Et après Pourim ?
La fête de Pourim a été, sans aucun doute ni réserve, merveilleuse pour chacun ! On a presque envie de dire «comme d’habitude». Mais voici que les jours de cette joie si particulière se sont terminés et que, le temps passant avec constance, ils ont tendance à peu à peu s’effacer. C’est ainsi que la question se soulève : que reste-t-il de tout ce que nous avons vécu ? Sommes-nous donc condamnés à revivre régulièrement des grands événements spirituels, des expériences uniques dont nous perdons la trace sans retour ? Quel but cherchons-nous vraiment à atteindre ?
La réponse tient peut-être ici en un mot : libération. Nos Sages l’enseignent : «On rapproche une libération d’une autre, de la libération de Pourim à la libération de Pessa’h.» De fait, et malgré l’éloignement des époques concernées, c’est toujours de liberté qu’il s’agit. Mais il en existe bien des sortes. Celle de Pourim est bien réelle et nous l’avons dignement célébrée. Force est cependant de constater qu’elle ne consiste pas en une libération totale. Pour citer encore nos Sages, même après le prodigieux retournement de situation de Pourim, «nous sommes toujours serviteurs d’Assuérus», entendons «toujours soumis au pouvoir des conquérants.» Au contraire, la libération de Pessa’h est pleine et entière. Toute la puissance de l’Egypte plie devant un peuple conduit par D.ieu, en marche vers son avenir. Cependant, c’est toujours de liberté qu’il s’agit. La première nous laisse, pour un temps, en exil tandis que la deuxième nous en fait sortir mais la liberté majeure est d’abord celle de l’âme et, dans les deux cas, c’est elle qui est acquise et que personne, jamais, ne pourra contester.
C’est cela qui continue de nous conduire dans le long voyage de notre vie, individuelle et collective. Certaines époques ne sont guère favorables à la liberté. Trop sûres d’elles-mêmes ou, à l’inverse, trop craintives, elles n’apprécient guère les paroles et les actes qui diffèrent des normes préétablies. Sans revenir aux âges d’obscurantisme et d’oppression, elles savent susciter un sentiment d’inconfort assez fort pour qu’il soit perceptible. C’est ici que l’idée de liberté revêt toute son importance. Elle est un guide et elle n’est jamais négociable. Etre un esprit libre, n’est-ce pas d’abord être soi-même – conscient, fidèle et ainsi visionnaire ? A nous d’avancer sur ce chemin à présent ouvert.
Le travail de chacun
Il faut souligner que, du fait de l’importance du sujet, il est bon que, dans toute réunion de Juifs, on rappelle : «Ecoutez, l’ajout d’une seule action par chacun d’entre vous – et en particulier par trois Juifs ensemble – peut constituer le ‘dernier coup’ avant la Délivrance véritable et complète. Et, selon la loi juive, un tel ‘dernier coup’ peut être donné en un instant.»
Plus précisément, à partir de maintenant, amener la Délivrance doit être l’œuvre de tous, et au sens strict : les hommes, les femmes et les enfants.
(D’après un commentaire du Rabbi – Pourim 5747)
Chemini
Le huitième jour, suivant les sept jours de leur initiation, Aharon et ses fils commencent leur service de Cohanim (prêtres). Un feu jaillit de D.ieu pour consumer les offrandes et la Présence Divine vient résider dans le Sanctuaire.
Les fils aînés d’Aharon offrent un «feu étranger devant D.ieu, qu’Il ne leur avait pas commandé» et ils meurent devant D.ieu. Aharon reste silencieux devant sa tragédie.
Moché et Aharon sont, par la suite, en désaccord sur un point de la loi concernant les offrandes mais Moché reconnaît qu’Aharon a raison.
D.ieu ordonne les lois de la Cacherout, identifiant les espèces animales permises et celles qui sont interdites à la consommation. Les animaux mammifères ne peuvent être consommés que s’ils ont le sabot fendu et ruminent. Les poissons doivent posséder des nageoires et des écailles. Une liste d’oiseaux non Cacher est établie ainsi qu’une liste d’insectes Cacher (quatre espèces de sauterelles).
Chemini comporte également certaines lois de pureté rituelle, y compris celles qui évoquent la nature purificatrice du Mikvé (un bassin d’eau construit selon certaines règles précises) et de la source. C’est ainsi que le peuple est enjoint de «faire la distinction entre l’impur et le pur».
La Paracha décrit, cette semaine, l’inauguration du Sanctuaire du désert. Pour compléter ce récit, la Haftara décrit la façon dont l’Arche fut apportée à Jérusalem par le Roi David, pour préparer la construction du Temple.
Accompagnant l’Arche, le roi était emporté par la joie. La Présence de D.ieu allait résider dans la ville qu’il avait construite. C’est pourquoi «Le roi David dansait follement et caracolait devant D.ieu».
Sa femme, Mi’hal, la fille du roi Chaoul, regarda par la fenêtre et fut horrifiée par la conduite de son mari. Quand il rentra à la maison, elle le lui reprocha : «Quelle est la gloire du roi d’Israël, en ce jour, lui qui s’est découvert aujourd’hui… comme un de ces hommes bas qui se découvrent sans honte !».
David répliqua durement : «En présence de D.ieu Qui m’a préféré à ton père… je me considérerai encore moins digne de respect que cela».
Pourquoi les Ecritures se réfèrent-elles à Mi’hal comme à «la fille du Roi Chaoul» et pourquoi David mentionne-t-il le choix de D.ieu Qui le préféra à Chaoul ?
Là est le cœur du problème. Ce que David signifiait abruptement à Mi’hal était que c’était précisément sa faculté à se laisser aller, à se donner entièrement, sans retenue, à D.ieu, qui expliquait le choix de D.ieu porté sur lui et non sur Chaoul. Chaoul suivait sa logique. Bien sûr, il était engagé à suivre la volonté de D.ieu, mais seulement dans les limites de sa compréhension. Il ne pouvait pas se dépasser complètement. Alors que chez David, l’aptitude à le faire était la base de sa relation avec D.ieu. Il ne connaissait aucune limite. Il se dévouait à D.ieu, de tout son être.
Et cela le menait à une joie illimitée. Il ne dansait pas parce qu’il était personnellement joyeux. Son allégresse n’était pas le résultat de la prise de conscience de la grande chose qu’il avait accomplie. En fait, il ne pensait à rien. Il était en présence de D.ieu et Le célébrait sans limites. Car tout comme D.ieu est illimité et infini, le service de l’homme doit également ne connaître aucune restriction. Il était bien loin de réfléchir à «un comportement respectueux et approprié». Son «moi» avait complètement été éclipsé. Il formait un avec la Divinité, devant laquelle il n’existe aucune possibilité que l’être mortel ne se considère comme grand.
Rambam (Maïmonide) le dit plus succinctement : «Celui qui se comporte en orgueilleux, qui recherche son propre honneur… est, dans tels cas, un pécheur et un fou. A ce propos, le Roi Chlomo avertit : «Ne recherche pas la gloire devant le Roi». (Par contre) celui qui s’abaisse et pense en termes peu élogieux de sa personne… est véritablement quelqu’un de grand, digne d’honneur».
Quand l’on se réjouit de telle manière, alors, et pour à nouveau citer Rambam : «le bonheur avec lequel il devrait se réjouir de l’accomplissement des mitsvot et l’amour de D.ieu Qui les a ordonnées est véritablement un grand Service».
Perspectives
La Torah met l’accent sur le fait que l’inauguration du Sanctuaire eut lieu le huitième jour. Pourquoi le huitième ? Parce que l’ordre naturel du monde est structuré sur un modèle de «sept», comme l’indiquent les sept jours de la semaine. «Huit» représente la transcendance de la nature. C’est pourquoi le Sanctuaire, où la Présence de D.ieu, révélation au-dessus de la nature, était manifeste, fut inauguré le huitième jour.
Huit est la somme de sept et un. «Un» signifie la transcendance de D.ieu mais comme Il existe Seul, au-dessus de ce monde. «Huit» reflète la manière dont le «un» pénètre dans le «sept». Contrairement à «un», «huit» ne se réfère pas à la transcendance pure, qui ne laisse aucune place à l’élément naturel. Mais au contraire, «huit» souligne la fusion du transcendant et du naturel, la façon dont Sa transcendance pénètre et imprègne l’ordre naturel symbolisé par «sept».
C’est pour cette raison que nos Sages associent le nombre «huit» avec l’Ere de Machia’h, statuant que la harpe, dont on jouera alors dans le Temple, aura huit cordes (plutôt que sept comme c’était le cas dans les deux Temples précédents). En effet, la nouvelle conscience qui se lèvera à l’époque messianique effacera la dichotomie entre le matériel et le spirituel. A cette époque, notre conscience spirituelle imprégnera toutes nos activités physiques, les dotant de profondeur et signification intérieures.
Qu’est-ce que la Parchat Para ?
Ce Chabbat nous sortons deux Sifré Torah : dans le premier, on lit la Paracha Chemini. Dans le second, on lit le début de la Paracha ‘Houkat (Bamidbar – Nombres 19 : 1 à 22) qui explique le processus de la purification grâce à l’aspersion de l’eau lustrale mélangée aux cendres de la vache rousse. C’est une manière de rappeler au peuple de se purifier avant la fête de Pessa’h.
Qu’est-ce que la Matsa Chmourah ?
En hébreu, «Chmourah» signifie «gardée» et ce terme décrit parfaitement ce qu’est cette Matsa. La farine utilisée pour sa fabrication est gardée, protégée de tout contact avec de l’eau, depuis le moment de la moisson. En effet, si elle venait à être mouillée, elle pourrait lever et devenir impropre à la consommation pendant Pessa’h.
Ces Matsot sont rondes, pétries à la main et ressemblent à celles que les enfants d’Israël consommèrent lorsqu’ils quittèrent l’Egypte. Elles sont cuites en moins de dix-huit minutes sous stricte surveillance rabbinique, afin de s’assurer qu’elles ne puissent en aucune façon augmenter de volume et devenir levain pendant la fabrication. La Matsa Chmourah doit être utilisée pendant les deux nuits du Séder, c’est-à-dire vendredi soir 22 avril et samedi soir 23 avril 2016, en particulier pour les trois Matsot posées sur le plateau. Chaque convive à la table du Séder mangera de la Matsa Chmourah. Certains ont la coutume d’en consommer pendant toute la fête.
Le Zohar appelle la Matsa Chmourah : l’aliment de la foi et l’aliment de la Guérison.
Il n’est pas nécessaire d’avoir terminé son ménage de Pessa’h pour acheter les Matsot ; il suffira de les stocker à l’abri de tout ‘Hamets et de toute humidité.
(d’après Chéva’h Hamoadim – Rav Shmuel Hurwitz)
Une nuit, à trois heures trente du matin…
(Le 25 Adar marque l’anniversaire de la regrettée Rabbanite ‘Haya Mouchka).
Au matin du 22 Chevat 1988, une des secrétaires de mon institution m’annonça, bouleversée :
- Avez-vous entendu ce qui est arrivé à la Rabbanite ?
Et moi, naïvement, j’ai répondu :
- Quelle Rabbanite ?
Quand j’ai compris la triste nouvelle (le décès de l’épouse du Rabbi), j’ai réuni toutes les élèves et nous avons étudié ensemble un chapitre de Michnayot pour l’élévation de son âme. En effet, la coutume veut qu’on étudie des chapitres de la Michna qui commencent avec les lettres du nom du défunt. C’est alors que je me suis demandé : «Au fait, comment s’appelait-elle ?».
Je savais qu’on l’appelait Moussia car c’est ainsi qu’on l’appelait chez nous, à la maison. Ma mère – qui était une des rares personnes à la connaître, encore de Russie – nous racontait souvent ce dont elle avait parlé au téléphone «avec la Rabbanite Moussia».
C’est ainsi que nous avons étudié les chapitres de la Michna commençant par les lettres formant les prénoms : «‘Haya Moussia»…
Ce n’est que plus tard que je compris que ce n’était que son surnom et que la Rabbanite s’appelait en fait ‘Haya Mouchka.
Ce détail apparemment insignifiant forme en fait le point central de la vie de la Rabbanite.
Les élèves de notre époque ont sans doute du mal à croire et ne peuvent pas comprendre comment un ‘Hassid peut évoquer «la Rabbanite» sans même avoir l’idée de se renseigner sur son prénom exact… Et les plus jeunes parmi nous sont sans doute en train de réfléchir : «A l’époque, les gens n’étaient pas vraiment attachés au Rabbi et à la Rabbanite…».
C’est peut-être vrai. Mais le fait est que cette discrétion, ce mystère provenaient de la Rabbanite elle-même. Elle occupait une position cruciale mais parvenait à rester dans l’ombre, à voir sans être vue… On ne la voyait pas, on ne savait rien d’elle, on n’entendait rien à son propos. Les ‘Hassidim ne parlaient pas d’elle. La plupart des jeunes gens qui ont étudié au 770 Eastern Parkway, dans la grande Yechiva Loubavitch, dans les années soixante-dix, ne l’ont jamais vue – bien qu’elle venait chaque jour rendre visite à sa mère, la Rabbanite Ne’hama Dina qui habitait au deuxième étage, au-dessus de la synagogue. Personne ne la remarquait quand elle entrait ou sortait : c’est absolument extraordinaire !
Les anecdotes que nous avons entendues après son décès proviennent de quelques rares personnes qui ont eu le privilège de la rencontrer.
Le Rabbi garda la coutume de prendre tous les repas de fête dans l’appartement du Rabbi précédent, comme de son vivant. Bien entendu, la place du Rabbi précédent restait vide et le Rabbi s’asseyait à la même place qu’auparavant, à la gauche de la place située en tête de la table (la place du Rabbi précédent) puisqu’il était le gendre le plus jeune. L’autre gendre, Rav Chmaryahu Gurary occupait la place à la droite du Rabbi précédent, face au Rabbi. (Tout cela prit fin au décès de la Rabbanite Ne’hama Dina, l’épouse de Rabbi Yossef Its’hak, le Rabbi précédent, le 10 Tévet 1971 : alors le Rabbi n’avait plus de raison de passer le Séder au deuxième étage du 770 et il se mit à célébrer les repas des jours de fête dans sa propre maison).
Le second soir de Pessa’h, vers 1 heure trente du matin, après que le Rabbi ait célébré le Séder dans la maison du Rabbi précédent, il avait l’habitude de descendre dans la synagogue pour un Farbrenguen spécial, devant très peu de gens encore réveillés à cette heure, afin de continuer la Mitsva de «raconter l’histoire de la Sortie d’Égypte toute cette nuit» : il expliquait des passages de la Hagada. La plupart des Si’hot rédigées par la suite ont été prononcées lors de ces réunions informelles.
Bien entendu, ces réunions nocturnes étaient bien différentes des autres puisqu’on n’avait pas le droit de trinquer Le’haïm (A la vie !) après avoir célébré le Séder et mangé l’Afikoman. Le Rabbi prononçait ces discours la plupart du temps avec les yeux fermés.
La réunion se terminait en général vers trois heures trente du matin.
Je me souviens, une année, à la fin des années soixante, j’avais décidé qu’à la fin de cette réunion, je resterais au 770 jusqu’à ce que le Rabbi sorte et je l’accompagnerais, de loin, jusqu’à sa maison.
Je restais assis dans la «petite salle» d’où je pouvais surveiller la porte du bureau du Rabbi et, quand il sortit, je le suivis discrètement. Le Rabbi descendit les marches du 770 et, à ma grande surprise, ne se dirigea pas vers la gauche (comme je m’y attendais) mais vers la droite ! Il prit Kingston Avenue puis tourna encore à droite, sur Union Street ! Il marchait lentement et, quand il arriva à la hauteur du 4ème bâtiment – celui qui abrite actuellement le Kollel et qui longe l’endroit où on célèbre Tachli’h à Roch Hachana, derrière le 770 - il s’arrêta un instant : la Rabbanite ‘Haya Mouchka sortit alors, en pleine nuit et se mit à marcher à côté du Rabbi… Avec quelques autres ‘Hassidim, j’ai mérité de les suivre de loin jusqu’à leur maison sur President Street.
La Rabbanite avait à l’évidence elle aussi célébré le Séder dans l’appartement du Rabbi précédent, aux côtés de sa mère. Il s’avérait donc qu’après le Séder, elle avait attendu la fin de la réunion ‘hassidique et était descendue en cachette, selon son habitude toute de discrétion, était passée devant la grande Souccah à côté du 770 puis devant l’endroit du Tachli’h et du Kollel jusque sur Union Street puis avait attendu le Rabbi…
L’apparition soudaine de la Rabbanite m’impressionna beaucoup ainsi que sa façon de marcher, lentement, à côté du Rabbi. Je ne pourrai jamais l’oublier.
Elle avait attendu le Rabbi dans l’obscurité et cela veut tout dire sur son dévouement immense.
Il est inutile de rajouter un mot… C’était là toute sa personnalité : elle était là pour le Rabbi – même si cela devait signifier l’attendre pendant deux heures, en pleine nuit, après le Séder…
Rav Yossef Yits’hak Chitrik - Kfar Chabad N° 1647
Traduit par Feiga Lubecki