Le «savoir vivre»
Nous laissons parfois des notions essentielles glisser à côté de nous sans y prendre garde alors même que l’on devrait s’en saisir avec toute la force possible tant elles détiennent de sens précieux. Il est vrai que le quotidien s’emploie à nous faire oublier l’important et nous laisser nous accrocher à ce qui n’est jamais qu’accessoire. Peut-être faut-il donc réfléchir un instant, se donner le temps de penser à ces mots si évidents qu’ils en semblent devenir anodins, et pourtant… Choisissons un exemple : la vie. Quel terme présente une richesse équivalente ? On l’utilise pour désigner tant de choses qui n’ont entre elles qu’un rapport ténu. On dira ainsi de celui qui travaille qu’il «gagne sa vie» ou de celui que l’attachement à D.ieu anime d’un feu ardent qu’il a une «profonde vie intérieure». Qu’est-ce donc que cette vie multiforme qui fait le tissu de nos jours ?
Il faut sans doute poser la question d’une autre manière. Quels sont les contours de la vie ? En fait, si elle présente ce caractère si divers, c’est bien parce qu’elle est faite de tout ce que nous sommes. L’homme est, en effet, celui qui travaille, qui pense, qui prie, qui se nourrit, qui dort, qui étudie etc. Il est cet être multiple qui donne sens à tout ce qu’il touche. Car la vie se construit peu à peu de chacune de ses actions. C’est ainsi que nous voyons apparaître un choix fondamental : la vie nous conduit-elle ou savons-nous la conduire ? Nous modèle-t-elle ou pouvons-nous lui donner la portée juste ? La question va loin ; c’est de toute l’étendue de la liberté de l’homme qu’il s’agit. C’est pourquoi, il est nécessaire de porter en tête cette notion. Etre vivant, matériellement et spirituellement, est un immense privilège. Il implique d’être en éveil constamment afin, justement, que la vie ne se résume pas à une existence menée au jour le jour, simplement rythmée par les besoins du quotidien – même si leur satisfaction s’impose à l’évidence.
Une telle réflexion conduit à voir dans la vie un véritable espace où le meilleur de l’homme a tous les moyens de se développer. D’une certaine façon, elle est ce lieu de merveilles où tout est possible à la seule condition – simple et complexe à la fois – que l’on y avance avec conscience et avec la volonté de parvenir au but fixé. Car tout cela a un objectif. Il s’agit, pour reprendre l’expression des Sages, de réaliser «une demeure pour D.ieu ici-bas» par nos actes de tous les jours. C’est alors que tout devient signifiant. L’acte le plus banal prend sens et puissance ; il est devenu acte vivant. Etre porteur de vie, être celui qui la dispense à toutes les créatures : c’est le sort de chacun. La vie est peut-être le plus beau mot que nous possédions. A nous d’en faire la plus grande des réalités. La vie est toujours au-devant de nous.
«En son temps, Je le hâterai»
Le Talmud (Sanhédrin 98a) enseigne : «Il est écrit (Isaïe 60 : 22) ‘le Machia’h viendra en son temps, Je le hâterai’». Ces deux termes semblent contradictoires. Viendra-t-il quand son époque sera enfin venue – «en son temps», ou D.ieu choisira-t-Il de rapprocher cet avènement tant attendu – «Je le hâterai» ? Le Talmud résout cette apparente contradiction : «S’ils le méritent, ‘Je le hâterai’ ; s’ils ne le méritent pas, ‘en son temps’».
Il faut ici relever une idée importante. Le temps de la Délivrance arrivera dans tous les cas. Certes, chacun souhaite que ce soit le plus rapidement possible. Toutefois, même s’il était retardé, lorsque le moment arrivera, l’impureté, le mal ne pourront que disparaître d’eux-mêmes pour laisser place à cette nouvelle et grande lumière.
(d’après Chaarei Orah, p.87) H.N.
Tazrya : la naissance
La naissance et la renaissance sont les thèmes de ce Chabbat, à la fois par le contenu de la lecture hebdomadaire et la date dans le calendrier juif.
La naissance spirituelle
Chaque détail appartenant à notre monde humain a son parallèle au niveau spirituel. L’apogée des relations humaines se trouve dans celle qui unit l’homme et la femme dans le mariage. Avec l’aide de D.ieu, le mariage conduit à la naissance des enfants, garçons et filles.
Dans divers passages de la Torah, l’image du mariage est utilisée pour décrire la relation qui unit le Peuple Juif à D.ieu. La plus célèbre d’entre elles se lit dans le Cantique des Cantiques du Roi Salomon. La « bien aimée » qu’on y trouve est le Peuple Juif qui entretient une relation complexe avec D.ieu : parfois, il s’éloigne de Lui, parfois il s’en rapproche. Le Prophète Yichayahou utilise également une métaphore similaire :
Notre Paracha s’ouvre sur un passage évoquant la femme qui donne naissance à un enfant : «Quand une femme conçoit et porte un fils». On explique habituellement ce passage par son sens littéral. Si c’est un garçon, l’enfant doit être circoncis, et garçon ou fille, la mère se doit d’apporter une offrande au Temple, en général deux colombes. Elle apporte son don quarante jours après la naissance, si c’est un garçon et quatre-vingt jours plus tard, si c’est une fille. Ces colombes constituaient les offrandes les plus populaires apportées au Temple de Jérusalem.
Le Rabbi cite le grand Sage marocain, Rabbi ‘Haïm ben Attar (auteur du commentaire Ohr Ha’haïm sur la Torah, 1696-1743) qui suggère une autre manière de lire ce texte. Tout comme dans le Cantique des Cantiques ou dans Yichayahou, la femme représente le Peuple Juif : à travers une relation accomplie entre le Peuple Juif et D.ieu naît un enfant.
Rabbi ‘Haïm explique que la naissance symbolise la Rédemption. Le sens de plénitude et d’accomplissement que ressent un couple lorsqu’ils ont un enfant reflète la très grande réalité spirituelle dont un Peuple Juif libre et indépendant fait l’expérience lorsqu’il est enfin capable de servir D.ieu d’une façon complète.
Notre histoire nous présente un certain nombre d’exemples de rédemptions. Il y a plus de 3300 ans, il y eut la rédemption d’Egypte. Alors que nous vivions en Terre d’Israël, nous avons souvent subi les attaques et les persécutions de nos voisins et D.ieu nous en délivrait. Nous avons miraculeusement échappé à une menace d’extermination, à l’époque de Pourim. Nous avons été libérés de Babylone et sommes revenus en Terre d’Israël où nous avons construit le Second Temple. Quelques siècles plus tard, nous avons été sauvés de l’oppression grecque, à l’époque de ‘Hanoucca, etc.
Le problème, à chacun de ces moments de rédemption, était qu’ils étaient suivis d’une nouvelle phase d’exil. Notre espoir et notre foi sont dans la Rédemption ultime, qui sera permanente et totale. Cela mettra fin à tout conflit, pour nous, le Peuple Juif, mais aussi à l’échelle du monde entier. Rabbi ‘Haïm explique que cette Rédemption permanente est symbolisée par la naissance d’un garçon décrite au début de la Paracha. Le mâle est physiquement plus fort et cette force dénote la permanence de la Rédemption.
Comment y parvenir ? Quand la femme, le Peuple Juif, «conçoit». La graine est semée dans le sol et cette ensemencement représente notre service de D.ieu dans notre monde matériel. En fait, il existe des idées merveilleuses, des sentiments et des états de conscience auxquels nous devrions aspirer, mais la base réelle de toute chose est la réalité pratique de l’observance des commandements de la Torah dans notre vie quotidienne, comme manger des aliments cachers, donner la charité ou observer le Chabbat.
Ces réalités concrètes créent le lien tangible avec D.ieu qui mène à la naissance et comme conséquence de la naissance, à l’expérience merveilleuse d’apporter des offrandes au Temple, et pour l’humanité dans son ensemble, à l’accomplissement du but de la Création.
La naissance et la renaissance
Les cérémonies qui entourent le grand moment de la naissance et l’idée de la Brith Milah, l’Alliance de la Circoncision, qui crée un lien particulier entre D.ieu et l’enfant mâle nous sont expliquées. Les Sages nous disent qu’une fille est considérée comme née avec la circoncision. C’est pourquoi chaque Juif entre dans le monde avec un lien tout particulier avec D.ieu.
La joie de la naissance est, nous l’avons vu, exprimée par l’offrande qu’apporte la mère, des deux colombes, au Temple.
Il est courant que cette Paracha soit lue pendant le mois de Nissan, un mois joyeux, inextricablement lié avec Pessa’h et la Rédemption d’Egypte. Cet événement constitua en fait, la naissance du Peuple Juif. L’Exode est décrit en ces termes par le Prophète Yé’hezkyahou. Il utilise l’allégorie de la naissance pour décrire toute l’expérience du Peuple Juif quittant l’Egypte, errant dans le désert tout en mettant sa foi exclusivement en D.ieu, et finalement son développement en une nation mûre servant D.ieu par la Torah et ses commandements.
Nous trouvons également des enseignements comparant notre expérience ultérieure d’exil à un état de grossesse. L’enfant pas encore né, est entièrement formé mais il ne fonctionne pas comme un être humain normal. Il possède des yeux et des oreilles mais il ne peut ni voir ni entendre. De la même façon, nous, le Peuple Juif, ne pouvons fonctionner convenablement, en utilisant pleinement notre stature et notre sensibilité spirituelles. Alors que nous sommes toujours en exil, nous accomplissons les Mitsvot mais nous ne sommes pas véritablement conscients de leur importance. C’est pour cette raison que de nombreuses personnes n’ont pas encore pris la mesure de l’importance de les observer. Si nous avions la conscience d’une personne mûre, c’est avec allégresse que chacun d’entre nous s’y livrerait de plein cœur !
Comme dans le cas d’une mère qui attend un bébé devant naître de façon imminente, nous aussi attendons avec impatience la renaissance et le renouvellement du Peuple Juif et du monde, avec la venue de Machia’h. L’attitude adéquate pendant ces derniers instants est l’accomplissement des Mitsvot, l’étude de la Torah et tout particulièrement l’amour de chacun. C’est ainsi que nous parviendrons à la naissance et la renaissance, pour le bien de l’humanité toute entière.
Comment élimine-t-on le ‘Hamets cette année ?
Jeudi soir 17 avril 2008, après la tombée de la nuit (21h 28, heure de Paris), on procède à la recherche du ‘Hamets : on dispose dix petits morceaux de pain (enveloppés chacun dans un papier) dans la maison. On prononce la bénédiction : «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Al Biour ‘Hamets» puis, à la lumière d’une bougie (en cire, de préférence), on ramasse avec une cuillère en bois les dix morceaux de pain qu’on dépose dans une enveloppe. Au moyen d’une plume, on balaie les éventuelles miettes de ‘Hamets. Dans l’enveloppe, on dépose aussi la plume et la cuillère en bois. On récite alors «Kol ‘Hamira».
Vendredi matin, avant 12h 35, on brûle l’enveloppe et ce qu’elle contient en ayant l’intention par cela d’annuler tout ‘Hamets qui se trouverait encore par inadvertance en notre possession. Attention : cette procédure demande une grande vigilance et il convient de surveiller les enfants afin d’éviter tout danger.
On n’aura laissé dans la maison que le ‘Hamets nécessaire pour le repas de vendredi soir et de samedi matin, en l’occurrence des ‘Hallot (ou «pitot»). Le repas sera servi dans la vaisselle de Pessa’h et on aura soin de manger la ‘Halla à l’écart, de façon à ce que des miettes de pain ne tombent pas sur la table de Pessa’h.
Samedi matin, l’office commencera plus tôt que d’habitude afin que les fidèles puissent consommer la ‘Halla du repas de Chabbat avant 11h 25. On éliminera les éventuelles miettes dans les toilettes. Puis on prononcera le second «Kol ‘Hamira».
Comme il est interdit Chabbat de préparer la cuisine pour les jours suivants, on ne commencera à préparer le Séder qu’après la sortie de Chabbat, c’est-à-dire 21h 41. Pour cela, on aura pris soin de procéder, dès vendredi, aux préparatifs du Séder.
F. L.
Un mariage si spécial
Il y a des mariages dont, tout au long de notre vie, nous nous rappellerons avec émotion, tendresse et… des larmes, des larmes de joie bien sûr. Le mariage de Rachel Shtaransky, l’aînée des deux filles de Natan et Avital Shtaransky, avec Micha Danziger, un nouvel immigrant venu des Etats-Unis, fut un des mariages les plus poignants auxquels il m’a été donné d’assister.
Ce mariage n’aurait jamais dû avoir lieu et, de ce fait, ne pouvait être un mariage normal. J’observai les invités : d’une part, les jeunes, les amis des mariés, insouciants et simplement heureux, eux qui ne pouvaient comprendre l’importance de l’événement. Et d’autre part les personnes plus âgées, celles qui avaient suivi de près ou même qui avaient participé aux efforts pour la libération de Shtaransky et pour qui le mariage de Rachel représentait le chapitre final et grandiose de ce combat dramatique.
Je partis saluer la mariée, plus rayonnante et plus heureuse qu’aucune autre. Très belle, elle irradiait d’intelligence, d’enthousiasme et d’humour, accueillant chaque invité avec une grâce et un sourire incomparables. Plus je la regardais et plus j’avais du mal à croire à son existence-même.
Dans le monde tel qu’il était dans les années quatre-vingt, les chances pour qu’une Rachel Shtaransky se marie en 2008 étaient statistiquement infimes : Natan Shtaransky avait été jeté en prison par les Soviétiques en 1977, juste après son mariage avec Avital. Le couple ne fut réuni qu’après la libération de Shtaransky en 1986, en échange de plusieurs espions russes. De nombreux jeunes Juifs, à l’époque, avaient organisé des manifestations pour obtenir cette libération car le seul «crime» de Natan avait été de vouloir revenir à la religion de ses ancêtres et de désirer s’installer sur la terre de ses ancêtres, en Israël.
Je me souviens comment mes parents avaient été scandalisés quand, il y a vingt-cinq ans, un groupe d’entre nous avait fait irruption lors d’un concert de l’ensemble philharmonique de Moscou au Royal Festival Hall de Londres : au milieu du concert, nous avons enlevé nos pulls pour montrer nos «uniformes de prison» que nous portions en dessous ; ensuite nous nous étions enchaînés avec des menottes aux tringles des balcons en criant des slogans pour la liberté des Juifs de Russie. Il ne faut pas croire que ce fut facile. J’en tremblais à l’avance et, au dernier moment, je crus que je n’en aurais pas le courage. La seule chose, oui la seule idée qui me permit de me lever et de crier avec mes amis fut la pensée de Natan en train de croupir dans sa cellule, l’idée qu’il ne reverrait plus Avital si nous n’agissions pas. Oui, l’histoire de Natan et Avital n’était pas qu’un drame d’amour, c’était aussi le symbole de l’oppression millénaire contre les Juifs.
Je contemple Rachel qui évolue parmi les convives, avant de se marier sous le ciel de Jérusalem. Je suis là mais je ne suis pas vraiment là. Je me revois en train de crier «Libérez Shtaransky !» devant le si respectable orchestre russe. (Par la suite, j’appris que ces manifestations n’avaient pas eu l’effet souhaité et, comme l’avait indiqué le Rabbi de Loubavitch, elles avaient même été contre productives).
«C’est un grand jour pour nous tous !» reconnaît Madame Danziger. Mais moi j’ajoute : «Elle est le bébé de toute la nation !» et, en retenant mes larmes d’émotion, je conclus : «Elle est l’enfant du miracle !»
La veille, il a plu toute la journée et même la nuit. Mais le bon D.ieu Lui-même, Lui aussi invité à ce mariage, a décidé de laisser le soleil briller en plein mois de janvier, devant ce paysage éblouissant des collines de Judée. Ils sont tous là, des centaines d’invités : Russes et Israéliens, Américains et Britanniques, députés de la Knesset et journalistes, millionnaires et philanthropes, bébés et personnes âgées.
A la fin de la cérémonie, quand arriva le moment où le fiancé devait – selon la tradition – casser un verre de son pied droit, Natan prit le micro et, dans un mélange d’anglais et d’hébreu, déclara : «Il y a trente-quatre ans, dans un appartement de Moscou, Avital et moi-même nous tenions sous une ‘Houpa (dais nuptial) improvisé : un drap tenu en l’air par quatre jeunes gens. Il y avait juste assez de participants pour former un Minyane (minimum de dix hommes juifs). Nous n’avions jamais assisté auparavant à un mariage juif et nous ne savions pas ce que nous étions supposés dire ou faire. J’ai prononcé les mots que le rabbin me demandait de répéter sans en comprendre le sens. Mais casser le verre, cela nous l’avions bien compris. Nous affrontions une épreuve, bien réelle. Nous savions qu’il nous fallait aller à Jérusalem. Comment ? Combien de temps cela prendrait-il ? Nous l’ignorions mais nous l’avons fait.
Toi, Rachel, tu es née à Jérusalem, tu es la première Sabra de la famille et tu épouses Micha, le premier nouvel immigrant de sa famille. Et la question se pose avec encore plus d’acuité : pourquoi casser un verre ? Nous sommes à Jérusalem et cette ville ne cesse de se construire et de s’étendre magnifiquement.
Mais vous aussi, Micha et Rachel, vous allez affronter des épreuves, différentes des nôtres. Oui, vous allez bâtir votre foyer à Jérusalem mais, tout en gardant les pieds sur terre et en construisant la Jérusalem d’en bas, vous garderez à l’esprit qu’il faut construire la Jérusalem d’en haut, la protéger, l’embellir dans l’esprit de la Torah. Et je crois que votre épreuve, au fond, est peut-être encore plus difficile que ne le fut la nôtre… »
Bientôt il va pleuvoir mais maintenant le soleil brille, j’écoute Natan, j’observe Avital puis Rachel qui sourit à son mari. Et nous tous, présents à ce mariage, nous ressentons que nous pouvons confier à des gens comme Rachel et Micha l’avenir de Jérusalem.
Katie Green
Chabad.org.magazine
traduit par Feiga Lubecki