Samedi, 2 avril 2022

  • Tazria
Editorial

 Besoin de miracle !

Certes, l’allégresse de Pourim ne disparaît pas de notre mémoire aussi vite ni facilement. Pourtant le temps avance et le calendrier en apporte la marque concrète. Mois de Pessa’h, il est, à l’évidence, celui, majeur, de la liberté. Mais, avant de parvenir à ce qui est à la fois une grande idée et un grand rendez-vous, son nom seul est déjà tout un programme. Le mot Nissan ne s’apparente-t-il pas, en hébreu, au mot « ness – miracle » ? C’est ainsi que nous entrons dans un moment nouveau. Après le déroulement apparemment naturel des événements de Pourim, nous voici à l’ouverture d’une époque de miracles, comme si nous passions brusquement à une sorte de surnaturel au quotidien !

Il est vrai que l’époque pousse sans doute chacun à espérer le miracle. Le monde, devenu peu à peu plus obscur que précédemment, nous fait ressentir avec une intensité encore plus grande comme la lumière est précieuse. Et, de fait, quand nous regardons autour de nous, nous ne pouvons que nous dire, avec peu de moyens d’agir à notre niveau sur le cours des choses, qu’il nous faut un miracle pour la vie et le bonheur des hommes. Voici le mois de Nissan et tout cela cesse d’être un simple rêve né du désarroi des âmes pour assumer pleinement sa place de mode de vie partagé par tous.

Car le peuple juif a cette particularité spirituelle et historique : il ne laisse pas les événements suivre leur cours, éventuellement en se lamentant sur le devenir des choses et sur la supériorité d’un passé magnifié. Par sa vie, par ses actes, chacun à son niveau change le monde. Choisissant d’entrer dans le miracle, il fait que celui-ci se produise. Ne cédant pas à ceux qui ne veulent voir que la noirceur des temps, il y introduit la lumière. D’une certaine manière, le monde, et son sort, se trouvent d’abord dans notre cœur. Et c’est donc là que se déroule le premier des combats.

L’homme n’est pas que le malheureux sujet des vicissitudes du moment. Il est l’acteur qui peut intervenir et recréer, à partir de lui-même, un endroit d’harmonie. L’enjeu est donc bien là : dans les préparatifs de Pessa’h, qui, déjà, battent leur plein, il y a, de fondation, un souci qui nous dépasse, un véritable souci d’humanité. A nous d’être à la hauteur de l’œuvre de Nissan.

Etincelles de Machiah

 « En son temps, Je le hâterai »

Le Talmud (Sanhédrin 98a) enseigne : « Il est écrit (Isaïe 60 : 22) ‘[le Machia’h viendra] en son temps, Je le hâterai’ ». Ces deux termes semblent contradictoires. Le Tséma’h Tsédèk, le troisième Rabbi de Loubavitch, y apporte une explication : ils font référence à deux modes de Délivrance possibles :

  • « Je le hâterai » : cela décrit une Délivrance dans laquelle les hommes quitteront l’exil brutalement, comme en un saut. Elle conduira ainsi immédiatement aux degrés les plus élevés ;
  • « En son temps » : c’est une Délivrance dans laquelle cette élévation progressera graduellement et, par conséquent, plus lentement.

(d’après Or Hatorah - Béréchit, p.86)

Vivre avec la Paracha

 Tazrya

La Paracha continue la discussion concernant les lois de Toumah véTahara, les lois d’impureté et de pureté spirituelles, qui incluent l’immersion dans un Mikvé (bassin d’eau naturelle) et les offrandes dans le Saint Temple. Tous les bébés garçons doivent être circoncis le huitième jour de leur vie.

Tsaraat (que l’on traduit parfois, de façon erronée, par « lèpre ») est une plaie surnaturelle qui peut également infecter les vêtements. Si des taches roses ou blanches apparaissent sur la peau d’une personne (rouge foncé ou vert sur les vêtements), l’on convoque un Cohen. S’appuyant sur différents signes, comme l’augmentation de la surface de la zone infectée, après une mise en quarantaine de sept jours, le Cohen déclare si la tache est Tamée (impure) ou Tahor (pure).

La personne affligée de la Tsaraat doit résider seule, à l’extérieur du campement (ou de la ville) jusqu’à sa guérison. La partie infectée d’un vêtement est enlevée. Si la Tsaraat s’étend ou réapparaît, tout l’habit doit être brûlé.

Quelle est l’importance du moment ?

Le moment approprié pour la Mitsva de la circoncision est le huitième jour après la naissance, comme le Texte le stipule : « Le huitième jour, tu circonciras son prépuce. »

Si un enfant n’est pas circoncis le huitième jour (mais plus tard), l’acte en lui-même accomplit la Mitsva de la circoncision et l’on récite la bénédiction adéquate mais elle n’a pas la caractéristique d’une Mitsva biZmano, c’est-à-dire un commandement accompli au moment approprié.

Quand un commandement est exécuté au moment prévu, il possède une qualité exceptionnelle, comme cela se reflète dans le fait qu’il dépasse (et dans toutes les activités nécessaires pour son accomplissement) les interdictions concernant les travaux du Chabbat, ainsi que le préconisent nos Sages. (Talmud Chabbat 132a).

En d’autres termes, lorsque le huitième jour après la naissance de l’enfant tombe un Chabbat, tout est permis pour accomplir la circoncision en ce jour. Mais si elle est repoussée, elle ne peut avoir lieu un Chabbat car alors on ne peut transgresser les lois de Chabbat pour l’accomplir.

Cela semble impliquer que lorsqu’un enfant est circoncis après le huitième jour, quand bien même il eut été impossible de le faire plus tôt, l’enfant étant par exemple souffrant, la circoncision ne serait pas considérée comme ayant été accomplie au moment approprié !

Cela va encore plus loin. Il apparaîtrait que cette circoncision effectuée après le huitième jour ne ferait qu’affecter les jours qui suivent mais n’aurait pas d’effet rétroactif !

Dans de telles circonstances, le père n’est pas considéré comme ayant transgressé un commandement divin. Bien au contraire, il n’a pas le droit de circoncire son enfant malade, car le Pikoua’h Néfèch (menace pour la vie) surpasse tous les commandements de la Torah (Talmud Yoma 82a).

Néanmoins, l’accomplissement concret de la Mitsva manque d’une certaine dimension.

Comme l’explique le Rambam, nous n’avons le droit de circoncire un enfant que lorsqu’il est en bonne santé car « le danger pour la vie prend la préséance sur tout le reste. Il est possible de circoncire [un enfant] plus tard mais il est impossible de ramener [à la vie] une âme juive ».

La conclusion à laquelle parvient Rambam nous surprend comme le fait apparaître un examen attentif des termes qu’il utilise et qui font allusion à deux raisons qui pourraient retarder la Mitsva : a) « le danger pour la vie prend la préséance sur tout le reste » et b) « il est possible de circoncire [un enfant] plus tard », c’est-à-dire que la Mitsva n’est pas annulée.

La première raison établit l’importance du Pikou’ah Néfèch. Quand bien même aucune possibilité ne se présenterait de faire la circoncision plus tard, le danger pour la vie est prioritaire. En ajoutant la seconde raison, le Rambam implique que la Mitsva de celui qui l’accomplit plus tard agit sur les jours précédents et permet même d’obtenir les avantages de la circoncision accomplie « au moment propice ».

Si la Mitsva ne devait affecter que les jours suivants, la raison avancée selon laquelle « il est possible de circoncire [un enfant] plus tard » ne suffirait pas par elle-même car l’état d’ « incirconcision » des jours initiaux n’aurait pas été corrigé et l’avantage d’accomplir la Mitsva au moment adéquat viendrait à manquer.

Cela paraît quelque peu difficile à comprendre : comment une Mitsva peut-elle avoir un effet rétroactif ? Il est vrai que, dans quelques exemples, la Torah statue qu’une certaine action a un effet sur un état précédent mais de tels actes ne sont pas censés obtenir un nouveau statut mais plutôt de clarifier la nature d’une situation existante ou de faire en sorte qu’un acte accompli conditionnellement devienne obligatoire.

Mais lorsqu’une action enclenche un nouveau statut, il paraît logique que cela n’affecte que le futur ! Comment dès lors, la circoncision peut-elle affecter les jours précédents ?

Révéler notre potentiel inhérent

L’on peut élucider toutes ces questions par un passage de Likouté Torah qui établit que la circoncision fait descendre une Lumière Divine qui transcende tout ce que peuvent obtenir les efforts humains. Une telle lumière ne peut provenir que de D.ieu. Néanmoins, l’acte de la circoncision est nécessaire parce que ce n’est que lorsque le prépuce est ôté que cette lumière peut se révéler.

De semblables concepts s’appliquent au fait que l’entrée de l’âme sainte dans le corps se réalise par la Mitsva de la circoncision. Cela se réfère à un niveau de l’âme qui dépasse nos aptitudes intellectuelles. Il est impossible d’y accéder par nos propres moyens. Mais chaque Juif possède un lien inhérent, essentiel avec ce niveau. Et c’est par l’intermédiaire de la Brit Mila que se révèle ce lien inné.

C’est sur cette base que nous pouvons comprendre comment la circoncision affecte le passé. En effet, comme dans les situations mentionnées plus haut, elle n’apporte pas un nouveau développement mais elle révèle quelque chose qui existait précédemment.

Citons un autre exemple : la Techouva (le retour à D.ieu) effectué par amour possède un effet rétroactif, transformant nos péchés antérieurs en mérites. Car la Techouva ne fait pas naître une nouvelle situation. Même lorsque la personne pèche, son âme reste fidèle à D.ieu, bien que cette connexion soit cachée. Puisque la Techouva fait rejaillir ce lien à la surface, elle a un effet rétroactif, élevant notre conduite antérieure.

Il en va de même pour la circoncision. Si l’on ne l’accomplit que plus tard, le lien inhérent de l’enfant avec D.ieu reste caché. Cela va à l’encontre de l’intention de la création du monde et de la descente de l’âme. Car le but de la création est que le Juif révèle, par son service Divin, la nature Divine de son âme. Et c’est ce que fait un Juif circoncis plus tard : il révèle ce lien inhérent (et infini). Cela agit donc sur le passé.

Le fils unique de D.ieu

Nous pouvons désormais comprendre la démarche du Rambam.

Le lien d’un Juif avec D.ieu se maintient tout le temps, quelle que soit sa conduite, comme il est dit : « De toutes les façons, ce sont Mes enfants ; les échanger contre une autre nation [à D.ieu ne plaise !] est impossible ».

Par les mots « il est impossible de ramener une âme juive », le Rambam évoque un autre fait qui ne peut être soustrait : l’alliance de D.ieu avec le Peuple juif qui affecte la nation et chaque individu en particulier. Comme le dit le Baal Chem Tov : « chaque Juif est chéri par D.ieu comme un enfant unique, né à ses parents dans leur vieillesse ; en fait, il est encore plus cher pour Lui. »

Ce lien est donc éternel et existe même avant la circoncision.

Nos efforts seront magnifiés

Comme cela a été mentionné, la Mitsva de la Mila fait allusion à tout notre service divin. Elle nous enseigne que le travail doit être accompli. L’on ne doit pas se satisfaire de la promesse qu’en fin de compte « personne ne sera délaissé par Lui » et nous devons donc décider de révéler ce lien inhérent que nous avons avec D.ieu, en améliorant notre service divin.

Tout cela nous conduira à la révélation d’En Haut et à la Rédemption ultime sous la conduite de Machia’h. Que cela se produise dans l’immédiat !

Le Coin de la Halacha

 Quelles sont les lois et coutumes du mois de Nissan ?

- Le mois de Nissan commence cette année le samedi 2 avril 2022 (Roch ‘Hodech).

- On évite de manger des Matsot jusqu’au soir du Séder (vendredi soir 15 avril 2022).

- Dans toutes les communautés, on a coutume de ramasser de l’argent afin de pourvoir aux besoins des familles nécessiteuses pendant la fête. Cela s’appelle Méote ‘Hitime, l’argent pour la farine (nécessaire à la confection des Matsot). Le Rabbi a institué que chaque responsable communautaire s’efforce d’envoyer à ses fidèles dans le besoin des Matsot Chmourot (rondes, cuites à la main, spécialement surveillées depuis la moisson du blé), au moins pour les deux soirs du Séder.

- Tout le mois de Nissan, on ne récite pas la prière de Ta’hanoune (supplications).

- On ne jeûne pas durant le mois de Nissan (excepté les mariés avant la cérémonie).

- Après la prière du matin, les treize premiers jours du mois, on lit le sacrifice apporté par le Nassi du jour, en souvenir des sacrifices apportés par les princes des tribus le jour de l’inauguration du Michkane, le sanctuaire portatif dans le désert (Bamidbar – Nombres chapitre 7 et début du chapitre 8). Après la lecture des versets, on ajoute la courte prière de Yehi Ratsone imprimée dans le Sidour, le livre de prières.

- La première fois en Nissan que l’on voit des arbres fruitiers en fleurs, on récite la bénédiction « Baroukh Ata… Chélo ‘Hissère Beolamo… ». 

(d’après Chéva’h Hamoadim – Rav Shmuel Hurwitz)

Le Recit de la Semaine

 Tes yeux sont des colombes…

Rav ‘Haïm Berlin (le fils de Rav Naftali Tzvi Yehouda Berlin de Volozhin) officia dans les villes de Valojyn puis de Moscou au début du siècle dernier. Puis il monta en Erets Israël où il devint le Rav de Jérusalem (après le décès de Rav Chmouel Salant).

Chaque Chabbat, c’était lui qui lisait dans le rouleau de la Torah la Paracha de la semaine : les mots sortaient aisément de sa bouche, il respectait scrupuleusement les signes de cantillation, sa voix était agréable. Certains se déplaçaient de loin pour l’écouter, en particulier pendant Hol Hamoed Pessa’h, quand il lisait Chir Hachirim (le Cantique des Cantiques) avec une intonation particulièrement émouvante. En particulier, quand il arrivait au verset : « Comme tu es belle, ma fiancée, comme tu es belle, tes yeux sont des colombes », il élevait la voix comme s’il était saisi d’une émotion difficile à maîtriser tandis qu’il ne cherchait pas à dissimuler ses larmes.

Son disciple le plus proche, Rav Arié Levine (qui, plus tard devint le « Rav des prisonniers ») s’enhardit un jour et lui demanda pourquoi, chaque année, en lisant ce verset, il se mettait à pleurer alors que ce verset décrivait simplement l’amour de D.ieu envers l’assemblée d’Israël.

« Je vais te raconter, répondit Rav ‘Haïm Berlin : quand j’officiais à Moscou, un Juif est venu me voir et a demandé à me parler en privé. Nous sommes entrés dans une pièce adjacente et il m’a raconté son secret : sa femme venait de mettre au monde un petit garçon et il voulait que je procède à la Brit Mila puisque j’étais expérimenté dans ce domaine. J’étais étonné de cette demande de confidentialité (c’était encore avant la révolution communiste et l’interdiction de pratiquer tout acte religieux) et il m’expliqua : « Monsieur le rabbin, j’habite dans un quartier où il n’y a pas de Juifs. Personne ne sait que je suis juif et je vis du commerce d’objets de culte chrétien. C’est pourquoi je tiens à ce que tout se passe de façon très discrète ».

Je compris que, dans ce cas, il ne fallait pas compter sur la présence d’un Minyane (10 hommes), sur un repas de fête et des chants comme le veut la tradition. Je suggérais qu’il prenne la place du Sandak, celui qui tient le bébé sur ses genoux pendant l’intervention. Mais il refusa : « Je suis trop sensible, je ne pourrai pas supporter la vue d’une goutte de sang ! Je risque de trembler et de perdre tous mes moyens et surtout de causer du mal à mon enfant, D.ieu préserve ! ».

Nous avons alors convenu que le jour-dit, il renverrait tous les domestiques de sa maison et inviterait un docteur juif de confiance : il raconterait à ses voisins que l’enfant souffrait d’une petite infection qu’il fallait traiter dans de parfaites conditions d’hygiène, donc sans personne à la maison. Ce docteur deviendrait le Sandak et viendrait par la suite vérifier que tout s’était bien passé.

C’est effectivement ainsi que je pus procéder à la Brit Mila : la maison avait auparavant été soigneusement débarrassée de toute icone chrétienne et tout se passa comme prévu.

Avant de partir, je lui demandai de revenir me voir dans trois jours pour me tenir au courant de l’évolution de la santé de l’enfant. Il revint effectivement, pensant que j’allais lui demander de me payer pour le service rendu mais je lui annonçai tout de go que telle n’était pas mon intention. Ce que je voulais savoir, c’était pourquoi il avait tellement tenu à faire circoncire son fils alors que cela impliquait un tel sacrifice pour lui.

Les larmes se mirent à couler de ses yeux. Il baissa la tête et expliqua : « Je me suis éloigné de mes racines. Parfois je le regrette mais je ne sais pas comment retourner, comment reprendre un style de vie juif plus engagé. En devenant père, j’ai réfléchi que mon fils connaîtrait encore moins le judaïsme que moi ! Moi, j’ai eu la chance d’observer comment mes parents respectaient la Torah mais lui, il grandirait dans une maison remplie de statues et d’idoles… Pourtant, il est possible qu’un jour, il voudrait se rapprocher de la Torah, une étincelle se rallumerait dans son esprit. Je voudrais qu’à ce moment-là, la route soit ouverte devant lui ! ».

Rav ‘Haïm Berlin avait terminé son histoire et conclut : « C’est alors que j’ai compris l’explication de nos Sages sur ce fameux verset de Chir Hachirim. Il est écrit deux fois que « Tu es belle » et ce n’est pas un doublon ! Il en est ainsi aussi bien avant le péché qu’après ! Je me suis toujours demandé quelle est cette beauté qui peut survenir après le péché mais la réponse se trouve dans la fin du verset : « Tes yeux sont des colombes ». Une des caractéristiques de la colombe, c’est qu’elle ne s’éloigne jamais très loin de son nid afin de pouvoir toujours y retourner. De la même manière, un Juif ne peut jamais s’éloigner complètement : il tourne sa tête en arrière et est prêt, même au prix de lourds sacrifices, à ne pas perdre le chemin pour retourner vers son nid. Et si ce n’est pas lui, que D.ieu fasse qu’au moins son fils trouve le chemin ouvert devant lui pour retrouver le judaïsme ! ».

Mena’hem Shaikevitz – Si’hat Hachavoua N° 1815

Traduit par Feiga Lubecki