes actions. De même que le fruit peut produire des arbres qui produiront des fruits etc…, de même nos Mitsvot entraînent d’autres Mitsvot, encouragent d’autres Juifs à assumer leur judaïsme, à retrouver leurs racines et à s’enraciner dans un sol riche d’étude de la Torah et de pratique des Mitsvot. C’est ainsi que le peuple juif se perpétue, se développe et produira d’autres fruits.
À Tou Bichevat, nous mangeons des fruits, nous «produisons» des fruits, nous plantons des graines de bonnes actions.

F. L.
De Recit de la Semaine
Les arbres et le cadran solaire

En Lituanie, se trouvaient trois écoles de sciences, privées, sous la tutelle de différents princes. Les professeurs de ces académies étaient recrutés en France pour leur haut niveau de connaissances.
Dans la propriété du Prince Sheksinski, près de Vitebsk, se dressait un grand palais avec une attraction célèbre dans tout le pays : un cadran solaire disposé dans le jardin de la cour. Depuis deux ans, ce cadran solaire ne fonctionnait pas bien entre 14 heures et 17 heures. Le prince avait déjà sollicité les explications de grands experts, scientifiques et professeurs mais nul ne comprenait la raison de ce phénomène. Finalement, le prince se résigna à demander l’avis de celui qu’on présentait comme un génie dans tous les domaines des sciences profanes, Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi.
Au début, le Rabbi refusa de se rendre à la cour du prince car il n’était pas intéressé à se mêler aux grands de ce monde dont les Sages recommandent de ne pas rechercher la proximité. Une fois qu’on l’eut assuré qu’il ne perdrait pas de temps inutilement là-bas, il accepta finalement d’aller chez le prince. Bien que le Rabbi ait parfaitement su s’exprimer en polonais, il préféra parler en yiddish et ce fut son beau-père qui servit de traducteur. Après avoir examiné plusieurs fois le cadran durant les heures problématiques, Rabbi Chnéor Zalman affirma : «Il est écrit dans le Talmud que le soleil se trouve directement au zénith au milieu de la journée ; rien ne peut interférer entre la lumière du soleil et la terre à cette heure-là - à part les nuages. Cependant, l’après-midi, quand le soleil commence à baisser, divers objets peuvent s’interposer entre le soleil et la terre. A mon avis, il se trouve une montagne au sud de l’endroit où nous sommes, à une distance de 30 à 40 kilomètres. Apparemment, des arbres ont poussé au sommet de cette montagne et ce sont eux qui interceptent les rayons du soleil qui ne peuvent donc plus activer le cadran entre deux et cinq heures de l’après-midi. Quand le soleil se couche un peu plus, les arbres ne sont plus un obstacle et le cadran se remet à fonctionner correctement !»
Le prince fut émerveillé devant la sagesse de Rabbi Chnéor Zalman et envoya un émissaire spécial pour vérifier la justesse du raisonnement du Rabbi.
Mais le recteur de l’académie, un certain professeur Marseilles, estima que ce raisonnement était ridicule : «Les Juifs s’imaginent que toute la sagesse du monde se trouve consignée dans leur Talmud : Zélig le docteur y aurait appris la médecine, Barou’h le jardinier y aurait appris à s’occuper des plantes et Zanvil le commerçant y a appris comment rouler ses clients ! Et ce rabbin s’imagine que les rayons du soleil n’atteignent la terre que selon les heures fixées par le Talmud !» Impassible, Rabbi Chnéor Zalman répondit : «La vérité empirique est la hache qui s’abat sur ceux qui sont arrogants et s’imaginent que la science seule est vraie !»
- Cela aussi, vous l’avez trouvé dans votre Talmud ? s’esclaffa le professeur.
- Non, répondit Rabbi Chnéor Zalman en le regardant droit dans les yeux. Ce proverbe est attribué au grand Galilée qui dut lui aussi souffrir de ceux qui étaient arrogants…
Certains antisémites avaient entendu le diagnostic posé par le Rabbi. Avant que le prince ne puisse envoyer des émissaires vérifier la justesse des allégations de Rabbi Chnéor Zalman, ils s’empressèrent de couper les arbres qui obstruaient les rayons du soleil, espérant ainsi discréditer le Rabbi.
Quelques jours plus tard, les jardiniers du prince rapportèrent que le cadran fonctionnait maintenant à la perfection, le prince fut très surpris mais il attribua cela à une des bizarreries de la technologie.
Il s’étonnait néanmoins que la théorie de Rabbi Chnéor Zalman ne se soit pas révélée exacte alors qu’elle semblait très plausible.
Par la suite, le beau-père de Rabbi Chnéor Zalman eut vent de la rumeur concernant les arbres qui avaient été coupés en secret ; il retrouva les coupables, les traîna devant le prince et ils furent obligés d’admettre leur méfait. C’est ainsi que la sagesse de Rabbi Chnéor Zalman fut confirmée et l’étendue de sa science fut reconnue et admirée dans toutes les académies de Pologne et Lituanie.

L’Chaim n°1253
Traduit par Feiga Lubecki