Samedi, 6 avril 2019

  • Tazria
Editorial

Le beau temps du miracle

Un nouveau mois qui commence tient toujours de l’expérience étrange. C’est que le déroulement des jours passés nous avait habitués à une certaine façon de voir et de vivre les choses, tant il est vrai que chaque mois porte en lui sa puissance et sa signification particulières. Bien sûr, la joie a été, à la fois, le moteur et le guide du mois d’Adar ; elle nous a ainsi portés jusqu’à l’orée du mois suivant : Nissan. Alors qu’il commence, ce sont d’autres images qui éclairent peu à peu notre conscience.

Certes, la liberté est maintenant notre point d’horizon et nous aurons l’occasion de le ressentir avec une attention accrue. Mais, en ce début de période, l’enchantement vient d’ailleurs. Il vient du simple nom du mois. On entend « Nissan » et c’est d’ores et déjà le terme « Ness – miracle » qui résonne. Car c’est bien à un niveau plus élevé de conscience qu’il nous est donné de parvenir. En effet, la vie peut se décliner de façons diverses. Elle peut suivre le cours de la nature telle un classique « long fleuve tranquille ». Mais elle peut prendre un chemin inattendu, une voie surprenante où le champ des possibles devient subitement sans limites. Le miracle est alors entré dans notre quotidien, d’une certaine façon en nous-mêmes.

La vie du peuple juif de manière générale, et celle de chacun, ont bien souvent appartenu à cette deuxième catégorie. Et elles continuent de le faire. Cela s’appelle avoir une vision qui porte loin, comprendre ses propres actes comme des éléments d’un plus grand tout et ne pas se laisser enfermé dans les contraintes imposées par le monde ou la société globale. Pour notre vie personnelle, cela signifie que le miracle devient réalité et que rien ne rime mieux avec une telle notion que celle de liberté.

Ce miracle-là ne doit pas être un moyen de fuite ou d’oubli. Il signifie, au contraire, avoir intensément conscience. Notre vie en est alors changée, d’abord au niveau individuel et, par cela, au niveau collectif. Car, avec la fête de Pessa’h approchant, c’est à des chaînes enfin brisées que l’on pense et à la Délivrance ultime, celle des temps messianiques.

Etincelles de Machiah

« D.ieu sera Un »

Parlant du temps de Machia’h, le prophète (Zacharie 14 :9) annonce : « En ce jour, D.ieu sera Un et Son Nom sera Un ». Il convient de préciser ce qu’une telle idée apporte à la grandeur de la nouvelle ère.

En fait, aujourd’hui, l’unité de D.ieu et Son omniprésence ne sont pas manifestes. Ainsi l’univers peut sembler être une entité indépendante de la Divinité et autonome par rapport à Elle. En revanche, lorsque le Machia’h viendra, chacun verra que l’univers s’efface devant la Lumière Divine qui le pénètre et le fait vivre constamment. A ce moment, la réalité profonde du concept d’Unité Divine apparaîtra à tous.

(d’après Torah Or, Vaéra, p. 55c)

Vivre avec la Paracha

Tazria

La Paracha Tazria poursuit le sujet des lois de pureté et d’impureté rituelle.

Une femme qui donne naissance doit suivre un processus de purification, qui comporte l’immersion dans un Mikvé (un bassin d’eau naturelle) et des offrandes apportées au Temple. Tous les garçons doivent être circoncis le huitième jour de leur vie.

Tsaraat (souvent traduit par « lèpre ») est une plaie surnaturelle qui peut également toucher les vêtements. Si des taches blanches ou roses apparaissent sur la peau d’une personne (rouge foncé ou vertes sur les vêtements), l’on doit faire appel à un Cohen. S’appuyant sur l’observation de différents signes, comme une croissance de la zone atteinte après une mise en quarantaine de sept jours, le Cohen prononce que la tache est Tamé (impure) ou Tahor (pure).

La personne affligée de Tsaraat doit résider seule à l’extérieur du campement (ou de la ville) jusqu’à ce qu’elle soit guérie. Les parties touchées du vêtement sont enlevées. Si la Tsaarat s’étend ou revient, tout le vêtement doit être brûlé.

Surmonter nos instincts primaires

La Paracha Tazria s’attache aux lois de pureté spirituelle et d’impureté spirituelle, relatives à l’espèce humaine. Rachi, citant le Midrach statue : « Rav Simlaï dit : ‘ Tout comme la création de l’homme survint après la création de tous les animaux, les bêtes sauvages et les oiseaux, ainsi en va-t-il des lois prévues pour lui qui viennent après celles qui sont relatives aux animaux, aux bêtes sauvages et aux oiseaux ‘. »

L’expression « tout commeainsi… » indique que si les lois concernant les hommes sont indiquées en dernier ce n’est pas parce que l’homme fut créé le dernier. En effet, le cas échéant, le Midrach aurait déclaré : « Puisque l’homme a été créé en dernier… donc… ».

La construction de la phrase indique plutôt que les lois relatées en dernier lieu le sont pour la même raison que celle qui explique que l’homme fut créé en dernier.

Quelle est-elle donc ?

Le Midrach poursuit en expliquant : « ainsi si l’homme se comporte de façon inappropriée, il lui est dit : ‘même un moucheron, même un ver t’ont précédé !’ »

Les commentateurs s’interrogent : cette explication s’applique à la création de l’homme mais non à ses lois ! Pourquoi le Midrach utilise-t-il donc l’expression « tout comme l’homme fut créé… ainsi également ses lois » plutôt que « puisque l’homme a été créé le dernier… donc (il s’en suit que) ses lois ont été citées en dernier… » ?

Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi explique que le fait même que l’homme soit capable de pécher, même si concrètement il ne le fait pas, implique un degré d’infériorité par rapport à ces créatures qui sont « incapables de violer la volonté de D.ieu. »

Cette possibilité de pécher explique pourquoi les lois le concernant sont citées après celles de toutes les autres créatures et pourquoi il fut créé après toutes les autres. Le Midrach affirme donc que le même raisonnement s’applique dans les deux cas : celui de la création de l’homme et ses lois.

L’étude de la Torah progresse du simple au complexe. Ce principe s’applique également aux Parachiot. D’abord viennent celles qui sont le plus facilement accessibles puis, par la suite, celles qui sont plus difficiles.

La conséquence en est que la raison pour laquelle l’homme a été la dernière création (la possibilité de pécher et donc de lui dire que les créatures inférieures l’ont précédé) est également la raison pour laquelle les lois le concernant viennent à la fin. Car il est plus simple de purifier et d’élever ce qui est incapable de transgresser la Volonté divine que de purifier et d’élever l’homme, créature complexe, capable de transgresser la Volonté de D.ieu.

Mais selon le même raisonnement, l’homme est également capable d’accomplissements bien plus importants, quand il réussit à vaincre le mal, que s’il n’avait reçu que le bien, d’En Haut, sans nécessité de lutter.

Quand un homme surmonte sa propension à mal agir, il parvient à un plus grand bien par le fait même qu’il n’ait pas été gratifié de cette aptitude à sa naissance et qu’il a dû la gagner.

C’est la raison pour laquelle bien que chaque Juif soit béni d’une âme divine, « véritable partie de D.ieu En-Haut », cette spiritualité ne se révèle-t-elle qu’après qu’il ait combattu ses instincts primaires, ses sensations superficielles. Mais quand l’homme remporte ce combat, il peut être confiant que le bien qu’il possède désormais en lui est quelque chose qui l’a pénétré.

Cela explique également le commentaire de Rav Simlaï. Il ne descendait pas d’ancêtres illustres et ne pouvait donc se reposer sur le mérite de ses aïeux. Son service spirituel soulignait donc l’importance de l’effort et de l’initiative personnels.

Il considérait que la qualité la plus précieuse de l’homme est sa force pour surmonter les côtés négatifs de sa nature. Une nature dont il devait être prévenu des failles et contre laquelle il fallait investir de réels efforts : « même un moucheron et un vers t’ont précédé ».

Mais quand il investit des efforts et de la diligence, rien ne peut se comparer aux réalisations spirituelles d’un homme.

Le Coin de la Halacha

Quelles sont les lois et coutumes du mois de Nissan ?

- Le mois de Nissan commence cette année samedi 6 avril (Roch ‘Hodech).

- On évite de manger des Matsot jusqu’au soir du Séder (vendredi soir 19 avril).

- Dans toutes les communautés, on a coutume de ramasser de l’argent afin de pourvoir aux besoins des familles nécessiteuses pendant la fête. Cela s’appelle Maot ‘Hitime, l’argent pour la farine (nécessaire à la confection des Matsot).

Le Rabbi a institué que chaque responsable communautaire s’efforce de distribuer à ses fidèles (et surtout à ceux qui sont dans le besoin) des Matsot Chmourot (rondes, cuites à la main, spécialement surveillées depuis la moisson du blé), au moins pour les deux soirs du Séder.

- Tout le mois de Nissan, on ne récite pas la prière de Ta’hanoune (supplications journalières).

- On ne jeûne pas durant le mois de Nissan (excepté les mariés avant la cérémonie).

- Après la prière du matin, les treize premiers jours du mois, on lit le sacrifice apporté par le Nassi du jour, en souvenir des sacrifices apportés par les princes des tribus le jour de l’inauguration du Michkane, le sanctuaire portatif dans le désert (Bamidbar – Nombres chapitre 7 et début du chapitre 8). Après la lecture des versets, on ajoute la courte prière de Yehi Ratsone imprimée dans le Siddour, le livre de prières.

- La première fois que l’on voit des arbres fruitiers en fleurs au cours du mois de Nissan, on récite la bénédiction Chélo ‘Hissère Beolamo 

 (d’après Chéva’h Hamoadim – Rav Shmuel Hurwitz)

Le Recit de la Semaine

Ils ne sont pas arrivés comme prévu…

C’était le matin de la veille de Pessa’h 2016. Les préparatifs battaient leur plein dans toutes les familles juives et, particulièrement, chez la famille G. dans une petite ville du nord d’Israël. Ils avaient prévu de passer la fête chez des amis dans la ville de Modiin, une ville située entre Tel-Aviv et Jérusalem.

Avec l’aide de son fils aîné, Mme G. achevait d’emballer tout ce qu’elle avait préparé mais, quoi qu’elle fasse, il y avait toujours encore quelque chose d’urgent à faire cuire et à assaisonner – surtout qu’en fait, il devait y avoir près de 35 personnes à la table du Séder à Modiin !

Pendant ce temps, M. G. faisait entrer boîtes et valises dans le coffre de la voiture alors que les enfants s’entassaient sur la banquette arrière, en gardant leurs jambes sur les paquets… Ce n’est que plus tard que Mme G. et son fils quittèrent la ville après les derniers préparatifs, dans le deuxième véhicule de la famille.

Ils constatèrent vite qu’il y avait eu un accident sur la route et que la circulation était fortement ralentie. Le soleil allait bientôt se coucher et il restait encore 100 kilomètres avant d’arriver à destination. Il n’y avait pas le choix : ils n’y arriveraient pas. Ils sortirent donc de l’autoroute et entrèrent dans la ville la plus proche qui se trouvait être ‘Hadera, sur la côte méditerranéenne.

Au début, ils envisagèrent de passer la fête en campant dans la voiture. Même s’ils n’étaient pas dans une maison, ils avaient amplement de quoi manger. Cependant, cette option n’était pas réaliste : on fêtait le Séder ce soir-là et, dans une voiture, ce ne serait vraiment pas l’idéal. Ils décidèrent donc d’essayer de trouver une famille qui pourrait les héberger durant la fête.

- Excuse-moi, demanda Mme G. à un petit garçon qui jouait dans une cour, connais-tu ici une famille pratiquante qui célèbre Pessa’h de façon traditionnelle ?

Effectivement, le petit garçon leur apprit qu’il y avait une famille D. correspondant à leur description au premier étage de la tour voisine.

Madame G. frappa à la porte, le cœur battant : pourrait-elle passer Pessa’h avec son fils dans un environnement correct et pourraient-ils être hébergés pour la nuit ?

- Bonjour, salua la dame qui lui ouvrit la porte, très surprise. Mon fils et moi-même sommes des naufragés de la route, nous avons été coincés dans les embouteillages alors que la fête approche : pourriez-vous peut-être nous héberger pour cette journée et cette nuit ?

- Euh… Je suppose que oui, balbutia la dame, mais je vais d’abord demander à mon mari ! Et elle disparut dans le couloir. Quelques instants plus tard, elle réapparut, un peu nerveuse :

- Nous serions contents de vous héberger, bien sûr. Ce sera un peu à l’étroit mais nous serons heureux de vous recevoir. Cependant, je dois vous avertir que notre famille poursuit un strict régime végétarien donc la nourriture risque de ne pas vous convenir exactement…

- Nourriture ? s’exclama Mme G. J’ai oublié de vous signaler que j’ai dans la voiture de quoi nourrir 35 personnes ! Je vais apporter toutes les casseroles et les boîtes afin de les stocker dans le réfrigérateur avant que tout ne s’abîme dans la voiture !

Stupéfaite, la famille D. observa ce qui sembla être une parade sans fin de poisson, viande, salades, poulets, fruits, vins, jus de raisin à ranger dans le réfrigérateur ainsi que des Matsot et de la vaisselle jetable.

Une fois que les marmites furent posées sur la plaque électrique de Pessa’h et que les femmes et filles eurent allumé les bougies de la fête, les hommes partirent à la synagogue et les dames se reposèrent quelques instants au salon.

- Je veux que vous compreniez, dit Mme D., que c’est un véritable miracle qui vient de se produire dans notre maison aujourd’hui !

En fait, ce que je vous ai annoncé auparavant, ce n’était pas la stricte vérité. Nous ne sommes pas végétariens. Nous sommes juste très pauvres. Mon mari et moi-même avons tous les deux perdu nos emplois dernièrement et nous traversons une période financièrement très dure. Pour expliquer à nos enfants pourquoi nous nous contentons de manger du pain et du ‘houmous au petit déjeuner, au déjeuner et au dîner, nous avons prétendu que nous testions les effets d’un strict régime végétarien.

Pour Pessa’h, nous n’avons absolument rien pu acheter et nous ne sommes pas du genre à frapper à la porte de toutes les associations caritatives. Finalement nous avions décidé d’aller dans un Séder communautaire chez les Loubavitch qui, certainement, nous accepteraient même sans payer mais nous n’avions aucune idée comment passer le reste de la fête.

Les jours ont passé et le garde-manger restait obstinément vide. Je demandai à mon mari : « Comment allons-nous faire pour Pessa’h ? ». Il me répéta d’avoir confiance en D.ieu, qu’Il peut venir à notre aide en un clin d’œil… Je ne peux pas dire que j’étais vraiment convaincue mais avais-je le choix ? Encore ce matin, je me suis désolée devant lui et il me répéta d’avoir confiance en D.ieu… Cette après-midi, je n’en pouvais plus et j’ai éclaté en sanglots : même si nous recevions miraculeusement de la nourriture, il n’y aurait pas assez de temps pour la préparer avant la fête. Je pleurai dans ma chambre pour que mes enfants ne me voient pas : « Si D.ieu veut nous envoyer de la nourriture pour Pessa’h, Il saura comment le faire, et ce sera chaud et appétissant ! » affirma mon mari d’un ton assuré. D’un côté, j’étais impressionnée par son calme et sa confiance mais j’avais l’impression de devenir folle ! Se rendait-il vraiment compte de la gravité de la situation ou étais-je trop naïve ?

Nous allions bientôt allumer les bougies de la fête, mes filles et moi-même et… toujours rien à manger…

C’est alors que D.ieu vous a envoyés avec une voiture remplie de tous les mets délicieux de Pessa’h… Et de quoi nourrir 35 personnes en plus ! Grâce aux embouteillages mais surtout grâce à D.ieu, nous allons pouvoir célébrer dignement et comme des rois cette fête de Pessa’h !

P.S : Bien entendu, cette histoire authentique (digne des légendes sur le prophète Élie ou le Baal Chem Tov) ne s’arrêta pas là. Madame G. s’occupa personnellement après la fête d’aider discrètement la famille D. qui, depuis, a pu retrouver une certaine stabilité financière.

Rav Yochanan Butman – Loubavitch Hadera

Traduit par Feiga Lubecki

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