Editorial
Indispensables racinesAu cœur de l’hiver, comme une annonce précoce d’un printemps encore lointain, le Nouvel An des arbres revient avec une implacable régularité comme pour nous faire sortir d’une sorte d’engourdissement saisonnier. Tou Bichevat, le 15 du mois de Chevat, nous retrouve certainement observant les coutumes du jour : nous mangeons des fruits, notamment ceux que le texte de la Torah désigne comme signes particuliers de la beauté de la terre d’Israël, nous écartons toute manifestation de tristesse etc. C’est alors que, non moins traditionnellement la question lève dans nos esprits : pourquoi fêter un Nouvel An des arbres ? Certes, la tradition enseigne qu’en ce jour ceux-ci sont, en quelque sorte, jugés et connaissent ainsi le processus traversé par les hommes à Roch Hachana. Cependant, cela ne concerne-t-il pas que les arbres ? Pourquoi s’en préoccuper ?
On a l’habitude de dire, à cette occasion, que les arbres ont bien des points communs avec les hommes et que notre réjouissance, en la circonstance, est aussi l’expression d’une joie personnelle. Un verset de la Torah ne va-t-il pas jusqu’à affirmer que “l’homme est un arbre des champs” ? De fait, l’un des traits qui unissent le sort de l’arbre et celui de l’homme paraît de première importance : les racines. Chacun sait que, sans elles, le végétal ne peut vivre. Elles l’ancrent au sol et lui procurent, avec la stabilité, la subsistance. Viennent-elles à tomber malades ? Immédiatement, l’arbre dépérit puis meurt.
N’y a-t-il pas ici une claire évocation du destin de l’homme ? Celui-ci a également besoin, intellectuellement, moralement et spirituellement, de racines. Moins matérielles et apparentes que celles de l’arbre, elles vont cependant aussi profond et sont d’une aussi évidente nécessité. Les racines ne sont pas simplement le passé de l’homme, elles sont son fondement. C’est sur elles, et aussi grâce à elles, qu’il peut se construire en harmonie, se développer avec équilibre et constance. Y renoncer ou en perdre la conscience, c’est, d’une certaine façon, accepter le dépérissement. Parfois, on entend dire que ces racines sont bien lourdes à porter, presque immobilisantes mais la nature recèle des enseignements essentiels : a-t-on jamais vu un arbre se couper de la source de sa vie ?
Etincelles de Machiah
L’éternité de nos actesParmi les descriptions et les promesses qui sont faites au sujet de la venue de Machia’h, nous trouvons (Isaïe 66 :22) : “Car, comme les cieux nouveaux et la terre nouvelle que Je ferai, dit D.ieu, resteront devant Moi, ainsi ta descendance et ton nom resteront”. S’il semble que l’assurance d’une certaine forme d’éternité soit ainsi donnée, il convient d’en comprendre profondément les termes.
En premier lieu, il faut préciser que “les cieux nouveaux et la terre nouvelle” ne font pas référence à une disparition et une apparition éventuelles d’un nouveau monde matériel. Les deux termes désignent ici deux degrés différents de la Lumière Divine qui se manifeste alors de façon dévoilée. Plus spécifiquement, “les cieux nouveaux” désignent une “Lumière infinie”, transcendant la création tandis que “la terre nouvelle” symbolise une “Lumière” immanente, qui pénètre le monde et reste à sa mesure.
Ainsi, précise le texte, malgré l’ampleur de cette révélation, “ta descendance et ton nom resteront”, c’est-à-dire que l’œuvre accomplie pendant le temps de l’exil, qui aura conduit à la venue de Machia’h, gardera toute sa valeur.
(D’après Likouteï Torah sur Chir Hachirim)
Vivre avec la Paracha
Yitro : L’identité de YitroSeules quelques Parachyot sont nommées sur des individus et quand le fait se produit, il réclame une attention toute particulière. Cela s’applique avec beaucoup de force en ce qui concerne notre Paracha, qui relate l’événement essentiel que constitue le Don de la Torah. Son nom «Yitro» indique un lien entre le personnage et l’événement dont il est question.
Qui était Yitro ? La Torah le décrit comme le Cohen de Midian. Nos Sages offrent deux définitions du mot Cohen.
a) «gouverneur» : en effet, Yitro gouvernait la terre de Midian.
b) «prêtre». Il conduisait le peuple de Midian dans son service. Et de fait, nos Sages relatent que Yitro avait reconnu toutes les fausses divinités du monde.
Le lien entre la première interprétation et le Don de la Torah est évident car il reflète la force de l’engagement de Yitro. Bien qu’il ait vécu dans la richesse et le confort, il se trouva prêt à voyager dans le désert pour écouter les paroles de la Torah. Mais la seconde interprétation est problématique. Nos Sages enseignent qu’il est interdit de dire à un converti : «Rappelle-toi tes actes antérieurs».
Reconnaître les divinités et reconnaître la suprématie de D.ieu
Pour résoudre cette difficulté, il est nécessaire de comprendre la source de l’idolâtrie. Le Rambam écrit : «A l’époque d’Enoch, les hommes commirent une grave erreur… Ils prétendirent que D.ieu avait créé les étoiles et les sphères avec lesquelles Il contrôlait le monde. Il les avait placées haut et les traitait avec honneur… De la même façon, ils estimaient correct [pour l’homme] de louer et glorifier [ces entités] et de les traiter avec honneur».
Ainsi, l’adoration de fausses divinités prit-elle ses racines dans une mauvaise compréhension du fait que D.ieu influence ce monde à travers des intermédiaires.
Nos Sages commentent : «Il n’existe pas un brin d’herbe dans ce domaine [matériel] qui n’ait pas une force spirituelle l’obligeant à pousser». Cependant, les idolâtres attachent une suprématie indépendante à ces intermédiaires, pensant qu’ils possèdent le contrôle de l’influence qu’ils dispensent. En réalité, ces «dieux» ne sont qu’ «une hache entre les mains du bucheron», ne possédant aucune importance ou volonté par eux-mêmes et c’est pourquoi il est erroné et interdit de les servir.
En disant que Yitro avait reconnu tous les faux dieux du monde, nos Sages impliquent que bien que connaissant tous les moyens par lesquels D.ieu achemine Son énergie dans le monde, il rejeta le service de ces forces spirituelles et déclara : «Béni soit D.ieu… Maintenant je sais que D.ieu est plus grand que tous les dieux».
Le microcosme encourage le macrocosme
La reconnaissance de Yitro ne constituait pas un fait personnel. Ses mots de louange suscitèrent «la révélation de D.ieu dans Sa gloire, dans les royaumes supérieurs et inférieurs Après cela, Il donna la Torah, dans une parfaite [confirmation] de Sa domination sur toute existence».
La reconnaissance individuelle de D.ieu par Yitro exprimait le but du Don de la Torah. Elle préparait le macrocosme, le monde en général, pour une telle révélation, comme nous allons l’expliquer.
Le Rambam statue : «La Torah n’a été donnée que pour faire la paix dans le monde». Et pourtant, la paix n’est pas la raison de l’existence de la Torah. La Torah existait avant même la création du monde. Elle constitue la sagesse de D.ieu, Une avec Lui.
Tout comme D.ieu est au-delà de tout but, ainsi en va-t-il de la Torah. Cependant, le Rambam insiste non sur le but de la Torah elle-même mais sur le Don de la Torah et sur le fait qu’elle ait été donnée aux mortels. Il explique que la Torah a été donnée, non seulement pout disséminer la lumière Divine mais aussi pour cultiver la paix.
Quand les deux se rencontrent
La paix se réfère à l’harmonie entre des opposés. Dans son sens ultime elle fait référence à la résolution de la dualité entre le physique et le spirituel, le mouvement qui permet à un monde, dans lequel la présence Divine n’est pas extérieurement évidente, de reconnaître la vérité de Son Etre et d’en être imprégné.
A propos du verset : «Les cieux sont les cieux de D.ieu mais la terre Il l’a donnée aux enfants de l’homme», nos Sages expliquent qu’à l’origine un décret Divin séparait le physique du spirituel, c'est-à-dire que la nature de l’existence matérielle empêchait de réellement apprécier la réalité spirituelle. Mais au moment du Don de la Torah, D.ieu «annula ce décret» et permit à l’unité de s’instaurer entre les deux.
Bien plus encore, la paix véritable implique davantage que la simple négation de l’opposition. Le but en est que des forces, qui étaient au préalable en opposition, se reconnaissent un territoire commun et se rejoignent dans une activité positive. De la même façon, la paix qu’encourage la Torah n’implique pas simplement une révélation de la Divinité, si grande que le monde matériel soit obligé de la reconnaître, mais une prise de conscience de D.ieu dans le contexte du monde lui-même.
D.ieu est présent dans chaque élément de l’existence. A chaque instant, la Création se renouvelle. Si l’énergie Divine venait à manquer, le monde retournerait au néant absolu. La Torah nous permet d’apprécier cette Divinité intérieure et nous permet de vivre en harmonie avec elle.
Au niveau individuel, la reconnaissance de Yitro de la suprématie de D.ieu remplit cet objectif. De son implication «avec les fausses divinités du monde», il en arriva à une profonde reconnaissance de la souveraineté de D.ieu. La transformation de Yitro rendit possible le Don de la Torah qui, à son tour, transforme le monde.
Le chemin de la Rédemption
Le Tanya décrit le Don de la Torah comme un avant goût de l’Ere messianique. Car lorsque la Torah fut donnée, toute existence se tint dans un état d’unicité absolue avec D.ieu.
Pourtant, lors du Don de la Torah, la Révélation venait de l’initiative de D.ieu. Puisque le monde n’avait pas encore été raffiné, sa nature maintenait un état d’opposition à la manifestation de la Divinité et c’est la raison pour laquelle les aspects miraculeux de la Révélation furent temporels. Mais dans les siècles qui ont suivi, l’observance de la Torah et de ses Mitsvot a doucement fait pénétrer la Divinité dans le tissu du monde. A l’Ere de Machia’h, cette dualité sera dissoute pour toujours et nous prendrons conscience que notre monde est la résidence de D.ieu.
Sources : Likouté Si’hot Vol.XI p.74, Vol.XV, p.379, Vol.XVI, p.198
Si’hot Chabbat Parachat Yitro 5751 Adaptation E. Touger
Le Coin de la Halacha
En quoi consiste l’interdiction : «Tu ne convoiteras pas» (Exode 20. 14) ?Le dernier des Dix Commandements est : «Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain… sa femme, son serviteur, sa servante, son bœuf, son âne et tout ce qui est à ton prochain». Il est donc interdit de fomenter des projets pour obtenir ce qui appartient à l’autre. Ceci commence par la pensée, quand on décide d’acquérir coûte que coûte ce qui appartient à quelqu’un. Puis, si on agit en ce sens, par des pressions amicales ou des menaces, par un troc forcé ou une vente forcée, même en payant le prix fort, on transgresse cette interdiction.
La mauvaise pensée peut entraîner - c’est reconnu - de nombreuses fautes et on peut même être tenté de recourir au meurtre (que D.ieu préserve) pour obtenir l’objet convoité. C’est ce qui est arrivé au roi A’hab qui fit tuer Navote pour s’approprier sa vigne (Rois I – 21).
Il convient donc de maîtriser soigneusement ses envies afin de ne pas trébucher dans l’interdiction de «Tu ne voleras pas». Selon le Séfer Ha’hinou’h, cette interdiction s’applique également aux non-Juifs qui sont soumis à toutes ses ramifications.
Même s’il ne s’agit «que» d’une pensée cachée au fond du cœur, la Torah estime que «le cerveau domine le cœur» et que la réflexion objective doit diriger les sentiments. Ce principe s’applique aussi à d’autres commandements tels que : aimer D.ieu, craindre D.ieu, ne pas haïr, aimer son prochain etc… Ibn Ezra écrivait : «De même qu’un villageois n’aurait même pas l’idée de vouloir épouser la princesse, car il sait que cela est absolument hors de question, ainsi on devra s’interdire de convoiter tout ce qui appartient à un autre en sachant que toutes les manœuvres ne rendront jamais permise une acquisition frauduleuse».
F. L. (d’après Rav Yossef Ginsburgh)
De Recit de la Semaine
Hé Juif !Chaque vendredi après-midi, j’installe une petite table dans une rue très fréquentée du marché de Tel Aviv, la rue Na’hat Binyamine. J’emporte trois paires de Téfilines avec moi, juste pour que d’autres garçons ou hommes puissent mettre les Téfilines ce jour-là, prononcer la bénédiction adéquate et réciter le verset «Chema Israël, Ado-naï Elo-hénou, Ado-naï E’had» (Ecoute Israël, l’Eternel est notre D.ieu, l’Eternel est Un). Même s’ils ne les mettent que pour une minute, ils auront ainsi acquis un immense mérite et une protection certaine.
Parfois je les interpelle : «Yedidi (mon ami) ! Viens mettre les Téfilines». Parfois, je change et j’appelle «A’hi! (mon frère !) et parfois, tout simplement, j’appelle «Yehudi», Juif!
Les hommes et les jeunes garçons juifs de toute origine, de tous niveaux sociaux et quelle que soit leur occupation acceptent, en général de «faire plaisir au Loubavitch de service» ou tout simplement, de prendre deux-trois minutes pour une Mitsva dont on leur facilite tant l’accomplissement.
Cela inclut des Juifs qui n’ont mis les Téfilines que pour leur Bar Mitsva, des Juifs qui ne les ont jamais mis et même des Juifs qui n’ont pas la moindre idée de ce que sont les Téfilines.
Un froid vendredi d’automne, je hélai ainsi quelqu’un qui passait par là : «Yehudi! Viens mettre les Téfilines!»
D’habitude les gens sourient et refusent, ou bien sourient et acceptent mais celui-là s’arrêta tout net, se tourna vers moi et me lança un regard qui me fit froid dans le dos.
Ma première impression, c’était qu’il allait me donner un coup. Il portait une fine moustache, de longs cheveux noirs noués en queue de cheval et une longue veste en cuir noir qu’il remplissait fièrement de sa musculature imposante : pas exactement la personne avec qui on se sent à l’aise pour discuter calmement.
A mon grand soulagement, il reprit son chemin. (La dernière fois que j’avais ressenti une terreur à peu près similaire, c’était aux Etats-Unis quand un skinhead avait tenté de m’attaquer, sans doute à cause de mon look religieux mais des passants s’étaient heureusement interposés. Tout ceci, D.ieu merci, c’était du passé). De toute manière, l’homme ne s’était pas attardé et je n’y pensai déjà plus.
Mais non.
Quelques secondes plus tard, alors que je regardai dans l’autre direction, à la recherche d’autres personnes que je pourrais encourager à mettre les Téfilines, je le vis soudain revenir vers moi. J’avais l’impression qu’il me toisait de haut, de très haut. Il me regarda droit dans les yeux et me dit d’un ton menaçant :
- Comment m’as-tu appelé ?
- Euh… (Je perdais facilement tous mes moyens dans un cas pareil…)
- Tu m’as interpelé tout à l’heure ! Comment m’as-tu appelé ?
J’avais l’impression qu’il tremblait. J’espérai juste qu’il était dans un état normal et que, puisqu’il ne m’avait pas bien compris, il désirait s’assurer que je n’avais rien dit d’offensant. J’affichai un sourire de façade et répondis : «J’ai dit ‘Yehudi’, Juif! Viens mettre les Téfilines! Je t’ai appelé Yehudi, pour moi c’est un terme affectueux!»
Les yeux humides, il remarqua : «C’était bien ce que j’avais compris! Tu m’as appelé Yehudi… C’est exactement cela! Tu as raison! Je suis Juif! Personne ne m’a jamais appelé ainsi!»
Et il enleva son manteau de cuir et me tendit son bras gauche pour que je l’aide à mettre les Téfilines.
Ce simple appel avait touché l’essence même de son âme, de son judaïsme.
Rav Tuvia Bolton
Ohrtmimim.org – L’Chaïm
traduit par Feiga Lubecki