Samedi, 11 février 2023

  • Yitro
Editorial

 Racines

Le Tou Bichevat, le 15 du mois de Chevat – « nouvel an des arbres », soulève toujours une question de fond : faut-il vraiment parler de « nouvel an » voire en relever la date alors que, même s’il est réel, cela ne semble pas concerner, au moins directement, l’espèce humaine ? En quoi avons-nous rapport avec une célébration qui relève, au mieux, de l’ordre du végétal ? Pourtant, ce jour est bien marqué par les textes et la tradition d’y consommer des fruits est très généralement établie. La réponse, comme souvent, tient en une partie de verset : « Car l’homme est un arbre des champs… » C’est certes là une proposition audacieuse. Au-delà de la préoccupation écologique avant la lettre, ce membre de phrase recèle une idée essentielle : il existe entre l’arbre et l’homme des points communs qui sont autant d’enseignements précieux.

De fait, l’arbre, solidement arrimé par ses racines à la terre nourricière, se développe harmonieusement jusqu’à produire des fruits qui, plus que simples aliments, apporteront à l’homme le sens du « plaisir » et du « délice ». N’obtient-on pas ainsi un premier portrait de l’être humain dont le développement spirituel, intellectuel et moral ne tient qu’à la robustesse de ses racines et à la qualité du sol où elles s’enfoncent ? Car existe-t-il un avenir pour les arbres sans passé ou pour les hommes à la trop courte mémoire ou aux racines oublieuses ? Dans le même sens, l’arbre arrive à sa plénitude par les fruits qu’il produit et qui sont comme son couronnement. C’est ainsi que se déroule la vie de l’homme qui ne prend sa pleine signification que si, productrice d’avenir, elle est capable de transmettre, par ses fruits, à la génération suivante.

C’est dire que, comme l’arbre, l’homme est un être qui se cultive. Il est celui que les soins et l’attention perfectionnent, lui permettant d’exprimer l’infini de son potentiel. Et si tout commençait par l’éducation, la sienne propre, celle de ses enfants et de son entourage ? Une éducation, au sens le plus noble et le plus large du terme qui donne une vision du monde, la capacité de le comprendre, la volonté de l’améliorer et la conscience de mener l’œuvre à bien.

Etincelles de Machiah

 Le soleil et la lune

Le texte de la Torah (Gen. 38 : 28-30) nous annonce la naissance de Pérètz et Zara’h, fils de Yéhouda. A leur propos les commentateurs relèvent que Zara’h est comparable au soleil tandis que Pérètz l’est à la lune. Quel est le sens de cette parabole ?

Le soleil représente le mode de service de D.ieu des Justes. En effet, ceux-ci ne connaissent ni changement ni chute. Comme le soleil qui éclaire de façon constante, ils sont d’une perfection immuable. A l’inverse, la lune symbolise le service de D.ieu des Baalei Techouva, ceux qui ont commis des fautes et sont revenus à D.ieu. Ils ont ainsi connu la chute et redécouvert la plénitude, comme la lune qui décroit pour revenir à la perfection.

Cette idée explique pourquoi c’est de Pérètz, ancêtre de la dynastie du roi David, que descendra le Machia’h. Car un des apports essentiels de ce dernier sera justement de donner accès à la Techouva aux Justes puisque celle-ci est toujours d’une grandeur et d’une puissance inégalables !

(D’après Likoutei Si’hot vol. XXX  –
Parachat Vayéchev II)

Vivre avec la Paracha

 Yitro

Le beau-père de Moché, Yitro, entend parler des miracles extraordinaires qu’a accomplis D.ieu pour le Peuple d’Israël. Il se rend de Midian, au camp d’Israël, accompagné de la femme de Moché et de leurs deux fils. Yitro conseille à Moché de désigner une hiérarchie constituée de magistrats et de juges pour l’aider dans sa tâche de gouvernance et de législateur pour le peuple.

Les Enfants d’Israël établissent leur campement face au Mont Sinaï où il leur est dit que D.ieu les a choisis pour être Son « royaume de prêtres » et « une nation sainte ». Le peuple répond en proclamant : « Tout ce que D.ieu a dit, nous le ferons ».

Le sixième jour du troisième mois (Sivan), sept semaines après l’Exode, la nation d’Israël dans son intégralité se rassemble au pied du Mont Sinaï. D.ieu descend sur la montagne dans le tonnerre, les éclairs, des tourbillons de fumée et le son du Chofar. Il commande à Moché de monter.

D.ieu proclame les Dix Commandements, enjoignant le Peuple d’Israël de croire en D.ieu, de ne pas servir d’idoles ou de prononcer le Nom de D.ieu en vain, de garder le Chabbat, d’honorer les parents, de ne pas tuer, de ne pas commettre d’adultère, de ne pas voler et de ne pas porter de faux témoignages ni de jalouser autrui. Le peuple s’adresse à Moché en criant que la révélation est trop intense pour qu’ils puissent la supporter, le suppliant de recevoir, lui, la Torah de D.ieu et de la leur transmettre.

Un don et un test

« Pour vous tester, D.ieu est venu… » (Chemot 20 :17)

Le Don de la Torah au Mont Sinaï présente de nombreux aspects.

Ce fut une Révélation Divine, la première fois (et jusqu’à présent la seule) où D.ieu nous permit d’appréhender Son Etre-même.

Ce fut la constitution d’une nation : le peuple d’Israël.

Ce fut la communication à l’humanité du plan Divin pour la Création.

Ce fut, nous disent les maîtres ‘hassidiques, un avant-goût du Monde futur messianique.

Mais en quoi était-ce un test ?

Si nous observons les différents contextes dans lesquels la Torah utilise le terme « nissayone » (« test »), nous découvrons que les tests prennent diverses formes dans notre vie.

Bien évidemment, il existe les inévitables tests qui prennent la forme de « tentations » : les affaires commerciales financièrement profitables mais moralement questionnables, les insultes, indubitablement méritées, au bord de nos lèvres… Et ce ne sont que quelques infimes exemples de situations où notre intégrité est constamment mise à l’épreuve !

Et puis se présentent les épreuves dans le labeur et les tribulations de la vie. Comment réagissons-nous devant les soucis que nous rencontrons dans notre vie ? Perdons-nous espoir ou avons-nous confiance dans le Tout-Puissant et affirmons-nous que tout est pour le bien ? La pauvreté, la maladie, et même les unes des journaux, viennent souvent miner notre conscience de la Bonté de D.ieu et de la Divinité de la vie.

Apparaissent également les tests de la foi, quand nos pensées et nos expériences entrent en conflit avec ce que nous savons être juste et vrai et que nous sommes placés devant le défi d’affirmer la foi et la conviction qui résident dans la profondeur de notre âme.

Mais il est sûr que la situation la plus éprouvante de toutes est celle des épreuves des martyrs. Nous sommes éperdus d’admiration devant ceux qui ne s’inclinèrent pas devant les épées des croisées ou les tortures des inquisiteurs, devant ceux qui choisirent de mourir pour la vérité plutôt que de vivre dans le mensonge.

Et en dernier lieu, nous sommes confrontés aux innombrables tests, grands et petits, qui apparaissent sous forme de « dons ». En fait, les opportunités de la vie : un talent exceptionnel, un profit inattendu, une expérience éclairante… peuvent, dans un certain sens, représenter la plus difficile des épreuves à surmonter ! Comment répondrons-nous aux dons dont nous avons bénéficiés ? En ferons-nous un usage optimal et constructif ? Ou cacherons-nous ces trésors dans les greniers et les caves de notre vie, sans développer leur potentiel, sans réaliser ce qu’ils auraient rendu possible ?

Au mont Sinaï, D.ieu nous gratifia du cadeau le plus fondamental de tous : le don de la sagesse et d’un but. Ainsi, immédiatement après la plus importante Révélation Divine de tous les temps, Moché dit-il à l’assemblée de la nation d’Israël : « Pour vous tester, D.ieu est venu… »

Des éclats ou des étincelles ?

« D.ieu prononça toutes ces paroles, en ces termes. » (Chemot 20 :1)

« Les Écritures, la Michna, le Talmud et la Agada, y compris ce qu’un étudiant brillant est destiné à révéler, ont déjà été dits à Moché au mont Sinaï. » (Talmud de Jérusalem, Péah 2 :4)

Citant le verset (Yirmiyahou 23 : 29) : « Mes mots sont comme du feu et comme un marteau qui fracasse un rocher » le Talmud (Sanhédrin 34a, Chabbat 88b) explique :

« Tout comme un marteau brise en de nombreux éclats, ainsi un verset unique de la Torah livre de nombreuses significations. »

Cet enseignement n’échappe pas à la règle et lui aussi donne l’occasion aux Sages d’en proposer plusieurs interprétations.

Rachi comprend ainsi la métaphore : « tout comme un marteau divise le rocher en de nombreux éclats… » ainsi, les « éclats » dont parle le Talmud sont-ils des fragments de rocher venant de la pierre brisée. En d’autres termes, la Torah elle-même est « le rocher » qui se brise en de nombreux fragments, chacun représentant différentes significations de ses paroles. Cette interprétation colle à la terminologie sur laquelle s’appuie la métaphore et qui compare la parole de D.ieu en « un marteau qui fracasse un rocher ».

D’autres comprennent le mot « éclats » au sens littéral, c’est-à-dire comme les éclats générés par un marteau qui frappe un rocher. Selon cette acception, le mot « fracasser » prend le sens de « disperser ». Autrement dit, la Torah est « le marteau » qui, lorsqu’il frappe le rocher, laisse s’éparpiller de nombreuses brisures, représentant ses significations divergentes.

Quand le marteau frappe le rocher

Quel est le sens profond de ces diverses interprétations ?

Souvent, un étudiant en Torah peut être enclin à favoriser un mode d’étude de la Torah par rapport à un autre. Une certaine forme d’esprit peut préférer une approche littérale des récits de la Torah et être principalement intéressée par ce qui s’est passé, d’un point de vue historique, et par ce qu’énonce la Torah au niveau le plus élémentaire, le plus pragmatique.

Quelqu’un d’autre peut adopter une posture essentiellement talmudique, en se préoccupant exclusivement du point de vue de la dimension légaliste.

On peut également être plus attiré par l’implication philosophique des textes ou par la dimension mystique de ses interprétations kabbalistiques.

C’est en ce sens que la parole de D.ieu est un marteau qui fracasse un rocher, le brisant en fragments de diverses tailles et formes. Chacun d’entre nous peut trouver le morceau particulier qui lui correspond le mieux, qui prend au mieux la forme et la texture de sa propre nature et de ses propres aptitudes.

En revanche, il ne faut pas oublier non plus que la Parole de D.ieu est également un marteau qui fait envoler des étincelles dans toutes les directions : une gerbe d’innombrables gouttelettes d’énergie.

Quand le marteau de la Sagesse divine s’abat sur le rocher de la réalité, les étincelles jaillissent dans toutes les directions. Certaines montent vers des cimes ésotériques, d’autres descendent en cascade sur la terre bien concrète. D’autres encore serpentent dans les autres lieux, philosophiques, psychologiques, inspirants et innombrables, du champ cosmique.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que Tou Bichevat ?

Lundi 6 février 2023, c’est Tou Bichevat, le Roch Hachana, le nouvel an des arbres.

On ne récite pas la prière de Ta’hanoun (supplications).

Dimanche soir 5 février et lundi 6 février, on consomme de nombreux fruits, en particulier ceux qui représentent la fierté de la Terre Sainte, qui sont cités dans le verset de la Torah : « blé, orge, raisin, figue, grenade, olive et datte » (Devarim - Deutéronome 8 : 8). On s’efforcera également de manger des caroubes ainsi que des fruits nouveaux qu’on n’a pas encore consommés cette année. On veillera à réciter les bénédictions adéquates avant et après manger. On profitera de cette belle occasion pour tenir des réunions joyeuses et productives sur le plan des bonnes résolutions - dans le respect des règles sanitaires et religieuses.

La Torah compare l’homme à un arbre des champs : lui aussi est supposé produire des fruits, c’est-à-dire des Mitsvot, des bonnes actions. De même que le fruit peut produire des arbres qui produiront des fruits etc. de même nos Mitsvot entraînent d’autres Mitsvot, encouragent d’autres Juifs à assumer leur judaïsme, à retrouver leurs racines et à s’enraciner dans un sol riche d’étude de la Torah et de pratique des Mitsvot. C’est ainsi que le Peuple juif se perpétue, se développe et produira d’autres fruits.

A Tou Bichevat, nous mangeons des fruits, nous « produisons » des fruits, nous plantons des graines de bonnes actions.

Le Recit de la Semaine

 Un super Chad’hane (marieur)

Mon père, Rav ‘Haïm Ouri Hutner était un puits d’érudition dans tous les domaines de la Torah. Né à Lyzensk, en Pologne, il réussit, grâce à la clairvoyance de ma mère, déjà en 1935, à fuir le pays avant la Shoah. La famille s’installa d’abord à Londres, puis aux Etats-Unis où il fut rabbin de communautés respectables. A la fin de sa vie, il s’installa à Natanya où il décéda en 1980.

Descendant d’une famille de ‘Hassidim de Belz, il avait obtenu la Smi’ha (diplôme) des plus hautes autorités rabbiniques de Pologne et Galicie. Son érudition mais aussi sa fine intelligence et son bon sens lui valaient l’admiration de tous, en particulier du Grand Rabbin de Natanya à l’époque, Rav Israël Meir Lau qui ne tarissait pas d’éloges à son propos.

Un soir, à la fin des années 60, il mérita d’entrer en Ye’hidout (entrevue privée) dans le bureau du Rabbi de Loubavitch à Brooklyn et, depuis, il devint un de ses fervents partisans.

Alors qu’il dirigeait la Yechiva ‘Hafetz ‘Haïm à New York, on lui proposa de devenir Av Beth Din (directeur du tribunal rabbinique) à Los Angeles. Il hésita longuement puis un de ses amis lui suggéra de demander l’opinion du Rabbi. A la grande joie de la communauté de Los Angeles, le Rabbi lui conseilla d’accepter la proposition.

Quand ma mère constata combien mon père avait été impressionné par cette entrevue avec le Rabbi, elle décida que, la prochaine fois, elle l’accompagnerait.

A cette époque, mes parents traversaient une période délicate : mon jeune frère, Yaakov commençait à s’éloigner de la tradition. Cela se passa progressivement mais les mauvaises fréquentations se succédèrent au point qu’il fit même connaissance de jeunes filles non juives : nous craignions vraiment qu’il ne se mette dans la tête de se marier avec l’une d’elles. Pour mes parents, la douleur était immense et ils ne savaient pas comment traiter ce problème. Ils évitaient d’en parler et ils n’osèrent même pas en parler au Rabbi. Ils eurent une longue conversation avec lui sur divers sujets mais, à leur grande surprise, ce fut le Rabbi qui, de lui-même, demanda pourquoi ils ne lui donnaient pas de nouvelles de Yaakov ! Ma mère soupira et finit par raconter ce qui se passait. Le Rabbi réfléchit un instant puis annonça que, puisque la jeune fille qui, du ciel, lui était destinée habitait en Israël, il fallait persuader Yaakov de s’y rendre et D.ieu lui ferait rencontrer son Mazal.

Mes parents retournèrent à Los Angeles et insistèrent immédiatement auprès de leur fils pour qu’il se rende en Israël. Mais cela ne l’intéressait pas du tout : nous n’avions pas de famille là-bas et Yaakov n’avait pas l’intention d’obéir aveuglément à un Rabbi de New York.

La fois suivante, ma mère raconta au Rabbi que tous ses efforts pour convaincre Yaakov de voyager s’étaient soldés par un échec. La réaction du Rabbi la sidéra : « Si c’est ainsi, il n’y a pas le choix et Eretz Israël devra venir à lui… ». Ma mère posa tout de suite des questions : qui, comment… mais mon père qui était déjà un ‘Hassid convaincu et qui avait compris qu’on ne pose pas ce genre de questions lui fit signe de ne pas insister, comme s’il expliquait : « Tu peux faire confiance au Rabbi ».

De suite, le Rabbi passa à un autre sujet, sans expliciter cette phrase étrange.

Quelques semaines plus tard, ma mère entra dans la bijouterie d’une amie de la famille à Los Angeles. Elle aperçut une nouvelle vendeuse qu’elle ne connaissait pas mais qui se proposa très gentiment pour l’aider à choisir. Dès le premier coup d’œil, cette jeune fille lui avait plu et elles eurent une longue conversation ; la jeune fille était en fait la nièce de la propriétaire, elle habitait à Tel-Aviv mais elle était venue passer trois semaines à Los Angeles. Ma mère n’était pas le genre de femme à perdre son temps et, le jour-même, se mit en contact avec son amie (la propriétaire du magasin et tante de la jeune vendeuse). Celle-ci raconta que sa belle-sœur, la mère de la jeune fille, lui avait téléphoné deux semaines auparavant car sa fille avait soudain ressenti une envie inexplicable de se rendre à Los Angeles… Ma mère calcula rapidement : cette « envie soudaine » s’était produite exactement le lendemain de leur Ye’hidout avec le Rabbi…

Oui, vous avez deviné, au bout de quelques rencontres, mon frère et cette jeune fille se fiancèrent. Enfin soulagés, mes parents pouvaient respirer : ils n’avaient jamais osé rêver d’un tel développement. La prophétie du Rabbi s’était réalisée sous leurs yeux : « Si c’est ainsi, il n’y a pas le choix et Eretz Israël devra venir à lui… ».

Si je peux me permettre d’ajouter mon point de vue à propos de cet excellent Chad’hane qu’est le Rabbi… Une plaisanterie circulait dans les petites villes de Pologne. Quand on demande au jeune homme avec qui il s’est fiancé : « Alors, qui est la femme la plus heureuse ? », il répond : « Ma mère ! ».

Dans notre cas, mon frère et sa femme ont été et sont encore très heureux. Leur union est un modèle d’équilibre et de bonheur depuis plus de 40 ans…

Hanna Kuperman – Arié Samit - Abba

Traduit par Feiga Lubecki