Des racines et des hommes
Tou BiChevat, le 15 du mois de Chevat est parmi nous cette semaine et il soulève toujours la même question : cette date est qualifiée de « nouvel an des arbres » mais pourquoi la rappeler, même si elle est bien réelle, quand elle ne semble pas concerner, au moins directement, l’espèce humaine ? En quoi avons-nous rapport avec une célébration qui relève, au mieux, de l’ordre du végétal ? Pourtant, ce jour est bien marqué par les textes et la tradition très généralement établie d’y consommer des fruits. La réponse, comme souvent, tient en une partie de verset : « Car l’homme est un arbre des champs… » C’est certes là une proposition audacieuse. Au-delà de la préoccupation écologique avant la lettre, ce membre de phrase recèle une idée essentielle : il existe entre l’arbre et l’homme des points communs qui sont autant d’enseignements précieux.
De fait, l’arbre, solidement arrimé par ses racines à la terre nourricière, se développe harmonieusement jusqu’à produire des fruits qui, plus que simples aliments, apporteront à l’homme le sens du « plaisir » et du « délice ». N’obtient-on pas ainsi un premier portrait de l’être humain dont le développement spirituel, intellectuel et moral ne tient qu’à la robustesse de ses racines et à la qualité du sol où elles s’enfoncent ? Car existe-t-il un avenir pour les arbres sans passé ou pour les hommes à la trop courte mémoire ou aux racines incertaines ? Dans le même sens, l’arbre arrive à sa plénitude par les fruits qu’il produit et qui sont comme son couronnement. C’est ainsi que se déroule la vie de l’homme qui ne prend sa pleine signification que si, productrice d’avenir, elle est capable de transmettre, par ses fruits, à la génération suivante.
C’est dire que, comme l’arbre, l’homme est un être qui se cultive. Il est celui que les soins et l’attention perfectionnent, lui permettant d’exprimer l’infini de son potentiel. Et si tout commençait par l’éducation, la sienne propre, celle de ses enfants et de son entourage ? Une éducation, au sens le plus noble et le plus large du terme qui donne une vision du monde, la capacité de le comprendre, la volonté de l’améliorer et la conscience de mener l’œuvre à bien. En un temps où mondialisation veut trop souvent dire massification, l’arbre qui s’élance vers le ciel est décidément une image indispensable.
Plus grand que Moïse
Machia’h a une certaine supériorité même sur Moïse. Au début du texte de la Torah (Gen. 1 : 2), il est dit : « Et l’esprit de D.ieu planait… ». A ce sujet, Les Sages enseignent (Berechit Rabba 2 : 4) : « Ceci fait allusion à l’esprit de Machia’h ». Puis le verset continue : « …sur la face des eaux » ; ceci dénote un degré plus élevé que celui de Moïse qui reçut ce nom car « je t’ai tiré des eaux ».
C’est la raison pour laquelle cet exil est si long – pour que ce niveau si élevé soit enfin atteint.
(d’après les Maamarim de l’Admour Hazakène sur les Parchiot, p.237)
Yitro
Le beau-père de Moché, Yitro, entend parler des miracles extraordinaires qu’a accomplis D.ieu pour le Peuple d’Israël. Il se rend de Midian au camp d’Israël, accompagné de la femme de Moché et de leurs deux fils. Yitro conseille à Moché de désigner une hiérarchie constituée de magistrats et de juges pour l’aider dans sa tâche de gouvernance et de législateur du peuple.
Les Enfants d’Israël établissent leur campement face au mont Sinaï où il leur est dit que D.ieu les a choisis pour être Son « royaume de prêtres » et « une nation sainte ». Le peuple répond en proclamant : « Tout ce que D.ieu a dit, nous le ferons ».
Le sixième jour du troisième mois (Sivan), sept semaines après l’Exode, la nation d’Israël, dans son intégralité, s’assemble au pied du mont Sinaï. D.ieu descend sur la montagne dans le tonnerre, les éclairs, des tourbillons de fumée et le son du Chofar. Il commande à Moché de monter.
D.ieu proclame les Dix Commandements, enjoignant le Peuple d’Israël de croire en D.ieu, de ne pas servir d’idoles ou de prononcer le Nom de D.ieu en vain, de garder le Chabbat, d’honorer les parents, de ne pas tuer, de ne pas commettre d’adultère, de ne pas voler et de ne pas porter de faux témoignages ni de jalouser la maison d’autrui.
Le peuple se tourne vers Moché en criant que la révélation est trop intense pour qu’ils puissent la supporter, le suppliant de recevoir, lui, la Torah de D.ieu et de la leur transmettre.
Les Dix Commandements commencent par « Je suis l’Eternel ton D.ieu qui t’a fait sortir d’Egypte ». Les Sages demandent : « Pourquoi n’est-il pas dit : ‘Qui a créé le ciel et la terre’ » ?
Il semblerait que la Création de toute existence à partir du néant absolu est un miracle beaucoup plus impressionnant ! Après tout, que l’existence soit créée à partir de rien, pas même d’un vide, mais d’un néant total, qu’elle soit transformée en une réalité, dépasse totalement notre compréhension. En fait, la Création est quelque chose d’exclusivement divin, totalement inaccessible au potentiel humain. Dans cette perspective, pourquoi n’est-elle pas mentionnée dans les Dix Commandements ?
Plusieurs réponses sont apportées à cette problématique. Attardons-nous sur certaines.
Lors de la Création, D.ieu fit un monde à partir du néant. Cela implique un changement d’une forme à une autre. Quand D.ieu sortit les Juifs d’Egypte, avec des miracles et des merveilles, Il ne changea pourtant pas la forme mais accomplit des miracles en son sein. Les Juifs quittèrent l’Egypte en tant qu’âmes renfermées dans un corps physique. Ils constituaient une nation faite de familles : maris, femmes et enfants. Et ils transportaient de grandes richesses. Ainsi, le monde tel qu’il existait précédemment continuait à exister et pourtant, son modèle naturel était supplanté par un modèle miraculeux. Cela, la combinaison du naturel et du surnaturel, représente la fusion de contraires, ce qui, en soi, est un miracle encore plus grand que celui de créer une réalité nouvelle.
Cela va encore plus loin. Cela souligne également le but du Don de la Torah. Car le dessein ultime de la Torah est de combiner le matériel et le spirituel et non d’accorder la préséance à l’un des deux.
En d’autres termes, la Torah ne nous demande pas d’abandonner la matérialité pour vivre une existence spirituelle d’ascèse. Elle ne désire pas non plus que l’homme s’investisse en priorité dans une existence matérielle. Il s’agit plutôt de fusionner les deux aspects, de façon harmonieuse.
Voyons une autre perspective.
La Création est un acte englobant qui implique l’existence dans sa totalité. Mais pour le peuple qui se tenait au pied du Mont Sinaï, c’était quelque chose de bien lointain et de très impersonnel. Par contre, la sortie d’Egypte leur était très réelle, au niveau individuel. Car sans elle, ils auraient toujours été esclaves. La libération leur apprit comment leur relation avec D.ieu affecte leur vie dans l’ici et le maintenant. Ils ne ressentaient pas la présence d’un Créateur lointain mais étaient conscients de la présence d’un D.ieu Qui Se soucie d’eux et S’en occupe.
Même dans les générations suivantes, pour qui la sortie d’Egypte est aussi un événement historique et non personnel, il s’agit toujours de D.ieu Qui prend soin de nos ancêtres. Il s’implique pour l’homme et n’est pas un simple « Observateur », loin de notre vie.
Enfin étudions un dernier point de vue.
La relation entre l’homme et D.ieu se fait « mesure pour mesure ». Si les Dix Commandements soulignaient la présence de D.ieu comme le Créateur de la nature, cela impliquerait que son service peut également se confiner dans nos limites naturelles, dans ce qui nous est facile. Rappeler la sortie d’Egypte indique que notre engagement pour Lui doit transcender ces limites et même toutes les limites. Tout comme celle-ci relève d’un modèle d’une Providence Divine qui se situe au-delà de toute conception rationnelle, ainsi devons-nous témoigner d’un engagement illimité et d’une volonté de Le servir de toutes les manières possibles.
Perspectives
La révélation au Sinaï représente une plaque tournante dans l’histoire spirituelle du monde. Quand D.ieu descendit sur la montagne, la nature du monde changea. Comme le déclare le Midrach, à ce moment, D.ieu dit : « Je suis venu dans Mon jardin ». La Divinité revint dans le monde et le monde devint Son jardin, le lieu où Il S’épanouit et dont Il tire plaisir et satisfaction.
En fait, immédiatement après, le peuple pécha. Il fabriqua un veau d’or et, par là, ne permit pas à la Divinité de Se révéler dans un cadre de référence matériel quotidien. Cependant, le lien essentiel, la connexion fondamentale entre D.ieu et le monde resta intacte. Le problème est qu’à la révélation sur le mont Sinaï, cette relation était ouverte et transparente. L’humanité était à même d’appréhender la Divinité. Après le veau d’or, Il fut caché de la conscience humaine et le défi d’engager une relation avec Lui devint la responsabilité et la mission de l’homme.
Mais c’est précisément là que réside l’avantage de cette phase de notre existence. D.ieu attend que l’homme fasse de Lui une partie de sa vie et tout dépend de l’homme. D’En Haut, ne survient aucune restriction. Si nous le désirons réellement, nous pouvons faire participer D.ieu à notre vie et faire de l’époque de Machia’h une réalité tangible.
Qu’est-ce que Tou BiChevat ?
Mercredi 31 janvier 2018, c’est Tou BiChevat, le Roch Hachana, le nouvel an des arbres.
On ne récite pas la prière de Ta’hanoune (supplications).
Mardi soir 30 janvier et mercredi 31 janvier, on consomme de nombreux fruits, en particulier ceux qui représentent la fierté de la Terre Sainte, qui sont cités dans le verset de la Torah : « blé, orge, raisin, figue, grenade, olive et datte ». On s’efforcera également de manger des caroubes ainsi que des fruits nouveaux qu’on n’a pas encore consommés cette année. On veillera à réciter les bénédictions adéquates avant et après manger. On profitera de cette belle occasion pour organiser des réunions joyeuses et productives sur le plan des bonnes résolutions.
On aura soin de prélever les différentes dîmes (Terouma et Maassère) sur les fruits provenant d’Israël.
La Torah compare l’homme à un arbre des champs : lui aussi est supposé produire des fruits, c’est-à-dire des Mitsvot, des bonnes actions. De même que le fruit peut produire des arbres qui produiront des fruits etc…, de même nos Mitsvot entraînent d’autres Mitsvot, encouragent d’autres Juifs à assumer leur judaïsme, à retrouver leurs racines et à s’enraciner dans un sol riche d’étude de la Torah et de pratique des Mitsvot. C’est ainsi que le peuple juif se perpétue, se développe et produira d’autres fruits.
A Tou BiChevat, nous mangeons des fruits, nous « produisons » des fruits, nous plantons des graines de bonnes actions.
Gouvernante et cousine
Une belle journée ensoleillée en Floride. Le docteur Schild et son épouse étaient assis confortablement sur leurs chaises longues, appréciant la brise légère et le spectacle de la nature en fleurs. Les arbres fruitiers qui abondaient dans leur jardin répandaient toutes sortes d’arômes alentour : citronniers, orangers, palmiers… les mangues étaient mûres, les fleurs jaillissaient de toutes parts dans une multitude de couleurs. C’était un plaisir immense que de jouir de l’ombre dans ce climat et cet environnement enchanteur. Le docteur Schild avait investi beaucoup d’argent aussi bien dans la décoration de sa maison que dans l’agencement de son jardin. L’argent n’était pas un problème pour lui.
- Les valises sont-elles prêtes ? As-tu prévu un chauffeur pour t’amener à l’aéroport ? demanda Mme Schild.
- Bien sûr ! Tout a été commandé la semaine dernière ! Je suis si heureux d’aller à New York. Ainsi j’aurai la possibilité de rendre visite au Rabbi Schneerson !
- J’ai une idée ! s’exclama Mme Schild. Tu pourrais lui apporter une belle corbeille garnie des fruits de notre verger. Cela constituera pour Pourim un Michloa’h Manot fait maison et sans problème de cacherout !
Aussitôt dit, aussitôt fait. Elle chercha une grande corbeille qu’elle remplit des plus beaux spécimens de leur jardin et le décora de fleurs.
- C’est magnifique ! admira Dr Schild en souriant. Voici encore un de tes multiples talents que j’ignorais !
- Peut-être le Rabbi et la Rabbanite accepteront-ils de venir passer des vacances chez nous ? Nous pouvons les héberger au premier étage, avec une entrée séparée : cet appartement est bien aménagé et totalement indépendant. Ils pourront apprécier le climat ensoleillé de la Floride, si bénéfique en hiver pour les New Yorkais. N’oublie pas de le proposer au Rabbi ou à son épouse quand tu iras leur apporter le panier de fruits !
Le docteur Schild était absolument enchanté de cette proposition. Certainement, le Rabbi et son épouse seraient contents de prendre un peu de repos dans un environnement aussi paradisiaque !
L’avion atterrit à New York. Le chauffeur de taxi amena le voyageur à destination, directement devant la maison du Rabbi à Brooklyn, sur President Street. Le docteur sortit du véhicule en tenant soigneusement le panier qu’il avait emballé avec soin et sur lequel il avait veillé durant tout le voyage.
Il sonna à la porte, le cœur battant. Une dame élégante lui ouvrit. Le docteur lui tendit la corbeille de fruits en déclarant : « C’est un Michloa’h Manot pour le Rabbi et son épouse, de la part du docteur Schild de Floride. Pouvez-vous le leur remettre ? ».
La dame prit la corbeille et lui demanda d’attendre quelques minutes puis elle réapparut et lui tendit un billet de cinq dollars en guise de pourboire.
- Je vous remercie mais je n’ai pas besoin de pourboire ! protesta gentiment le visiteur. Je suis le docteur Schild !
- Oh ! Excusez-moi ! Si vous êtes le docteur Schild, entrez donc je vous prie !
- Qui êtes-vous ? s’enquit-il.
- Je suis la gouvernante et la cousine du Rabbi, répondit la dame d’un ton très naturel.
Le docteur était impressionné par cet accueil chaleureux et, silencieusement, admirait la finesse et la noblesse de la gouvernante. Il était heureux que la personne en charge de la maison du Rabbi soit aussi digne de sa fonction.
Il entra dans le salon et raconta à la gouvernante combien il aimerait proposer au Rabbi et à son épouse de prendre quelques vacances au soleil de la Floride, de profiter de son jardin luxuriant pour reprendre des forces. Le Rabbi et la Rabbanite jouiraient d’une indépendance parfaite et nul ne viendrait les déranger. Le docteur conclut son exposé enthousiaste : « Nous serions si honorés que le Rabbi et la Rabbanite acceptent notre invitation ! Pourriez-vous leur transmettre ce message ? »
La dame l’avait écouté avec attention et affirma : « Je répéterai exactement ce que vous avez proposé ».
Le médecin resta encore quelques minutes ; la gouvernante mettait tout en œuvre pour qu’il se sente à l’aise et, quand il quitta la maison, il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il avait vraiment passé un moment très enrichissant : « C’est une dame très raffinée, je suis heureux que le Rabbi et son épouse soient entre de si bonnes mains ! Leur maison est certainement un havre de paix et de sérénité dans ces conditions ! ».
Il marchait sur President Street, plongé dans ses pensées. En chemin, il rencontra un homme habillé à la façon des ‘Hassidim et, sans le connaître mais encore sous le charme de cet accueil si chaleureux, le médecin l’arrêta pour communiquer ses sentiments avec le premier venu si on peut dire :
- Je sors justement de la maison du Rabbi ! J’y ai été reçu par une dame si intelligente qui semble si dévouée et si efficace ! Je suis si heureux de constater que le Rabbi et son épouse soient entourés d’une dame à la personnalité si digne d’eux !
Le ‘Hassid était surpris. Il n’avait jamais entendu parler d’une dame au service du Rabbi et de la Rabbanite : « Je vous en prie : décrivez-moi la personne en question ».
Le médecin raconta ce qu’il avait remarqué de si extraordinaire chez cette « gouvernante » et, tout-à-coup, le ‘Hassid sursauta : « Ce n’était pas une simple gouvernante ! La dame que vous me décrivez était la Rabbanite ! Comment avez-vous pu vous méprendre à ce point ? ».
Sidéré, le médecin protesta :
- Pourquoi me méprendre ? C’est elle-même qui m’a affirmé cela. Quand je lui ai demandé qui elle était, elle a répondu qu’elle était la personne en charge de la maison et qu’elle était une cousine du Rabbi ! Je n’avais pas de raison de mettre sa parole en doute !
- La Rabbanite n’a dit que la stricte vérité, sourit le ‘Hassid. Elle s’occupe de la maison comme toute femme juive : la cuisine, le ménage, la bonne marche de la maison… Et il est vrai qu’elle est aussi une cousine du Rabbi puisqu’ils sont les descendants du même arrière-arrière-grand-père, le Rabbi Tsema’h Tsedek !
Tout médecin qu’il fût, il fallut au docteur Schild un bon moment pour se remettre du choc : il avait pu lui-même constater combien la Rabbanite était vraiment une personne très spéciale : simple, humble, modeste mais raffinée et chaleureuse, sachant mettre à l’aise ses visiteurs et prenant soin de faciliter au maximum l’existence du Rabbi. Elle n’avait pas jugé nécessaire de se mettre en avant et d’annoncer qui elle était quand ce n’était pas nécessaire.
Ne’hama Bar
Extrait d’un discours prononcé
en l’honneur de la Hilloula
Traduit par Feiga Lubecki