Semaine 15

  • Chemini
Editorial
Au fil de Pessa’h

C’est décidément jour après jour que nous vivons la sortie d’Egypte. Une telle affirmation peut, tout au long de l’année, paraître bien péremptoire et définitive. Alors que le quotidien nous entraîne dans sa course, quel sens peut avoir une éventuelle “sortie d’Egypte”, en particulier en un temps qui donne au mot “liberté” bien d’autres significations que celles de l’éternité? Pourtant, la fête de Pessa’h venue, le calendrier, par sa seule présence, nous impose cette démarche.
Ainsi, dès les premiers jours de la fête, nous racontons, à la table du Séder, les étapes de cette Délivrance; plus encore, nous les vivons une nouvelle fois et la geste de nos ancêtres devient aussi la nôtre. Jour après jour, alors que Pessa’h s’écoule, nous avançons à la rencontre de notre destin, traversant l’histoire. Quand arrive le septième jour de la fête, nous nous tenons devant la mer et savons que le Pharaon et son armée sont derrière nous, prêts à nous ramener à la servitude. Inquiets, nous nous interrogeons alors: que faire? Toute la puissance de l’Egypte, symbole du monde matériel, tente de nous retenir dans notre élan qui nous conduit au mont Sinaï, au Don de la Torah, au spirituel, et nous voudrions résister ? Nous savons pourtant que cette résistance est indispensable et, comme en réponse, D.ieu parle: “Qu’ils avancent!” La mer s’ouvre et nous nous engageons dans ce nouveau passage ; le monde ne sera plus jamais le même.
Cette sortie d’Egypte n’est pas, dans cette optique, un simple souvenir même grandiose. La fête de Pessa’h qui passe n’est pas que la commémoration d’une glorieuse victoire. Les évènements décrits ici sont ceux de notre temps et nous avons bien à les vivre chaque jour. C’est en effet, chaque jour que le monde matériel tente de nous retenir. C’est chaque jour qu’il veut empêcher que nous nous libérions de nos entraves. Mais l’élan vers le spirituel ne peut jamais être réfréné. Et, de degré en degré, nous nous élevons dans une liberté toujours nouvelle.
Alors que Pessa’h avance, c’est son progrès que nous vivons et, lorsqu’il s’achève, c’est sa lumière que nous conservons :celle de l’ultime liberté, celle de Machia’h.
Etincelles de Machiah
La coupe du Prophète Elie

Le soir du Séder, la coutume, respectée dans toutes les communautés, veut que l'on verse une coupe de vin pour le Prophète Elie. Cet usage est connu, il est même un des moments particulièrement attendus de la célébration de Pessa'h. Pourtant il n'est pas enseigné par le Talmud ou les premiers décisionnaires. Il a été instauré plus tardivement et cela n'est pas le fait du hasard.
En effet, cette coupe de vin se rattache à la foi en la venue de Machia'h et en celle du Prophète Elie qui sera son annonciateur. Or, plus on se rapproche du temps de cet avènement, plus la croyance en sa survenance et le sentiment d'attente grandissent dans le cœur de chacun.
C'est la raison pour laquelle la coutume de verser cette coupe s'est répandue dans les dernières générations. Elle est la traduction de cette avancée.
(D'après Likouteï Si'hot, vol. XXVII, p. 55)
Vivre avec la Paracha
Pessa’h: le temps de notre libération et la fête des Matsot

On se réfère communément à la fête de Pessa’h dans nos prières comme étant le “temps de notre libération” et la “fête des Matsot”. Ces noms évoquent des aspects de Pessa’h applicables en tout temps et en tout lieu.
Les autres noms de cette fête: “Pessa’h” et la “fête du printemps” ne s’appliquent qu’à des temps et des lieux bien définis. Le nom Pessa’h fait référence à l’offrande de “Pessa’h” (agneau pascal) qui ne pouvait être apportée que lorsque existait le Temple; la “fête du printemps” ne se rapporte qu’à l’hémisphère nord, car dans l’hémisphère sud, Pessa’h a lieu en automne.
On peut comprendre aisément que le message de Pessa’h pour l’année entière peut être mieux appréhendé à partir de ces noms qui s’appliquent en tout temps et en tout lieu. Le terme “temps de notre délivrance” ne fait pas seulement allusion à la libération des Juifs de l’esclavage d’Egypte, il y a des milliers d’années: il évoque la véritable libération de chaque Juif en tout lieu et en tout temps.
Le but de l’Exode trouve son expression dans le verset (Chemot: 3:12): “quand tu sortiras la nation juive d’Egypte, ils serviront D.ieu sur cette montagne”, c’est-à-dire l’expérience du Don de la Torah à Sinaï. Car le Peuple Juif ne pouvait être réellement libéré de l’esclavage d’Egypte tant qu’il ne serait pas également libre spirituellement.

L’esclavage spirituel, le mot hébraïque pour Egypte, Mitsrayim étant lié étymologiquement au mot “limites”, peut venir de l’extérieur tout comme de l’intérieur. Un individu peut être asservi aux mœurs de la société où il peut être l’esclave de ses propres passions. La véritable libération de cette sorte d’esclavage ne peut s’obtenir que par la Torah et les Mitsvot: “servir D.ieu sur la montagne”.
Mais que doit faire plus particulièrement celui qui recherche la liberté? C’est là que vient la leçon de l’autre nom de la fête: “la fête des Matsot”.
La “fête des Matsot” possède deux aspects: l’obligation de manger des Matsot et l’interdiction de consommer du ‘hamets, des produits fermentés. L’obligation de manger des Matsot se limite à une quantité spécifique et à un moment précis: la quantité de la taille d’une olive doit être mangée la première nuit de Pessa’h. Toutefois, l’interdiction concernant le ‘hamets connaît différentes limites; la plus infime particule de ‘hamets est interdite pendant toute la fête.
Les différences naturelles entre le ‘hamets et la Matsah et les différences qui en découlent entre manger de la Matsah et ne pas consommer de ‘hamets nous fournissent une leçon intéressante dans notre quête pour la liberté spirituelle.
La pâte levée lève continuellement. La Matsah en représente l’antithèse absolue: la pâte ne doit surtout pas lever.
Nos Sages expliquent que le ‘hamets symbolise la vanité et l’orgueil, des traits de caractère si dangereux qu’ils sont la racine de tous les traits négatifs. C’est là l’une des raisons pour lesquelles même la plus infime quantité de ‘hamets est interdite: l’orgueil et la vanité doivent être complètement annulés.
Se débarrasser de ces traits représentés par le ‘hamets et accomplir la mitsva de consommer la Matsah permettent au Juif de surmonter ses propres défauts et les défis du monde matériel. Il peut alors se libérer de son exil spirituel et jouir de sa liberté tout au long de l’année.
Le Coin de la Halacha
Quelles sont les Mitsvot essentielles de la nuit du Séder ?

Le lundi 5 avril et le mardi 6 avril 2004, on organise le Séder pour célébrer la sortie d'Egypte. On ne pourra commencer qu'après la nuit tombée (21 h 17, heure de Paris). Tous les Juifs doivent participer au Séder, hommes, femmes et enfants. Il faut :
Raconter la sortie d'Egypte
On le fait en lisant la Haggadah. Il faut raconter à tous les participants et en particulier aux enfants, selon ce qu'ils peuvent comprendre. Pour éviter qu'ils ne s'endorment, on aura pris soin de les faire dormir l'après-midi et on leur fera chanter certains paragraphes de la Haggadah.
Manger de la Matsa
On mange de la Matsa les deux soirs du Séder après avoir dit la bénédiction : " Barou'h Ata Ado-nay Elo-hénou Mélè'h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Al A'hilat Matsa ", en plus de la bénédiction habituelle " Hamotsi ". La Matsa du Séder sera " Chemourah ", c'est-à-dire qu'on aura surveillé depuis la moisson, que les grains de blé, et plus tard la farine, n'auront pas été en contact avec de l'eau, ce qui aurait risqué de les rendre 'Hamets. Nombreux sont ceux qui préfèrent consommer les Matsot rondes cuites à la main (et non à la machine) comme au temps de la sortie d'Egypte. Il faut manger au moins 30 grammes de Matsa, et il est préférable de les manger en moins de 4 minutes. Il faudra manger trois fois cette quantité de Matsa : pour le " Motsi ", pour le " Kore'h " (le " sandwich " aux herbes amères), et pour le " Afikoman ", à la fin du repas, en souvenir du sacrifice de Pessa'h qui était mangé après le repas.
Manger des herbes amères (Maror)
On mange des herbes amères en souvenir de l'amertume de l'esclavage en Egypte. On achètera de la salade romaine qu'on nettoiera feuille par feuille devant une lumière pour être sûr qu'il n'y a pas d'insecte, après l'avoir fait tremper dans de l'eau. On prépare pour chacun des convives au moins 19 grammes de " Maror ", c'est-à-dire de salade romaine avec un peu de raifort râpé, trempé dans le " 'Harosset " (compote de pommes, poire et noix, avec un peu de vin) après avoir prononcé la bénédiction : " Barou'h Ata Ado-nay Elo-hénou Mélè'h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Al A'hilat Maror ". On consomme encore 19 grammes de Maror bien séché entouré de Matsa pour le " sandwich de Kore'h ".
Boire 4 verres de vin
On doit boire au cours du Séder au moins quatre verres de vin ou de jus de raisin cachère pour Pessa'h. Le verre doit contenir au moins 8,6 centilitres, et on doit en boire à chaque fois au moins la moitié, en une fois.
Accoudé
Les hommes et les garçons doivent s'accouder sur le côté gauche, sur un coussin, pour manger la Matsa et boire les quatre verres de vin.
De Recit de la Semaine
Un Séder secret… à New York !

En 1941, l'Etat de New York et d'autres états américains instituèrent dans les écoles publiques une heure hebdomadaire d'étude religieuse facultative. Rabbi Yossef Yts'hak, le précédent Rabbi de Loubavitch sut saisir cette occasion pour permettre aux enfants juifs de mieux connaître leur héritage. De nombreux élèves de Yechivot se rendirent alors dans ces écoles laïques pour enseigner les bases du judaïsme. Ce programme continue jusqu'à aujourd'hui.
Un de mes amis, malheureusement disparu il y a vingt ans, Rav Azriel Wasserman était l'un de ces professeurs, dynamique et sympathique, qui se dévouait pour ces élèves, une fois par semaine. Les enfants l'adoraient.
Une année, quelques jours avant Pessa'h, Rav Wasserman fit jouer à ses élèves une pièce dans laquelle ils et elles retraçaient le déroulement du Séder. Bien entendu, les enfants avaient beaucoup apprécié cette heure de détente instructive. Il retrouva les enfants pendant 'Hol Hamoed, les " jours de fête intermédiaires ". C'était le lendemain des deux soirs du Séder et il remarqua deux petites filles qui s'assoupissaient, se réveillaient en sursaut et se rendormaient aussitôt. Inquiet, il leur demanda si tout allait bien, elles le rassurèrent et, après le cours, demandèrent à lui parler en privé.
" Je vous en prie, ne racontez à personne ce que nous allons vous dire. Nous avons quelque chose à vous confier, mais promettez-nous que vous n'en parlerez à personne ! "
Tandis que la plus grande parlait, la plus jeune regardait à droite et à gauche pour s'assurer que personne d'autre n'écoutait. Etonné, Rav Wasserman hésita puis promit de ne rien dire.
" Voilà. Vous vous souvenez que la semaine dernière, nous avons tous ensemble joué une pièce sur le Séder. Nous vous avons demandé pourquoi il fallait accomplir tous ces gestes, réciter ces prières et manger ces différents aliments. Vous avez répondu que D.ieu veut que nous fassions le Séder le soir de Pessa'h afin de nous rappeler qu'il est très, très bon, puisqu'Il nous a fait sortir d'Egypte… c'est bien cela ? "
Rav Wasserman hocha la tête affirmativement.
" Alors quand nous sommes rentrées à la maison, nous avons expliqué cela à Maman et nous lui avons déclaré qu'il fallait préparer le Séder, comme vous nous l'aviez montré. Maman a trouvé l'idée sympathique mais pas Papa. Vous savez, notre Papa n'est pas juif. Nous lui avons demandé, il s'est énervé et a crié : non !
Je lui ai demandé pourquoi il ne voulait pas et il s'est mis très en colère et a dit que si nous en reparlions, il nous donnerait une paire de claques. Il est parti trouver Maman et s'est énervé contre elle parce qu'il croyait que c'était elle qui nous avait poussées à demander. Ils se sont disputés et nous avons eu très peur.
Mais après cela, ma sœur et moi avons discuté de notre côté et nous avons décidé que si D.ieu désirait que nous fassions le Séder de Pessa'h, nous le ferions. Nous avons élaboré un plan : nous avons pris de l'argent de notre tirelire et, sur le chemin du retour de l'école, nous sommes passées par un magasin cachère. Nous avons acheté deux bouteilles de jus de raisin et, le lendemain, une boîte de Matsot. Dans la journée, nous avons pris de la salade du réfrigérateur et nous avons tout caché dans la cave.
Le premier soir de Pessa'h, au moment d'aller nous coucher, nous avons fait semblant de dormir et, dès que nous avons été sûres que nos parents dormaient profondément, vers une heure du matin, nous sommes descendues à la cave.
Nous avions très peur car l'escalier craquait sous nos pas. Et la cave était très peu éclairée. Mais nous avons fait tout ce que vous nous aviez enseigné : nous avons bu les quatre verres de jus de raisin, mangé la Matsa, la salade, l'oignon et tout. Oui, nous avons fait un Séder clandestin ! Nous sommes retournées nous coucher sans bruit et nul n'en a rien su.
Et le lendemain soir, nous avons fait de même ! Mais nous n'avions plus tellement peur et nous avons même ri et fait des grimaces pour nous détendre.
C'est la raison pour laquelle nous sommes tellement fatiguées aujourd'hui. Mais je vous en supplie, n'en dites rien à personne, surtout pas à notre père parce qu'il serait très en colère contre nous ! "
Rav Wasserman promit et elles sortirent de la pièce. Après qu'elles aient fermé la porte, il s'effondra sur le fauteuil du professeur et se mit à pleurer.
Quand il me raconta cette histoire, il ajouta : " Je ne sais pas si j'aurais eu le courage d'agir comme ces deux petites filles. Elles m'ont raconté tout cela avec une telle simplicité que cela m'a autant impressionné que toutes les histoires de Pessa'h en Sibérie ou dans les camps. Même de nos jours, des enfants sont capables d'un tel dévouement pour la Torah ! Puissions-nous tous être inspirés par leur exemple ! "

Rav Touvia Bolton
www.ohrtmimim.org
Traduit par Feiga Lubecki