Editorial
Entre deux libérationsAu sortir de Pourim, le cœur encore empli de joie et la tête d’idées de délivrance, voici que s’ouvre une autre recherche. Les Sages l’ont exprimé en une forte phrase. “Rapprochons une libération d’une autre”. Ils veulent signifier ainsi que, après celle de Pourim, c’est celle de Pessa’h qui nous attend.
L’idée peut paraître étrange à l’observateur. Ces deux fêtes ont, certes chacune une importance indéniable. Cependant, elles s’inscrivent dans des contacts historiques profondément différents. Pourim nous a fait revivre l’exil de Babylone, après la destruction du premier Temple, alors que Pessa’h nous conduira à nous souvenir de la sortie d’Egypte bien des siècles plus tôt, en un temps où les Juifs se mettent en marche pour recevoir la Torah au mont Sinaï. Quel rapport y a-t-il donc entre ces deux temps forts de la vie juive au-delà de leur proximité dans le calendrier. C’est que, dans l’un et l’autre cas, le peuple juif exprime l’essence même de son âme. En effet, à l’époque de Pourim, alors même que c’est une tragédie qui la menace, il sait ne jamais renoncer à lui-même. Il sait rester fidèle à son héritage, confiant en son avenir. Il ne recule pas devant son ennemi, Haman, et c’est ainsi qu’il parvient à le vaincre. A l’époque de Pessa’h, les Juifs savent affronter le pharaon et son orgueil, l’Egypte et sa puissance. Ils savent répondre à l’appel de D.ieu et briser leurs chaînes. Dans les deux cas, un même mouvement les anime,celui du don de soi. De fait, exilés, asservis, les Juifs sont conscients du sens de l’histoire, ils connaissent le message dont ils sont porteurs. Pour cela, les plus grands empires ne parviennent pas à les effrayer. Quand le temps en est venu, leur âme apparaît au grand jour et son efface l’obscurité ambiante, aussi épaisse soit-elle.
Souvenons-nous que, de libération en libération, nous sommes leurs héritiers.
Etincelles de Machiah
Une révélation pour l’âme et le corpsLorsque le Machia’h viendra, une profonde lumière divine Se révèlera dans le cœur de chacun. Alors, la crainte de D.ieu sera constamment une réalité concrète, visible par tous. C’est ainsi qu’il est écrit (Isaïe 2 :19). “Et ils iront dans des grottes…par crainte de D.ieu”.
Le corps également changera, redevenant comme il était avant que Adam commette la faute de “l’arbre de la connaissance”. Son corps est alors dénué de tout mal comme il est écrit dans le Midrach (Vayikra Rabba 20 :2):“Son talon affaiblissait le soleil”. Cela signifie que son corps était encore plus effacé devant la Divinité que peut l’être le soleil.
(d’après Dére’h ‘Haïm, p.25)
Vivre avec la Paracha
Chemini : la huitième dimension"Et arriva le huitième jour…" Ces mots ouvrent la section de la Torah "Chemini", ("le huitième" qui décrit les événements du jour où le Michkan, le Sanctuaire portatif construit par le Peuple d'Israël dans le désert de Sinaï), fut inauguré.
C'était "le huitième jour" parce qu'il suivait une période d'"entraînement" de sept jours durant laquelle, chaque matin le Michkan avait été érigé, et chaque soir désassemblé, et où Aharon et ses quatre fils avaient été initiés au service de la Kehounah (prêtrise). Mais c'était également le jour que nos Sages décrivent comme possédant de nombreux "premiers": c'était un dimanche, le premier jour de la semaine ; c'était le premier Nissan, marquant le commencement d'une nouvelle année; c'était le premier jour où la Présence Divine vint résider dans le Sanctuaire; le premier jour de Kehounah; le premier jour du service dans le Sanctuaire, etc. Selon une opinion, c'était également le jour d'anniversaire de la création de l'univers.
Avec tant de "premiers" associés à ce jour, pourquoi la Torah s'y réfère-t-elle, et par extension à toute la Parachah, comme au "huitième jour"?
Le cycle
Le chiffre "sept" figure de façon ostentatoire dans notre compte et notre expérience du temps. Le plus familier pour nous est naturellement le cycle de sept jours de travail/repos qui constitue notre semaine, en réplique aux sept jours originels de la Création où "en six jours D.ieu fit les cieux et la terre…et au septième jour Il Se reposa" (Chemot 20:11). Ainsi chaque Chabbat complète-t-il une révolution complète du cycle temporel originel à la suite duquel nous recommençons à partir du "Yom Richone", le premier jour, dimanche, selon sa dénomination dans la langue sainte.
C'est la raison pour laquelle nombre d'observances du cycle de la vie juive sont une affaire de sept jours. Deux fêtes de sept jours encadrent notre année: Pessa'h qui va du 15 au 21 Nissan, et Soukkot qui a lieu exactement six mois plus tard, du 15 au 21 Tichri. Un mariage se célèbre pendant une semaine entière de Chéva Bra'hot (sept bénédictions) et la mort d'un parent, à D.ieu ne plaise, occasionne un deuil de sept ( Chéva) jours. C'est la raison pour laquelle la libération de Pessa'h, la joie de Soukkot, le lien du mariage et le travail du deuil sont assimilés avec les sept dimensions du temps créé.
Nos années suivent également le cycle de la création: six années de travail sont suivies de l'année chabbatique de la Chmitah (interruption). En Terre d'Israël tout travail agraire est suspendu la septième année et le produit de la terre de la septième année est déclaré offert à tous ceux qui le veulent. A la septième année sont également suspendues toutes les dettes privées et c'est le terme des années de servitude de tous les serviteurs.
Enfin, nos Sages décrivent l'ensemble de l'histoire humaine comme une semaine de sept millénaires, consistant en 6000 ans de labeur humain pour développer le monde de D.ieu et un septième millénaire qui est entièrement Chabbat et repos, pour la vie éternelle, l'ère de Machia'h.
Les Cabalistes expliquent que les Sept Jours de la Création représentent les sept Sephirot (attributs divins) que D.ieu fit émaner de Lui-Même pour définir et caractériser Sa relation avec notre existence. Ainsi "sept" est-il non seulement le chiffre élémentaire du temps mais celui de chaque créature et de chaque réalité créée comme entité. Cela est particulièrement vrai de l'être humain qui fut créé à l'image de D.ieu : le caractère humain comprend sept tendances (amour, retenue, harmonie, ambition, dévotion, lien et réceptivité) qui reflètent les sept attributs par lesquels D.ieu agit comme Créateur de l'univers.
La matière et l'esprit
Chacune des sept unités de la semaine représente les caractéristiques particulières de sa Sephirah. Mais en termes plus généraux, le cycle consiste en deux phases primaires: le profane (le 'hol) et la sainteté (la kedouchah). Le travail des six jours mondains est suivi par un jour de repos spirituel; six années de travail de la terre et une année de suspension et de distanciation du matériel; six millénaires voués à se battre contre le monde physique et le développer et un septième millénaire dans lequel la seule occupation du monde entier sera la connaissance de D.ieu.
Le mot qu'utilise la Torah pour "saint", kedouchah, signifie littéralement retiré et à part. Ses noms pour le septième jour, Chabbat, et pour la septième année, Chmitah, ont pour sens littéral, cessation et suspension. Car la sainteté requiert un désengagement total de tous les accomplissements matériels. Pour pouvoir vivre la sainteté et la spiritualité du Chabbat, nous devons interrompre tout travail matériel. Pour pouvoir accéder à la sainteté de la terre durant l'année de la Chmitah, nous devons interrompre tout travail de son sol et tous doivent réclamer la propriété de ses produits. Pour pouvoir ressentir la bonté divine et la perfection de notre monde, à l'ère messianique, nous devons tout d'abord parvenir à un état où il n'y a plus de jalousie et plus de concurrence sur ses richesses matérielles.
[Cela ne veut pas dire que Chabbat n'a aucun effet sur le reste de la semaine, que les années de la Chmitah n'influencent pas profondément la relation du fermier avec sa terre durant les six années du cycle ou que l'âge messianique est complètement séparé des générations laborieuses de l'histoire. Bien au contraire, la fonction première de ces Chabbat est de donner une vision spirituelle, le courage et un dessein dans les périodes profanes de ce cycle. Mais pour y parvenir, ils doivent être gardés distincts et séparés. Ce n'est que lorsque les frontières entre le saint et le profane sont strictement renforcées que nous pouvons expérimenter la sainteté dans notre vie et étendre sa vision et son influence à nos entreprises matérielles]
Le cercle et la circonférence
Si le chiffre "sept" définit la réalité naturelle, "huit" représente ce qui est plus haut que la nature, la circonférence qui entoure le cercle de la création.
"Sept" inclut à la fois la matière et l'esprit, à la fois la matérialité et la spiritualité, à la fois l'implication et la transcendance, mais en tant qu'éléments distincts du cycle de la création ; la septième dimension influera les six autres, mais seulement de façon transcendante, comme une réalité spirituelle, d'un autre monde qui ne sera jamais réellement intériorisée et intégrée dans le système. Par contre, "huit" représente l'introduction d'une réalité qui est au-delà de la nature et de toute définition, celle de la transcendance. Cette huitième dimension (si nous pouvons l'appeler "dimension") n'a pas de limites du tout: elle transcende et pénètre, étant au-dessus de la nature et en même temps complètement présente en elle, étant au-delà de la matière et de l'esprit et en même temps à l'intérieur d'eux.
Ainsi l'alliance de la circoncision qui lie le Juif à D.ieu dans un lien qui dépasse toute la nature et les conventions même lorsqu'il pénètre chaque recoin de la vie, est scellée le huitième jour de la vie. La fête de Chemini Atséreth, dont la fonction est d'intérioriser la lumière transcendante de la Soukkah, a lieu le huitième jour qui suit les sept jours de Soukkot. Sept cycles de Chemitah sont suivis d'une année de Jubilée qui se caractérise par la liberté (c'est-à-dire la libération de tous les liens) plutôt que par la suspension. Et le Sanctuaire dont le rôle est de faire de l'infinie réalité de D.ieu une présence qui réside dans la monde matériel, fut inauguré le huitième jour suivant une période d'entraînement de sept jours.
Par le même jeu, le septième millénaire messianique de l'histoire sera suivi du "huitième": Monde futur ultime, supra historique (Olam Ha-Ba) dans lequel la réalité divine sera unie à la réalité créée, d'une façon sur laquelle nous ne pouvons spéculer dans un monde dans lequel le fini et l'infini s'excluent mutuellement. Selon les mots du Talmud: "Tous les prophètes n'ont prophétisé qu'à propos des jours de Machia'h; concernant le Monde Futur, "aucun œil ne peut l'envisager, O D.ieu, en dehors du Tien".
Le Coin de la Halacha
Qu'est-ce que la Matsa Chmoura ?En hébreu, «Chmoura» signifie «gardée» et ce terme décrit parfaitement ce qu'est cette Matsa. La farine utilisée pour sa fabrication est gardée, protégée de tout contact avec de l'eau, depuis le moment de la moisson. En effet, si elle était mouillée, elle pourrait lever et devenir impropre à la consommation pendant Pessa'h.
Cet Matsot sont rondes, pétries à la main et ressemblent à celles que les enfants d'Israël consommèrent lorsqu'ils quittèrent l’Egypte. Elles sont cuites en moins de 18 minutes sous stricte surveillance rabbinique, afin de s'assurer qu'elles ne puissent en aucune façon augmenter de volume et devenir levain pendant la fabrication. La Matsa Chmoura doit être utilisée pendant les deux nuits du Séder, c'est-à-dire samedi soir 23 avril 2005 et dimanche soir 24 avril 2005, en particulier pour les trois Matsot posées sur le plateau.
Il n’est pas nécessaire d’avoir terminé son ménage de Pessa’h pour acheter les Matsot; il suffira de les stocker à l’abri de tout ‘Hametz.
F. L.
De Recit de la Semaine
LES ASSIETTES DE MA MEREJe n’avais que vingt ans et c’était mon premier appartement. Un an plus tôt, j’avais perdu ma mère et j’en souffrais encore énormément. Je travaillais et vivais avec mon père : je faisais les courses, le ménage et la cuisine comme si j’étais le pilier de la maison et je pensais que je prendrais soin de mon père durant de longues années.
Ainsi je ressentais un certain réconfort. Puis mon père m’informa qu’il allait vendre la maison pour habiter chez sa sœur. J’en fus très peinée et ressentis soudain que ma vie n’avait plus de but. Il vendit la maison.
Je pris donc un autre appartement, situé au second étage, au-dessus d’un magasin de la Marine.
Il n’y avait rien de juif dans ma vie. J’avais oublié – ou rejeté – ou je n’avais même jamais appris ce que signifiait le fait d’être juif. Mon ami et mes amies étaient tous non-juifs, je mangeais « taref » (non-cachère) et je vivais de façon non-cachère.
Un jour mon père me téléphona ; il souhaitait se débarrasser de plusieurs caisses dont il n’avait aucune utilité : la vaisselle de Pessa’h de ma mère. Il faut savoir que, dans mon enfance, il n’y avait pas eu grand-chose de juif sauf – une toute petite dose de Pessa’h. C’est-à-dire que, chaque année, nous changions de vaisselle : assiettes, couverts, casseroles, tout. Non, nous ne célébrions pas le « Séder » et je pense tout simplement que c’était parce que ma mère jouait son rôle mais pas mon père.
Quant à moi, chaque année, je déballais la vaisselle : celle-ci était placée toute l’année dans des cartons, et mon père les remontait avant la fête. J’avais ainsi l’occasion de relire les nouvelles des journaux de l’année précédente dans lesquels chaque assiette était soigneusement enveloppée. C’était des assiettes en porcelaine bleue, dignes d’un magasin d’antiquités. Certaines avaient comme motif des pêcheurs au bord de l’eau, d’autres des saules pleureurs et d’autres encore d’adorables petits oiseaux volant délicatement vers des nuages éthérés. Il y avait aussi trois sortes de verres, bleus évidemment, et toute une batterie de cuisine, bleue et blanche.
C’était un enchantement, une semaine par an, mais aussi un véritable déménagement avant et après la fête.
Mais tout cela, c’était « avant ». Je dis à mon père que je n’en avais pas l’usage. Je ne célébrais pas Pessa’h et lui non plus. Sa sœur ne savait pas quoi en faire et n’avait pas la place pour la stocker. Il m’apporta néanmoins les caisses dont je ne savais que faire.
J’ignore pourquoi je les laissais traîner dans le couloir devant mon appartement : de fait, j’étais très occupée et aussi très confuse mentalement.
Quelques jours plus tard, je m’aperçus avec étonnement que les caisses n’étaient plus là. Disparues ! Je me précipitais chez le propriétaire du magasin en bas : « Oh, ces caisses ? Un gars les a débarrassées… ! »
- « Comment ? Comment avez-vous pu faire une chose pareille ? C’était la vaisselle de Pessa’h de ma mère ! »
- « Oh, je pensais que c’était à jeter ! Je suis désolé ! »
- « Et qui était cet homme ? Pouvez-vous me le décrire, me donner son nom, son adresse… ? »
- « Je n’en sais rien. C’était un chômeur qui cherchait à gagner quelques dollars, il va probablement les revendre… »
Je suis sortie en courant du magasin, j’ai parcouru toutes les rues du quartier, j’ai regardé toutes les vitrines des brocanteurs, j’ai cherché dans les piles d’immondices, j’ai arrêté les gens dans la rue… Rien ! Je rentrai tristement chez moi, tête baissée, presque en larmes mais sachant que je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même. La vaisselle de Maman avait disparu, je ne la reverrai plus jamais, comme tant de personnes et d’objets qui avaient compté dans ma vie. Je me fis une raison et la vie continua.
* * *
Bien des années plus tard, tandis qu’une amie me rendait visite pendant Pessa’h, elle admira ma vaisselle, bleue et blanche, si fine qu’on pouvait presque voir à travers. « Oui, lui dis-je, il fallait que ma vaisselle de Pessa’h soit bleue et blanche… »
Je regardais les bougies qui commençaient à s’éteindre, les Haggadot, les Matsot, le plateau du Séder et finalement mon mari et mes enfants endormis. Je lui racontais alors toute l’histoire de ma vie : « Ces assiettes symbolisaient mon héritage, spirituel et matériel. Elles avaient disparu parce qu’à l’époque, je ne leur avais pas accordé la valeur qu’elles méritaient, je n’avais pas pris soin de ce qui m’avait été confié. Je ne pourrai jamais les récupérer, mais j’ai repris le flambeau. J’ai beaucoup cherché pour retrouver une vaisselle semblable à celle de ma mère, mais j’ai enfin trouvé : non seulement la vaisselle mais aussi Pessa’h, Chabbat, une famille que j’ai enfin fondée. J’espère m’être rachetée… »
Mon amie avait les larmes aux yeux. En me quittant, elle murmura : « Ta mère serait fière de toi ! »
Propos recueillis par Sheindel Shapiro
Di Yiddishe Heim – Chabad Magazine
Traduit par Feiga Lubecki