Editorial
Levons les yeux !C’est décidément une époque particulière qu’il nous est donné de vivre. Voici que le monde entier paraît trembler. Voici que ce qui nous semblait d’une stabilité à toute épreuve se révèle comme ne l’étant pas au degré que nous pouvions ou voulions le croire. Jour après jour se déversent sur la planète des images que l’on rêvait ne plus jamais voir. Alors que chacun porte naturellement en cœur un ardent désir de paix, voici que la guerre gronde et que, dans son sillage, les analystes décrivent les menaces qui, partout, s’amoncellent. Comme le dit le Midrach dans des termes d’une étonnante actualité : "Le monde a peur et chacun dit : ‘Où aller ? Où fuir ?’ et le peuple juif aussi s’interroge : ‘Où aller ? Où fuir ?’".
Pourtant, si nous levons un instant le regard, si nous prenons un peu de hauteur par rapport aux évènements, nous ne pouvons pas ne pas prendre conscience que nous quittons à présent le mois d’Adar pour commencer celui de Nissan et qu’il y a dans ce passage de quoi nous faire profondément réfléchir. Chacun sait que le mois d’Adar, celui de Pourim, est au-delà de toutes les atteintes du monde et va plus loin que toutes les espérances. Il est le mois positif entre tous. Chacun sait aussi que celui de Nissan est le mois des miracles, voire des "miracles de miracles". C’est ainsi que notre vision des choses se trouve transformée. Décidément, si nous le voulons, notre quotidien peut être celui des prodiges. Peut-être faut-il seulement faire l’effort de regarder le monde différemment, de laisser monter la lumière du cœur de l’obscurité ambiante et, mieux, de contribuer à son émergence et à sa victoire ultime.
Car seule une dramatique illusion pourrait nous faire croire que nous ne sommes que les jouets d’un destin qui nous dépasse. Nous savons, au contraire, que nous pouvons en être les acteurs. C’est ce pouvoir-là que D.ieu nous a confié en nous donnant Sa Torah et Ses commandements. C’est dire que, par notre attachement renouvelé à Lui et à Sa volonté, il appartient à chacun de réaliser enfin la conclusion du Midrach cité :"Le temps de votre délivrance est arrivé".
Etincelles de Machiah
La lumière dans l’obscuritéLe prophète Zacharie (14: 7) annonce, décrivant le temps de Machia’h: “Et le soir, il y aura de la lumière”. Ce texte fait volontairement coexister la notion de “soir”, c’est-à-dire d’obscurité, et celle de lumière car l’idée est importante.
En effet, à ce moment, l’obscurité elle-même sera lumière. Elle sera comparable au verre pur et transparent au travers duquel l’essence de la lumière apparaît. C’est dans les mêmes termes que la Divinité apparaîtra à toute créature comme il est dit : “Et le loup habitera avec l’agneau”. Aussi, parmi les hommes, le meurtre ou l’immoralité disparaîtront.
(D’après Maamareï Admour Hazaken - Neviim, p. 28)
Vivre avec la Paracha
Tazria : l’âme fugitiveLa Paracha que nous lisons cette semaine, Tazria, et celle de la semaine suivante, Metsora, discutent des lois de Tsaraat, une maladie spirituelle dont les symptômes se présentaient sous la forme de tâches blanches apparaissant sur la peau d’une personne, les murs d’une maison ou un vêtement de tissu ou de cuir. Toute tâche blanche ne constituait pas obligatoirement une preuve de la présence de Tsaraat. Plusieurs autres symptômes secondaires déterminaient si l’individu (la maison ou le vêtement) devait être déclaré Taméh (impur). Sur le corps humain, l’un des signes de Tsaraat était que la tâche blanche avait, par la suite, donné naissance, dans sa région, à deux poils blancs.
En ce qui concerne cette loi, un remarquable passage du Talmud relate un débat qui eut lieu dans “l’académie céleste” : si la tâche blanche précède le poil blanc, elle est impure ; si le poil blanc a poussé avant l’apparition de la tâche blanche, elle est pure ; mais qu’en est-il en cas de doute ?
Le Saint Béni Soit-Il dit : elle est pure.
L’entière académie céleste dit: elle est impure.
(Talmud Bava Metsia 86a).
La fuite du moi
Pour comprendre le sens de ce débat entre le Saint Béni Soit-Il et l’académie céleste, il nous faut d’abord saisir la nature de la maladie de Tsaraat en général et la signification de la tâche blanche et du poil blanc en particulier.
La ‘Hassidout explique que l’âme humaine est dirigée par deux forces contraires : le penchant à courir ou s’échapper (Ratso), et la tendance à s’installer (Chouv). Chaque fois que nous éprouvons un fort sentiment d’excitation, d’amour, d’ambition ou d’aspiration, nous nous précipitons, échappant à notre moi pour atteindre quelque chose de plus grand, de plus beau, de plus parfait que lui. Chaque fois que nous ressentons la crainte, l’humilité, la dévotion et l’engagement, nous nous établissons, affirmant notre relation avec notre existence, notre place dans le monde et notre mission dans la vie. Ratso nous incite à grimper une montagne, Chouv à construire une maison ; Ratso à prier, Chouv à accomplir une Mitsva.
Dans une âme spirituellement saine, la volonté oscille entre Ratso et Chouv comme les aller et venues d’un pendule bien équilibré, comme la contraction et l’expansion d’un cœur qui bat tranquillement. Les astreintes de notre place dans le monde, la finitude de notre nature et de notre corps, les limites de notre être lui-même, tout cela nous oblige à en échapper, à aspirer à l’infini et à l’illimité. Mais cette fuite elle-même nous conduit dans un lieu où nous apprécions d’autant mieux la beauté et la nécessité de notre existence. Aussi le Ratso atteint-il son apogée et provoque-t-il une réponse de Chouv, d’un retour à notre personne profonde et à notre place dans le monde.
Tsaraat est la condition dans laquelle cet équilibre crucial est rompu, dans laquelle l’âme s’élève dans le Ratso mais échoue dans le Chouv. La volonté échappe au moi mais échoue dans son retour, laissant derrière elle un vide dans lequel toute sorte d’éléments indésirables peuvent maintenant prendre racine comme des mauvaises herbes dans un jardin abandonné.
C’est là la signification des tâches blanches et des poils blancs, symptômes de Tsaraat. Une tâche de peau blanche indique que la vie et la vitalité ont quitté cette partie du corps. Pourtant une tâche blanche seule ne signifie pas que ce manquement de la volonté à s’installer a résulté en des traits négatifs dans le caractère et le comportement de la personne. Mais quand on observe des poils blancs surgissant d’une tâche blanche, quand on observe des choses mortes surgissant d’un endroit mort, nous avons un cas évident de Tsaraat.
Par ailleurs, l’existence de poils blancs seuls n’indiquent pas la présence de Tsaraat. Cela peut représenter les résidus normaux que nous entraînons avec nous dans la vie, les traits négatifs ordinaires et les expériences qui ont, en fait, la fonction positive de nous lancer des défis, suscitant l’exploitation de nos meilleures aptitudes et de nos énergies les plus efficaces. Ce n’est que lorsque les poils blancs sont occasionnés par la tâche blanche qu’ils représentent quelque chose de plus sérieux. Une telle situation indique que la personne a fui si loin qu’elle a complètement abandonné ses engagements, laissant derrière elle un vide et un moi sans vie, terrain très propice à tout ce qui est le pire dans la nature humaine.
Ainsi la loi qui stipule qu’un poil blanc n’est un symptôme de Tsaraat que lorsque la tâche blanche l’a précédé, indique-t-elle que cette excroissance morte est la preuve que quelque chose dans la vie de l’individu a été vidé de sa vitalité ?
Deux visions de l’homme
Quelle est la racine de la Tsaraat? Ratso est le fait d’échapper au moi, alors que Chouv est le retour au moi. Il paraîtrait donc que la Tsaraat: Ratso sans le Chouv, dérive d’une conscience du moi excessive.
En réalité, néanmoins, c’est tout le contraire qui est vrai. Ratso est ce que l’âme désire faire alors que Chouv est ce que l’âme est engagée à faire. Le comportement qui consiste à fuir est l’indulgence de soi poussée à son extrême, alors que “l’installation” est la soumission ultime. Tsaraat dérive alors d’un manque d’humilité, de l’échec à soumettre sa propre volonté à la volonté de son Créateur.
Cela explique le débat que l’on a mentionné plus haut entre le Tout Puissant et l’académie céleste. Lorsqu’on ignore si le poil blanc est venu avant ou après la tâche, l’académie céleste est encline à déclarer le cas comme étant la Tsaraat. Car c’est là la perspective de l’homme qui reconnaît l’égocentrisme humain. Si la Tsaraat est une possibilité, nous devons supposer qu’elle est fondée
Néanmoins, le Tout-Puissant voit l’homme comme un être essentiellement désintéressé. De cette perspective, la Tsaraat est une anomalie. S’il y a une évidence claire et concluante qu’une personne a cédé à son désir de s’échapper, jusqu’aux plus grands extrêmes, les lois de Tsaraat s’appliquent alors. Mais quand un doute subsiste, la perspective divine est encline à le déclarer pur.
Le Coin de la Halacha
Qu'est-ce que Erouv Tavchiline ?On n'a pas le droit, un jour de fête juive, de préparer de la nourriture pour le soir suivant ou le lendemain. Cependant, lorsqu'un jour de fête tombe le vendredi, on prépare, avant la fête, un aliment cuit au four et un aliment cuit à l'eau, pour montrer qu'on a pensé, avant la fête, à préparer Chabbat.
Cette année, mercredi 16 avril 2003, veille de Pessa’h, on procédera au Erouv Tavchiline (littéralement: “Le mélange par les aliments”): on préparera une Matsa et un mets cuit (viande ou poisson ou œuf). On récitera la bénédiction: Barou'h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè'h Haolam Achère Kidéchanou Bemitsvotav Vétsivanou Al Mitsvat Erouv. (“Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi de l’univers, qui nous as sanctifiés par Ses commandements et nous as ordonné le commandement du “Erouv”). Puis on les mettra soigneusement de côté et on les consommera pendant un des repas de Chabbat.
Grâce à cet Erouv, tous les membres de la famille (et les invités) pourront cuire, porter, allumer les bougies et, en général, procéder vendredi à tous les préparatifs pour Chabbat.
F. L.
De Recit de la Semaine
LA FORCE DE LA VOLONTERav Berel Lazar, émissaire du Rabbi et grand-rabbin de Russie raconte :
Un jour, un jeune garçon est arrivé dans notre Centre Communautaire et nous a dit tout simplement: “Je veux étudier la Torah. J’ai entendu qu’il y avait ici une école talmudique et je veux m’inscrire”.
Je l’ai fait entrer dans mon bureau, lui ai posé plusieurs questions habituelles et j’ai compris qu’en fait, il s’était enfui de la maison et que ses parents ignoraient qu’il se trouvait ici.
J’ai commencé à lui expliquer que ce n’est pas ainsi qu’on agit et qu’il devait, avant tout, reprendre contact avec ses parents. “S’ils s’opposent à ton inscription à la Yechiva, je ne pourrai pas t’accepter en tant qu’élève !”
Mais il ne voulait rien entendre. Il me suppliait de l’accepter: cela faisait déjà un an et demi qu’il avait décidé d’apprendre la Torah. Maintenant il avait seize ans et il s’était renseigné auprès d’un avocat: ses parents ne pouvaient pas, légalement, l’empêcher de fréquenter l’école qu’il souhaitait.
Nous avons discuté près d’une demi-heure puis on m’informa qu’un couple souhaitait absolument me voir d’urgence. Je sortis et me trouvai en face de parents inquiets: leur fils de seize ans s’était enfui de la maison et, comme il avait manifesté de nombreuses fois l’envie de s’inscrire à la Yechiva, ils étaient persuadés qu’il se trouvait chez nous. Ils exigeaient que leur enfant leur soit rendu immédiatement. Je compris qu’il s’agissait justement des parents du garçon qui était dans mon bureau.
Je les calmai et les rassurai: leur fils n’était pas kidnappé bien sûr, il était venu ici de son propre gré et j’étais justement en train de le persuader qu’il n’avait pas agi correctement. Nous avons discuté et je leur ai expliqué que le fait d’étudier dans une Yechiva n’était pas une catastrophe: “A l’étranger, de nombreux jeunes gens étudient dans une Yechiva et s’insèrent facilement dans le monde du travail”. (Il faut savoir qu’en Russie, on respecte beaucoup tout ce qui se fait “à l’étranger”).
Finalement les parents acceptèrent que leur fils reste chez nous pour une période d’essai, mais ils y mettaient une condition: ils s’opposaient catégoriquement à ce qu’il subisse la circoncision. En effet, ils venaient d’une région où avait eu lieu une explosion nucléaire et la santé de leur fils avait été affectée. Ils exigeaient que je m’engage à ce sujet et, pour tout dire, je trouvais très difficile de promettre pareille chose. Nous sommes arrivés à un compromis: leur fils ne serait pas circoncis sans qu’ils en soient avertis.
Au bout d’un certain temps, bien que ce garçon fût un peu trop jeune par rapport à la moyenne des élèves, il se mit à étudier avec beaucoup de concentration. Il avança rapidement puis nous demanda de le circoncire.
A cause de l’avertissement de ses parents, nous ne nous sommes pas pressés: il fallait d’abord effectuer des contrôles médicaux; mais il n’était pas du tout satisfait de la lenteur de la procédure. Et il me posa une question de Hala’ha: est-il permis d’effectuer soi-même la circoncision ?
J’étais atterré; j’avais compris qu’il s’apprêtait à franchir une ligne rouge ! Il était capable de tout ! Bien sûr, je lui répondis que c’était absolument interdit. Il répliqua qu’Avraham, notre père, l’avait fait, lui !
Quelle logique !
“Oui, mais lui avait reçu un ordre explicite de D.ieu etc…”
Il n’était pas convaincu et j’eus peur qu’il aille trouver un autre rabbin qui, ignorant son problème, lui répondrait que c’était permis…
Nous avons donc accéléré le processus médical jusqu’à ce que les médecins nous donnent la permission d’agir. J’ai téléphoné à ses parents qui habitaient en Ukraine, à vingt-quatre heures de train de Moscou, et leur ai demandé de venir. Quand ils comprirent pourquoi je les avais invités, ils se mirent en colère. Nous avons longuement discuté, je leur ai montré les résultats des examens médicaux et ils finirent par accepter.
La circoncision eut lieu; au début, il y eut des complications qui nous donnèrent bien des soucis mais finalement, grâce à D.ieu, le jeune homme récupéra ses forces et se remit à l’étude.
Les relations avec ses parents sont maintenant bien meilleures. A son arrivée à la Yechiva, il était complètement désorganisé, aussi bien dans son habillement que dans sa conduite. Mais depuis, il est devenu calme et posé et… ses parents sont ravis !
Rav Berel Lazar
traduit par Feiga Lubecki